Un passant dans Paris ne réalise pas forcément la multiplicité des usages de l’eau pour la ville, tels que le nettoyage des trottoirs ou l’arrosage des espaces verts. En zone urbaine, les besoins en eau sont essentiels à la fois pour les usages des habitants et pour ceux des collectivités. Or, le changement climatique risque d’augmenter fortement le coût environnemental pour la satisfaction de ses besoins. En effet, la France est potentiellement soumise, du fait de l’ampleur de ses besoins, à des pressions sur la ressource en eau. Les hypothèses d’évolution climatique à l’horizon 2050 prévoient une baisse de disponibilité des ressources en eau à l’échelle du bassin de la Seine (Ducharne et al. 2009). En tenant compte des incertitudes issues des modèles climatiques, les études pronostiquent une baisse moyenne de -20% des débits actuels de la Seine à son exutoire, ainsi qu’une tendance à la baisse du niveau des nappes (Habets et al. 2011). Au-delà de la quantité, les questions de qualité des eaux demeurent une préoccupation majeure, malgré les progrès réalisés en matière de lutte contre la pollution. D’une part, on assiste aujourd’hui à l’abandon de certains captages en Île-de-France dû au dépassement des limites réglementaires en nitrates et même en pesticides (MTES 2012), ce qui induit une pression accrue sur les ressources disponibles. La présence de plus en plus fréquente des polluants émergeants dans les eaux de surface oblige les producteurs d’eau potable à employer des techniques de plus en plus sophistiquées et coûteuses environnementalement. En zone urbaine, pérenniser les besoins de l’Homme en eau nécessite de repenser le lien entre les activités humaines et son environnement. Les termes de « développement durable » et de «durabilité » sont régulièrement employés pour désigner une activité humaine respectueuse de l’environnement. Cependant, les sens pris par ces deux termes peuvent être multiples et gagnent à être précisés. Dans notre recherche, nous définirons une gestion durable de l’eau à l’échelle d’une ville comme une gestion qui maintient une bonne qualité de l’environnement. Cet environnement est défini au sens global (sol, air, eau, etc.). Ainsi une gestion de l’eau devra à la fois préserver le bon état de cette dernière, mais aussi minimiser les coûts environnementaux associés à son traitement et son acheminement. A l’échelle d’une ville, réfléchir à une gestion durable des ressources en eau nous amène à questionner le lien entre les ressources et les usages. A-t-on vraiment besoin d’autant d’eau ? Et si c’est le cas, quelle qualité est réellement requise pour quels usages ? Les doubles réseaux sont des infrastructures déployées qui permettent aujourd’hui de voir différemment ce lien entre qualités et usages. Outre le réseau usuel délivrant de l’eau potable afin de satisfaire des usages « nobles » (boisson, cuisine, hygiène corporelle), un second réseau distribue une ressource de moindre qualité (eau non potable) destiné à des usages tels que l’arrosage des espaces verts et le nettoyage des voiries.
Les doubles réseaux pour une gestion durable des ressources en eau : clefs de compréhension
Cette partie vise à appréhender notre objet de recherche, le RENP parisien, et à comprendre comment celui-ci peut contribuer à une gestion durable des ressources en eau.
Tout d’abord, nous définirons ce que nous entendons par le concept de durabilité. Puis nous nous intéresserons à l’ensemble des étapes de la gestion de l’eau en ville, appelées également « parenthèse urbaine de l’eau », afin de comprendre dans quelle mesure celle-ci contribue à une gestion durable des ressources en eau Nous réfléchirons ensuite sur une évolution possible de cette parenthèse urbaine de l’eau à travers le prisme de la durabilité, en questionnant le lien entre ressources et usages du point de vue de la qualité. Dans le but de pouvoir caractériser notre objet de recherche, nous nous intéresserons par la suite aux doubles réseaux existants dans le monde, aux conditions de leur mise en place, et aux questions scientifiques aujourd’hui soulevées. Enfin, nous poserons les fondements théoriques du terme « système socio-technique » que nous mobiliserons pour caractériser le RENP.
La durabilité, un concept à préciser
La notion de durabilité est apparue en 1980 avec la publication « Word Conservation Strategy », rapport établi par l’ONG International Union for Conservation of Nature (IUCN et al. 1980). Elle mentionne pour la première fois le terme « développement durable ». Le développement est défini comme « la modification de la biosphère et l’utilisation des ressources humaines, financières, vivantes et non vivantes pour satisfaire les besoins et améliorer la qualité de la vie ». Le concept de durabilité introduit également des notions de temporalité et de solidarité intergénérationnelle, exprimées dans une phrase bien connue de ce rapport : « Nous n’avons pas hérité la terre de nos parents, nous l’avons empruntée à nos enfants ». En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, présidée par Gro Harlem Brundtland, publie un ouvrage « Our common future » (CMED 1987, 16). Selon son analyse, le développement durable permet « [de répondre] aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (CMED 1987, 16). Le concept de développement durable y est précisé en ces termes :
« [Ce] n’est pas un état d’équilibre, mais plutôt un processus de changement dans lequel l’exploitation des ressources, le choix des investissements, l’orientation du développement technique ainsi que le changement institutionnel sont déterminés en fonction des besoins tant actuels qu’à venir» (CMED 1987, 17) .
Bien que cette définition reste imprécise, l’ouvrage communément appelé « rapport Brundtland » impulse une discussion sur la durabilité. Cette discussion se concrétise par la Conférence de l’ONU sur l’Environnement et en 1992 à Rio de Janeiro en juin 1992. Cette conférence se conclut par la signature de la « Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement » qui précise la notion de développement durable. Un programme d’action pour XXIe siècle, appelé « Action 21 » est alors adopté, dans le but d’appliquer le concept de développement durable aux activités des collectivités territoriales. Depuis, les mots « développement durable » et « durabilité » se sont largement répandus dans la société et sont employés par de nombreux acteurs engagés dans les questions d’environnement. Il n’existe pas de consensus sur la distinction à établir entre ces deux termes (Harding 2006). Parmi ceux qui les distinguent, nous pouvons évoquer l’UNESCO pour qui la durabilité est un objectif à long terme (celui d’un monde plus viable), alors que le développement durable désigne les nombreuses manières et voies (production et consommation durables, bonne gouvernance, etc.) pour y parvenir (UNESCO 2014).
La parenthèse urbaine de l’eau
Parler de la gestion des ressources en eau nécessite avant tout de revenir à la notion de cycle hydrologique. Celui-ci est généralement défini comme un modèle conceptuel décrivant le stockage et la circulation de l’eau entre la biosphère, l’atmosphère, la lithosphère et l’hydrosphère (Marsalek et al. 2008). L’eau peut être stockée dans l’atmosphère, les océans, les lacs, les rivières, les ruisseaux, les sols, les glaciers, les champs de neige et les aquifères souterrains. Elle circule entre ces compartiments de stockage grâce à des processus tels que l’évapotranspiration, la condensation, la précipitation, l’infiltration, la percolation, la fonte des neiges et le ruissellement. Dans les zones urbaines, le cycle hydrologique est fortement modifié par les impacts de l’urbanisation et la fourniture des services d’eau à la population urbaine. Il doit ainsi intégrer l’approvisionnement en eau, la collecte des eaux usées et l’épuration.
Repenser le lien entre usages et ressources
L’idée d’une adéquation entre ressources et usages remonte à l’Antiquité. Environ 100 ans après J.-C., Sextus Julius Fontinus trouvait aberrant que l’eau de source soit utilisée pour tous les usages (Möhle 1980). Il aspirait à un système où plusieurs réseaux permettraient de distribuer des eaux de différentes qualités selon les usages. L’eau de source serait utilisée pour satisfaire la consommation humaine, une eau de moins bonne qualité serait destinée aux bains, et enfin la ressource avec la qualité la plus dégradée serait réservée à l’approvisionnement des fontaines, l’arrosage des jardins et le nettoyage des canalisations.
L’incitation à la préservation de la ressource est mise en avant dès 1958, avec un principe énoncé par le Conseil Economique et Social de l’ONU (ONU 1958): « Aucune eau de qualité supérieure, à moins d’être excédentaire, ne devrait être utilisée pour un objectif qui peut tolérer une moindre qualité ».
Le double réseau : un objet ancien, mais des questions récentes
Le double réseau d’approvisionnement en eau comporte littéralement deux réseaux : un réseau d’eau potable permet de satisfaire les usages destinés à la consommation humaine, tandis qu’un deuxième réseau achemine une eau non potable pour d’autres usages, comme les sanitaires à l’échelle du bâtiment ou le nettoyage des voiries à l’échelle d’une ville. Nous appellerons ce deuxième réseau, le « réseau d’eau non potable ». Dans le cadre de la thèse nous nous intéresserons aux doubles réseaux déployés à l’échelle d’une ville, ou a minima à l’échelle d’un quartier. Afin de mieux appréhender notre objectif de recherche, nous souhaiterons comprendre dans quelle mesure ces réseaux sont déployés dans le monde, connaitre les conditions de leur mise en place, et les questions scientifiques soulevées à leur actuelle sur cet objet. Enfin, nous expliciterons le terme « système socio-technique » que nous mobiliserons pour caractériser le RENP parisien.
Doubles réseaux d’hier et d’aujourd’hui
Avant de faire l’inventaire des doubles réseaux existants, il convient d’abord d’établir une typologie des doubles réseaux, qui se distinguent par les spécificités du RENP (la configuration du réseau d’eau potable étant relativement standardisée). Nous nous basons sur la typologie proposée par Canneva (2009) que nous réadaptons en distinguant deux catégories principales de RENP.
La première catégorie est le réseau urbain d’eau brute. Ce réseau est alimenté par une eau issue du milieu naturel comme les rivières ou la mer. Il est dédié aux usages urbains ne nécessitant pas une eau potable :
• usages municipaux (nettoyage des rues, espaces verts publics, chasses d’assainissement, etc.)
• usages domestiques extérieurs ou intérieurs (toilettes)
• usages industriels particuliers, ou activités industrielles fortement consommatrices.
La deuxième catégorie est le réseau d’eau traitée. Ce réseau utilise en ville l’eau usée ou l’eau grise traitée qu’il distribue pour les usages cités ci-dessus. Ces deux réseaux diffèrent dans leur manière de mobiliser les ressources et de s’insérer dans le système global d’alimentation en eau en ville . Le réseau d’eau brute mobilise une seconde ressource en parallèle du réseau d’eau potable, sans sortir de l’approche «linéaire » de la parenthèse urbaine de l’eau. Le réseau d’eau traitée mobilise des eaux destinées à être rejetées en milieu naturel, et induit ainsi un « bouclage » au sein de cette parenthèse urbaine de l’eau.
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Table des matières
1 INTRODUCTION
2 LES DOUBLES RESEAUX POUR UNE GESTION DURABLE DES RESSOURCES EN EAU : CLEFS DE COMPREHENSION.
2.1 LA DURABILITE, UN CONCEPT A PRECISER
2.2 LA PARENTHESE URBAINE DE L’EAU
2.3 REPENSER LE LIEN ENTRE USAGES ET RESSOURCES
2.4 LE DOUBLE RESEAU : UN OBJET ANCIEN, MAIS DES QUESTIONS RECENTES
2.4.1 Doubles réseaux d’hier et d’aujourd’hui
2.4.2 De multiples enjeux aujourd’hui soulevés
2.4.2.1 Un intérêt économique fortement dépendant du contexte
2.4.2.2 Un impact environnemental complexe à évaluer
2.4.2.3 L’interconnexion entre réseaux, un risque à anticiper mais peu constaté
2.4.2.4 Une vision multidisciplinaire des doubles réseaux embryonnaire
2.5 LE RESEAU D’EAU NON POTABLE COMME SYSTEME SOCIO-TECHNIQUE
2.6 CONCLUSIONS
3 LE RESEAU D’EAU NON POTABLE, UN SYSTEME SOCIO-TECHNIQUE AUX CONTOURS IMPRECIS ET AUX EVOLUTIONS INCERTAINES
3.1 UN RESEAU QUI S’INSERE DANS LA VILLE ET DANS SON ENVIRONNEMENT
3.1.1 Réseau d’eau non potable
3.1.1.1 Historique
3.1.1.2 Fonctionnement général du RENP
3.1.1.3 Exploitation et suivi technique
3.1.1.4 Travaux majeurs prévus
3.1.2 Usages en eau non potable de la ville
3.1.2.1 Curage des égouts
3.1.2.2 Nettoyage des voiries
3.1.2.3 Bois de Boulogne et de Vincennes
3.1.2.4 Espaces verts et Bassins dans Paris intra-muros
3.1.2.5 Des usages minoritaires
3.1.2.6 Volumes non identifiés
3.1.2.7 Synthèse des consommations
3.1.2.8 Contraintes de qualité vis-à-vis des usages
3.1.3 Ressources actuelles du réseau
3.1.3.1 La Seine
3.1.3.2 La rivière et le canal de l’Ourcq
3.1.3.3 Estimation des débits des cours d’eau
3.1.3.4 Un enjeu règlementaire porté sur le maintien des débits réservés
3.1.4 Interactions hydriques entre le réseau, la ville et le milieu naturel
3.1.4.1 Prélèvement en eaux brutes
3.1.4.2 Le RENP et ses usages
3.1.4.3 Rejet dans les égouts, puis dans le milieu naturel.
3.1.4.4 Schéma hydrologique
3.2 DES ACTEURS MULTIPLES AUTOUR DU RESEAU
3.2.1 Concepts théoriques mobilisés
3.2.2 Acteurs du service de l’eau non potable
3.2.3 Autres acteurs associés au schéma hydrologique du réseau d’eau non potable
3.2.4 Typologie des acteurs intervenant dans le processus de décision et cartographie de leurs relations
3.2.5 Flux financiers, un enjeu important dans les relations entre acteurs
3.2.5.1 Redevances et taxes pour le prélèvement dans la ressource et le rejet en assainissement
3.2.5.2 Vente de l’eau brute du canal de l’Ourcq
3.2.5.3 Tarification ENP
3.2.5.4 Cartographie des flux économiques liés à l’ENP
3.3 VERS UNE DIVERSIFICATION DES RESSOURCES ?
3.3.1 Eaux de piscine
3.3.1.1 Cadre réglementaire
3.3.1.2 Volumes disponibles à Paris
3.3.1.3 Qualité
3.3.1.4 Cas de réutilisation et retours d’expérience
3.3.2 Eaux de pluie
3.3.2.1 Cadre règlementaire
3.3.2.2 Volumes
3.3.2.3 Qualité
3.3.2.4 Cas de réutilisation et retours d’expérience
3.3.3 Eaux d’exhaure
3.3.3.1 Cadre règlementaire
3.3.3.2 Volumes disponibles
3.3.3.3 Qualité
3.3.3.4 Cas de réutilisation
3.3.4 Eaux usées traitées
3.3.4.1 Cadre règlementaire
3.3.4.2 Volumes
3.3.4.3 Qualité
3.3.4.4 Cas de réutilisation
3.3.5 Des eaux de piscine aux eaux usées traitées : synthèse
3.4 CONCLUSIONS
4 IMPACT ENERGETIQUE DE LA DIVERSIFICATION DES RESSOURCES DU RENP
4.1 L’ENERGIE PARMI D’AUTRES INDICATEURS ENVIRONNEMENTAUX
4.2 DEMARCHE DE CONSTRUCTION ET D’EVALUATION DES SCENARII
4.3 SCENARIO « REFERENCE » : DESCRIPTION D’UN FONCTIONNEMENT NORMAL
4.3.1 Etude de l’année 2013
4.3.1.1 Volumes pompés vers les sous-réseaux du RENP
4.3.1.2 Volumes pompés à Trilbardou
4.3.1.3 Modèle hydraulique et consommations énergétiques
4.3.2 Le scenario « Référence » en somme
4.3.2.1 Choix des volumes
4.3.2.2 Modèle hydraulique et consommations énergétiques
4.3.2.3 Incertitudes
4.4 SCENARIO «EXHAURE»
4.4.1 Estimations du débit instantané Qi
4.4.2 Détermination du point d’injection
4.4.3 Consommations énergétiques
4.4.3.1 Rejet en égout
4.4.3.2 Injection dans le RENP
4.4.3.3 Impact sur le RENP
4.5 SCENARIO « OURCQ »
4.5.1 Choix du modèle hydraulique
4.5.2 Consommations énergétiques
4.6 SCENARIO « SEINE »
4.6.1 Choix du modèle hydraulique
4.6.2 Consommations énergétiques
4.7 SCENARIO «EAUX USEES TRAITEES»
4.7.1 Choix d’injection possibles
4.7.2 Choix du modèle hydraulique
4.7.3 Consommations énergétiques
4.8 COMPARAISON DES SCENARII
4.9 CONCLUSIONS
5 CONCLUSION
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