Diversité des origines en management et enjeux organisationnels créés par les normes

Particularité, complexité et limites du concept de la diversité des origines

La diversité des origines fait l’objet d’une attention grandissante dans les médias, dans le discours des entreprises et dans la littérature académique. Ce concept s’est imposé dans le milieu professionnel dans une approche normative mettant en garde contre les risques de discrimination, ce qui constitue une atteinte au socle de l’identité républicaine, garante de l’égalité des individus. C’est dans cette logique que s’inscrivent les normes telles que la Charte de la diversité lancée en 2004, par exemple, afin de rappeler aux entreprises le risque discriminatoire et surtout, la dépasser et s’ouvrir aux bénéfices de la diversité dans une optique d’égalité des chances.

La diversité des origines en management est nourrie par de vives réflexions transdisciplinaires. Nous allons dresser les contours de ce type de diversité en puisant dans les fondements théoriques anthropo-sociologiques afin de comprendre la problématique managériale de la gestion de la diversité.

Contexte de la diversité en entreprise : une approche par les normes 

Le concept de la diversité des origines n’est pas clairement identifié. Dans le discours des entreprises, il est d’ailleurs souvent détourné par une série de qualificatifs tels que « égalité des chances » (Bouygues) , « différentes cultures et origines » (TF1) , « populations issues des quartiers sensibles » (Carrefour) . Très souvent, il s’agit des multinationales étrangères telles que Coca Cola qui met en avant la « diversité culturelle et ethnique » ou encore IBM où il est de tradition de créer, de manière décomplexée, des réseaux ciblés comme le « réseau des Noirs » et le « réseau des Asiatiques de l’Est » par exemple .

Ces entreprises sont généralement détentrices de dispositifs telles que la Charte de la diversité qui milite pour la promotion de la « diversité culturelle, ethnique et sociale» dans les organisations ou encore le Label diversité qui audite les entreprises pour prévenir le risque de discrimination lié à « l’origine » au même titres que les autres critères de diversité que sont le handicap, le genre ou l’âge.

Ces dispositifs sont des outils de management (De Vaujany, 2006:110) dont la France connaît une prolifération depuis les années 2000. Ceux-ci visent à attirer l’attention des entreprises sur les risques de discrimination et les bénéfices de la diversité dans le but d’orienter et de corriger le comportement des organisations. Mais de quelle diversité s’agit-il exactement ? Est-ce la diversité des « origines » ? Est-elle « culturelle » ? Ou également « sociale » ? Est-elle « ethnique » ? Ou encore géographique avec le ciblage de quartiers dits « sensibles » ? Est-elle une affaire de couleur de peau telle que présentée à IBM ? Ou peut-être est-ce la somme de ces caractéristiques ? Les interrogations fusent et reflètent toute l’ambigüité conceptuelle de ce type de diversité que les dispositifs de diversité peinent à clarifier.

Fondements anthropo-sociologiques de la diversité des origines 

Nous devons les prémisses de la réflexion sur la diversité des origines à l’ethnologie et l’anthropologie. Si elle ne mentionne pas clairement la diversité des origines, sa genèse est fondée l’étude des pratiques humaines à travers le monde (Lévi-Strauss, 1952 ; 1967 ; Amselle, 1985 ; 1996) suivant une classification des ethnies. La notion d’ethnie, issue du grec « ethnos », apparaît en 1896 dans un contexte scientifique particulier. En effet, l’ethnie est une catégorisation scientifique des individus que nous devons à l’anthropologue Vacher de Lapouge dont le souci scientifique était alors de se dissocier de la traditionnelle classification des peuples en termes de « race » qui est davantage liée à une définition biologique (Amselle & M’Bokolo, 1985) limitée aux traits physiques. Une scission théorique émerge et oppose deux visions du monde : le courant anglophone qualifiant la diversité en termes de « race » comme c’est encore le cas aux Etats-Unis ; la tradition française qui privilégie la notion d’ « origine » en évitant ainsi toute confusion avec un quelconque critère essentialiste. La distinction entre ces termes est subtile puisque chacun recouvre une spécificité particulière (Ribard, 1999 ; Sabbagh, 2004). Bonte et Izard, définissent l’ethnie, dans le dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, comme « un ensemble linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille » (Bonte & Izard, 1991: 242). Partant du principe qu’« on ne nait pas ethnique » (Juteau, 1999), l’ethnicité fait davantage l’objet d’une construction : « l’ethnicité est construite et non naturelle, mais elle est réelle et non imaginaire : elle demeure concrète tout en étant imaginée » (Juteau-Lee, 1996:104). A ce stade, il est difficile de percevoir une définition claire de l’ethnicité et, encore moins, d’en dresser des frontières. L’ethnicité est une notion connexe à celle de l’ethnie. Elle renvoie à une identité d’appartenance socioculturelle dans un territoire donné. Nous pouvons évoquer la nationalité qui rattache un individu à une identité socioculturelle déterminée. La nationalité est un indicateur de l’appartenance d’un tiers à une nation et à un territoire donné. Par exemple, les Basques, autant que les Picards, peuvent revendiquer une double appartenance socioculturelle car elle est à la fois régionale et nationale.

Si l’anthropologie pose les jalons de l’ethnicité, la sociologie contribue à sa compréhension grâce à la lecture de Weber. Ce sociologue allemand caractérise l’existence d’un groupe ethnique par une croyance commune : « nous appellerons groupe ethnique, quand ils ne représentent pas des groupes de parenté, ces groupes humains, qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine fondée sur des similitudes de l’habitus extérieur ou des mœurs, ou des deux, ou sur des souvenirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devient importante pour la propagation de la communalisation, peu importe qu’une communauté de sang ou non objectivement » (Weber, 1971:416). Cette définition induit un caractère social fort, car l’ethnicité dépasse les relations de parenté. Dans cette perspective, le groupe ethnique est nourri de croyances, l’on appartient à une communauté dès lors que nous partageons une croyance commune. En somme, il est davantage question du partage d’une identité et de valeurs véhiculées à travers une histoire commune, passée ou présente. La croyance est une des composantes de la définition classique et large de la culture.

Les sociologues s’accordent avec les anthropologues sur le fait que la culture désigne « l’ensemble des activités, des croyances et des pratiques communes à une société ou à un groupe sociale particulier » (Etienne, Bloess, Noreck & Roux, 2004:120). La sociologie, plus précisément, le courant fonctionnaliste, prolonge la vision anthropologique en adaptant la notion de culture aux sociétés modernes. Dans cette modernité qui prend le pas sur les traditions, la culture englobe les « valeurs ». Celles-ci sont formées à partir d’un idéal qui donne lieu à des règles de conduites appelées des « normes » (Montoussé & Renouard, 2006).

Au regard de la sociologie, la culture regroupe l’ensemble des activités développées par l’Homme. Elle revêt alors un caractère dominant car elle est globale. Son ancrage institutionnel lui permet de s’étendre à travers l’école ou l’entreprise, par exemple. La culture dominante est enrichie par l’existence de la « sous-culture » et de la « contre-culture » (Etienne, Bloess, Noreck & Roux, 2004:121). La première porte sur « des valeurs et de normes » propres à un sous-groupe (Delobbe, Karnas & Vandenberghe, 2002). La sous-culture revêt souvent une dimension artistique et/ou identitaire forte comme la culture religieuse, la culture du terroir, la culture Geek (Trémel, 2001) et autres Nouveaux mouvements sociaux (Neveu, 2015). La contre culture, quant à elle, s’oppose à la culture dominante par des groupes de résistances. C’est le cas des groupes de citoyens manifestant contre des projets de lois, par exemple. A partir de ces définitions, nous pouvons considérer que l’ethnie peut traduire la manifestation d’une sous-culture dans une entreprise car elle regroupe un ensemble de « codes culturels », à l’instar de « la langue [qui] ne représente pas l’intégralité des sons, elle est un codage d’un ensemble tout comme un comportement ne représente pas l’ensemble des comportements humains » (Bonte & Izard, 1991:190) ou encore le nom ou la descendance. Elle est forte d’un processus d’apprentissage social appelé la « socialisation » (Rodier, 2014). Nous partageons le point de vue de Juteau (1996) qui définit « l’ethnicité comme rapport social » renvoyant à des caractéristiques héritées des « ancêtres communs ». Ceux ci partagent une culture commune, traduite par des comportements transmissibles au fil des générations notamment à travers les rites et les coutumes. La famille est l’institution garante de cet héritage à caractère ethnique. Toutefois, bien que l’ethnicité se transmette de génération en génération, elle n’est pas héréditaire car elle ne peut se limiter à une considération purement biologique. Plutôt qu’une «affaire de sang », elle est « la manifestation de la détermination qu’exerce le groupe ethnique en chacun de nous » (Juteau-Lee, 1983).

Approches de la diversité des origines en management 

L’étude de la diversité des origines s’élargit et pénètre progressivement les sciences de gestion. Chacune des sous-disciplines qui compose le management l’aborde sous un angle particulier, que ce soit le marketing, l’entrepreneuriat, la finance, la gestion des ressources humaines ou encore la stratégie.

En marketing, la diversité des origines est davantage mobilisée comme un critère de segmentation du marché afin de satisfaire la demande des consommateurs. D’où le développement d’un panel de produits aux attributs ethniques variés en lesquels les consommateurs se reconnaissent. Le marketing recourt à des saveurs du monde ciblant des types de populations comme « l’immigration turque et maghrébine en France » (Béji-Bécheur et al., 2011:3) ou des zones géographiques avec des produits asiatiques (Demontrond, 2008). Afin de décrypter au mieux le profil de ses clients, le marketing procède à une analyse fine grâce à l’intersectionnalité des critères de diversité comme la dimension ethnicogénérationnelle. En témoigne le développement de la catégorie des Français issus de l’immigration dont la littérature marketing interroge facteur de l’auto-perception de soi. Par exemple, Silhouette Dercourt, Darpy et De Lassus (2013:87) montrent que les jeunes femmes en France [issues de l’immigration] de deuxième génération se considèrent comme «françaises» en adoptant simultanément la culture d’origine héritée de leurs ascendants. C’est par cet héritage culturel qu’opère un attachement à la pratique du jeûne et le fait de garder un nom à consonance étrangère (Lapierre, 1993). Il s’agit d’une segmentation particulière du marché offrant des potentialités au marketing.

Dans le même sens, la littérature sur l’entrepreneuriat porte un intérêt sur l’ethnicité (Messeghem & Verstraete, 2009). De nombreuses recherches analysent le profil ethnique des entrepreneurs en analysant le profil des Français issus de l’immigration (Senik & Verdier, 2008) ou par le statut des « migrants » (Nkakleu & Levy-Tadjine, 2005). La problématique est la suivante : l’entreprenariat résulte-il d’un choix par défaut (Filion, Brenner, Dionne & Menzies, 2007), c’est-à-dire que « l’esprit d’entreprise n’est pas institué comme la voie royale de la promotion sociale » (Marchesnay, 2008) ou, au contraire, s’agit-il d’une décision motivée par un réel intérêt pour le domaine ? Quoi qu’il en soit, une classification des individus opère de nouveau avec le ciblage des entrepreneurs comme par exemple le des « Chinois et Maghrébins en France » en comparaison aux entrepreneurs turcs en Allemagne et indiens en Grande-Bretagne (Pécoud, 2005). Le ciblage est tel est que la littérature sur l’entreprenariat développe le « néologisme d’« entreprebeuriat », par allusion aux beurs , immigrés maghrébins de la deuxième, voire troisième génération » (Marchesnay, 2008).

Un tel engouement pour la diversité ethnique s’explique par l’impact financier qu’il génère. La segmentation du marché voit se développer la finance ethnique. Là encore, l’analyse de l’attitude des individus importe. Il s’agit, par exemple, de décrypter le « comportement financier des migrants maliens et sénégalais de France» (Dieng, 1998) ou de comprendre le mécanisme des « transferts des revenus des migrants au Sub-Sahara en Afrique » (Rocher & Pelletier, 2008). Comme pour le marketing, la finance mêle plusieurs variables relatives à l’ethnicité : l’origine mais également la religion avec la finance dans la communauté juive (Elman, 1945) ou encore « finance islamique » (Pastré & Gecheva, 2008) Par ailleurs, les entreprises étant continuellement amenées à s’adapter à la mondialisation, leurs responsabilités engagent inévitablement la gestion des ressources humaines et la stratégie afin de gérer le flux de main-d’œuvre. D’ailleurs, depuis des décennies, le management interculturel a pour défi de « connaître l’existence de cultures différentes, d’intégrer les valeurs sur lesquelles reposent ces cultures dans l’exercice des différentes fonctions d’entreprise » (Barmeyer & Mayrhofer, 2009:59). A partir des années 2000, la diversité est un nouveau concept en management qui se formalise avec la Charte de la diversité. Le discours des entreprises change et fait désormais place à la « diversité culturelle » avec « écho » à la gestion de l’interculturel (Bereni, 2009). Toutefois, s’il existe des liens entre le management de la diversité et le management interculturel, ce serait une erreur d’entretenir une confusion entre ces deux types de gestion (Barth & Falcoz, 2009). Chevrier (2010) précise que le management interculturel comprend la diversité des cultures mais pas uniquement au sens de l’origine car il peut s’agir tant de la nationalité que de la « culture d’entreprise ou de métiers ». De même, le management interculturel traite davantage des « différences culturelles » imposées, par exemple, lors d’une fusion ou du transfert d’un cadre étranger dans une entreprise nationale mais il fait abstraction de la coexistence des cultures. Au contraire, la gestion de la diversité est davantage motivée par la volonté de lutte contre la discrimination dans une logique d’égalité.

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Table des matières

Introduction générale
1. Particularité, complexité et limites du concept de la diversité des origines
2. Positionnement et problématique de recherche
3. Architecture générale de la thèse
PARTIE I – REVUE DE LITTERATURE
Les enjeux du management de la diversité en entreprise
Chapitre I – De la migration internationale au management de la diversité des origines en entreprise
1. Flux migratoire internationale et enjeux territoriaux
2. Réponses politiques à la migration
3. Diversité des origines dans les entreprises. Management par les normes juridiques et extra- juridiques
Chapitre II – Management de la diversité des origines par l’institutionnalisation des normes et la coopération dans les équipes de travail
1. Apport d’une lecture néo-institutionnaliste dans la compréhension des normes de diversité
2. Changement organisationnel par l’appropriation des normes de la diversité
3. La coopération comme moyen de changement organisationnel dans les entreprises et réponse aux normes de diversité
PARTIE II – PRESENTATION DU TERRAIN ET MODALITES D’INVESTIGATION
Analyse comparée du management de la diversité des origines en France et au Canada
Chapitre III – Présentation du terrain d’investigation
1. Présentation et justification de l’entreprise RT : positionnement du siège
2. Présentation de la filiale en France
3. Présentation de la filiale RT Canada
Chapitre IV – Méthodologie de la recherche
1. Stratégie de recherche
2. Collecte de données
3. Précautions juridiques en matière de collecte et de protection des données relatives à la diversité des origines
4. Bilan de la méthodologie de de la recherche
PARTIE III – RESULTATS DE LA RECHERCHE
Management de la diversité des origines par les normes et fonctionnement des équipes en France et au Canada
Chapitre V – Résultats de la recherche
Section I : Appropriation des normes de diversité dans l’entreprises RT et ses filiales
1. Positionnement du siège de l’entreprise RT à l’égard des normes
2. Processus d’appropriation des normes dans la Filiale en France
3. Processus d’appropriation des normes dans la Filiale RT Canada
4. Bilan de l’identification des acteurs de diversité et de l’appropriation des normes de diversité dans l’entreprise et ses deux filiales
Section II : Gestion et coopération des équipes issues de la diversité des origines
1. Recrutement
2. Gestion des pratiques religieuses dans les équipes
3. Gestion de l’ethnicité : le cas des profils ethniques types au Canada
4. Gestion du conflit dans les équipes
Chapitre VI : Normes et management de la diversité des origines : éléments de discussion
Section I : Appropriation des normes dans un contexte d’incertitude
1. Le management de la diversité par les normes
2. Echec du processus d’appropriation des normes de diversité à l’échelle des opérationnels
3. Institutionnalisation de pratiques informelles de gestion de la diversité
4. La coopération dans les équipes, une réponse à la gestion de la diversité
Section II : Proposition d’une politique de diversité
1. Tentative de définition d’une politique de diversité
2. Quelques pistes de réflexion pour une politique de diversité structurée dans une optique de changement institutionnel et organisationnel
Conclusion générale

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