Distinction entre libre arbitre et responsabilité morale

Contre le libertarianisme 

Dans la vie de tous les jours, nous enchaînons les décisions sans véritable effort. Au réveil, certains décideront délibérément d’ignorer la sonnerie de leur téléphone pour dormir quelques minutes de plus. Les plus vaillants d’entre nous se lèveront immédiatement et iront choisir les morceaux de vêtement qu’ils porteront pour la journée. En examinant les bananes presque trop mûres qui trainent sur le comptoir, certains décideront de les manger pour déjeuner, et d’autres décideront plutôt de cuisiner un pain aux bananes en soirée. La vie regorge de ces moments où les actions se succèdent naturellement. Il arrive, en de plus rares occasions, des événements importants qui valent la peine de s’arrêter et de délibérer plus longuement. Vous vous faites offrir le poste de vos rêves à l’étranger, mais l’offre s’accompagne d’importants sacrifices au niveau personnel. Vous avez l’occasion de vous acheter un condo à très bon prix au centre-ville, mais cela exige que vous laissiez tomber le voyage autour du monde dont vous rêvez depuis toujours. Dans de telles situations, empreintes d’incertitude, il est naturel de croire que l’avenir est ouvert, que nous faisons face à de véritables alternatives et que la décision nous appartient, ultimement. Dans de telles situations, il est naturel de se croire libre. C’est cette capacité qu’auraient les agents rationnels à déterminer le cours de leurs actions parmi différentes alternatives que l’on nomme « libre arbitre » et c’est aux actions  produites de cette façon que l’on réserve généralement le qualificatif « libre ».

Les actions libres se présentent ainsi comme un certain type d’actions sur lesquelles nous avons un contrôle particulier. Il reste maintenant à définir plus précisément le type de contrôle dont il est question. Les options ne manquent pas. Il est possible de définir ce contrôle en faisant appel à la notion de désir du second ordre, de conscience, de rationalité, de causalité indéterministe, et j’en passe. Certains diront par exemple qu’une action est libre lorsqu’elle est produite par un mécanisme qui répond adéquatement aux raisons. D’autres diront plutôt qu’une action est libre lorsqu’elle est causée, de manière indéterminée, par des préférences. L’entreprise de définir le contrôle qu’exigent les actions libres n’est pas simple, mais les motivations qui la sous-tendent sont criantes. Pourquoi prenons-nous la peine de délibérer si nos décisions ne sont pas en notre contrôle ? Pourquoi punissons-nous un criminel si celui-ci ne pouvait pas décider autre chose que de commettre le crime qu’il a commis ? Que vaut une promesse tenue sans la possibilité réelle de la violer ? À quoi bon mettre des efforts dans un projet si le succès de celui-ci n’est pas véritablement entre nos mains ?

Comme le dit Susan Pockett (2013), si le libre arbitre n’existait pas, il faudrait l’inventer. Pourtant, l’idée n’est pas aussi absurde qu’elle y parait. De plus en plus, des philosophes se tournent vers le scepticisme à propos du libre arbitre. Et si le libre arbitre était seulement une nécessité psychologique ou une invention de l’esprit ? Et si le libre arbitre était une illusion ? Si Pockett elle-même ne croit pas que le libre arbitre est une illusion, d’autres le croient. C’est le cas de Saul Smilansky (2000), qui soutient que le libre arbitre est une illusion nécessaire au maintien des sociétés actuelles.

Qu’est-ce que le libre arbitre ?

Le problème du libre arbitre est avant tout un problème d’ordre conceptuel. Avant de savoir si le libre arbitre existe, s’il est compatible avec le déterminisme ou s’il est nécessaire à la responsabilité morale, encore faut-il savoir ce que veut dire « être libre ». La tâche n’est pas mince. Cela fait plus de deux mille ans que les philosophes travaillent sur cette question, et les consensus sont rares, voire inexistants. Pendant que les modèles se raffinent, que les notions de libre arbitre se précisent, une thèse gagne en popularité : le scepticisme. Le libre arbitre n’existerait pas. Les scientifiques en sont convaincus, mais les philosophes en doutent. Ces derniers ont raison de douter : on ne se débarrasse pas du libre arbitre aussi facilement. Face aux sceptiques, les défenseurs du libre arbitre n’ont qu’à poser une question : « Qu’est-ce qui n’existe pas, exactement ? » L’embarras ne se fera pas attendre. Personne n’échappe à l’analyse conceptuelle que sous-tend n’importe quelle investigation sérieuse sur le libre arbitre. Qu’entend-on par « libre arbitre » ? Quelles sont les grandes orientations que prennent les défenseurs du libre arbitre ? Comment ces derniers développent-ils leur modèle ? Telles sont les questions auxquelles nous nous intéresserons dans ce chapitre. Afin d’offrir une défense charitable du scepticisme à propos du libre arbitre, il est nécessaire de présenter clairement à quelles thèses nous nous attaquerons. Ainsi, la fonction spécifique de ce chapitre, dans le cadre général de ce mémoire, est double : clarifier les différentes significations accordées à la notion de libre arbitre et sélectionner les modèles les plus prometteurs pour une défense du libre arbitre. Nous serons, par la suite, en mesure de présenter une critique charitable du libre arbitre. Pour remplir les objectifs de ce chapitre, je procéderai en trois temps. Premièrement, j’exposerai une définition générale du libre arbitre. La fonction de cette première section est de mieux circonscrire la notion de libre arbitre et de poser des bases solides aux développements de bons modèles. Deuxièmement, je présenterai ce que je crois être l’avenue la plus prometteuse pour une défense du libre arbitre : le libertarianisme. L’objectif sera de mettre en évidence les atouts du libertarianisme et les défis auxquels il fait face. La plus grande partie de cette section sera réservée à l’examen du modèle de Laura Ekstrom (2000), un modèle exemplaire de libertarianisme. Troisièmement, je présenterai la deuxième grande famille de modèles de libre arbitre, le compatibilisme. Encore une fois, l’objectif sera de mettre en évidence les atouts et les défis de ce type de modèle. Pour exemplifier le com-patibilisme, j’examinerai les modèles de Harry Frankfurt (1971) et de John Martin Fischer et Mark Ravizza (1998).

Définition générale

La notion de libre arbitre est équivoque. Avant de préciser les différentes significations de la notion de libre arbitre qui seront attaquées dans ce mémoire, il serait souhaitable de se donner une définition générale de ce qu’est le libre arbitre. Nous pourrions dire, pour commencer, que le libre arbitre est une capacité que possèdent les agents rationnels et qui leur permet de choisir un type d’action parmi différentes alternatives (O’Connor 2014). Cette définition, même si elle est tirée de la Stanford Encyclopedia of Philosophy, ne va cependant pas de soi. On remarque, déjà, qu’elle n’attribue le libre arbitre qu’aux agents rationnels. Or, certains penseurs vont jusqu’à attribuer un libre arbitre aux invertébrés (Brembs 2011) , et il peut sembler contre-intuitif d’attribuer de la rationalité aux invertébrés. De plus, la définition de Timothy O’Connor lie le libre arbitre à une sélection entre différentes alternatives. Encore une fois, cela ne va pas de soi. Frankfurt (1971), par exemple, soutient qu’un agent agit librement en faisant X seulement s’il désire faire X et s’il désire que son désir soit effectif (s’il a un désir du second ordre). Dans ce cas, le libre arbitre n’est pas, de prime abord, lié à une sélection entre différentes alternatives. Force est de constater que la définition donnée par O’Connor, même si elle se voulait générale, n’est pas assez inclusive pour rendre compte de toutes les notions de libre arbitre de la littérature. Qui plus est, nous verrons que les différentes notions de libre arbitre, communes ou techniques, tendent à s’éloigner de celle-ci. Il est douteux qu’une définition qui ferait l’affaire de tous puisse être formulée. Ceci étant dit, même s’il est difficile de s’entendre sur ce qu’est le libre arbitre, il est déjà plus facile de s’entendre sur ce qu’il n’est pas. C’est ce que je tenterai de faire dans les deux prochaines sections .

Distinction entre libre arbitre et liberté

Il est important de distinguer le libre arbitre de la liberté, et il existe différentes façons de le faire. Il est possible, par exemple, de poser une distinction entre la liberté positive et la liberté négative (Berlin 1969). Le libre arbitre est associé à la liberté positive, car elle demande la présence de quelque chose (un contrôle, une autodétermination, une autoréalisation, etc.), alors que la liberté négative fait plutôt référence à une absence de contraintes. Il est aussi possible de poser une distinction entre la liberté interne et la liberté externe (Carter 2012). Dans cette optique, le libre arbitre correspond à la liberté interne, car il subit la pression de facteurs internes à l’agent. La liberté externe, quant à elle, subit la pression de facteurs externes à l’agent. Elle semble donc être associée à une liberté d’ordre politique, social ou simplement physique. Finalement, il semble adéquat de distinguer le libre arbitre de la liberté de la façon suivante : « être libre », au sens du libre arbitre, est une propriété qui relève de l’esprit, alors que « être libre », au sens de liberté, est une propriété qui relève du corps. Par exemple, on dira qu’Edmond Dantès, lorsqu’il est emprisonné au Château d’If, n’est pas libre (au sens de liberté), parce que les barreaux de sa cellule l’empêchent de quitter le château. D’un autre côté, on dira que l’abbé Faria, lui aussi emprisonné au Château d’If, est libre (au sens de libre arbitre), parce qu’il est capable de penser et de raisonner clairement. La façon particulière dont on lie le libre arbitre et la liberté n’aura pas beaucoup d’importance. Il est simplement important de comprendre que ces deux notions sont très généralement examinées de manière indépendante dans la littérature philosophique contemporaine. Les possibles liens conceptuels entre ces deux notions peuvent, et seront, mis de côté. Ainsi, il ne sera pas question de liberté, mais uniquement de libre arbitre, dans ce mémoire. Afin d’éviter toute ambiguïté, l’adjectif « libre » sera dorénavant utilisé en ne faisant référence qu’au libre arbitre.

Distinction entre libre arbitre et responsabilité morale

Il est de mise, maintenant, de distinguer le libre arbitre de la responsabilité morale. Il est assez commun de définir la responsabilité morale en termes de blâme et de louange: « to be morally responsible for something, say an action, is to be worthy of a particular kind of reaction—praise, blame, or something akin to these—for having performed it » (Eshleman 2014). Ainsi définie, la responsabilité morale semble, conceptuellement du moins, indépendante de la notion de libre arbitre. Historiquement, par contre, le libre arbitre a souvent été considéré comme une condition nécessaire à la responsabilité morale. Telle était la position défendue par Aristote dans l’Éthique à Nicomaque. Bien qu’il s’agisse d’une thèse relativement intuitive, il est tout à fait possible de défendre le contraire. Fischer (1995), par exemple, développe une notion de libre arbitre en termes de contrôle régulateur (regulative control) qui n’est pas nécessaire à la responsabilité morale. Ce type de contrôle, qui requiert des possibilités alternatives ouvertes à l’agent, est attaqué de plein fouet par les fameux contreexemples de Frankfurt (1969), dans lesquels un agent semble moralement responsable de ses actions, malgré qu’il n’ait pas pu agir autrement. J’aborderai cette conception du libre arbitre plus loin dans ce chapitre. Dans ce mémoire, il ne sera pas question (directement, du moins) de responsabilité morale. Je me permets ainsi de rester agnostique sur la question de savoir si le libre arbitre est bel et bien une condition nécessaire à la responsabilité morale. Toutefois, la majorité des penseurs présentés à travers ce mémoire accepte une telle thèse, alors l’emploi des termes « responsabilité morale » ne pourra être évité indéfiniment. Qui plus est, la notion se révélera particulièrement importante dans le chapitre 4, lors de la présentation du modèle illusionniste de Smilansky (2000).

Libre arbitre et causalité

Dans cette section, je distinguerai les théories de la causalité des agents (agentcausal theories) des théories de la causalité des événements (event-causal theories), et ce afin de mettre de côté les notions de libre arbitre qui supposent l’existence d’une causalité des agents. Commençons par distinguer ces deux types de causalité. Les théories de la causalité des événements défendent l’idée que les causes et les effets sont toujours des événements . Il s’agit de la façon standard de comprendre la causalité. Si je dis, par exemple, qu’un astéroïde a causé la destruction de la station spatiale internationale, il ne faut pas comprendre par là que c’est l’astéroïde lui-même qui en est la cause. On dira plutôt que c’est le mouvement de l’astéroïde (un événement) qui a causé la destruction de celle-ci. La même analyse peut se faire pour les actions libres. Ainsi, un tenant de la théorie de la causalité des événements ne dira pas qu’un agent est lui-même la cause d’une action libre. Il dira plutôt que l’action a été causée par des croyances et des désirs de l’agent, les occurrences de croyance et de désir étant des évènements. Les théories de la causalité des agents, de leur côté, défendent l’idée que les actions libres sont causées par un agent. Il faut comprendre par là que la cause d’une action libre se trouve à être une substance, soit l’agent lui-même, et non un événement. Aussi faut-il mentionner que les théoriciens de la causalité de l’agent ne nient pas la causalité des événements. Ils postulent plutôt deux types de causalité, l’un pour les événements et l’autre pour les agents. L’analyse d’O’Connor (1995) nous permettra d’y voir plus clair. Selon O’Connor, le pouvoir causal d’un objet provient de l’instanciation de certaines propriétés. Par exemple, si un astéroïde peut causer la destruction de la station spatiale internationale, c’est parce qu’il instancie la propriété de se mouvoir à une certaine vitesse. Dans le même ordre d’idée, si un agent peut causer une action libre, c’est parce qu’il instancie certaines propriétés agentielles. O’Connor, par exemple, parle d’une « volitionenabling property » (O’Connor 1995, p. 178). L’important, ici, est de comprendre que selon les théoriciens de la causalité de l’agent, le pouvoir causal n’est pas directement lié aux propriétés des événements, il est plutôt lié à certaines propriétés très particulières des agents.

Pour mieux saisir où se situe l’enjeu, mettons-nous à la place d’un théoricien de la causalité de l’agent et acceptons l’idée que le pouvoir causal est lié, d’une façon ou d’une autre, à certaines propriétés particulières de celui-ci. Comment les théoriciens de la causalité de l’agent rendent-ils compte de la causalité des événements ? Selon eux, les événements ont un pouvoir causal du fait qu’un événement est l’instanciation d’une propriété dynamique par un objet, c’est-à-dire une propriété qui implique du mouvement. Sur ce point, tout le monde semble être d’accord. En effet, tout le monde accepte qu’un objet en mouvement possède un pouvoir causal en vertu du fait qu’il est en mouvement. L’enjeu n’est pas là. La question qu’il faut se poser est plutôt la suivante : est-ce que l’instanciation d’une propriété non dynamique par un objet confère un pouvoir causal à cet objet ? À cette question, les théoriciens de la causalité des événements répondent négativement : le pouvoir causal est lié uniquement aux propriétés dynamiques. C’est ce que veulent dire les théoriciens de la causalité des événements, je crois, lorsqu’ils affirment que les causes et les effets sont toujours des événements. Les théoriciens de la causalité des agents répondent positivement à la question : le pouvoir causal peut être lié à des propriétés non dynamiques. Plus précisément, le pouvoir causal peut être lié à certaines propriétés non dynamiques bien spécifiques, soit aux propriétés agentielles, comme la « volition-enabling property » d’O’Connor, par exemple. C’est entre autres ce que veulent dire les théoriciens de la causalité de l’agent lorsqu’ils disent que les actions libres sont causées par un agent en tant que substance.

Faisons un pas en arrière. La causalité est généralement considérée comme une relation entre des événements, et non entre des substances non causées et des événements. Ou encore, pour reprendre la distinction utilisée au paragraphe précédent, la causalité est généralement considérée comme une relation entre des propriétés dynamiques, et non entre des propriétés non dynamiques et des propriétés dynamiques. Bien qu’il existe encore aujourd’hui des défenseurs de la causalité des agents (Chisholm 1976; O’Connor 2005; Rowe 2006; Griffith 2007; Mawson 2011; Steward 2012), la majorité des défenseurs du libre arbitre rejette l’existence de ce type de causalité. La raison peut être exprimée ainsi : la causalité de l’agent semble violer le principe de la fermeture du physique. Ce principe est exprimé par la fameuse maxime « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». L’idée générale, c’est que l’univers physique contient une quantité fixe d’énergie et qu’il n’est pas possible d’en introduire ou d’en perdre, l’énergie ne fait que se déplacer. Or, si un objet « immobile » (ayant uniquement des propriétés non dynamiques) cause un mouvement, on introduit de l’énergie dans notre système physique. On viole ainsi le principe de la fermeture du physique, un principe qui est au cœur de notre compréhension du monde. Les notions techniques de libre arbitre qui ont été retenues dans ce mémoire ne supposeront pas l’existence d’une causalité des agents. N’ayant pas présenté une analyse systématique de la causalité des agents, je ne prétends pas avoir miné le fondement de ces théories. Par contre, considérant qu’il n’est pas possible d’attaquer toutes les notions de libre arbitre de la littérature à la fois, je me dois de faire une sélection parmi celles qui me semble les plus plausibles, et celles qui supposent l’existence d’une causalité des agents me semble beaucoup plus difficile à défendre .

La faculté évaluative échappe-t-elle au déterminisme ?

Comment Ekstrom peut-elle échapper à la régression présentée dans l’argument de base ? Il est important de rappeler qu’Ekstrom ne prétend pas que nous sommes capables de structurer entièrement qui nous sommes. En effet, selon elle, nous pouvons structurer notre caractère, c’est-à-dire choisir nos préférences et nos adhésions, et c’est uniquement cette capacité à choisir soi-même nos préférences et nos adhésions qui importe en ce qui a trait au libre arbitre. La notion de caractère d’Ekstrom est donc beaucoup plus restreinte que la notion ordinaire de caractère, qui inclut, par exemple, certains traits de personnalité, comme le fait d’être colérique, généreux ou orgueilleux. Mais qu’y a-t-il de particulier avec les préférences et les adhésions ? Autrement dit, pourquoi serions-nous capables de choisir nos préférences et nos adhésions, contrairement aux autres éléments qui constituent qui nous sommes ? Selon Ekstrom, les préférences et les adhésions sont des états mentaux bien particuliers qui sont formés par un processus d’évaluation critique. Ce processus d’évaluation, quant à lui, opère en fonction de la faculté évaluative de l’agent, une faculté qu’Ekstrom inclut dans sa notion de soi. La faculté évaluative permet, selon Ekstrom, de revenir sur nos désirs et sur nos croyances, et ainsi de former des préférences et des adhésions, et ce sans être déterminés à les former. Si Ekstrom peut prétendre échapper au déterminisme et à la régression présentée dans l’argument de base, c’est donc essentiellement grâce à la faculté évaluative. En effet, même si nous n’avons pas choisi, initialement, nos désirs et nos croyances, notre faculté évaluative nous permet, en théorie, de retourner examiner ceux-ci et ultimement de les rejeter ou de les entériner rationnellement, et ainsi d’échapper au déterminisme (en ce qui a trait aux préférences et aux adhésions).

Conclusion

Avec le développement des sciences – et plus particulièrement des sciences physiques, des neurosciences et des sciences cognitives – il est devenu nécessaire de revisiter le problème du libre arbitre pour savoir si cette notion résiste aux découvertes récentes de la science. Est-il raisonnable d’affirmer l’existence d’un libre arbitre ? Intuitivement, il semble qu’il n’y ait pas de place pour un libre arbitre dans un monde déterministe, où le comportement humain est le résultat nécessaire des événements du passé en conjonction avec les lois de la nature. Même en admettant la fausseté du déterminisme, le seul indéterminisme admis en science se situe au niveau subatomique, et nous n’avons aucune raison de croire que l’indéterminisme quantique a des répercussions au niveau de l’action. Nous avons vu, toutefois, qu’il était possible de remettre en question les diverses menaces que soulèvent les sciences. Les compatibilistes, en développant des notions plus faibles de libre arbitre, prétendent conférer aux agents le contrôle nécessaire au libre arbitre (et à la responsabilité morale), et ce même si le déterminisme est vrai. Les libertarianistes, quant à eux, conservent une notion forte de libre arbitre et affirment du même souffle que le déterminisme est faux. La guerre entre le compatibilisme et le libertarianisme a fait, et continue de faire, couler beaucoup d’encre. Il existe pourtant une autre voie, celle du scepticisme.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Qu’est-ce que le libre arbitre ?
1.0 Introduction
1.1 Définition générale
1.1.1 Distinction entre libre arbitre et liberté
1.1.2 Distinction entre libre arbitre et responsabilité morale
1.1.3 Libre arbitre et causalité
1.1.4 Les notions du sens commun : présentation et critique
1.2 Les notions libertarianistes de libre arbitre
1.2.1 Le déterminisme
1.2.2 Le libertarianisme de Laura Ekstrom
1.3 Les notions compatibilistes de libre arbitre
1.3.1 Le compatibilisme d’Harry Frankfurt
1.3.2 Le compatibilisme de John Martin Fischer et Mark Ravizza
1.4 Conclusion
Chapitre 2 : Contre le compatibilisme
2.0 Introduction
2.1 L’argument de la conséquence
2.1.1 Le contre-exemple de McKay et Johnson
2.1.2 Sauver la règle (β) en précisant la signification de l’opérateur Np
2.1.3 Un conflit d’intuitions
2.2 L’argument de la manipulation
2.2.1 Deux types de modèles de libre arbitre
2.2.2 Les modèles non historiques de libre arbitre : présentation et critique
2.2.3 Le modèle historique de Fischer et Ravizza: présentation
2.2.4 Le modèle historique de Fischer et Ravizza : critique
2.2.5 Une vue d’ensemble
2.3 Conclusion
Chapitre 3 : Contre le libertarianisme 
3.0 Introduction
3.1 L’argument de la chance
3.1.1 L’objection d’Ekstrom à l’argument de la chance
3.2 Est-il possible de structurer son caractère ?
3.2.1 L’argument de base
3.2.2 La faculté évaluative échappe-t-elle au déterminisme ?
3.3 Le quasi-déterminisme
3.3.1 L’appui des sciences physiques au libertarianisme
3.3.2 Un manque de preuves empiriques
3.4 Conclusion
Chapitre 4 : Pour le scepticisme
4.0 Introduction
4.1 Un modèle normatif
4.1.1 La communauté de responsabilité
4.2 La critique de Smilansky
4.2.1 L’hypothèse du monisme
4.2.2 Un dualisme fondamental
4.3 La solution : l’illusionnisme
4.4 Sauver la responsabilité morale
4.5 Conclusion
Conclusion

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