dominance en psychologie sociale
La relation de dominance a fait l’objet de nombreux travaux en psychologie sociale. En effet Burgoon soutient que la construction de la dominance tient incontestablement une place primordiale dans la compréhension des actions des humains [12]. Elle permet de comprendre les comportements des individus dans les interactions et définit la nature des relations interpersonnelles. Néanmoins, il n’existe pas une seule définition du concept de dominance. Souvent confondu avec le pouvoir [13, 26], elle est définie comme trait de personnalité ou comme un statut, impliquant une qualité attribuée ou obtenue qui entraîne le respect et le privilège dans une hiérarchie [44]. En parallèle, elle définit aussi une relation interpersonnelle [14, 16]. Nous présentons dans cette section les différentes représentations de la dominance dans la littérature en psychologie sociale et les comportements qui y sont associés.
Trait de personnalité
La dominance comme trait de personnalité a connu une évolution dans la littérature en psychologie. Le concept de dominance, initialement associé aux comportements d’agressivité, a été élargi [12]. En effet, les travaux en Éthologie et psychologie évolutive ont d’abord étudié la dominance comme un trait de personnalité innée qui confère à la personne la capacité d’exercer son pouvoir et sa domination, de susciter la déférence et l’acquiescement, ou d’apaiser et se soumettre à un comportement conspécifique plus fort [14, 60]. Cependant, les travaux en Éthologie contemporaine s’éloignent de cette définition en faveur d’études permettant de mieux comprendre l’interaction entre les organismes et leur environnement social [14]. Pour les psychologues de la personnalité, la dominance est considérée comme un trait individuel durable qui désigne le tempérament de la personne et les prédispositions comportementales de chacun [19, 90] tels que l’agression, l’ambition, l’argumentation, assertivité, vantardise, confiance et détermination. Les adjectifs communs utilisés pour décrire la personne dominante sont affirmés, agressifs, compétitifs, exigeants, égoïstes et têtus. Plus précisément, la dominance en tant que variable de personnalité « montre un ajustement réaliste constant au succès et à l’échec de l’individu, à la santé ou à la maladie, aux capacités ou handicaps et aux forces extérieures relatives » [16, 19]. En effet, selon Emmons et McAdams [28], les individus avec un motif de haut pouvoir, et donc de dominance élevée, sont décrits comme voulant contrôler et influencer les autres, désirant la célébrité ou l’attention du public, et ayant la capacité de susciter l’émotion chez les autres. Dans la même veine, [51] décrivent une personne dominante comme une personne qui cherche et maintient un rôle de leader dans un groupe. Ces personnes prennent en charge et guident les membres du groupe vers la réalisation d’objectifs louables à travers des tactiques d’influence, des manœuvres de contrôle de l’environnement et l’expression énergique de l’opinion [16]. À l’opposé, les individus non dominants ou soumis sont présentés comme coopératifs, modestes et obéissants, mais aussi obséquieux, doux, faibles, peu sûrs, et évitant les situations qui nécessitent une affirmation de soi [16]. Par ailleurs, la dominance et la soumission sont généralement révélées à travers le style de communication [16]. Une personne dominante va avoir plus d’assurance dans sa manière de communiquer, être plus confiante, enthousiaste, énergique, active, compétitive, sûre d’elle, vaniteuse et directe. Ceci transparaît dans les comportements verbaux et non verbaux utilisés. Une personne dominante va utiliser plus d’espace, avec un temps de conversation plus long et être capable d’avoir d’avantage d’interruption réussie [16]. En revanche, une personne soumise va utiliser un mouvement contraint, une utilisation limitée de l’espace, de grandes quantités de regards tout en écoutant [16].
Statut social
Pour les sociologues, le statut désigne la position d’une personne dans une hiérarchie sociale [27], ce qui est répandu dans tous les types de sociétés [76]. Ceci est confirmé dans la littérature en éthologie qui fait l’hypothèse unificatrice que la dominance représente une caractéristique universelle de l’organisation sociale. Elle est par ailleurs reflétée dans le rang ou la position dans une hiérarchie sociale [16] et dans l’accès préférentiel aux ressources [77].
Ces comportements ont d’abord été observés chez les primates. En effet, lorsque la concurrence pour l’accès prioritaire à la ressource s’installe entre des individus ou des groupes qui ne se connaissent pas, le classement de dominance des individus doit être établi et signalé [16]. Les membres des groupes primates savent tous où ils se situent et qui a le statut le plus élevé ou le plus de dominance [96]. Ces signaux de la hiérarchie de dominance sociale sont universels et sont communs dans les groupes de primates. De plus, ils sont également communs dans les groupes humains [16]. Deux formes alternatives de dominance ont été identifiées dans la littérature. Elle peut être soit acquise ou gagnée [77]. La première forme est la dominance acquise. Elle est associée à des facteurs tels que l’héritabilité comme une passation de règne, l’âge et l’ordre de naissance qui confèrent un plus grand contrôle ou un meilleur accès à des ressources privilégiées [19]. Elle peut être aussi octroyée grâce à un rôle particulier, par exemple, professeur d’université, juge ou président d’entreprise. D’un autre côté, la domination, le pouvoir et l’influence sociale sont gagnés et dépendent de la sélection de la stratégie sociale et des capacités de mise en acte, des capacités empathiques et du potentiel d’affiliation et d’engagement de l’amitié. La seconde forme est la dominance sociale [77]. Contrairement à la dominance acquise qui n’est pas toujours méritée, la dominance sociale est obtenue à travers des capacités, des stratégies ou des possibilités d’affiliation démontrées [16]. La dominance sociale peut se manifester par des indicateurs dynamiques tels que la proximité, la posture, le regard, l’expression faciale, la vocalisation, la durée de la conversation ou l’usage de la langue [59]. Par conséquent, la dominance sociale est le résultat de certaines connaissances ou compétences particulières. Par exemple, une personne monte en hiérarchie grâce à ses réussites professionnelles. Un statut élevé accorde un certain degré de pouvoir et peut faciliter la dominance parce qu’on est doté d’une autorité légitime, et l’autorité légitime confère à l’individu le potentiel d’une plus grande influence [14]. Cependant, un statut élevé ne garantit pas l’exercice du pouvoir ou l’affichage d’un comportement dominant. Par exemple, un manageur d’équipe dont le statut est élevé dans la hiérarchie peut avoir du mal à exprimer des comportements de dominance et force la compliance de ses collègues. Par opposition, les manifestations de dominance en l’absence de pouvoir légitime peuvent ne pas réussir à exercer une influence [91]. Par exemple, un enfant montrant des comportements de dominance tels que l’agressivité envers ses parents est mal perçu et rarement accepté. Par ailleurs, les individus de haut rang ne sont pas forcément puissants ou dominants et les démonstrations de dominance ne placent inévitablement pas haut dans une hiérarchie de statut [15]. Hall et Coats [44] présentent l’exemple suivant : une personne qui a acquis un statut élevé dans sa profession peut avoir une faible dominance de la personnalité, une personne qui est dans une position de haute autorité structurelle peut être inefficace pour obtenir la conformité des autres, ou une personne qui émerge comme leadeur dans un groupe de travail peut être un suiveur parmi ses pairs ou doux à la maison.
Relation interpersonnelle
Burgoon et al [16] défendent le concept de la dominance et la soumission comme propriétés d’une relation interpersonnelle plutôt qu’individuelle, et mettent l’accent sur les habiletés sociales et les pratiques de communication qui contribuent à la dominance plutôt que sur les comportements hérités, biologiquement déterminés, contrôlés par la personnalité. Cependant, la relation interpersonnelle de dominance est souvent confondue avec le pouvoir. Étant fortement corrélés [26], ils sont souvent regroupés sous une même rubrique souvent utilisés comme synonymes [16, 27]. Plusieurs recherches en psychologie sociale [14, 16, 26] se sont intéressés à définir clairement la relation interpersonnelle de dominance, le pouvoir et la relation entre ces deux concepts.
Représentation du pouvoir
La définition du pouvoir est restée longtemps conflictuelle dans les différents domaines d’applications. Cependant, la littérature en psychologie sociale et en communication interpersonnelle, converge à définir le pouvoir comme la capacité à produire les effets voulus et, en particulier, la capacité d’influencer le comportement d’une autre personne même face à la résistance [13, 14, 50]. Burgoon et Dunbar [16, 26] ajoutent que comme le pouvoir est une capacité, il est latent. Par conséquent, il n’est pas toujours exercé et une personne avec un pouvoir élevé peut ne pas avoir conscience de son pouvoir. De plus, quand il est exercé, il n’est pas toujours couronné de succès et même réussi, il peut avoir une magnitude limitée en fonction de l’environnement [50]. French et Raven [33] affirment que le pouvoir peut prendre cinq formes séparées et distinctes : le pouvoir coercitif, récompense, légitime, expert et référent. Ce modèle a été révisé et une sixième forme a été ajoutée qui est le pouvoir informationnel. Le pouvoir coercitif est basé sur la capacité à utiliser des menaces pour forcer une personne à agir contre son gré et d’administrer une punition pour un comportement indésirable. Inversement, le pouvoir de récompense découle de la capacité à offrir es incitations positives pour récompenser les gens pour un comportement désiré. Par exemple, une augmentation de salaire ou une promotion. Le pouvoir légitime représente la position d’autorité qui est basée sur les croyances des subalternes selon lesquelles un supérieur a le droit de prescrire et de contrôler leurs comportements (e.x. en fonction de sa position dans l’organisation). Le pouvoir d’expert peut être dérivé de l’expérience, des connaissances ou de l’expertise dans un domaine donné [105].
Enfin le pouvoir référent découle du sentiment d’affiliation au groupe, il est basé sur l’attraction interpersonnelle des subordonnés, leur admiration et leur identification au un supérieur [105]. Le pouvoir informationnel est la capacité à contrôler l’accès à l’information dont dépendent les autres. Par exemple, Hayden et al [23] affirme que le pouvoir légitime, de récompense et de coercition sont basés sur la position d’un individu dans une organisation, tandis que le pouvoir d’expert, d’information et de référence sont basés sur des attributs personnels. Il ajoute : « Ceux qui possèdent seulement le pouvoir positionnel sont des bureaucrates. Ceux qui possèdent seulement un pouvoir personnel sont des leadeurs. Ceux qui possèdent les six sont de bons manageurs ».
Représentation de la dominance
Les spécialistes de la communication et de la psychologie sociale considèrent en grande partie la dominance comme une variable sociale plutôt qu’organisationnelle, mais qui est définie au niveau interpersonnel. En outre, la dominance est présentée comme une variable dyadique plutôt que monadique et est définit en fonction des résultats auxquels elle se rapporte [14, 16]. Comme spécifié par Mitchell et Maple [96], la dominance est le résultat d’une interaction d’évènements et dépend donc des individus impliqués dans l’interaction et non de l’individu seul. Contrairement au pouvoir qui peut être latent, la dominance est forcément manifeste et comportementale, elle consiste en des stratégies expressives, basées sur la relation. Elle s’exprime par un ensemble de transactions complémentaires à travers des actes communicatifs par lesquels l’influence est exercée et accueillis avec acquiescement par le partenraire d’interaction [13, 83]. De plus, même si la soumission-dominance est conceptualisée comme une dimension universelle sur laquelle toutes les relations sociales peuvent être réparties, l’expression de dominance peut être provoquée par une combinaison de tempéraments individuels et de caractéristiques situationnelles qui encouragent un comportement dominant [13]. Ces derniers sont sensibles à l’évolution des objectifs, des interlocuteurs, des situations et du temps, entre autres facteurs. Ainsi, au cours d’un même épisode, les individus peuvent ajuster leurs expressions de soumission et de dominance à des circonstances changeantes.
Lien entre la dominance et le pouvoir
Comme nous l’avons expliqué plus haut, la dominance et le pouvoir sont deux concepts distincts. Cependant, cette présentation démontre aussi une forte corrélation entre eux. Par exemple, Burgoon et Dillman [12] soutiennent que la dominance n’est qu’un moyen pour exprimer le pouvoir et d’atteindre l’influence voulue. Ils ajoutent que la dominance n’est donc pas la voie exclusive du pouvoir, mais plutôt l’un des moyens alternatifs par lesquels le pouvoir est opéré. D’un autre côté, le pouvoir fournit le contexte pour les comportements de dominance. Une autre distinction est que le pouvoir se réfère souvent à de simples potentialités d’influence (telles que reflétées dans des concepts comme les bases de pouvoir, les motivations de pouvoir et le locus de contrôle), alors que la dominance est plus souvent liée aux comportements réels [16, 26]. Ainsi, alors que le pouvoir permet l’expression de la dominance, et que le comportement dominant peut solidifier le pouvoir, la dominance et le pouvoir, bien que corrélés, ne sont pas des concepts interchangeables [12]. Enfin, la dominance et le pouvoir, appliqués à un contexte social, sont relatifs au partenaire social et ne sont pas absolus [26]. Par conséquent, un même individu peut se retrouver dans la position dominante avec un interlocuteur et être soumis dans une autre interaction avec un individu différent.
Manifestations de la dominance dans les interactions
La dominance est une construction multifacette qui peut être démontrée interactivement de plusieurs façons et dont la signification dépend à la fois du contexte et de la perception [26]. Sa manifestation dans l’interaction se fait à travers des actes de communications qui s’expriment tant par des comportements verbaux que non verbaux. Nous présentons dans cette section, les comportements communicatifs liés à la relation de dominance.
|
Table des matières
1 Remerciements
i INTRODUCTION, CONTEXTE SCIENTIFIQUE ET PROBLÉMATIQUE
2 Introduction
3 État de l’art
3.1 Dominance en psychologie sociale
3.1.1 Trait de personnalité
3.1.2 Statut social
3.1.3 Relation interpersonnelle
3.1.4 Manifestations de la dominance dans les interactions
3.1.5 Conclusion
3.2 Négociation et dominance
3.2.1 Influence de la dominance sur le comportement et la stratégie de négociation
3.2.2 Complémentarité de dominance dans la négociation
3.3 Modèles de négociations automatiques
3.3.1 Les systèmes de négociation automatique
3.3.2 Coopération et collaboration en négociation
3.3.3 Aspect social dans les modèles de négociations automatiques
3.4 Comportements de dominance chez les agents conversationnels
3.5 Contributions de la thèse
ii CONTRIBUTIONS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES
4 Modèle de négociation collaborative
4.1 Collecte de données
4.1.1 Analyse de la structure de dialogue
4.1.2 Exemple d’analyse
4.1.3 Résultats de l’analyse
4.1.4 Structure d’un dialogue de négociation collaborative
4.1.5 Aspect dialogique de la négociation collaborative
4.1.6 Structure intentionnelle et attentionnelle
4.2 Domaine de négociation
4.3 Représentation formelle des éléments de la négociation
4.3.1 Préférences
4.3.2 Utilité des critères : Satisfiabilité
4.3.3 Communication
4.3.4 Mise à jour des connaissances durant la communication
4.4 Conclusion
5 Modèle de décision basé sur les comportements de dominance
5.1 Comportements de dominance et stratégies de négociation
5.2 Règles de décision
5.2.1 Sélection de l’acte de dialogue
5.2.2 Exemple
5.2.3 Limites des arbres de dialogue
5.3 Modèle de décision
5.3.1 Principe 1 : Niveau d’exigence
5.3.2 Prise en compte des préférences de soi Vs autrui
5.3.3 Contrôle de la négociation
5.4 Évaluation du modèle
5.4.1 Hypothèses
5.4.2 Étude 1 : Évaluation Agent/Agent
5.4.3 Étude agent/humain
5.4.4 Conclusion
6 Construction dynamique d’une relation interpersonnelle de dominance
6.1 Croyances sur l’autre : Théorie de l’esprit
6.2 Approche naïve
6.2.1 Algorithme de ToM
6.2.2 Limites de l’approche naïve : Représentation des préférences
6.3 Modèle de raisonnement avec représentation partielle de l’état mental
6.3.1 Principe général
6.3.2 Contrôle de la négociation
6.3.3 Partager des préférences
6.3.4 Exprimer des propositions
6.3.5 Conclusion
6.4 Évaluation
6.4.1 Méthodologie
6.4.2 Analyses des dialogues
6.4.3 Discussion
6.5 Conclusion
7 Complémentarité Vs Similarité
7.1 Objectif
7.1.1 Complémentarité en psychologie sociale
7.2 Méthodologie
7.3 Hypothèses
7.4 Protocole expérimental
7.4.1 Mesures
7.4.2 Questionnaire concernant l’interaction
7.4.3 Données d’interactions
7.4.4 Protocole
7.4.5 Hypothèses opérationnelles
7.5 Résultats
7.5.1 Perception des comportements des agents
7.5.2 Gain commun
7.5.3 Tours de paroles
7.5.4 Confort
7.5.5 Appréciation
7.6 Analyses complémentaires
7.7 Discussion
7.7.1 Perception des comportements des agents
7.7.2 Gain commun
7.7.3 Tours de paroles
7.7.4 Appréciation de l’agent
7.8 Conclusion
iii Conclusion
8 Conclusion
8.1 Contributions
8.1.1 Décision basée sur les comportements de dominance
8.1.2 Simulation des comportements de l’interlocuteur
8.1.3 Impact de la complémentarité de la dominance sur la négociation
8.2 Perspectives à court et à long terme
8.2.1 Traits individuels des négociateurs
8.2.2 Expressivité de l’agent
iv Annexes
Télécharger le rapport complet