Rôle de la jeunesse et machines à communiquer, tels pourraient être les premiers mots clés qui caractérisent notre recherche.
Avant de préciser ces termes, analysons tout d’abord le contexte de notre recherche. Près de 750 millions d’internautes en 2007 et une croissance moyenne par an de 10% . Les chiffres donnent le tournis. L’explosion de la communication est une réalité (Breton et Proulx, 2002). Notre quotidien est façonné par le « boom » des techniques de l’information et de la communication (Tic) en constante évolution. L’omniprésence de l’informatique et des réseaux dans notre travail et dans les foyers nous permet d’être informés et de communiquer à tout instant. Si ces technologies du numérique posent de nombreuses questions (mondialisation et délocalisation des biens, des savoirs et des personnes, piratage et protection des droits d’auteurs et de la vie privée, etc.), elles séduisent aussi le plus grand nombre car elles mettent enfin à la portée de tous des outils de communication, d’expression, de création et maintenant d’éducation dans ce qu’on appelle les technologies de l’information et de la communication de l’enseignement (Tice).
Le monde de l’éducation et de la formation est cependant confronté à trois facteurs clés et convergents du développement des Tice : une politique d’industrialisation de la production des ressources pédagogiques multimédia, la volonté forte des différents pouvoirs politiques de développer ces technologies et enfin l’avènement d’une nouvelle pédagogie aux méthodes plus actives et plus ouvertes (Pouts-Lajus & al, 2002).
A l’intersection de deux industrialisations : celle des modes de communication et celle de l’éducation (Moeglin, 2005), l’offre croissante des outils et médias éducatifs participe ainsi du développement d’une véritable économie du savoir. Porté par un contexte politique et économique favorable l’apprentissage à distance se développe de plus en plus. Phénomène supplémentaire, la déterritorialisation engendrée par la « mise en ligne » de ce type de formation entraîne leur mise en concurrence tant au niveau régional, que national, voire international (en pleine effervescence en Amérique du Nord et en Europe, l’apprentissage à distance commence même à apparaître dans certains pays émergents). L’arrivée d’internet ouvre de plus le champ à de profondes mutations des pratiques sociales et des pratiques pédagogiques. Elle favorise notamment la mise en place de nouvelles offres de formation (proches du paradigme constructiviste) qui mettent en interrelation des activités d’apprentissage distantes et prises en charge par des acteurs également éloignés. Bien que porteuses d’espoir car accessibles au plus grand nombre, ces nouvelles pratiques pédagogiques doivent cependant lutter pour une large part contre le phénomène d’éloignement et d’isolement des apprenants. En formation à distance, le temps et l’espace sont toujours plus éclatés (Ciussi, 2007) : il y a donc nécessité de re-création de lien social. Souvent constitués en groupes, les apprenants doivent par ailleurs adhérer à un dispositif sociotechnique de l’information et de la communication, qui s’articule autour de la médiatisation des contenus, la médiation des savoirs et la médiation sociale. Ces pratiques, associées à l’utilisation accrue de nouvelles technologies, engendrent une modification progressive du statut de l’enseignant. Celui-ci garant d’une certaine dialectique doit, en plus de produire et délivrer ses cours, maîtriser les technologies et faire face à des étudiants de plus en plus autonomes grâce à elles. De la vision prophétique de nombreux discours sur la société de la connaissance à la réalité du terrain pédagogique, l’intégration de ces technologies dans la formation et l’éducation à distance est ainsi devenue un enjeu majeur de nos sociétés. Suivant donc l’intuition de Perriault (1989), il y a nécessité de multiplier les études d’usage de ces nouvelles technologies dans les pratiques pédagogiques quotidiennes.
Pour reprendre un des mots clés de notre recherche, le rôle de la jeunesse, nous suggérons donc d’étudier en priorité les pratiques de la jeune génération actuelle. D’après Dumas, « l’exposition intensive des tous jeunes aux objets des Tice est un facteur clé de l’augmentation générale du QI et de la demande de stimulation intellectuelle » (Dumas, 2004, p. 5). Selon Lardellier, « Ayant grandi un portable dans une main, une souris dans l’autre, ces jeunes sont en train d’inventer une nouvelle culture numérique, dont les codes leur sont spécifiques » (Lardellier, 2006, p. 231). En effet, de la maison à l’école, cette génération a grandi au contact des nouvelles technologies. Elle a baigné très tôt dans l’univers créatif des jeux interactifs vidéos à vocation pédagogique ou purement ludique. Elle a appris à maîtriser un ensemble d’artefacts communicationnels qui vont du portable, à l’e-mail en passant par les messageries privées, les forums et les blogs . Poussée par un marketing croissant, et un besoin constant de contact et de lien, elle est adepte de ces technologies du social (Lardellier, 2006). Curieuse, éclectique et de plus en plus autodidacte, cette génération d’internautes explore donc quotidiennement le web à la recherche des dernières innovations. Cet engouement, qui inquiète de manière légitime la génération des parents , est caractérisé par un usage sans a priori des nouvelles technologies: « Elle ne s’y trompe pas. L’ordinateur animé d’une intention est à ce titre bien plus qu’un instrument. il est un véritable partenaire à qui l’on fait faire, autant qu’il fait faire certaines choses » (Devèze, 2001). Cette génération, enfin, s’intéresse de plus en plus à de nouvelles machines à communiquer : les mondes persistants.
Les mondes persistants sont des mondes virtuels caractérisés par un environnement spatial en 3D et temps réel. La forme la plus répandue est le MMORPG (pour Massively Multi Online Role-Playing Gamers) dont l’apparition est assez récente (début des années 90), et fortement due au développement des réseaux. D’un genre plutôt ludique, qui mêle jeu de rôle et jeu en ligne, les Mmorpg sont caractérisés par un nombre très important de joueurs simultanés (World of Warcraft le plus populaire d’entre eux aujourd’hui compte plus de huit millions de membres ). La nature même de ces jeux est nouvelle. Elle est liée d’une part à la persistance de l’environnement car le monde change constamment en raison des interactions des joueurs. Elle est liée d’autre part à la nature même du jeu de rôle qui provoque une forte implication des joueurs (multiplicité des acteurs en ligne, richesse des profils à construire, densité du scénario). Ces mondes sont dits partiellement immersifs car ils ne nécessitent pas d’interface de type lunettes de vison stéréoscopique ou gants de données utilisés en réalité virtuelle . Leur environnement est riche, ludique, et d’une esthétique de plus en plus réaliste. Il fait naître des comportements atypiques (farce, défi technologique), particulièrement riches sur le plan des interactions sociales et des rites d’interactions (Goffman, 1974 ; Lardellier, 2003, Bailenson 2006), et qui sont très souvent créateurs de liens sociaux forts et intenses : on parle de sociétés ou communautés culturelles virtuelles.
En parallèle des Mmorpg, une nouvelle génération de mondes persistants est en fort développement. Ce sont « les simulateurs de vie » (dont Second Life avec plus de huit millions d’abonnés et Entropia avec cinq cent mille abonnés ). Dans le cas des simulateurs de vie, il ne s’agit plus de jeu ou de quête. Les mondes se révèlent plus des lieux de socialisation à distance dont l’un des intérêts principaux réside dans la mise en relation en temps réel des utilisateurs. Chacun « existe » dans le monde par l’intermédiaire de sa projection « l’avatar » qu’il peut caractériser selon de nombreux critères esthétiques, et parfois comportementaux. Une fois cette opération effectuée, l’utilisateur passe par une phase d’insertion corporelle dans le monde. Il déambule alors à l’aide de son avatar selon des modalités sensori-motrices et peut dialoguer avec un (ou plusieurs) autre (s) avatar (s). Enfin, et surtout, l’utilisateur ou groupe d’utilisateurs, à la possibilité de posséder un lieu virtuel. Grâce à la richesse des possibilités de création, il peut y construire son environnement propre avec plus ou moins de réalisme et de créativité. Il peut aussi échapper aux difficultés du monde réel, et passer de « l’autre coté tel, Alice au pays des merveilles, ou Peter Pan l’éternel enfant qui virevolte dans les airs et se joue des contingences adultes » (Lardellier, 2006, p. 210).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION
PARTIE I ETRE ENSEMBLE A DISTANCE
CHAPITRE 1 CONTEXTE DE L’ETUDE
CHAPITRE 2 DYNAMIQUE DE GROUPE ET INTERACTIONS SOCIALES
PARTIE II SITUATIONS COMMUNICATIONNELLES ET MONDES PERSISTANTS
CHAPITRE 3 DISPOSITIFS SOCIO-TECHNIQUES ET ARTEFACTS COMMUNICATIONNELS
CHAPITRE 4 LES MONDES PERSISTANTS
CHAPITRE 5 UNE ONTOLOGIE POSSIBLE DES MONDES PERSISTANTS
PARTIE III METHODE, PROJET ET ANALYSES
CHAPITRE 6 CADRE METHODOLOGIQUE ET TERRAIN
CHAPITRE 7 RESULTATS
CHAPITRE 8 DISCUSSIONS ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
CONCLUSION GENERALE
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