Diversification des variétés et flux de gènes
Le colza (Brassica napus var. oleifera L.) est membre de la vaste famille des Brassicacées. En France, il peut être semé à l’automne ou au printemps suivant le type variétal. Le colza de printemps est peu répandu en France (moins de 1% de la sole de colza en 2000 et 2001) car son rendement potentiel est moindre. Le colza commence à fleurir au début du mois d’avril s’il s’agit d’un type hiver ou en juin s’il s’agit d’un type printemps. Sa floraison dure environ 6 semaines. Il est ensuite récolté entre la fin juin et la mi-août selon la date de semis et la région (Figure 1.1). Avec plus de 9 millions de tonnes d’huiles végétales produites en Union européenne pour près de 11 millions de tonnes consommées en 2000, l’huile végétale est un produit de consommation courante. La France est le premier producteur d’oléagineux de l’Union européenne avec plus de 4.7 millions de tonnes de graines produites en 2001 dont 61% de colza. Avec ses graines riches en huile (teneur de plus de 43% en moyenne en 2001 en France, Quinsac et al., 2001), le colza représente 56% des oléagineux cultivés en 2001-2002 dans l’Union européenne. Les tourteaux, restes des graines après extraction de l’huile, sont utilisés dans l’alimentation animale pour leur richesse en protéines. Les tourteaux de colza entrent dans la composition des aliments pour vaches laitières (40% du tourteau de colza français), pour porcs (40% du tourteau français pour 7% des protéines de la ration alimentaire), pour volailles (environ 10% du tourteau français pour 5% des protéines de la ration alimentaire) et pour bovins viande (environ 10% du tourteau français). L’huile de colza est utilisée en alimentation humaine sous forme « directe », en bouteille, mais surtout dans les mayonnaises et sauces émulsionnées, en biscuiterie, biscotterie et conserverie, en particulier dans les produits contenant du thon. Les débouchés non-alimentaires de l’huile de colza sont très divers : production d’additifs pour carburant (ester méthylique ou diester), de lubrifiants (huile pour chaîne, huile deux-temps, fluides hydrauliques, …), de fluidifiants ou solvants, de tensio-actifs, de cosmétiques, de peintures et revêtements (pour la protection du bois, des métaux ou même du béton au moyen des dérivés d’huiles et de glycérine), de nylons, de supports phytosanitaires,…
Autogamie du colza récepteur
Un fort taux d’autogamie des plantes permet aussi de limiter les hybridations dans la culture. Ainsi, le blé et le soja ont tous les deux un fort taux d’autogamie (Le Bail et al., 2001) et les contaminations pendant la floraison sont faibles pour ces espèces. Le colza (Figure 1.2) est généralement considéré comme ayant un taux d’autogamie de 70% (Sylvén, 1920, cité par Rives, 1954; Olsson, 1960). Ainsi, certaines fleurs peuvent être pollinisées par d’autres plantes de colza. Ce pollen provient majoritairement d’autres plantes de colza du même champ et de la même variété, mais il peut aussi y avoir fécondation par des pieds de colza d’autres parcelles ou par des repousses dans la parcelle ou dans les bordures de champ et de route voisines.. La proportion de fleurs pollinisées par du pollen extérieur dépend du taux d’autogamie. Ce taux d’autogamie varie selon les cultivars (Hühn et al., 1979; Rudloff et al.,1984) et selon l’environnement (Becker et al., 1991, 1992). Ces variations peuvent être très importantes d’un individu à l’autre. Olsson (1960) et Hühn et al. (1979) ont observé des individus avec des taux d’autogamie de 0% à 98%. Becker et al. (1991, 1992) ont observé des taux d’autogamie de 57% à 79% selon le génotype et de 53% à 88% selon le lieu d’expérimentation. Il devrait donc être possible de sélectionner des colzas à fort taux d’autogamie afin de limiter les contaminations à la floraison.
Distance entre les colzas émetteur et récepteur
La source de pollen extérieur doit être assez grande (taille et densité de la population émettrice) et proche (distance de dispersion du pollen) pour pouvoir apporter du pollen fécondant au colza récepteur. Le pollen de colza peut être dispersé par le vent et les insectes (Mesquida et al., 1982). La dispersion du pollen a été étudiée en milieu continu et discontinu à la fois dans des conditions expérimentales (Scheffler et al., 1993; Stringam et al., 1982; Timmons et al., 1995 ; Lavigne et al., 1998), dans des situations proches des situations culturales françaises (Champolivier, 1998 ; Champolivier et al., 1997 ; Champolivier et al., 2002) et dans des situations de culture à grande échelle (Timmons et al., 1995; Thompson et al., 1999a; Rieger et al., 2002). En milieu continu, Stringam et al. (1978) ont observé que les taux de contamination diminuaient brusquement au-delà de 137 m (1.1% de contamination à 137 m et 0.6% à 366 m). Scheffler et al. (1993) ont trouvé un taux de contamination de 0.4% à 12 m. D’après les résultats de Scheffler et al. (1993), la majorité du pollen tombe à moins de 3 m de la plante émettrice et le reste du pollen tombe à des distances plus grandes avec une probabilité décroissant selon une exponentielle négative fonction de la distance (courbe leptokurtique). À 12 m de la source, on ne trouve plus que 0.02% du pollen émis. Ces résultats sont cependant fortement dépendants de la taille et de la forme des parcelles émettrices et réceptrices ainsi que de la géographie du paysage. (Astoin et al., 2000).
Flux de graines
La présence de graines de colza avant la mise en culture dans le stock semencier du sol s’explique en général par des chutes de graines lors de cultures précédentes. Les graines de colza sont « confinées » dans les siliques jusqu’à maturité. Sous l’effet d’un choc thermique ou mécanique (pluie, passage de machine, d’animal, …), les siliques peuvent s’ouvrir et libérer les graines. C’est la déhiscence. Ce phénomène dépend du climat, mais aussi du génotype (Morgan et al., 2000), ces deux facteurs interagissant. Les graines tombent alors principalement au pied de la plante mère ou à une courte distance (environ 1 m). Elles peuvent se conserver dans le sol de la parcelle pendant plusieurs années. Ces graines pourront ensuite germer et donner naissance à des repousses dans les champs. Les chutes de graines sont très variables selon les conditions climatiques et épidémiologiques (pression des maladies, insectes,…). On constate en France des pertes de 1.5% à 8.5% en moyenne (Berl, 2000), mais elles peuvent augmenter jusqu’à atteindre 80% dans de mauvaises conditions, comme une grêle avant récolte (Berl, 2000). Deux modes de récolte du colza sont pratiqués en France. Le premier consiste en une coupe et une récolte directe ; le second consiste à andainer le colza au début de la maturation des graines (graines des siliques du bas marron) et à laisser la culture finir de mûrir dans l’andain avant de récolter deux à trois semaines plus tard. Les pertes observées (Price et al., 1996) avec la première méthode sont d’environ 11% de la récolte globale dont 40% sont dus à l’égrenage sur pied et 60% aux chocs et pertes pendant la récolte mécanique. Dans le cas de l’andainage, les pertes varient selon le stade auquel l’andainage a été fait (de 11% à 25% pour un andainage précoce à tardif). Pour un andainage précoce, 6% de ces pertes sont dus à l’égrenage, 40% aux chocs lors de la coupe des plantes et de la formation de l’andain, 23% des pertes ont lieu dans l’andain pendant la maturation et 31% sont dus à la récolte des andains. Cette étude a été effectuée en Angleterre où les pertes à la récolte sont plus importantes qu’en France ; cependant, les mêmes phénomènes interviennent dans la chute des graines en France. Les graines perdues par égrenage ou pendant la récolte peuvent tomber à terre ou être emportées à l’extérieur de la parcelle vers d’autres champs ou bordures par le vent, la faune ou le matériel agricole. La dispersion par le vent se fait à courte distance (2 mètres au maximum), mais il existe un effet de l’environnement (Colbach et al., 2001). La résistance à l’égrenage va jouer sur les proportions de graines qui vont tomber à maturité. Le rendement de l’agriculteur dépend beaucoup de ce caractère. Les pertes sont couramment de 5% à 15% en France, mais peuvent atteindre des valeurs extrêmes en cas de mauvaises conditions climatiques (jusqu’à 80% de pertes en 2000 à cause de fortes grêles au printemps) (Berl, 2000). La résistance à l’égrenage dépend de plusieurs gènes contrôlant différents caractères : la rigidité de la paroi de la silique, l’épaisseur de cette paroi ou la courbure de la silique (Child et al., 1998; Morgan et al., 2000). Des essais de sélection pour la résistance à l’égrenage sont en cours depuis quelques années (projet FAIR-CT96-3072) (Uluskov et al., 1998), mais il semble difficile de sélectionner conventionnellement pour ces traits complexes et récessifs, d’autant qu’il existe peu de variabilité parmi les variétés de colza cultivées (Morgan et al., 2000). En effet, la résistance à l’égrenage interagit énormément avec le climat.
Techniques actuelles de gestion
Examinons maintenant comment est gérée la pureté des récoltes dans les filières de semences et de colza érucique. Pour ce qui est du colza semence, le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et des plants) édite chaque année les règlements techniques expliquant les mesures à suivre pour limiter les contaminations des semences (Tableau 1.2) (GNIS, 2001). Il s’agit en particulier de contraintes sur les temps de retour de colza sur les parcelles et de distance d’isolement des parcelles de production pour pouvoir respecter les seuils de pureté qui dépendent du stade de la création variétale. Les sélectionneurs et multiplicateurs imposent ensuite leur propre cahier des charges aux agriculteurs producteurs de semences. Généralement, celui-ci est plus strict, même si les mesures imposées ne reposent pas toujours sur des bases scientifiques. Leurs techniciens viennent vérifier l’état de propreté des parcelles en cours de culture et les distances par rapport aux autres cultures de colza. Les repousses sont arrachées manuellement. Cette façon de faire génère des coûts non négligeables et n’est appliquée que parce que la production de semences est mieux rémunérée que la production de colza alimentaire. Elle nécessite en plus une bonne coordination entre voisins. Pour ce qui est du colza érucique, ce sont les organismes de collecte et stockage qui fournissent les recommandations aux agriculteurs (Tableau 1.3). La production se fait généralement sous contrat. Tout le système repose sur la séparation à la collecte des deux types de colza, alimentaire et érucique, et surtout sur la pureté des récoltes. C’est donc principalement pendant la culture que les contaminations peuvent avoir lieu. On retrouve le même type d’exigences que pour les semences : des temps de retour plus longs (en général, le temps de retour est de 3-4 ans pour du colza alimentaire) et des distances d’isolement minimum entre colzas. Dans ces deux cas, le surcoût de production est pris en charge par un prix plus élevé payé aux opérateurs. Pour les semences, la rémunération de l’agriculteur à la tonne étant plus forte que pour du colza alimentaire, l’agriculteur a intérêt à veiller à la pureté de la récolte. Il ne serait pas facile de faire adopter ces mesures pour des marchés de grande taille et sans rémunération du travail supplémentaire (Le Bail et al., 2001). Cependant, d’autres modalités de maîtrise des contaminations pourraient être mises en œuvre (Berl, 2000). Pour limiter la perte de graines, la récolte peut être avancée pour éviter une déhiscence trop forte des siliques. L’andainage dans les régions ventées ou exposées aux orages d’été permet aussi une meilleure homogénéité de la maturité des siliques, donc une moindre perte à la récolte. Cependant, vu le coût de ce travail, peu d’agriculteurs andainent, au risque d’obtenir des lots contaminés, même en production de semences. Un détourage, qui consiste à récolter séparément le bord du champ à proximité de la source contaminante et le centre, peut aider à obtenir une récolte avec un plus faible taux d’impuretés. Le stock semencier de la parcelle peut aussi être diminué en allongeant le temps de retour du colza sur la parcelle ou en choisissant des cultures suivantes dans lesquelles la gestion des repousses levées est plus efficace. Un travail du sol bien avant le semis de la culture suivante permet à une bonne partie des repousses de lever puis d’être détruites au moment du semis de la culture suivante. De plus, les repousses sont facilement éliminées par des herbicides pendant les cultures de monocotylédones comme les céréales (en conditions non pluvieuses). Dans une culture de printemps, une bonne partie des repousses sont détruites au semis et les repousses levant ensuite n’auront pas été vernalisées et ne fleuriront pas. Enfin, la fauche des bordures de champ ou de routes par les agriculteurs ou les services de la DDE (Direction Départementale de l’Equipement) avant la floraison ou la grenaison des repousses de colza sert aussi à limiter la dispersion des gènes vers la parcelle. Certains Contrats Territoriaux d’Exploitation exigent également que l’agriculteur élimine toutes les repousses de moutarde ou de colza dans ses jachères (par exemple si l’agriculteur décide de faire des jachères de colza érucique, Cf. http://www.cte.fnsea.fr/textes/note/Cadre NationalCTEgrandescultures.pdf ).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1. Position du problème
I. Flux de gènes
1. Diversification des variétés et flux de gènes
2. Flux de pollen
2.1. Autogamie du colza récepteur
2.2. Floraison des colzas émetteur et récepteur
2.3. Distance entre les colzas émetteur et récepteur
2.4. Caractéristiques des colzas émetteur et récepteur
3. Flux de graines
4. Survie des repousses
II. Gestion des flux de gènes
1. Techniques actuelles de gestion
2. Objectif de l’étude
3. Modélisation des flux de gènes
3.1. Structure du module temporel
3.2. Structure du module spatial
III. Plan de l’étude
Chapitre 2. Etude de la variabilité génétique de certains caractères variétaux
I. Taux d’autogamie
1. Objectif et principe des expérimentations
2. Protocole expérimental détaillé
2.1. Cléistogamie
2.2. Hauteur et autogamie
3. Résultats
3.1. Cléistogamie
3.2. Hauteur et autogamie
4. Conclusion partielle
II. Émission de pollen
1. Production de pollen
1.1. Production au cours de la floraison
1.2. Production de pollen en fonction du génotype
1.3. Production par un couvert
1.4. Discussion
2. Émission et dispersion du pollen
2.1. Protocole
2.2. Résultats
2.3. Discussion
3. Conclusion partielle
III. Modélisation de la compétition intergénotypique
1. Protocoles expérimentaux
1.1. Compétition
1.2. Etude de la F2 de l’hybride demi-nain
2. Résultats
2.1. Compétition
2.2. Etude de la F2 de l’hybride demi-nain
3. Conclusion partielle
Chapitre 3. Effets des caractéristiques variétales sur les flux de gènes
I. Modification de GeneSys-Colza
1. Cléistogamie
2. Stérilité mâle
3. Compétition
3.1. Nouveaux gènes
3.2. Nouvelles équations
4. Hérédité des caractères
5. Conclusion partielle
II. Eléments de validation de GeneSys-Colza
1. Résumé des validations déjà faites
2. Validation complémentaire
3.Conclusion partielle
III. Analyses de sensibilité aux paramètres variétaux
1. Parcellaires et systèmes de culture
1.1. Maîtrise des contaminations de voisinage
1.2. Gestion d’une parcelle en reconversion
2. Résultat des simulations
2.1. Autogamie
2.2. Emission de pollen
2.3. Production de graines
2.4. Hauteur
3. Conclusion partielle
IV. Impact de différents types variétaux sur les flux de gènes
1. Parcellaires et systèmes de culture
1.1. Maîtrise des contaminations de voisinage
1.2. Gestion d’une parcelle en reconversion
1.3. Agriculture biologique
2. Résultats
2.1. Impact d’une association variétale comprenant 80% de plantes mâle stériles
2.2. Impact des hybrides demi-nains
2.3. Impact de la « cléistogamie stabilisée »
2.4. Impact des nains « cléistogames stables »
2.5. Impact des colzas « pharmaceutiques »
2.6. Impact des types variétaux dans l’agriculture biologique
4. Conclusion partielle
Discussion générale
1. Connaissances générales sur le colza
1.1. Autogamie
1.2. Compétition
1.3. Cléistogamie
1.4. Association variétale
2. Effets des variétés et intérêt du modèle pour l’étude des flux de gènes
3. Méthodologie d’étude a priori des effets des innovations variétales
Références bibliographiques
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