Le concept de gouvernance d’entreprise renvoie à « l’ensemble des mécanismes organisationnels ayant pour objet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions (notamment de financement et d’investissement) des dirigeants, autrement dit, qui gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire » (Charreaux et Desbrières, 1997 : 29). A l’origine, Berle et Means (1932) ont souligné que la séparation des fonctions de propriété et de décision qui caractérise les sociétés dites managériales induit un risque important de spoliation des propriétaires compte tenu des conflits d’intérêt entre ces deux types d’acteurs. Le risque de spoliation est d’autant plus important que l’asymétrie d’information est favorable au dirigeant censé échapper à tout contrôle. Ainsi, les systèmes de gouvernance s’organisent-ils principalement autour de mécanismes et de principes de contrôle et d’incitation visant à garantir l’équilibre des forces au sein de l’entreprise dans l’optique d’une maximisation de la valeur. Au sens large, le champ de la gouvernance de l’entreprise recouvre les questions liées à la répartition des pouvoirs et à ses effets sur la création de valeur, englobant l’ensemble des relations qu’entretiennent les différentes parties prenantes à l’entreprise.
Cette représentation de la gouvernance d’entreprise s’inscrit dans le paradigme de l’efficience organisationnelle. Les théories de la gouvernance supposent en effet que la mise en place de mécanismes adéquats de gouvernance permet d’assurer la survie de l’entreprise et de répondre aux attentes des parties prenantes. De ce fait, les recherches en gouvernance d’entreprise aboutissent in fine à des objectifs normatifs. Elles cherchent à définir les déterminants du fonctionnement efficient du système de gouvernance, dont l’efficacité est jugée déterminante dans le processus de création de valeur. En ce sens, la gouvernance d’entreprise se renouvelle et s’enrichit constamment depuis le début des années 1990.
LES ENJEUX DE L’INTÉGRATION DES FEMMES AUX INSTANCES DE DÉCISION DES ENTREPRISES. APPROCHE CONCEPTUELLE
La question d’une meilleure représentation des femmes dans le monde professionnel est, actuellement, une question récurrente de management de la diversité à laquelle sont confrontées les entreprises. Longtemps cantonnée à des considérations éthiques et morales, la participation des femmes à la vie économique apparait aujourd’hui comme une nécessité politique, soucieuse des besoins et des intérêts de toutes les composantes de la Société. En particulier, la question de la féminisation des organes de gouvernance est désormais incontournable en raison de l’engagement accru et solidaire de certains acteurs principaux (investisseurs institutionnels, pouvoirs politiques, organismes nationaux et supranationaux). Au delà des engagements politiques, la question de la mixité ou de l’égalité professionnelle hommes/femmes s’installe progressivement dans le débat économique et managérial à travers des concepts tels que « diversité», ou encore « responsabilité sociétale des entreprises » qui sont des questions d’actualité, valorisées comme tel par l’ensemble des parties prenantes. Ainsi, la question d’un meilleur équilibre professionnel entre les femmes et les hommes s’inscrit dans un cadre institutionnel et conceptuel qu’il convient d’explorer pour en comprendre les enjeux en gouvernance des entreprises.
LE PLAFOND DE VERRE ET LA FAIBLE PRÉSENCE DES FEMMES DANS LES INSTANCES DE GOUVERNANCE
Malgré leur poids économique, démographique et les progrès accomplis quant à leur niveau de qualification, toutes les statistiques s’accordent aujourd’hui à établir une faible présence des femmes aux postes de responsabilité et de décision des entreprises. Ainsi, même s’il n’y a pas d’opposition formelle à la promotion des femmes dans les instances de responsabilité, les recherches expliquent le confinement des femmes aux postes inférieurs par l’existence de barrières subtiles qui empêcheraient les femmes d’accéder à ces postes. Les concepts de « plafond de verre » ou encore de « plancher collant » sont les métaphores communément utilisées pour qualifier ces barrières.
Le concept de plafond de verre ou glass ceiling est utilisé dans les recherches pour désigner l’ensemble des obstacles visibles ou invisibles qui rendent compte de la rareté des femmes dans les postes de haute responsabilité et de décision dans les organisations (Morrison et al., 1987). Il s’agirait de pratiques de discrimination difficilement perceptibles qui empêcheraient l’avancement professionnel des femmes. Sanchez-Mazas et Casini (2005 : 142) considèrent que « ce plafonnement des profils professionnels des femmes serait dû à un ensemble de facteurs invisibles, comme l’indique la métaphore du verre, qui laisse passer le regard et non les personnes, ouvrant la perspective tout en bloquant le mouvement ».
Les barrières à la promotion des femmes notamment dans les hautes instances de responsabilité des entreprises sont reconnues comme telles et font de plus en plus l’objet de certaines actions correctives. Selon une étude sur la situation des femmes cadres dans les grandes entreprises menée par GEF et Accenture (2003) auprès de 54 entreprises classées parmi les 300 plus grandes entreprises, près de 93 % des répondants reconnaissent l’existence de freins à l’évolution normale des femmes dans les entreprises. Les Etats Unis d’Amérique (USA) ont même mis en place, en 1991, un organisme dénommé « Federal Glass ceiling commission » dont le but est d’identifier et d’analyser ces barrières afin de proposer des stratégies favorisant l’avancement normal des femmes dans tous les niveaux hiérarchiques des organisations. Plusieurs facteurs peuvent rendre compte de ces barrières artificielles qui freinent l’évolution normale des femmes vers les instances de haute responsabilité des entreprises. Nous avons répertorié, à partir de ces recherches, les éléments principaux qui concourent a priori très sensiblement au renforcement de ces barrières. Ces freins sont relatifs, notamment, aux réseaux informels, aux systèmes de valeurs et de priorité des femmes, ainsi qu’aux préjugés et aux stéréotypes sexistes.
Système de valeurs et système de priorité des femmes
Tout comportement humain est conditionné par un système de valeurs et ces valeurs cognitives contribuent à la détermination de nos actes. Les études psychologiques ont tendance à attribuer différents systèmes de valeurs aux hommes et aux femmes. On considère, en général, que les femmes et les hommes ont une représentation différente du pouvoir et du bonheur. Contrairement aux hommes, le système de valeurs des femmes serait plus fondé sur l’amour, la communication, la beauté et les rapports humains (Gray, 1992). Les femmes seraient moins attirées par les attributs de la puissance et préféreraient plus la décision à un pouvoir de direction (rapport ORSE, 2004 :15).
Les préjugés et les stéréotypes de genre
Les idées préconçues et les stéréotypes, reposant notamment sur des facteurs culturels et religieux, sont considérés comme l’une des explications principales de la situation actuelle des femmes sur le marché du travail en général et par rapport aux postes de management en particulier (McShulskis, 1996).On ne saurait ignorer, en effet, le caractère plus ou moins ancestral de l’inégalité des genres, avec une éducation et un conditionnement social qui préparent les filles à la fonction reproductrice et maternante. Ce conditionnement social, encore très puissant dans les mœurs, détermine la place et le rôle des femmes et des hommes. Il attribue certaines fonctions à des aptitudes masculines comme la responsabilité, les caractéristiques dites masculines étant perçues comme supérieures à celles des femmes en termes de leadership. A contrario, les femmes sont censées être moins qualifiées, moins capables et moins fortes que les hommes pour occuper des hauts postes de direction (Tharenou, 1999). Cette perception sociale est susceptible de déterminer encore fortement la place des femmes dans la société. Ainsi attribuant à la femme, la place de mère et de femme au foyer plutôt que celle de travailleuse et a fortiori de dirigeante, les femmes sont encore au centre de la vie familiale (McKinsey, 2007 :7). Il est aussi généralement admis qu’elles sont plus prédisposées à quitter leur poste pour des raisons familiales (Fagenson, 1990 ; Graig et al., 2007). L’étude de Mckinsey (2007) indique qu’en Europe, les femmes consacrent en moyenne environ deux fois plus de temps aux tâches domestiques, incluant l’entretien et l’éducation des enfants et la préparation des repas pour la famille. Les contraintes familiales (gestion du patrimoine privé, maternité, etc.) majoritairement assumées ou laissées à la charge des femmes, pèsent énormément sur le choix du métier et sur l’évolution de la carrière. Cela pose de toute évidence la problématique de la meilleure adéquation entre les responsabilités familiales traditionnelles assignées aux femmes et les responsabilités professionnelles en entreprises.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE I : ASPECTS CONCEPTUELS DE LA RECHERCHE ET REVUE DE LA LITTÉRATURE
INTRODUCTION PARTIE I
CHAPITRE 1 : LES ENJEUX DE L’INTÉGRATION DES FEMMES AUX INSTANCES DE DÉCISION DES ENTREPRISES. APPROCHE CONCEPTUELLE
INTRODUCTION
1- LE PLAFOND DE VERRE ET LA FAIBLE PRÉSENCE DES FEMMES DANS LES INSTANCES DE GOUVERNANCE
2 – LA PARTICIPATION À PARITÉ DES FEMMES : UNE NÉCESSITÉ POLITIQUE
3 – LA PARTICIPATION À PARITÉ DES FEMMES : UNE NÉCESSITE SOCIALE ET ÉCONOMIQUE
CONCLUSION
CHAPITRE 2 : LES ENJEUX DE L’INTÉGRATION DES FEMMES DANS LES INSTANCES DE GOUVERNANCE. REVUE DE LA LITTÉRATURE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
INTRODUCTION
1 – LA COMPOSITION DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DANS LES THÉORIES DE LA GOUVERNANCE
2 – DIVERSITÉ DU GENRE AU CONSEIL : QUELS ENJEUX DANS LES THÉORIES DE LA GOUVERNANCE
3 – LES RÉSULTATS DES PRINCIPALES ÉTUDES EMPIRIQUES
CONCLUSION
CONCLUSION PARTIE I
PARTIE II : LES FACTEURS D’INTÉGRATION DES FEMMES DANS LES INSTANCES DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES FRANÇAISES
INTRODUCTION PARTIE II
CHAPITRE 3 : ÉTUDE EMPIRIQUE DES CARACTÉRISTIQUES INDIVIDUELLES DES FEMMES MEMBRES DU CONSEIL D’ADMINISTRATION ET DE LEUR POSITION DANS LE PROCESSUS DE DÉCISION
INTRODUCTION
1 – APPROCHE THÉORIQUE
2 – DONNÉES ET MÉTHODES
3 – ANALYSE DES DONNÉES
4 – CONCLUSIONS DE L’ÉTUDE EMPIRIQUE AU REGARD DES HYPOTHÈSES
CHAPITRE 4 : ÉTUDE DES FACTEURS ORGANISATIONNELS DE L’INTÉGRATION DES FEMMES DANS LES INSTANCES DE GOUVERNANCE
INTRODUCTION
1 – LITTÉRATURE ET PROPOSITIONS THÉORIQUES
2 – ÉTUDE EMPIRIQUE : DONNÉES ET MÉTHODES
3 – RÉSULTATS
4 – DISCUSSION DES RÉSULTATS
CONCLUSION PARTIE II
PARTIE III : LES ENJEUX ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS DE LA DIVERSITÉ DU GENRE AU CONSEIL D’ADMINISTRATION
INTRODUCTION PARTIE III
CHAPITRE 5 : IMPACT DE LA DIVERSITÉ DU GENRE AU CONSEIL ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DES ENTREPRISES
INTRODUCTION
1 – REVUE DE LA LITTÉRATURE : ASPECTS THÉORIQUES ET EMPIRIQUES
2 – DONNÉES ET MÉTHODES
3 – RÉSULTATS ET DISCUSSION
CONCLUSION
CHAPITRE 6 : INTÉGRATION DE LA DIVERSITÉ DU GENRE AU CONSEIL D’ADMINISTRATION ET COMPORTEMENT DU MARCHÉ FINANCIER
INTRODUCTION
1 – APPROCHE THÉORIQUE
2 – DONNÉES ET MÉTHODES
3 – RÉSULTATS ET DISCUSSION
CONCLUSION
CHAPITRE 7 : DIVERSITÉ DU GENRE AU CONSEIL D’ADMINISTRATION ET GOUVERNANCE D’ENTREPRISE RESPONSABLE
INTRODUCTION
1- CADRE DE LA RECHERCHE
2 – DONNÉES ET MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE
3 – RÉSULTATS
CONCLUSION
CONCLUSION PARTIE III
CONCLUSION GÉNÉRALE