Domination symbolique et légitimation de la diminution horaire
Curriculums : impact et efficacité
La troisième hypothèse consistait à supputer que les curriculums mis en place lors de la scolarité des participants ont été efficaces et ont eu une incidence sur celui-ci. Pour ce faire, il convient d’analyser les résultats de 4 questions posées au groupe ayant eu dans son cursus des cours d’arts visuels. Elle rejoint, dans une certaine mesure, la question de l’adéquation entre les attentes des participants et les curriculums vécus.
Question 0.2 : Si oui, pensez-vous que l’école obligatoire vous a aidé à choisir cette voie ? Elle fait suite à la question : Pratiquez-vous un métier artistique ? Par « métier », on entend une activité qui représente au moins une partie de votre revenu, même petite (par exemple, graphiste, photographe, illustrateur/trice, musicien-ne). Elle concerne un groupe de 86 personnes y ayant répondu par l’affirmative.
Parmi celles-ci, 28 personnes répondent que l’école obligatoire a eu une incidence sur leur choix de métier artistique (groupe « oui ») et 58 affirment le contraire (groupe « non »). Nous avons donc une grande majorité (67,4%) qui répond de manière négative. On peut tout de même noter que chez les 28 participants du groupe « oui », on obtient une meilleure moyenne à la question 16 sur l’ouverture à la créativité au sein de l’école. Cette différence n’est pas énorme (environ 4, soit environ 1 point de différence, médiane toujours à 3). Cette même moyenne chute à 2,6 dans le groupe « non », qui est donc beaucoup plus sévère. L’impact est donc plus que mitigé et le choix d’une carrière artistique ne semble pas influencé par les curriculums vécus. Ce choix semble davantage influencé par le fait d’exercer les arts en dehors de l’école. En effet, 66 des 86 personnes du groupe le déclare. Notons encore que le groupe « oui » semble avoir pu expérimenter d’avantages de médias que la moyenne et que moins du tiers (9 personnes) déclarent n’avoir fait que de l’application de technique durant le cours d’AVI28 .
Question 13 : : L’école a-t-elle changé votre regard sur ces arts populaires ? Fait suite à la question : Comment étaient perçus les arts « populaires » par les professeurs durant votre scolarité ? Par « art populaire », on entend par exemple la bande dessinée, le roman photo, le graffiti, les dessins animés japonais… Parmi les 235 personnes concernées, 201 (85,5%) répondent par la négative, 33 (14%) répondent par l’option « Oui, j’apprécie davantage ces arts à l’heure actuelle » et une seule personne (0,4%) avec l’option : « Oui, j’apprécie moins ces arts à l’heure actuelle ».
Ce résultat n’est pas surprenant, puisque dans la majorité des cas, les arts populaires n’ont pas fait partie des curriculums. Dans le groupe qui apprécie plus ces arts à l’heure actuelle (33 personnes), nous avons une grande hétérogénéité de réponses à la question précédente : 3 déclarent qu’ils étaient dénigrés en cours, 14 qu’ils n’étaient pas évoqués, 10 évoqués mais non pratiqués et 5 encouragés et pratiqués. Par contre, ce groupe semble avoir pu expérimenter une plus grande variété de médias. On peut donc tirer la conclusion qu’il y a peu d’impact des curriculums sur le regard du participant.
Question 15 et 16 : Avez-vous l’impression que les arts visuels à l’école ont contribué à faire évoluer vos représentations par rapport à l’art (ex : vous considériez la peinture comme barbante) ? et Avez-vous l’impression que l’école secondaire vous a ouvert à la créativité29 ?
La question 15 comprenait 4 choix possibles, gradation de ressenti du oui vers le non. Ainsi, 42 participants (17,9%) répondent que les AVI n’ont pas du tout fait évoluer leur regard par rapport à l’art, 107 participant (45,5%) ont coché l’option « non, pas vraiment », 70 (29,8%) répondent que oui mais seulement dans une moindre mesure et 16 (6,8%) répondent qu’ils y ont beaucoup contribué.
Nous avons donc 149 participants sur 235 (63,4%) qui répondent par la négative. Mis en rapport avec les chiffres des questions précédentes, nous remarquons une certaine similitude dans les proportions obtenues. Encore une fois, les résultats donnent l’impression que l’éducation artistique à l’école n’a eu qu’un faible impact sur les participants, ou du moins uniquement de manière minoritaire.
On constate que le groupe ayant répondu de manière positive a, en moyenne, ressenti une plus grande ouverture à la créativité que le groupe ayant répondu négativement. Il a également pu expérimenter davantage de médias différents et est légèrement plus jeune. Les 16 participants ayant répondu « oui beaucoup » ont presque tous suivi deux périodes d’AVI par semaine et déclarent davantage apprécier les arts populaires que la moyenne, indépendamment de si cela faisait partie de leurs curriculums scolaires.
Il est intéressant de constater que sur les 86 personnes ayant répondu « oui » à la question 15, 64 déclarent avoir pu expérimenter au moins 3 médias différents dans le cadre des cours et moins de la moitié n’ont fait que de l’application de technique (c.f question 9 et 10). Il semble donc y avoir un rapport favorable entre parcours à curriculums variés et impact sur les représentations.
De manière plus synthétique, au vu des quatre questions posées ici, on peut en déduire que les curriculums mis en place par l’école n’ont eu qu’un impact limité sur les participants. Il semble en ressortir que pour avoir une quelconque incidence, il convient d’offrir aux élèves une certaine variété dans les médias et les pratiques rencontrés durant le cours d’arts visuels.
Comme vu au point 3.2 pour les a priori, cette diversité dans les curriculums participe à la construction du sens donné par l’élève, ce qui demande, entre autre, un investissement en temps.
Arts visuels et questions de société
L’hypothèse formulée était que la population s’attend à ce qu’une partie du cours d’arts visuels soit destinée à traiter des sujets d’actualité lié au monde de l’image, tout en incluant les nouvelles technologies de l’information aux curriculums. Il s’agit également d’attentes fondamentales du PER (A32AV pour la question 18, A33AV et FG31 pour la question 19). En analysant les résultats des questions 17, 18 et 19, il est possible de donner un aperçu de la vision des participants, qu’ils l’appréhendent de manière conservatrice ou non.
Question 17 : Pensez-vous que l’enseignement des arts visuels tel que vous l’avez connu serait en accord avec notre époque ? A cette question, 166 participants (70,6%) sur 235 répondent par la négative (option « non, la société à trop changé ») alors que 69 (29,4%) ont choisi l’option « oui, il serait encore adéquat ». Dans le groupe « oui », seules 12 personnes appartiennent à une tranche d’âge supérieure à 35 ans, il s’agit donc d’un groupe relativement jeune.
On notera aussi que le groupe « oui » a, en moyenne, connu un parcours artistique scolaire plus varié que la normale (51 sur 69 ont pu expérimenter trois médias ou plus et seuls 22 d’entre eux n’ont pratiqué que de l’application de techniques).
Le ressenti général penche plutôt dans le sens d’un besoin de réinvention de la discipline par rapport aux curriculums vécus.
Question 18 : Pensez-vous que ce soit à l’école de sensibiliser les plus jeunes à la publicité (retouches photographiques, ciblage fille/garçon, photomontages, …) ?
Comme nous l’avons vu, les discussions autour d’un thème, aussi large cela soit-il, n’est pas une pratique très répandue dans les curriculums des participants (45 personnes sur 235, soit 19,1%). Le questionnaire ne demande pas si ce cela a pu être abordé dans un autre cours que celui des AVI, ou dans un cours annexe type « intervention d’un professionnel ». Néanmoins, on peut penser que le cours d’arts visuels n’a pas privilégié cette pratique jusqu’à présent. A ce sujet, le PER stipule dans ses attentes fondamentales qu’à la fin de sa scolarité, l’élève sera capable de « décode(r) l’intention qui se cache derrière le support médiatique » et fait le lien avec la section FG34 qui demande que l’élève « porte une analyse personnelle étayée sur des représentations (images) et des productions médiatiques en général » et « détermine l’origine et les intentions d’un message ».
Sur 235 participants, une petite majorité (124 interrogés, soit 52,8%) pense que c’est au cours d’arts visuels de s’occuper de ces questions vives. 86 personnes donnent l’avis que cela devrait rentrer dans le cadre d’un cours différent, 22 jugent que ce n’est pas la mission de l’école que de traiter ces sujets et 3 seulement le considèrent comme sans importance. Les personnes ayant répondu par une des deux entrées « non » semblent plus âgées que la moyenne. En effet, 16 personnes sur les 25 du groupe ont plus de 35 ans.
Nous pouvons interpréter ceci comme une volonté de la part des répondants que ce soit des professionnels de l’image qui traitent ce genre de thématique. Rappelons que les enseignants en AVI ont, normalement, tous reçu une formation de niveau universitaire dans leurs domaines artistiques respectifs. Ceci est un témoignage supplémentaire que la fonction de l’enseignant n’est plus focalisée simplement sur la transmission de techniques, mais que celui-ci doit bel et bien dépasser son statut d’artiste professionnel pour pleinement donner les clés de compréhension du monde de l’image aux élèves. Nous pouvons ici citer Léonce Péreygne (1963) qui déjà il y a plus d’un demi-siècle nous interpellait sur la nécessité d’une éducation à l’image à l’école et en dehors de celle-ci : « De même que la diffusion des livres et de la presse a rendu nécessaire, dans le passé, une pédagogie de la lecture et de l’explication des textes, de même aujourd’hui la diffusion des images exige que l’enseignement considère leur emploi, non plus de façon épisodique et empirique, mais selon un programme systématique, assorti de méthodes appropriées. Puisque jeunes et adultes rencontrent désormais à tous les instants de leur vie quotidienne les informations, les tentations et les chimères de cet univers visuel où le mensonge prend si aisément l’apparence de la vérité. » (p.161) Question 19 : Selon vous, doit-on inclure les nouvelles technologies dans les cours d’arts visuels (par exemple : caméra du téléphone portable, tablette graphique pour dessiner sur l’ordinateur, appareil photo numérique, …) ?
À cette question, 142 personnes sur 235 (60,4%) répondent par l’option « oui, mais dans une proportion moindre que les outils traditionnels ». Suivent en importance de pourcentage l’option « oui, le plus d’outils numérique possible » avec 57 entrées (24,3%), puis « non, à l’exception des outils dont on ne peut se passer » avec 24 entrées (10,2%), et « non, il faut avant tout enseigner les techniques traditionnelles » avec 12 entrées (5,1%).
En majorité, nous voyons donc que les participants à l’enquête restent relativement attachés à l’enseignement des techniques traditionnelles, probablement telles qu’ils ont pu les aborder durant leur cursus personnel. Toutefois, il semble que l’intérêt pour le numérique et les nouvelles technologies soit réel, bien que le « tout numérique » ne semble pas réjouir la majorité. Il est intéressant de constater que les quatre groupes sont relativement homogènes en termes d’âge, de cursus, de revenus, etc. Il n’y a donc pas de facteur clairs qui permette de catégoriser ces données, il s’agirait peut-être ici plus d’affinités personnelles.
La problématique des outils numérique et des MITIC dans l’enseignement et ses diverses utilisations ont fait l’objet d’un travail de Master de mon collègue Alessandro Chianese (2014).
Il nous rappelle, citant Didier Chave (2013), que :
« Le numérique complète naturellement la gamme des outils traditionnels. Dans le champ des arts plastiques, l’appropriation artistique du numérique suscite de nouvelles questions, renouvelle ou met en perspective les codes fondamentaux de la création d’images.
L’enseignement des arts plastiques doit permettre aux élèves d’explorer ce médium, de l’intégrer dans leur pratique et d’adopter un point de vue distancié à son égard. »
C’est peut-être dans ce sens de volonté de complémentarité qu’il faut comprendre ces chiffres. Au même titre que les outils traditionnels, l’éducation aux médias de l’information et aux MITIC fait partie des plans d’études, notamment la section FG31 du PER et plus spécifiquement la section A33AV pour les AVI qui préconise une « Utilisation d’outils de création d’images analogiques, numériques (appareil de photos, caméra vidéo, ordinateur, …) ».
A ceci, il faut opposer une réalité parfois en contradiction avec les attentes et la bonne volonté des enseignants. Le 22 janvier 2019 paraissait un article30 faisant état d’énormes disparités cantonales et même entre établissements d’un même canton en matière d’équipements et d’outils numériques. Le canton de Neuchâtel (et la Suisse Romande en générale) semble moins bien doté que les cantons alémaniques. Dans le même article, nous pouvons lire que Monika Maire-Hefti, vice-présidente de la CDIP et conseillère d’État, évalue à 25 millions de francs suisses les investissements nécessaires (à Neuchâtel) afin de rattraper le retard sur les autres cantons.
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Introduction
1 Problématique et question de recherche
1.1 Point de départ de la réflexion
1.1.1 Constat
1.1.2 Observations sur le terrain
1.2 Présentation du problème
1.2.1 Consensus ewt dissonance
1.2.2 Curriculum
1.2.3 Quels choix de contenus à l’école ?
1.2.4 La symbolique de l’utile
2 Démarche méthodologique
2.1 Fondements méthodologiques
2.2 Population concernée par l’enquête
2.3 Modalités de passation de l’outil d’enquête
2.4 Instruments utilisés dans le questionnaire
2.5 Hypothèses à vérifier grâce à l’enquête
3 Analyse et interprétation des résultats
3.1 Un mot sur l’échantillon
3.2 A priori des participants
3.3 Curriculums : quelles attentes ?
3.4 Curriculums : impact et efficacité
3.5 Arts visuels et questions de société
3.6 Domination symbolique et légitimation de la diminution horaire
3.6.1 Traces observables
3.6.2 Réduction de la dotation horaire
4 Conclusion
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
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