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Intérêts des études géochimiques du plomb dans l’environnement
L’intérêt d’étudier le plomb dans l’environnement repose sur le fait qu’il présente trois indicateurs indépendants : (1) concentrations, (2) isotopes stables de masses 204, 206, 207 et 208, (3) et un isotope radioactif naturel de masse 210.
-1- L’augmentation de l’utilisation de plomb dans l’industrie et les essences jusqu’au début des années 1980, puis la forte baisse enregistrée dans les dix années suivantes, confèrent au plomb un caractère transitoire en tant que traceur de pollution.
-2- Les proportions relatives des isotopes stables de plomb sont utilisées comme traceurs de source car elles dépendent uniquement du minerai utilisé et ne changent pas après son extraction. L’étude des rapports isotopiques d’un matériel (sédiment, eau, coraux) provenant d’une zone soumise à des apports de plomb issu de minerais différents conduit alors à déterminer la prépondérance de l’une des sources sur les autres.
-3- Enfin, le plomb 210, uniquement d’origine naturelle renseigne sur le cycle naturel du plomb et sa courte période de vie (T1/2 = 22,3ans) a une fonction de chronomètre et permet ainsi de calculer des flux et des taux de sédimentation. Lors de cette étude nous n’avons pas effectué de mesures de radioactivité naturelle (α ou β) du 210Pb.
La concentration en tant qu’ indice de pollution
Le plomb est l’un des métaux les plus utilisés par l’homme depuis la découverte de la coupellation, c’est-à-dire la séparation de l’argent et du plomb par fusion, il y a 5000ans. La production estimée à cette période était de 5T/an, essentiellement sur le continent européen. En 1983, la production mondiale était passée autour de 106T/an (Settle et Patterson, 1980 ; Figure 1). Aujourd’hui, le plomb est principalement utilisé dans la confection des alliages, dans les batteries et dans les essences. Les Etats-Unis ont été les principaux utilisateurs d’essence plombée au monde jusqu’au milieu des années 1980. La figure 2 présente la courbe historique de la consommation américaine d’essence plombée comparée aux courbes de consommation des pays d’Europe de l’Ouest sur la période 1930-1990 (Source : Ethyl Corporation, 1984 ; UFIP, 1995). La consommation américaine a atteint un maximum au début des années 1970 (280MT en 1972), les émissions atmosphériques américaines étaient alors les plus importantes jamais enregistrés sur la planète.
Les isotopes du plomb en tant qu’indicateurs de source
Les sources naturelles et anthropiques de plomb peuvent être déduites des rapports de ses quatre isotopes naturels non radioactifs. Il s’agit des atomes de masses 204, 206, 207 et 208. Le 204Pb, à l’inverse des trois autres, n’est pas un isotope radiogénique : son abondance est constante dans le temps. Les isotopes 206Pb, 207Pb et 208Pb sont radiogéniques et constituent les produits terminaux des chaînes de désintégration naturelle de 238U, 235U et 232Th respectivement (Figure 3). Les équations suivantes servent à calculer l’évolution des différents isotopes :
206Pb = 206Pb(i) + 238U [eλ238to – eλ238t] (1).
207Pb = 207Pb(i) + 235U [eλ235to – eλ235t] (2).
208Pb = 208Pb(i) + 232Th [eλ232to – eλ232t] (3).
avec (i) correspondant à l’abondance isotopique primaire, to à l’âge du gisement, t à l’âge actuel et λ à la constante de désintégration de l’élément-père (1.55125 1010an pour 238U, 9,8485 1010an pour 235U et 4,94751011an pour le 232Th).
En fonction du gisement dont le minerai est issu, les proportions relatives des différents isotopes sont définies. Gerling, Holmes et Houtermans ont proposé d’expliquer les variations des abondances relatives des isotopes dans les différents gisements à partir du modèle GHH qui prévoit l’évolution de la composition isotopique en plomb en fonction du temps dans un système clos. Cette évolution s’achève lorsque le plomb est retiré du système géochimique par formation du minerai. Les rapports isotopiques agissent donc comme une carte d’identité du gisement. Dans un diagramme où le rapport 207Pb/204Pb est exprimé en fonction du rapport 206Pb/204Pb (Figure 4), les compositions isotopiques d’atomes de plomb de même âge se placent sur une demi-droite nommée isochrone. L’évolution dans le temps de la composition isotopique en plomb est, quant à elle, schématisée par une courbe ayant pour origine la composition isotopique au moment de la formation de la Terre.
Sources de plomb atmosphériques et océaniques
Les émissions de plomb dans l’atmosphère ont fortement augmenté depuis le début du 20ème siècle avec le développement de la métallurgie puis l’adjonction de plomb tétra-éthyle comme anti-détonnant dans les essences automobiles. Les mesures effectuées dans les différents compartiments naturels sont donc corrélées au développement des activités anthropiques.
Les sources atmosphériques
Le plomb qui est contenu dans l’atmosphère provient essentiellement des activités anthropiques et est issu à 51% des rejets automobiles (Nriagu, 1978). L’incorporation de plomb tétra-éthyle ou tétra-méthyle augmente l’indice d’octane des essences, c’est-à-dire qu’elle retarde le phénomène de détonation lorsque le mélange essence-air se produit dans les cylindres des moteurs automobiles. On ajoute au mélange des chloro-bromoalcanes qui empêchent la formation de dépôts de plomb sur les parois de la chambre de compression des cylindres. Les atomes de plomb sont donc éliminés avec les gaz de combustion via les systèmes d’échappement. La nature chimique des composés émis fait l’objet de nombreux travaux (Ganley et Springer, 1974), la forme dominante étant un chlorobromure de plomb (PbClBr) qui cristallise très vite au contact de l’atmosphère. La taille des cristaux formés est voisine de 0.1m et l’interaction avec le sulfate d’ammonium présent dans l’atmosphère provoque la formation de bisulfate de plomb et d’ammonium submicronique (Chamberlain et al., 1978 ; Biggins et Harrisson, 1979).
Les aérosols de plomb anthropique ont des caractéristiques générales différentes des particules associées aux processus mécaniques d’érosion/abrasion de la surface du globe (poussières minérales, embruns marins), aux processus biologiques (pollen, spore) ou encore aux émissions volcaniques (cendres) (Tableau 2, selon Seinfeld et Pandis, 1998). L’estimation des flux des aérosols métalliques d’origine anthropique vers l’atmosphère, à l’échelle de la planète, démontre que, sur la période actuelle, les émissions issues des activités humaines dépassent très largement les flux naturels (Nriagu et Pacyna, 1988 ; Nriagu, 1989 ; Pacyna et Pacyna, 2001). Le tableau 3 présente les estimations des flux anthropiques de métaux vers l’atmosphère pour les années 1983 et 1995. Pour la plupart des métaux (V, Cu, Zn, Cd et Pb), les flux anthropiques dépassent largement les sources naturelles. Pour le plomb, le rapport anthropique/naturel est le plus important même s’il tend à diminuer de 28 en 1983 à 10 en 1995 du fait de l’abandon progressif des additifs au plomb dans les essences.
Les sources océaniques
Les apports de plomb dans l’océan Atlantique se font à plus de 90% par les retombées atmosphériques (Chow et Patterson, 1962 ; Settle et Patterson, 1982). Les apports fluviaux, longtemps dominants, ont laissé place aux apports aériens. Dans les zones littorales, les apports fluviaux peuvent encore être majoritaires, comme le montrent les analyses au 210Pb, mais l’essentiel des apports reste confiné dans les régions péricontinentales (Turekian, 1977 ; Miralles et al., 2003).
Les flux atmosphériques moyens de plomb sont extrêmement variables dans l’espace et dans le temps car ils sont dépendants, des émissions et des lieux de précipitations. Ainsi, Véron (1988) propose un flux atmosphérique moyen de 360120ng/cm2/an en 1985 dans le bassin Nord Atlantique Est alors que ce flux est d’environ 150ng/cm2/an aux Bermudes (Boyle et al., 1986). Les différentes études s’accordent pour estimer que la fraction anthropique est 6 à 7 fois supérieure au flux naturel. Dans l’hémisphère sud, les apports annuels sont plus faibles (0,02 à 50ng/cm/an) du fait d’activités anthropiques plus réduites et sont croissants du pôle sud vers l’équateur (Settle et Patterson, 1982 ; Patterson et Settle, 1987 ; Maring et Duce, 1990).
Dans l’eau de mer, le plomb se trouve sous les formes dissoute et particulaire. La forme dissoute est dominante dans l’océan ouvert (Patterson et al., 1976 ; Flegal et Patterson, 1983 ; Shen et Boyle, 1987, 1988b), principalement sous la forme inorganique PbCO3. Dans les eaux de surface, le plomb est principalement d’origine anthropique ; il provient des émissions automobiles, est véhiculé par les pluies et se retrouve sous les formes Pb(Br,Cl). Les formes solubles du plomb lui confèrent un pouvoir d’incorporation très rapide dans les cycles biologiques (Burnett et Patterson, 1980). Le plomb se retrouve ensuite tout au long de la chaîne biologique par adsorption passive sur les producteurs primaires (phytoplancton). Les pelotes fécales et les tests des différents maillons entraînent alors le plomb par gravité, vers le réservoir sédimentaire (Alleman et al., 1999). Le temps de séjour du plomb dans la couche superficielle des océans est estimé à 1-2ans. La quantité de plomb apporté aux eaux de surface et l’origine des particules permettent de suivre, dans la colonne d’eau, la distribution des particules et de proposer des scénarios de circulations océaniques (Flegal et Patterson, 1983 ; Schaule et Patterson, 1983 ; Shen et Boyle, 1988b ; Lambert et al., 1991 ; Sherrell et al., 1992 ; Helmers et al., 1993 ; Hamelin et al., 1997 ; Wu et Boyle, 1997 ; Alleman et al., 1999, 2001 ; Cutter et Measures, 1999).
Archives environnementales
La méthode la plus directe pour accéder à l’estimation de la pollution par un élément est de mesurer sa concentration dans le milieu considéré. De nombreux auteurs s’attachent donc à présenter des concentrations en plomb dans différents milieux. Grâce à ces études, on estime maintenant que plus de 95% du plomb accumulé dans les réservoirs naturels de surface est d’origine anthropique et que plus de 50% de l’inventaire en plomb a été émis directement dans l’atmosphère et ce au cours des 30 dernières années (Véron et al., 1987 ; Nriagu et Pacyna, 1988).
Pour retracer l’évolution dans le temps des concentrations en plomb et d’autres éléments on dispose, grâce aux avancées technologiques des 40 dernières années, d’une multitude d’archives. Les calottes polaires, les glaciers des hautes latitudes, les sédiments marins ou lacustres renferment certainement les informations les plus abondantes.
Les mesures instantanées et directes effectuées dans les différents milieux renseignent sur une situation locale à l’instant considéré. Dans l’atmosphère, le temps de résidence du plomb est faible, de l’ordre de 9-10 jours (Francis et al ., 1970) ; les mesures directes permettent d’accéder aux flux atmosphériques qui ont émis dans cette courte période de temps. Travailler localement sur un enregistreur des retombées atmosphériques permet en retour, d’estimer les flux qui ont été émis dans un voisinage proche. Les différences enregistrées peuvent alors être reliées à des flux extérieurs et/ou des retombées plus anciennes. Les paramètres météorologiques de dispersion des masses d’airs peuvent accentuer, à l’échelle mensuelle, les déphasages mesurés.
Les carottes de glace
Les carottes des hautes latitudes (Groenland et Antarctique) fournissent des enregistrements capitaux concernant les circulations atmosphériques responsables des apports de particules métalliques aux pôles. On travaille, dans ce cas, à l’échelle d’un océan voire d’un hémisphère. Le plus long enregistrement retraçant l’évolution des concentrations en plomb a été réalisé sur des carottes de glace des hautes latitudes où les retombées atmosphériques sont responsables de plus de 98% des apports particulaires. Le profil de Murozoni et al. (1969) révèle une multiplication par 200 des concentrations en plomb dans les glaces du nord Groenland, passant de moins de 1ng/kg il y a 800 ans BP à plus de 200ng/kg au sommet de la carotte (figure 5). Il s’agit là du premier enregistrement considérée comme fiable au regard des erreurs de mesures et des contaminations.
En Antarctique, les données disponibles concernent plusieurs sites. A la station de Byrd, Murozumi et al. (1969) puis Ng et Patterson (1981) ont montré que l’augmentation des concentrations en plomb entre l’Holocène et les neiges des années 1960 serait voisin d’un facteur 15, donc plus faible qu’au Pôle Nord. L’étude de la variabilité naturelle des concentrations en plomb au cours des 125 000 dernières années, menée dans les carottes profondes prélevées au Dôme C, au Law Dome ou à Coasts Land conforte les résultats précédents (Boutron et Patterson, 1986 ; Boutron et al., 1987 ; Rosman et al., 1994 ; Vallelonga et al., 2002 ; Planchon et al, 2003). Suivant un transect entre la base antarctique française Dumont d’Urville et la station Admussen Scott, Boutron et Patterson (1987) ont montré, lors de la campagne d’été 1983-84, que 80% du plomb présent dans la neige de surface est d’origine anthropique.
Ces études, menées sur les neiges de surface couplées aux mesures annuelles ou pluriannuelles sur les glaces de l’ensemble de la péninsule antarctique (Wolff et Pell, 1985 ; Barbante et al., 1997 ; Hong et al., 2000), ont permis de reconstituer l’évolution dans le temps des concentrations de plomb au cours du 20ème siècle (figure 6). La contamination en plomb dans l’hémisphère sud liée aux essences plombées a connu un maximum entre les années 1970-1980 entraînant, par conséquent, une perturbation de l’ordre de 10 à 15 en moyenne par rapport aux niveaux naturels (Planchon, 2001).
A l’aide des carottes de glaces des glaciers des hautes altitudes (glaciers des Alpes ou Cordillères des Andes), on intègre une échelle régionale pour expliquer les différents apports. Les apports locaux par ruissellement sont aussi à prendre en compte et il est alors plus difficile de faire ressortir l’impact des apports atmosphériques.
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Table des matières
CHAPITRE 1 : ENJEUX DES ANALYSES GEOCHIMIQUES DANS LES CORAUX MASSIFS
1.1. LE PLOMB
1.2. LES ISOTOPES STABLES DE L’OXYGENE ET DU CARBONE
1.3. LES ELEMENTS TRACES DANS LES CORAUX
CHAPITRE 2 : MISE EN OEUVRE EXPERIMENTALE
2.1. RECOLTE, OBSERVATION ET PREPARATION DES ECHANTILLONS
2.2. LES TECHNIQUES D’ANALYSES GEOCHIMIQUES
CHAPITRE 3 : CONTEXTE GEOLOGIQUE, CLIMATIQUE ET HYDROLOGIQUE DES ZONES D’ETUDES
3.1. LA MER DES ANTILLES
3.2. PORTO-RICO
3.3. LA MARTINIQUE et LA GUADELOUPE
CHAPITRE 4 : EVOLUTION TRANSITOIRE DES APPORTS DE PLOMB DANS LA ZONE CARAÏBE DURANT LE 20ème SIECLE
4.1. INTRODUCTION
4.2. LES ENREGISTREMENTS CORALLIENS DE PORTO-RICO
4.3. ENREGISTREMENTS CORALLIENS DE LA MARTINIQUE
4.4. DISCUSSION – SYNTHESE
4.5. CONCLUSIONS
CHAPITRE 5 : IMPACT DES CHANGEMENTS METEOROLOGIQUES ET CLIMATIQUES SUR LA DISTRIBUTION ATMOSPHERIQUE DU PLOMB DANS L’OCEAN ATLANTIQUE NORD SUBTROPICALE
5.1. DISTRIBUTION AERIENNE DU PLOMB EN FONCTION DES INDICES STATISTIQUES D’OSCILLATIONS ATMOSPHERIQUES DE L’ATLANTIQUE NORD ET DU PACIFIQUE
5.2. DISTRIBUTION ATMOSPHERIQUE DU PLOMB EN FONCTION DES INDICES STATISTIQUES D’OSCILLATION DU PACIFIQUE
5.3. CONCLUSIONS
CHAPITRE 6 : FLUCTUATIONS DES APPORTS DE PLOMB EN FONCTION DE LA VARIABILITE OCEANIQUE DE L’ATLANTIQUE NORD
6.1. CALIBRATION ET SIGNIFICATION DU 18O MESURE SUR LES COLONIES CORALIENNES DE L’ÎLE DE MONA ET DES PETITES ANTILLES (MARTINIQUEGUADELOUPE)
6.2. RECHERCHE DES PERTURBATIONS BIOLOGIQUES, IMPACTS SUR LES APPORTS ET SUR LES ENREGISTREMENTS GEOCHIMIQUES
6.3. VARIABILITE OCEANIQUE ET DISTRIBUTION OCEANIQUE DU PLOMB EN ATLANTIQUE NORD SUBTROPICAL
-7- CONCLUSION GENERALE
-8- REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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