Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Les différentes manières de différencier
La différenciation pédagogique doit passer par différents moyens pour être optimales afin d’être adaptée à tous les élèves et à tous les enseignements. Il est donc possible de jouer avec les variables pour différencier mais également d’utiliser la différenciation successive ou la différenciation simultanée et, pour finir, il est possible de passer par l’évaluation pour différencier.
Pour différencier, l’enseignant peut jouer sur plusieurs variables afin de rendre les apprentissages accessibles pour le plus grand nombre. Ces variables sont les suivantes :
– Temps : déroulement (alternance de plusieurs modalités de travail par exemple), rythme de travail des élèves, régulations au cours de l’activité, temps laissé à l’élève pour acquérir les compétences et connaissances…
– Espace : lieu de l’activité, environnement matériel, organisation physique de l’espace…
– Situations d’apprentissages : contenus, présence ou non d’un obstacle qui est lui-même identifié ou non, sens de l’activité, activité plus ou moins stimulante, clarté de ce que doit faire l’élève…
– Stratégies d’appropriation/démarches : formulation de la consigne, formes des exercices, présentation de l’activité, contenus…
– Sens des apprentissages
– Supports et outils d’apprentissage : tableaux, jeux, manipulation, matériel, aides, cahier…
– Modes de différenciation : degré de guidage, mode de regroupement, groupes hétérogènes ou homogènes…
La différenciation pédagogique est indispensable pour permettre de faire de l’hétérogénéité des classes un pilier sur lequel les apprentissages peuvent prendre appui. Cependant, Philippe Perrenoud (1996) affirme qu’il faut faire attention à ce que les élèves ne s’enferment pas dans une seule méthode qui certes, leur convient, mais qui ne sera pas nécessairement toujours adaptée aux apprentissages. Pour étendre leur répertoire méthodologique il est donc nécessaire que la différenciation pédagogique n’occupe pas, pour chaque élève, la totalité du temps scolaire. Il est en effet primordial de donner la possibilité aux élèves d’élargir leurs compétences méthodologiques pour leur permettre d’utiliser une méthode qui convient à la fois à leurs spécificités individuelles mais également aux savoirs et savoir-faire qu’ils souhaitent maîtriser. Cependant, la différenciation successive est une manière de différencier qui peut permettre aux élèves de découvrir plusieurs méthodes de travail.
Cette manière de différencier permet à l’enseignant de garder une progression collective qui, en alternant les manières de travailler un même objectif, permet aux élèves de s’ouvrir à plusieurs méthodologies. Effectivement, la différenciation successive consiste à utiliser successivement différents outils et supports (écriture, parole, image, gestes, informatique…) mais aussi différentes situations d’apprentissage (exposé collectif, travail individualisé, travaux de groupes…). Cette manière de conduire les apprentissages permet à tous les élèves de se confronter à plusieurs méthodes de travail tout en abordant le savoir sous plusieurs angles afin que chacun puisse se l’approprier.
La différenciation successive, comme elle est décrite ici par P. Perrenoud (1996), semble donc être la solution idéale pour permettre de répondre à l’hétérogénéité des classes mais c’est une méthode très chronophage. Il est donc nécessaire d’alterner cette méthode avec la différenciation simultanée qui consiste à distribuer à chaque élève un travail correspondant, précisément, à ses besoins et à ses possibilités pour travailler une partie de la progression des apprentissages. Il est essentiel, dans cette forme de différenciation, de disposer d’outils rigoureux pour éviter la dispersion : en utilisant, par exemple, des plans de travail individuels sur des objectifs précis et qui feront l’objet d’évaluations régulières.
La différenciation pédagogique doit passer par de nombreux biais pour être la plus efficace possible et l’évaluation en fait partie ; il s’agit même d’un des piliers indispensables de la différenciation. L’évaluation diagnostique en début de module d’apprentissage permet à l’enseignant de faire un état des lieux du niveau de départ des élèves. En effet, il est impossible de mettre en place un dispositif efficace pour s’adapter aux différences entre les élèves dans les classes si nous ne connaissons pas la nature de cette hétérogénéité.
À l’intérieur d’un module, l’évaluation formative doit également être utilisée à bon escient pour assurer le suivi des apprentissages en cours et permettre une régulation optimale en cas de besoin. Cette évaluation n’a cependant pas besoin d’être standardisée, un travail ordinaire peut tout à fait faire l’objet d’une évaluation formative. Il y a ici plusieurs objectifs qui se cachent derrière. Pour l’enseignant, cela lui permet de mesurer l’évolution des élèves au sein de la séquence afin de mettre en place des dispositifs adaptés pour réguler les apprentissages. Pour l’élève, l’évaluation formative a pour but de faire un point sur ce qui est acquis et ce qu’il lui reste encore à assimiler. Il est en effet très important que l’enseignant prenne le temps de faire un feed-back individuel à chacun car cela va permettre aux élèves de cibler les compétences qui ne sont pas encore acquises.
Philippe Perrenoud (1997) affirme qu’il serait envisageable de repousser l’évaluation sommative à la fin du cycle d’apprentissage si ce n’est à la fin de la scolarité obligatoire mais cela serait difficilement envisageable dans la mesure où elle est trop ancrée dans le système éducatif français ainsi que dans notre société. De plus, il souligne que même si l’on mettait en place des évaluations informelles, il est nécessaire de faire des bilans plus formels pour :
– Tenir informés les élèves et leurs proches
– Faire un retour sur son efficacité au système éducatif : l’évaluation permet en effet à l’éducation nationale de se rendre compte du niveau général des élèves français et de voir quels domaines doivent être priorisés.
– Réguler l’orientation dans le réseau modulaire : permet de se rendre compte du niveau de chacun des élèves afin de voir quels modules d’apprentissages sont accessibles pour lui ainsi que ceux qu’il doit encore travailler pour accéder à des modules supérieurs.
– Valider des connaissances et des compétences pour notifier de leur acquisition en cas de changement d’école, de classe…
Différenciation, individualisation et personnalisation
L’individualisation et la personnalisation sont deux manières de concevoir les moyens de répondre aux besoins de chaque élève. Elles sont toutes deux assez répandues, c’est pourquoi il nous a semblé nécessaire d’aborder ces conceptions. Nous allons ici nous pencher sur chacune d’elles pour voir ensuite où est la place de la différenciation pédagogique.
S. Connac (2012) définit l’individualisation comme « l’ensemble des organisations pédagogiques qui confient un travail particulier à chaque élève » (p.17). Elle constitue donc une réponse individuelle de l’enseignant aux besoins propres à un élève en difficultés. L’individualisation des apprentissages correspond alors à des moments où l’élève travaille seul grâce à des outils mis en place par l’enseignant afin de le faire progresser. L’individualisation des apprentissages peut se diviser en trois sous-catégories qui sont :
– Le travail individuel : « chaque élève doit effectuer un travail sans interaction, adapté à chacun ou le même pour tous » (Ibid.) ;
– Le travail isolé : « des élèves identifiés comme ‘‘à profils spécifiques’’ sont écartés de la classe pour effectuer un travail adapté avec un autre enseignant ou en dehors des horaires de la classe entière » (Ibid.) ;
– Le travail individualisé : « chaque élève reçoit ou choisit un travail qui lui correspond et dispose de plusieurs modalités pour l’effectuer » (Ibid.).
L’individualisation, bien qu’elle réponde au souci d’adaptation à l’hétérogénéité, n’est malgré tout pas souhaitable dans la mesure où elle est « pédagogiquement intenable car elle demande un temps de travail impossible à l’enseignant [mais elle] est aussi intenable pour l’élève car il ne peut pas travailler tout le temps seul. » selon F. Jarraud (2012).
Sylvain Connac (2012) dit de la personnalisation des apprentissages qu’elle est « à l’équilibre entre un processus de socialisation qui pourrait dépersonnaliser et un autre d’individualisation qui risquerait d’isoler » (p.18). La personnalisation s’appuie en effet sur des besoins et des capacités partagés par plusieurs élèves afin qu’ils puissent déterminer leur projet de travail les mettant ainsi en position d’« agent principal de [leur] éducation » (Le Gal, J. 1991 cité par Connac, S. 2012). Elle permet en effet aux élèves de devenir acteurs de leurs apprentissages en permettant de faire entrer en résonance les trois piliers de la structuration des connaissances à savoir, selon Not, L. (1979) cité par Connac, S. (2012, p.20) :
– L’autostructuration qui fait de l’apprenant le seul producteur de sa connaissance ;
– L’hétérostructuration qui fait de l’enseignant le transmetteur de la connaissance à l’apprenant ;
– L’interstructuration qui fait de la connaissance une reconstruction par l’apprenant d’un savoir préexistant.
La personnalisation se décline en trois types de situations d’apprentissage qui sont : l’approche didactique, le travail individualisé et les interactions coopératives. L’approche didactique est assez proche de ce qui se fait en pédagogie traditionnelle dans la mesure où elle aborde les connaissances par disciplines de manière collective ou en groupes de compétences avec la présence de l’enseignant. La construction des connaissances se fait cependant en partant des représentations des élèves et en les mettant face à un obstacle à franchir (approche socio-constructiviste). Le travail individualisé, quant à lui, a été emprunté à l’individualisation des apprentissages (voir ci-dessus) tandis que les interactions coopératives relèvent de toutes les interactions qui ont lieu entre pairs. Effectivement, les travaux effectués à plusieurs relèvent des interactions coopératives mais également le tutorat (plus ou moins explicite) qui se fait lors du travail individualisé et qui permet de désystématiser la permanence de l’étayage par l’enseignant. La différenciation pédagogique doit manier le plus de méthode possible afin de s’adapter au mieux à l’hétérogénéité des classes. Cependant, elle doit faire attention à ne pas tomber dans l’individualisation qui est attrayante dans la mesure où, à première vue, elle paraît être la seule méthode qui permette vraiment de faire progresser au mieux chaque élève. Cependant, les interactions entre pairs sont très fécondes et sont nécessaires pour faire progresser les élèves. Plus particulièrement, lorsque l’hétérogénéité est prise en charge de la bonne manière, elle est génératrice d’une progression amenant tous les élèves à progresser grâce à l’effet vicariant de l’apprentissage. Jean-Marc Turban (2005) définit cette notion comme étant « un apprentissage par prise d’indice, analyse et reproduction : l’élève progresse en observant e savoir-faire d’un élève plus expert. ». Les élèves les plus performants progressent malgré tout tandis que cela permet aux élèves en difficultés de développer leurs connaissances et leurs compétences bien plus rapidement.
Enjeux et difficultés
Selon les sept postulats de BURNS, cités par B. Robbes (2009), il n’y a pas deux apprenants qui progressent à la même vitesse, qui soient prêts à apprendre en même temps, qui utilisent les mêmes techniques d’étude, qui résolvent les problèmes exactement de la même manière, qui possèdent le même répertoire de comportements. Il n’y a pas non plus deux apprenants qui possèdent le même profil d’intérêt, qui soient motivés pour atteindre les mêmes buts. La différenciation pédagogique répond donc à un besoin intellectuel des élèves puisqu’elle permet justement de respecter leurs spécificités. Le but de la différenciation est, nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, d’essayer de faire réussir tous les élèves en leur permettant d’atteindre le maximum de leurs capacités. En effet, dans l’idéal il s’agirait d’essayer de réduire les écarts entre les élèves les plus performants et ceux qui sont en difficultés mais c’est quelque peu utopique dans la mesure où ils ne sont pas tous capables d’atteindre le même niveau. C’est en ayant en tête les postulats de Burns qu’il faut faire évoluer les choses mais la différenciation doit également prendre en compte d’autres caractéristiques telles que :
– Les enseignants doivent montrer aux élèves qu’ils croient en eux pour que les élèves puissent à leur tour croire qu’ils sont capables de réussir.
– Apporter l’aide nécessaire pour faire progresser les élèves.
– Les enseignants doivent faire un retour à leurs élèves pour que ceux-ci puissent savoir où ils en sont dans leurs apprentissages.
Philippe Perrenoud parvient parfaitement quant à lui à mettre en mots les difficultés sous-jacentes à la différenciation pédagogique dès les premières lignes de l’introduction de son livre intitulé Pédagogie différenciée, des intentions à l’action (1997) : « Différencier l’enseignement, c’est faire en quelque sorte que chaque apprenant se trouve, aussi souvent que possible, dans des situations fécondes pour lui. Pour réaliser cette idée simple, il faut profondément changer l’école. Ajoutons immédiatement qu’adapter l’action pédagogique à l’apprenant, ce n’est, pour autant, ni renoncer à l’instruire, ni en rebattre sur les objectifs essentiels. Différencier, c’est donc lutter à la fois pour que les inégalités devant l’école s’atténuent et pour que le niveau monte. » (p.) En effet, la différenciation pédagogique demande de nombreuses modifications pour qu’elle soit optimale. La seconde difficulté mise en lumière ici est de parvenir à adapter les apprentissages pour que tous les élèves se les approprient, en changeant la forme sans changer le fond. En effet, il ne doit pas s’agir d’adapter le niveau des apprentissages pour qu’il s’adapte au niveau actuel de l’élève, le but est malgré tout de les faire progresser. La dernière difficulté, et non des moindres pour mettre en place la différenciation pédagogique, est qu’il est indispensable de croire au postulat d’éducabilité de Philippe Meirieu. En effet, il est indispensable d’être convaincu du fait que tous les élèves, même ceux qui ont connu jusqu’alors un très grand nombre d’échecs, sont éducables et qu’il suffit simplement de trouver la méthode d’apprentissage qui convient à chacun.
Pédagogies coopératives
Qu’entend-on par pédagogies coopératives ?
L’éducation nouvelle a vu le jour au début du XXe siècle, elle s’inspire de la pédagogie active en mettant en avant l’importance de l’exploration et de la coopération dans les apprentissages. Tous les domaines éducatifs sont ici valorisés au même niveau même si l’accent est notamment mis sur la formation à la vie sociale. Effectivement, les élèves participent à l’élaboration des règles qui définissent leurs droits et leurs devoirs. Les pédagogies coopératives sont issues du mouvement de l’éducation nouvelle et découlent des travaux de grands pédagogues confrontés au terrain tels que Célestin Freinet, Fernand Oury, Barthélémy Profit et bien d’autres.
Les pédagogies coopératives correspondent à des méthodes d’enseignement mettant en avant la coopération comme source d’apprentissage. La coopération est en effet omniprésente dans les classes coopératives, permettant ainsi aux élèves confrontés à une difficulté de solliciter un camarade pour l’aider à la surmonter. Cette coopération peut également prendre des formes plus formelles avec le tutorat : tous les élèves sont reconnus comme étant plus ou moins experts dans des domaines précis et peuvent alors venir en aide à leurs camarades qui rencontrent des difficultés dans les domaines où ils sont moins compétents qu’eux. Le but ici est double. Non seulement cela facilite la gestion du groupe classe et de son hétérogénéité puisque l’enseignant n’est plus la seule source de savoir ; mais cela valorise également les élèves en mobilisant leurs connaissances et leurs compétences pour les mettre au service de leurs camarades, donnant ainsi du sens aux apprentissages puisqu’ils y trouvent un intérêt social. Les sources d’information sont alors multipliées tout en étant de surcroît plus accessibles pour l’enfant dans la mesure où ses camarades peuvent facilement reformuler de manière à faciliter la compréhension. Selon Sylvain Connac (2014), « c’est cette double opération de mobilisation / adaptation qui renforce les apprentissages [de l’élève tuteur] afin qu’ils deviennent à la fois authentiques et durables » (p.14). Cette manière de faire fonctionner la classe permet aux élèves d’apprendre des valeurs citoyennes fondamentales en les pratiquant au quotidien et plus particulièrement pour ce qui est de la notion de fraternité. La coopération entre les élèves leur permet en effet d’apprendre à être fraternels dans la mesure où elle renforce le lien entre les individus au sein de la classe : travail en groupe, formes coopératives collectives (conseils coopératifs d’enfants), formes coopératives symétriques (entraide) ou asymétriques (aide, tutorat). Cela leur permet en effet d’apprendre à travailler avec les autres mais aussi à concevoir l’autre dans sa différence comme quelqu’un d’important.
Cependant, la coopération dans ces pédagogies n’est pas une fin en soi dans le sens où le but premier n’est pas d’inculquer ces valeurs aux élèves ; la coopération est en effet un moyen d’apprentissage. Au cours d’une conférence (2017), Sylvain Connac souligne d’ailleurs le fait que les textes officiels encouragent la coopération mais ne cherchent pas à s’en servir de levier pour la différenciation pédagogique. Les mentions de la coopération dans les textes de l’Éducation Nationale sont en effet souvent évoquées comme « un dispositif d’enseignement moral et civique, ou de climat scolaire ou en lien avec la valeur républicaine de la fraternité » (Connac, 2017) et on ne fait pas de lien direct entre l’organisation de la coopération et ce que les élèves apprennent. Cependant, c’est une vision assez réductrice que de percevoir la coopération de cette manière. Selon Connac (2017), si l’on souhaite travailler le développement des habiletés sociales chez nos élèves, il vaudrait mieux utiliser des dispositifs tels que la démarche de projet qui sont plus appropriés. Les pratiques coopératives de classe sont nombreuses et variées et cet empan permet d’enrichir le lien entre coopération et processus d’enseignement / apprentissage.
Coopération et différenciation pédagogique
Les pédagogies coopératives ont réinventé la manière dont les enfants peuvent avoir accès au savoir. Celui-ci est présent dans la classe par l’intermédiaire de la guidance de l’enseignant, c’est-à-dire par l’attention que porte le formateur à la progression de chacun des apprenants, mais pas seulement : les élèves sont capables de devenir vecteurs d’un certain nombre d’informations qui, comme l’affirme S. Connac (2014), ont souvent déjà été mises « à disposition par l’enseignant, directement via une consigne orale, ou indirectement par l’intermédiaire de matériel didactique déjà présent dans la classe ou l’école » (p.13-14). L’adulte n’est alors plus la seule source de savoirs dans la classe ce qui lui permet d’être délesté d’un certain nombre de micro-tâches (techniques et organisationnelles notamment) et ainsi porter son attention sur des tâches didactiques beaucoup plus fortes. Effectivement, l’enseignant peut ainsi se dégager du temps pour de l’étayage ou encore pour prendre un groupe de besoin en charge par exemple. Sylvain Connac (2017) explique alors que, en théorie, la classe devient un « réseau d’échanges de savoirs » et donc un support naturel et authentique de diversification d’entrée dans les savoirs.
Dans la pratique, l’apprentissage est un processus long sur lequel la coopération intervient de manière adaptée à chaque étape. Ces phases de l’apprentissage sont d’ailleurs décrites dans le modèle des « Quatre étapes de l’enseignement » de Martin M. Broadwell (1969), cité par Connac (2017) :
· Incompétence inconsciente : ‘‘je ne sais pas que je ne sais pas et je me porte très bien’’
· Incompétence consciente : ‘‘je sais que je ne sais pas’’
Cette phase est intéressante mais risquée. Elle déclenche des émotions désagréables (perte de repères) et certains élèves développent même des stratégies de contournement de cette phase en ne faisant pas l’effort d’apprendre. Il est donc primordial de faire en sorte de développer la confiance en soi des élèves.
Cependant, cette étape est indispensable pour créer de la curiosité, du désir d’apprendre et surtout des questionnements chez les élèves.
· Compétence consciente : ‘‘je sais que je sais’’
Contrairement à la phase précédente, celle-ci confère aux enfants des émotions positives. Le cerveau est en effet récompensé par des hormones (ocytocine et dopamine) qui sont des formes de récompense chimique.
Néanmoins, l’entrée dans cette phase n’est pas systématique dans le sens où la réponse à leur questionnement peut ne pas être suffisante pour provoquer le changement d’état de leurs connaissances/compétences.
· Compétence inconsciente : ‘‘je ne sais plus que je sais’’
Cette phase correspond au développement d’automatismes (mémorisation et appropriation) sur ce qui a été compris dans la phase précédente. Les élèves sont alors capables de réutiliser ces compétences ou ces connaissances dans différents contextes. C’est à ce niveau de maîtrise que nous pouvons dire qu’un élève a appris, il peut donc passer à l’apprentissage de savoirs plus sophistiqués.
La différenciation pédagogique est conçue comme un double projet selon P. Perrenoud (1997) : celui d’organiser la classe de telle manière à ce que le temps scolaire soit bénéfique à tous les enfants dans un objectif de progression mais aussi celui de participer de manière effective à la lutte contre le développement des inégalités par l’école.
Les pédagogies coopératives organisent le temps scolaire de manière à ce qu’il soit bénéfique à tous les élèves notamment grâce au travail en groupe qui est utilisé pour les faire passer de la phase d’incompétence inconsciente à celle d’incompétence consciente. En effet, l’objectif premier du travail en groupe est ici que les élèves confrontent leurs idées et qu’ils entrent en désaccord. Le conflit socio-cognitif ainsi déclenché n’est la plupart du temps pas suffisant pour permettre de créer des connaissances chez les élèves. Le travail en groupe permet donc aux élèves de confronter leurs conceptions initiales pour les faire entrer dans la phase d’incompétence consciente par la fabrication d’un questionnement. Le but du travail en groupe étant d’essayer de faire en sorte que ce questionnement soit commun à toute la classe. Selon Connac (2017), il vaut mieux consacrer son attention et son travail à l’émergence de ce questionnement chez les enfants plutôt qu’à créer de la différenciation pédagogique qui pourrait se révéler stigmatisante. La réponse aux questions des élèves, donnée par l’enseignant, est alors accueillie comme une réponse à des questions qu’ils se posent et « c’est radicalement différent d’autres situations où les élèves reçoivent des réponses à des questions qu’ils ne se posent pas du tout » (Connac, 2017). La situation coopérative est une situation authentique qui enrôle les élèves, permettant ainsi d’avoir un impact d’autant plus important pour leur permettre au mieux d’entrer dans la phase de compétence consciente. Le but est ici de faire en sorte que tous les enfants soient en situation de réussite au cours de leurs apprentissages. Tous pourraient ainsi recevoir cette dose de récompense chimique (cf. compétence consciente) et pas seulement les meilleurs élèves. C’est d’autant plus important pour les élèves qui ont développé des stratégies de contournement dans la mesure où ces enfants renoncent aux apprentissages car ils ne sont jamais récompensés.
Alors, comment créer ces groupes ? Pendant longtemps, la question de la création des groupes était un problème pédagogique insoluble. Connac (2017) s’attardent sur cette question au cours de sa conférence pour expliquer cette situation. En effet, il expose le fait que les groupes constitués par les enseignants posent souvent problème dans la mesure où certains élèves sont mécontents de leur groupe et ne s’engagent pas autant qu’ils le devraient. De plus, Connac (2017) exprime également que, lorsque ces groupes sont homogènes, les élèves compétents progressent beaucoup mais cela a un effet catastrophique sur les élèves en difficultés. Les groupes hétérogènes peuvent être une bonne idée si le but est de se servir de l’effet vicariant de l’apprentissage mais ils posent également problème. En effet, Connac (2017) dénonce cette situation dans la mesure où les élèves s’en rendent souvent compte et ont tendance à laisser faire l’élève qui ‘‘sait’’ plutôt qu’à chercher collectivement et à créer des désaccords aboutissants au questionnement. Selon lui, cela s’explique du fait que, si l’enseignant n’expose pas clairement son objectif, la création de groupes induit un climat de compétition puisqu’ils doivent exposer ce qu’ils ont trouvé à la fin. Une autre façon de faire qui a été exposée par Connac (2017) est de laisser les groupes se créer par affinités mais dans ce cas, il y a toujours trois ou quatre enfants qui se retrouvent seuls et que l’enseignant met donc ensemble. Il explique que si les autres groupes n’ont pas voulu d’eux c’est souvent parce qu’ils ont tendance à gêner le bon déroulement du travail et ce groupe est souvent ingérable. Dans sa conférence, Connac (2017) développe une alternative, qu’il développe avec des collègues chercheurs, et qui semble fonctionner. Cette alternative correspondrait à un tirage au sort pendant lequel ne sont pris en compte que les élèves souhaitant travailler en groupe. Cette manière de faire est plus facilement acceptée pour deux raisons : les groupes changeant à chaque fois, s’ils sont dans un groupe qui ne leur plaît pas celui-ci changera la prochaine fois (d’autant plus que c’est pour dix à quinze minutes) mais aussi parce que la variable ‘‘hasard’’ fait qu’ils ne peuvent en vouloir à personne. Mais alors, comment imaginer qu’on puisse laisser travailler seuls les élèves qui le souhaitent au sein même d’une pédagogie coopérative ? Ces derniers doivent assumer leur choix et rester seuls jusqu’à la fin. L’utilisation du travail en groupe étant régulière en pédagogie coopérative, le fait de travailler seul sans comprendre pendant dix minutes presque quotidiennement peut s’avérer très éprouvant. Il s’agit ici d’un détour pédagogique permettant de faire travailler en groupe les élèves, qui de prime abord étaient réticents, non pas parce que l’enseignant leur a demandé mais parce qu’ils en perçoivent l’intérêt. Ils adoptent ainsi naturellement un autre rapport au savoir.
Cependant, le développement d’automatismes permettant d’entrer dans la phase de compétence inconsciente ne se fait pas sous forme de travail en groupe. L’apprentissage s’effectue en effet de manière individuelle sous la forme d’entraînement. S. Connac (2017) affirme que la correction collective des exercices d’entraînement provoque une perte de temps. Il existe une manière plus efficace concernant la correction. En effet, il vaut mieux utiliser la forme de coopération la plus à même de prendre en compte la diversité des élèves à savoir les systèmes coopératifs asymétriques (aide et tutorat).
En effet, même en donnant les mêmes exercices d’entraînement à toute la classe (ce qui correspond à un dispositif relevant plutôt de la pédagogie traditionnelle), nous pouvons très bien imaginer une personnalisation des apprentissages par le biais des interactions coopératives. Les cinq premières minutes sont alors un temps de travail individuel pendant lequel chacun des élèves s’approprie la consigne et cherche seul. Une fois ces cinq minutes écoulées, ils peuvent demander de l’aide s’ils en ressentent le besoin aux élèves ayant le statut de tuteur.
Le statut de tuteur peut s’obtenir de plusieurs manières en fonction des formes de pédagogies coopératives pratiquées. Le plus important étant de respecter le principe de réciprocité développé par C. Hébert-Suffrin et expliqué par S. Connac pendant sa conférence en 2017. Celui-ci consiste à affirmer que « pour que la coopération asymétrique puisse avoir des effets pédagogiques intéressants, chaque membre de la communauté coopérative a besoin d’occuper alternativement la fonction d’aidant et la fonction d’aidé » (Connac, 2017). C’est primordial dans la mesure où, si on crée une caste d’aidants et une caste d’aidés, ce sont toujours les mêmes élèves qui sont valorisés tandis que les autres s’enferment dans une case dévalorisante. Cette situation exacerbe alors encore plus les inégalités qu’un cours magistral dans lequel on ne prend pas en compte l’hétérogénéité des élèves.
Cependant, pour que la communauté coopérative soit efficace concernant ces interactions asymétriques, il est nécessaire de disposer d’un nombre important de tuteurs. En pédagogie institutionnelle, ce statut s’obtient grâce aux ceintures de compétences. Chaque élève qui rencontre une difficulté peut en effet demander de l’aide à n’importe quel camarade tant que celui-ci possède une ceinture de compétence plus haute que lui en ce qui concerne le domaine dans lequel il rencontre un blocage. S. Connac (2017) défend quant à lui l’idée que tous les élèves peuvent devenir tuteur s’ils le souhaitent sous réserve de quatre conditions :
· Être volontaire pour avoir le statut de tuteur : si nous obligeons un élève à être tuteur, il va très certainement développer des stratégies de sur-étayage pour se débarrasser au plus vite de son devoir
· Avoir reçu une formation sur ce que veut dire ‘‘expliquer quelque chose à quelqu’un’’ et sur ce que veut dire ‘‘demander quelque chose à quelqu’un’’
· Réussir une évaluation sur cette formation pour manifester la compréhension et la maîtrise de ces savoirs (puisque par la suite il s’établit un principe de confiance)
· Possibilité de perdre le statut de tuteur en cas d’utilisation abusive (certains élèves peuvent se servir de ce statut pour ‘‘dominer’’ leurs camarades par exemple).
Tous les élèves peuvent selon lui être tuteurs dans la mesure où le tutorat s’effectue majoritairement sur des micro-tâches (consignes, compréhension d’un certain vocabulaire…). De surcroît, la formation insiste sur le fait qu’une des compétences de tuteur est de savoir dire quand nous n’avons pas la capacité de répondre à la question, d’autant plus que la personne aidée peut très bien demander à un autre tuteur ou à l’enseignant qui reste malgré tout présent pour étayer si besoin.
Dispositifs pédagogiques spécifiques aux pédagogies coopératives
Les pédagogies coopératives utilisent différents dispositifs pédagogiques qui leur sont propres. Fernand Oury les appelle d’ailleurs « institutions », d’où le terme de pédagogie institutionnelle. Certaines de ces institutions découlent des outils pédagogiques inventés par Célestin Freinet (conseil, plan de travail…) tandis que d’autres ont été inventées par son créateur (ceintures par exemple). Nous ne verrons pas, ici, tous les dispositifs propres aux pédagogies coopératives mais nous ciblerons celles qui participent à la différenciation pédagogique.
Le conseil est une des institutions les plus importantes en pédagogie institutionnelle (mais qui est également utilisé en pédagogie Freinet) dans la mesure où il régule toutes les autres (mise en place, suppression, éventuels changements…) mais aussi dans le sens où il est le lieu privilégié d’expression pour les élèves (émotions, angoisses, conflits…). Le conseil est un lieu temporel très ritualisé ayant lieu généralement une fois par semaine, cette régularité permettant de donner des repères aux élèves. Les élèves prennent en charge le déroulement du conseil et celui-ci est régi par des règles strictes qui sont identiques pour l’enseignant. Tout le monde est assis en cercle pour permettre une communication fluide car les élèves peuvent se voir les uns les autres. Il existe plusieurs manières de conduire un conseil, toutes assez ritualisées, on retiendra ici celle qui consiste à le diviser en trois parties distinctes : félicitations, propositions et problèmes.
– Les félicitations participent pleinement à la différenciation dans la mesure où elles permettent aux élèves de s’encourager mutuellement que ce soit dans les ‘‘bonnes actions’’ du quotidien mais aussi dans leurs progrès, d’autant plus que l’enseignant peut aussi prendre part à cette partie du conseil (il s’agit d’un participant comme un autre).
– Les propositions permettent aux élèves de suggérer des petites choses pour améliorer le déroulement de la classe ou encore mettre en place de nouvelles institutions ou même modifier la disposition de la classe. Elles font ensuite l’objet d’un vote lorsqu’elles sont réalisables. Lors des votes, auxquels participe l’enseignant (qui garde un droit de veto dans la mesure où il est garant de l’institution scolaire), les modalités sont les suivantes : voter ‘‘pour’’, ‘‘contre’’ ou ‘‘blanc’’ et les institutions sont adoptées ou supprimées si au moins la majorité absolue a voté ‘‘pour’’ (dans certaines classes, il faut que tous les participants votent ‘‘pour’’).
– Les problèmes permettent aux élèves d’évoquer d’éventuels soucis (la plupart du temps des conflits) afin de débattre avec ses camarades pour parvenir à les régler.
Le conseil demande, au président et à ses secrétaires, une préparation précise en amont de ‘‘l’ordre du jour’’ pour préparer ce qui va être évoqué pendant le conseil.
Le plan de travail est un dispositif pédagogique permettant la différenciation pédagogique dans la mesure où il s’agit d’un « document spécifique à chaque élève, sur lequel il planifie ses activités à partir de ce qu’il souhaite et peut réaliser, et de ce qu’il a à acquérir et maîtriser au terme de son cycle. » (S. Connac, 2014, p.96). En effet, les élèves choisissent, avec l’aide de l’enseignant, le travail qu’ils auront à réaliser sur les temps dédiés dans l’emploi du temps de la classe. Ils disposent souvent d’une semaine ou de quinze jours pour réaliser leur plan de travail. Celui-ci peut se composer de seulement deux disciplines (beaucoup d’enseignants ne l’utilisent qu’en mathématiques et en français) ou bien de toutes celles qui constituent le programme du cycle. Les enfants réalisent alors le plan de travail dans l’ordre qu’ils le souhaitent, le principal étant d’en faire le maximum sur le temps imparti. Le plan de travail permet alors la personnalisation des apprentissages dans la mesure où cela correspond à du travail individualisé. Cependant, en pédagogie coopérative, le plan de travail ne comprend pas le risque d’isolement des élèves par l’individualisation dans la mesure où la coopération intervient régulièrement au sein de ce dispositif (aussi bien en termes de dispositif symétrique qu’en termes de dispositif asymétrique). Sylvain Connac (2014) affirme d’ailleurs que : « Les objectifs pédagogiques du plan de travail peuvent donc être de personnaliser les apprentissages, de gérer l’hétérogénéité d’un groupe-classe, de susciter la coopération et l’entraide entre les enfants, de leur permettre d’effectuer des choix et de proposer des travaux adaptés à chacun, qui ne soient ni trop simples ni trop inaccessibles. » (p.99)
|
Table des matières
Introduction
I. Cadre théorique
1. Différenciation pédagogique
1.a. Définitions
1.b. Les différentes manières de différencier
1.c. Différenciation, individualisation et personnalisation
1.d. Enjeux et difficultés
2. Pédagogies coopératives
2.a. Qu’entend-on par pédagogies coopératives ?
2.b. Coopération et différenciation pédagogique
2.c. Dispositifs pédagogiques spécifiques aux pédagogies coopératives
2.d. L’évaluation en pédagogie coopérative
II. Problématique et hypothèses
III. Méthodologie
1. Méthodologie envisagée
2. Justification de la méthodologie
3. Guide d’entretien et recueil des données
4. Biais et limites
IV. Analyse
1. Analyse longitudinale
2. Analyse transversale
2.a. La gestion de l’hétérogénéité grâce au plan de travail
2.b. La gestion de l’hétérogénéité grâce au tutorat
2.c. La gestion de l’hétérogénéité au cours de l’évaluation
2.d. Biais et limites
V. Discussion
Télécharger le rapport complet