La privatisation des entreprises de transport, et peut-être en particulier celle des entreprises de chemin de fer, est un sujet à la fois médiatique et fort peu connu. Médiatique, il est difficile d’en douter. Fort peu connu, voilà une assertion qui peut paraître de prime abord surprenante. Et pourtant, celui qui s’intéresse à ce sujet du point de vue de l’analyse économique s’en rendra rapidement compte : non seulement il n’existe aucune « théorie » en la matière, mais encore il n’existe que peu d’analyses globales des différents mécanismes économiques en jeu, et de leur importance respectives, alors même que les mouvements de privatisation des entreprises de transport sont devenus courants dans la seconde moitié du XXième siècle, aussi bien dans le domaine des transports aériens (compagnies aériennes, puis, aujourd’hui, aéroports, en Europe comme aux Etats-Unis) que terrestres (entreprises de chemin de fer, de passagers ou de fret, voire même gestionnaires d’infrastructure) ou maritimes (ports). Il existe bien des études portant sur certains aspects spécifiques de ces privatisations (le plus souvent, productivité, performance, endettement, qualité de service, etc. ; nous les étudions en détails dans la suite de la thèse) tant du point de vue théorique qu’empirique d’ailleurs, mais d’analyse tentant d’englober ces différents aspects en une vision plus générale, s’intéressant en particulier aux conséquences en termes de bien être social, au sens que la théorie économique donne à ce terme, des privatisations des entreprises de transport, on n’en trouvera pas.
Peut-être est-ce parce que la tâche est trop ardue ? Peut-être est-ce parce que le nombre d’expériences passées à même d’infirmer ou confirmer les prévisions en la matière est à ce jour encore insuffisant pour tenter même de bâtir des éléments de théorie ?
Les activités de diversification des entreprises de chemin de fer : situation en 2003-2004
Nous nous attachons dans cette partie à décrire aussi précisément que possible l’état des activités de diversification des entreprises de chemin de fer en 2003-2004 dans les différentes zones du monde. La description est qualitative et quantitative. L’analyse qualitative produit notamment le schéma de catégorisation des activités de diversification pour chacune des entreprises ou groupes d’entreprises de chemin de fer étudiées. L’analyse quantitative s’intéresse à la part du chiffre d’affaires et du résultat d’exploitation des différentes activités ou groupes d’activités des différentes entreprises (ou groupes d’entreprises) de chemin de fer dans leur chiffre d’affaires et bénéfice d’exploitation global.
Nous distinguons les entreprises selon la zone géographique à laquelle elles appartiennent, leur statut et leur taille. Nous étudions cinq zones géographiques principales : le Japon, l’Asie hors Japon, les Amériques, l’Afrique et l’Europe.
Dans le cas du Japon, nous distinguons trois types d’entreprises de chemin de fer : les entreprises « JR », « Major » et « Minor ». Les entreprises JR, Japan Railways, sont les entreprises issues de la privatisation de l’entreprise de chemins de fer nationale Japan National Railways (JNR) en 1987. Cette privatisation s’est accompagnée d’une séparation horizontale, et donc de la création d’entreprises régionales exploitant un réseau local. On compte 6 entreprises JR de transport de passagers : JR EAST (région de la ville de Tokyo), JR CENTRAL (région de la ville de Nagoya), JR WEST (région des villes d’Osaka et Kyoto), JR HOKKAIDO (région de l’île de Hokkaido), JR KYUSHU (région de l’île de Kyushu) et JR SHIKOKU (région de l’île de Shikoku). Les entreprises autres que les entreprises JR ici étudiées sont des entreprises privées n’ayant jamais été publiques. Parmi ces entreprises on distingue les 15 plus importantes d’entre elles (en termes de chiffre d’affaires, de nombre de passagers transportés ou de nombre de passagers-km produits), appelées « Major » et les autres, appelées « Minor ». Les « Minor » que nous étudions ici sont un échantillon de 31 entreprises, qui sont les entreprises « Minor » cotées en bourse dont nous avons pu obtenir les données (sur un total de plus de 100 entreprises « Minor » existantes, dont une cinquantaine cotées en bourse)* .
Zones Asie Hors Japon / Amériques / Afrique
Les donnés sont pour ces zones particulièrement rares. Les seules statistiques disponibles sont celles de l’UIC. Elles datent de 2002, elles ne concernent pas tous les pays de ces zones, et elles font figurer comme seule segmentation de l’activité des entreprises de chemin de fer la décomposition suivante : « Voyageurs », «Marchandise », « Infrastructure » et « Autres ». Les activités de captation de la rente foncière et commerciale sont certainement la plupart du temps classées dans le segment « Autres » (qui en donne donc un majorant), mais elles peuvent également parfois être classées dans le segment « Voyageurs ».
Zone Japon
Dans le cas de la zone Japon, les données que nous possédons sont nombreuses et détaillées. Cela s’explique notamment par le fait que c’est certainement au Japon que s’est le plus tôt et avec la plus grande ampleur développée la stratégie de diversification des activités des entreprises de chemin de fer. Nous disposons de données, issues des « livrets de l’actionnaire » ou « stock book » (Yuuka shouken houkokusho souran) pour l’intégralité des entreprises JR et Majors cotées en bourse, et pour 31 des entreprises Minors cotées en bourse. Ces données détaillent notamment les performances économiques des entreprises de chemin de fer (chiffre d’affaires, résultat d’exploitation, amortissement, actif, investissement) par segment d’activité. C’est majoritairement ces données que nous utilisons dans cette partie de l’étude. Nous disposons en outre de divers documents officiels de présentation de ces entreprises (rapports annuels, rapport de présentation de l’entreprise –youran- etc…), et d’autres documents et informations obtenus lors des entretiens que nous avons pu avoir avec les responsables de certaines de ces entreprises.
Les entreprises JR
Les entreprises JR, entreprises issues du mouvement de privatisation des chemins de fer nationaux JNR, se décomposent en deux groupes d’entreprises différents : d’une part, les entreprises JR de l’île principale du Japon, l’île de Honshu, entreprises au nombre de trois (JR CENTRAL, JR EAST et JR WEST), cotées en bourse et profitables, et, d’autre part, les entreprises JR des trois autres îles importantes du Japon : Hokkaido (JR HOKKAIDO), Kyushu (JR KYUSHU) et Shikoku (JR SHIKOKU), entreprises non cotées en bourse, certaines déficitaires –et recevant des subventions- et de taille bien plus petite.
Les données dont nous disposons et que nous utilisons dans cette partie, concernant les entreprises JR de l’île de Honshu, sont les données issues des « stock book » de ces entreprises. Elles détaillent les activités de diversification de ces entreprises . Les grands segments d’activité distingués (concernant notamment les résultats par segment) sont les segments « Transport » (rail, bus, ferry), «Distribution» (commerce et restauration, shopping mall et grands magasins en gare et aux alentours des gares, exploités directement par l’entreprise de chemin de fer ou l’une de ses filiales), « Immobilier » (location d’espace bureau et de commerce en gare et /ou aux alentours des gares, immobilier résidentiel) et « Autres » (hôtels, publicité, cartes de paiement, voyage-tourisme etc.).
Les entreprises « Major »
Les entreprises « Major » sont les 15 plus grandes entreprises de chemin de fer japonaises privées « depuis toujours » (depuis près de 100 ans en fait). Nous n’en étudions ici que 14, car l’entreprise SEIBU a connu en 2004-2005 un scandale financier qui a mis en doute la validité de ses comptes depuis plusieurs années. Ces entreprises sont toutes situées sur l’île principale du Japon, l’île de Honshu. Ce sont presque toutes des entreprises exploitant un petit réseau (de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres de lignes) urbain (banlieues de Tokyo, Osaka et Nagoya notamment) et transportant un très grand nombre de passagers chaque année (6,4 milliards de voyageurs en 2003 pour l’ensemble de ces 14 entreprises).
Les données dont nous disposons concernant les entreprises Majors sont les données issues des « stock book » de ces entreprises. Elles détaillent les activités de diversification de ces entreprises . Les grands segments d’activité distingués sont les segments « Transport » (rail, bus, taxi, avion, ferry etc.), « Distribution » (commerce et restauration, « shopping center » et grands magasins en gare et aux alentours des gares, chaîne de magasins spécialisés exploités directement par des filiales de l’entreprise de chemin de fer etc.), « Immobilier » (location d’espace bureau et de commerce en gare et aux alentours des gares, promotion immobilière résidentielle et de bureau), « Loisirs » (hôtels, voyage-tourisme, parcs d’attraction, sport, cinéma, théâtre etc.), et « Autres » (construction, fabrication de matériel roulant, système d’information etc.).
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Activités de diversification des entreprises de chemin de fer : une convergence vers la gare ?
I. Introduction, définition et catégorisation des activités de diversification des entreprises de chemin de fer. Données utilisées
a. Introduction
b. Les données utilisées
c. Définition et catégorisation des activités de diversification des entreprises de chemin de fer
II. Les activités de diversification des entreprises de chemin de fer : situation en 2003-2004
a. Zone Asie Hors Japon / Amériques / Afrique
b. Zone Japon
c. Zone Europe
d. Bilan global
III. Evolution des activités de diversification des entreprises de chemin de fer de 1990 à 2004.
a. Zone Japon
b. Zone Europe
c. L’émergence d’une convergence ?
IV. Rentabilité commerciale des différents segments d’activité de diversification des entreprises de chemin de fer : situation et évolution
V. Activités de diversification des entreprises de chemin de fer en gare : vers une convergence des activités proposées et des modes d’exploitation ?
a. Données générales
b. Activités proposées dans et aux abords des gares
c. Modes et stratégies d’exploitation des activités en gare
d. Evolutions récentes
Conclusion
Chapitre 2 : Privatisation des entreprises de chemin de fer et développement des activités de captation de la rente foncière et commerciale. Le cas du Japon
I. Introduction et méthodologie
II. Données utilisées
III. Privatisation et activités de captation de la rente foncière et commerciale
a. Les entreprises JR de l’île de Honshu
b. Les autres entreprises JR
c. Les entreprises Otemintetsu
d. L’entreprise JNR
IV. Privatisation et minimisation du coût de production
a. Données utilisées
b. Le cas des entreprises Otemintetsu
c. Le cas des entreprises JR
V. Privatisation et service
VI. Comparaisons des différents gains obtenus selon différents points de vue
A. Le régulateur des transports
B. Le directeur opérationnel de l’entreprise de transport
C. Le président de l’entreprise de transport
D. L’actionnaire, l’analyste financier
VII. Conséquences en termes de politique économique des transports, conclusion
Chapitre 3 : Privatisation et activités de diversification des entreprises de chemin de fer : aspects théoriques
Introduction
I. Privatisation, captation de la rente foncière et réseaux de transport ferré : problématiques
a. Economie géographique
b. Analyse socio-économique des projets : place de la rente foncière dans l’évaluation des projets
c. Economie industrielle
Conclusion
II. Péages d’accès en gares et extension de capacité : effets des concessions commerciales et de la privatisation
Introduction
a. Influence du statut de la gare (statut du gestionnaire d’infrastructure) sur sa politique de tarification d’accès à la gare dans le cas d’un coût de congestion nul
b. Influence du statut de la gare (du statut du gestionnaire d’infrastructure) sur sa politique de tarification d’accès à la gare dans le cas d’un coût de congestion non nul
c. Influence du statut de la gare (cas d’une intégration verticale) sur sa politique de prix de service ferroviaire d’accès en gare, dans le cas où la demande de transport dépend de la demande de commerces
d. Influence du statut de la gare sur son offre de capacité d’accès ferroviaire
Conclusions
III. Profitabilité, incitations à la modération tarifaire et à l’amélioration de la qualité de service des entreprises Otemintetsu
Introduction
a. L’entreprise de chemin de fer purement ferroviaire
b. L’entreprise de chemin de fer developer
c. L’entreprise de chemin de fer groupe développant des activités de commerce de destination
d. L’entreprise de chemin de fer partiellement détenue par les riverains
e. Interprétation de la trajectoire historique des entreprises Otemintetsu
Conclusions
Conclusions finales
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