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EVALUATION DE LA MEMOIRE SEMANTIQUE A TRAVERS UNE EPREUVE DE DESSIN
GENERALITE SUR LE DESSIN
Le dessin est une « activité grapho-motrice mobilisant un système de notations externes qui permet d’exprimer graphiquement des concepts » (Picard, 2015). Il s’agit d’un langage appris et non verbal, basé sur des signifiants graphiques polysémiques (par exemple, une forme ovoïde et un trait peuvent signifier, selon le contexte, une tête avec des cheveux ou un soleil avec des rayons) et conventionnels (partagés au sein d’une culture donnée).
Un dessin peut être figuratif (dessins d’objets) ou géométrique (lignes, cercles). Le dessin figuratif, sur lequel nous nous attarderons, transcrit les caractéristiques prototypiques que le sujet côtoie dans sa vie quotidienne. Il suppose que le dessinateur ait une connaissance préalable des caractéristiques de l’objet à dessiner et une image mentale de cet objet (Picard, 2015).
MODELE COGNITIF DES CAPACITES CONSTRUCTIVES
La tâche de dessin figuratif implique de nombreux processus, dont l’accès et l’intégrité à la mémoire sémantique (Giovagnoli et Bell, 2011).
C’est au travers de l’analyse des processus visuo-constructifs et de l’intérêt pour l’apraxie constructive définie par Keinst en 1934 comme un « trouble de l’activité de construction, de composition et du dessin aboutissant à des productions de formes inadéquates sans apraxie motrice » que furent développés les modèles cognitifs explicatifs de la tâche de dessin (Farah, 1984; Kosslyn et al., 1992; Roncato et al., 1987; Van Sommers, 1989). Malgré l’apport de ces modèles, celui de Van Sommers (1989) reste le plus complet (Guérin et al., 1999).
Modèle de Van Sommers
Van Sommers a élaboré un modèle cognitif du dessin (Figure 5) dans lequel figurent les principales opérations impliquées dans l’émergence des règles de production graphique. Il distingue la situation de copie (reproduction d’un dessin) de celle du dessin spontané, pour lesquelles l’enchaînement des étapes n’est pas similaire. Ce modèle s’applique aussi bien à la production de dessins bi-dimensionnels que tri-dimensionnels. L’auteur décrit deux systèmes hiérarchiques intervenant dans le dessin : l’un relatif à la perception visuelle, l’autre à la production graphique, que nous résumerons brièvement.
Lors de la tâche de copie, le système de perception visuelle transforme une image en un ensemble de primitives décrites à partir de changements d’intensité lumineuse (représentation 2D sans distinction de fond et forme), en représentation 2D 1/2 (propriétés de surface : orientation, distance) puis en une représentation 3D de l’objet.
L’auteur établit des liens entre les systèmes de perception et de production graphique et souligne l’importance des représentations visuelles stockées en mémoires à long et court termes et d’un système sémantique permettant la reproduction de dessins de mémoire.
Le système de production graphique comprend cinq processus et décrit chaque étape de production, du choix des caractéristiques du dessin à l’exécution.
En situation de dessin spontané, le sujet doit choisir les caractéristiques de sa production (dimension, orientation, nombre de détails…) et appliquer des stratégies de description, inutiles dans la copie de dessin car les propriétés sont définies a priori et le sujet se réfère aux caractéristiques du modèle présenté.
Le sujet doit ensuite mettre en oeuvre des stratégies de production, c’est-à-dire fragmenter l’ensemble à dessiner en sous-ensembles organisés (par exemple, débuter le dessin par la partie de droite ou de gauche, par le haut ou par le bas…). Les parties segmentées sont sélectionnées puis ordonnées afin d’être exécutées suivant une séquence appropriée.
L’étape de planification contingente concerne le tracé de motifs abstraits et/ou complexes. Elle vise à définir les étapes successives de la production graphique (planification de l’action). Cette étape se distingue des procédures rigides (systématiques) d’exécution graphique routinières (schèmes grapho-moteurs automatiques) qui renvoient à l’exécution automatique de dessins ou de formes conventionnelles et/ou simples, rattachées à l’étape d’articulation et économie. Les processus varient donc selon le niveau de complexité et/ou de familiarité de la figure à réaliser. Enfin, l’étape de programmation motrice détermine les paramètres moteurs et posturaux qui accompagnent l’acte graphique : fluidité du tracé, vélocité, tenue du crayon.
Ajouts et caractéristiques du modèle
Une caractéristique importante du modèle de Van Sommers est le tampon visuel interne, entre le système de reconnaissance visuelle et le système sémantique, qui permet plus facilement d’accéder, d’arranger, de manipuler et d’inspecter les représentations visuelles. Guérin et ses collaborateurs (1999) soulignent que ce buffer fait partie du système perceptif du modèle de Farah (1985) et est à mettre en relation avec les informations de la mémoire à long terme dans la mesure où l’imagerie visuelle et la perception ont des caractéristiques communes2.
Lors d’une tâche de dessin de mémoire, Van Sommers (1989) postule que le système de stratégie de description (choix de la forme finale pertinente de la production graphique) n’implique pas les mêmes mécanismes que ceux mobilisés dans l’imagerie visuelle.
En revanche, selon Guérin, ce choix nécessite la génération en mémoire des différentes formes de l’objet, c’est-à-dire la construction de représentations visuelles. Il ne serait donc pas spécifique à l’activité de dessin mais ferait partie selon Guérin, d’un système plus large d’imagerie visuelle. L’auteur ajoute que ces processus d’imagerie visuelle dépendent des tâches réalisées, en fonction du caractère familier ou non des motifs tracés.
UTILISATION DU DESSIN
Le dessin a fait l’objet de nombreuses recherches, notamment dans le domaine de la psychologie et l’étude du développement de l’enfant. Il a été utilisé en rééducation des aphasies dans le cadre de stratégies multimodales et d’aides à la communication (substitution au langage oral ou support augmentatif de la production verbale).
Différents types de dessin ont été utilisés en tant que méthode diagnostique de maladies neurodégénératives mais l’apraxie constructive était davantage au centre de la symptomatologie. Des dessins sont proposés sur copie (figure de Rey) ou sur ordre (dessin du personnage). Lesniewska (2014) a proposé à des témoins et des patients atteints de maladie d’Alzheimer un dessin de maison, de marguerite et d’arbre sur ordre et sur copie. La cotation sur 25 items reprenait les éléments constitutifs d’une maison (façade, toit, cheminée…). Les résultats mettaient en évidence de mauvais scores chez les témoins sur certains items. L’auteur expliquait ce résultat par le « mépris des détails enfantins ».
L’analyse longitudinale des productions des patients à différents stades de la maladie révélait des difficultés à la fois d’ordre praxique, spatial et mnésique. Au stade débutant de la maladie, les troubles étaient plus ou moins discrets et le nombre de détails et leur qualité baissaient de façon significative dès le début des troubles cognitifs alors que les résultats aux tests de langage et de mémoire étaient préservés (Lesniewska, 2014).
EPREUVES DE DESSINS DE MEMOIRE
Dans la littérature, l’évaluation du dessin de mémoire ne fait pas l’objet de critères précis et repose davantage sur des observations cliniques : formes vagues, cercles stéréotypés, assemblage d’éléments incompatibles ou absence de production. Généralement, des juges identifient le caractère correct ou non du dessin. Cependant, il existe peu de données sur les sujets sains (Rodriguez et Martory, 1998). Selon De Renzi et Lucchelli (1994), malgré la grande variabilité interindividuelle dans le dessin de mémoire, cette tâche est un excellent moyen de tester les images visuelles stockées en mémoire à long terme.
Rodriguez et Martory (1998) ont proposé un protocole de dessin de mémoire pour l’évaluation sémantique destiné à illustrer la dissociation catégorie-spécifique pour les animaux. Le protocole se présentait en trois parties : la copie de dessins, le dessin de mémoire et les questions exploratoires. Les items ont été sélectionnés en fonction de leur faible complexité visuelle, leur degré de familiarité et leurs traits perceptuels saillants permettant une différenciation évidente entre les membres d’une catégorie. L’évaluation des dessins de 90 sujets-contrôles s’est faite au travers de sept critères de cotation subjectifs, traduisant le caractère plus ou moins identifiable des dessins, la présence ou non de détails erronés, de confusions sémantiques ou d’abandons.
Les résultats de leur étude rapportaient que la majorité des dessins de mémoire (98,8%) est « identifiable malgré quelques détails erronés et/ou manquants » (absence d’oreilles, d’yeux ou museaux esquissés). Les auteurs rapportaient deux productions isolées « invraisemblables ». Il s’agissait d’un zèbre avec des tâches rondes et d’une poule dessinée comme un insecte du fait d’une confusion linguistique chez un sujet italien. Ils ne relevaient pas d’effet de catégorie vivant/non-vivant hormis pour les dessins « non identifiables » en défaveur des vivants (Rodriguez et Martory, 1998).
Le protocole a été proposé à quelques patients atteints de démence sémantique et a mis en évidence des productions correctes pour les objets et altérées pour les vivants dans des pathologies neurologiques variées. Cette dissociation a été confirmée par d’autres auteurs (De Renzi et Lucchelli, 1994 ; Sheridan et Humphreys, 1993).
Bozeat et ses collaborateurs (2003) ont mené deux études sur la structure des connaissances conceptuelles au travers du dessin d’image dans la démence sémantique.
Dans la première étude, six patients atteints de démence sémantique ont dû produire 64 dessins de concepts concrets sur ordre (nom du concept à l’oral). Ils ont pu observer une perte des traits sémantiques chez les patients par rapport aux sujets sains.
Plus les items étaient familiers, meilleures étaient les productions graphiques (donc la restitution des traits). Les auteurs retrouvaient aussi l’hypothèse de Lambon Ralph et ses collaborateurs (1998), selon laquelle les types d’erreurs en dessin varient en fonction du domaine. Les productions d’items manufacturés étaient simplifiées et assimilables à une « boîte » (une forme rectangulaire). Dans les productions d’items biologiques, la perte de traits distinctifs résultait davantage d’inclusions de traits supplémentaires incorrects associés à des représentations plus familières ou prototypiques.
De plus, il existait une différence entre les catégories, résultant de la différence de distribution des traits sémantiques au sein des catégories. Par exemple, les connaissances sémantiques sur les animaux dépendent en grande partie des connaissances relatives à leurs traits sémantiques visuels (McRae et Cree, 2002; Rogers et al., 2004).
Les traits partagés par un grand nombre de représentants de la catégorie (par exemple, les quatre « pattes » des animaux sauvages) étaient moins vulnérables que les traits distinctifs (par exemple, les « rayures » du zèbre). Ainsi, le grand nombre de traits sémantiques partagés entre les vivants aurait tendance à produire un effet de prototype, c’est-à-dire représenter tous les concepts d’une catégorie comme le prototype de la catégorie. Par exemple, le trait sémantique très partagé (« quatre pattes » pour les animaux) était plus largement introduit de façon erronée au sein des concepts du domaine ne possédant pas ce trait (comme le canard).
Dans la seconde étude, le dessin de mémoire a été complété par une copie immédiate et différée de dessins de concepts concrets. L’analyse des productions de trois patients avec démence sémantique s’est faite au travers de la cotation suivante : correct lorsque le trait sémantique est présent et approprié (« deux pattes » au canard), omission lorsque le trait sémantique présent chez les sujets normaux est omis (pas de « bec » au canard), intrusion lorsque un trait sémantique est incorrectement inclus au concept (« quatre pattes » au canard).
Les résultats ont confirmé que les erreurs franches correspondant à des inversions de concept traduisaient en majorité l’existence d’un lien sémantique entre les deux concepts (par exemple, reproduction d’un lion pour un tigre ou d’une porte pour une clé) et dans de très rares cas et chez des patients très atteints, des erreurs inter-domaines existaient (entre les animaux par exemple). Les performances des patients dépendaient du niveau de sévérité du syndrome et de la tâche : la copie immédiate étant mieux réussie que la copie différée, elle-même mieux réussie que le dessin de mémoire. Cependant, il n’y avait pas de différence significative entre le dessin de mémoire et la copie différée pour les intrusions.
Il y avait plus d’intrusions de traits chez les vivants que chez les non-vivants. Les traits intrusifs provenaient majoritairement des propriétés partagées au sein du domaine (par exemple, la présence de « quatre pattes » chez tous les animaux).
Les auteurs observaient également plus d’intrusions de traits partagés au sein d’un domaine (« les yeux » partagés par beaucoup d’animaux) qu’au sein d’une catégorie (« les ailes » partagées par la majorité des oiseaux mais pas par la majorité des animaux). Ils observaient également plus d’intrusions de traits partagés au sein d’une catégorie que d’intrusions de traits distinctifs (« pieds palmés »).
Il y avait autant d’omissions dans le domaine des vivants que des non-vivants mais il y avait plus d’omissions de traits distinctifs que de traits partagés au sein d’un domaine ou d’une catégorie. (Bozeat et al., 2003).
PARAMETRES INFLUENÇANT LA TACHE DE DESSIN DE MEMOIRE
L’imagerie
L’imagerie ou l’imageabilité est le « degré avec lequel il est facile et rapide de former une image mentale à partir de la présentation d’un mot » (Bonin et al., 2011). L’image mentale formée peut être multisensorielle : visuelle, auditive, olfactive, gustative et/ou tactile.
Il s’agit d’une variable considérée comme sémantique par la majorité des auteurs, comme la concrétude. Elle semble mesurer la richesse sémantique des mots : « l’effet d’imageabilité est considéré comme reflétant un traitement sémantique » (Shibahara et al., 2003) et comme signalant la mobilisation des codes sémantiques. Donc le nombre de traits sémantiques est modérément positivement corrélé aux normes d’imageabilité (Bonin et al., 2011).
Cette hypothèse est étayée par le fait que les mots au score élevé d’imageabilité sont ceux qui possèdent des représentations sémantiques nombreuses. Les mots présentant une valeur d’imageabilité élevée sont mieux rappelés ou reconnus que ceux en possédant une plus faible (Paivio, 1969).
L’étude de Desrochers et Thompson (2009) fournit des normes d’imageabilité sur un ensemble de 1916 substantifs.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
CHAPITRE I : LA MEMOIRE SEMANTIQUE
1. Cognition et mémoire
2. Distinction entre mémoire sémantique et mémoire épisodique
3. La mémoire sémantique
4. Organisation interne de la mémoire sémantique
a. Différentes dissociations
b. Unicité ou pluralité de la mémoire sémantique
c. Modèles d’organisation de la mémoire sémantique
i. Le modèle de réseaux hiérarchiques de Collins et Quillian (1969, 1970)
ii. Le modèle de comparaison des traits ou modèle componentiel de Smith (1974)
iii. Le modèle associatif de la propagation de l’activation de Collins et Loftus (1975)
iv. Le modèle prototypique de Rosch (1973, 1975, 1976)
5. Mémoire sémantique et langage
CHAPITRE II : L’EVALUATION DE LA MEMOIRE SEMANTIQUE
1. Evaluation de la mémoire sémantique
d. Dénomination
e. Tâche d’évocation lexicale
f. Appariement sémantique
g. Jugement sémantique
h. Catégorisation sémantique
2. Troubles de la mémoire sémantique et pathologies associées
a. Déficit d’accès ou détérioration du stock
b. Aphasie progressive primaire sémantique
c. Maladie d’Alzheimer
CHAPITRE III : EVALUATION DE LA MEMOIRE SEMANTIQUE A TRAVERS UNE EPREUVE DE DESSIN
1. Généralité sur le dessin
2. Modèle cognitif des capacités constructives
a. Modèle de Van Sommers
b. Ajouts et caractéristiques du modèle
3. Utilisation du dessin
4. Epreuves de dessins de mémoire
5. Paramètres influençant la tâche de dessin de mémoire
a. L’imagerie
b. La concrétude
c. La complexité visuelle
d. La familiarité
e. La fréquence
PARTIE PRATIQUE PROBLEMATIQUE
OBJECTIFS ET HYPOTHESES
1. Objectifs
2. Hypothèses
SUJETS, MATERIELS ET METHODE
1. Population d’étude
a. Recrutement
b. Critères d’inclusion et d’exclusion
i. Critères d’inclusion
ii. Critères d’exclusion
iii. Critères d’exclusion spécifiques
c. Echantillon
d. Matériel d’investigation
i. Protocole de passation
ii. Consigne
2. Méthode de recueil des données
a. Choix des items
b. Elaboration de la grille de cotation
c. Modalité de cotation
3. Méthodologie statistique
a. Traitement des abandons, copies et inversions
b. Traitement de la variabilité du nombre de pattes et pieds.
c. Sélection des items finaux
RÉSULTATS
1. Caractéristiques de la population
2. Productions graphiques
a. Sélection des items et traits finaux
i. Taux de réussite des traits sémantiques
ii. Taux de réussite des concepts
b. Analyse des productions graphiques
i. Abandons et inversions
ii. Nombre de pattes, pieds et roues
iii. Ajouts de traits sémantique
iv. Traits non conformes
c. Corrélations intra-individuelle et interindividuelle
d. Temps de réalisation et autocorrections
i. Analyse des temps de réalisation
ii. Les autocorrections
3. Productions verbales
a. Commentaires et questions des participants
b. Interprétations des sujets sur le test
DISCUSSION
1. Rappel des objectifs
2. Interprétation des résultats
a. Sélection finale et validation des hypothèses
b. Temps de réalisation
c. Abandons et inversions
d. Influences et effet de prototype
e. Image mentale et représentations visuelles
f. Environnement
g. Représentativité du concept
3. Analyse critique de l’étude
4. Perspectives
a. Modèle restreint et complétion d’un modèle de langage
b. Réalisation d’un test
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
TABLE DES ANNEXES
ANNEXES
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