Les milieux poreux, composés « d’une matrice solide et de son complément géométrique, l’espace poreux » [Daïan, 2010], sont omniprésents tant dans la nature que dans l’industrie. En effet, la grande majorité des matériaux contient une certaine part de porosité, lieu de transport ou de transfert de matière et d’énergie. L’étude et la compréhension des écoulements en milieux poreux se retrouvent ainsi au centre de nombreuses problématiques contemporaines. Sans ambition d’exhaustivité, nous pouvons citer des exemples de géo-ingénierie, avec les applications de l’industrie pétrolière, le stockage de CO2 en aquifère salin [Kim et al., 2013] ou encore le stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde (www.andra.fr). À une tout autre échelle, la caractérisation des propriétés hygro-thermiques des matériaux de construction, tels que le béton ou le bois est importante dans le but d’améliorer la durabilité et les performances énergétiques des bâtiments [Lee et al., 2016, Patera et al., 2016]. Toujours en lien avec la problématique de l’énergie, nous retrouvons le phénomène de condensation qui est mis en jeu dans le matériau fibreux constituant la couche de diffusion gazeuse (GDL, gas diffusive layer) de certaines piles à combustibles [Chapuis et al., 2008], alors que l’évaporation en mèche poreuse est le moteur des échangeurs de chaleur de type évaporateurs capillaires [Ku, 1999]. Nous pouvons rapporter également des études portant sur des phénomènes naturels avec l’hydrologie, les écoulements dans les végétaux [Stroock et al., 2014] ou la micro-circulation sanguine [Lorthois et al., 2011].
Dispositifs micro/nanofluidiques et banc expérimental
En terme de fabrication, le cahier des charges consiste à fabriquer des systèmes composés de micro ou nanocanaux dans le but d’étudier l’effet du confinement sur les deux phénomènes cités précédemment (cristallisation et écoulements liquide-gaz). Ces dispositifs doivent pouvoir être alimentés en gaz et en liquide avec des conditions limites contrôlées. Ils doivent également permettre l’observation directe des écoulements. La stratégie choisie a donc été d’utiliser les techniques de micro et nanofluidiques développées par l’équipe MILE du LAAS depuis plusieurs années. Récemment, de nombreuses technologies de fabrication ont émergé dans ce domaine, comme en témoigne les nombreuses et récentes revues sur le sujet [Madou, 2011, Abgrall et a M Gué, 2007, Abgrall et al., 2013]. Nous pouvons citer par exemple les techniques d’impression 3D, atteignant des résolutions submillimétriques [Ho et al., 2015], ou celles basées sur la mise en forme de polymères tel que le PDMS (poly-di-methyl-siloxane) [Mcdonald et al., 2000, Lee et al., 2003] pour les résolutions micrométriques voir sub-micrométriques. Les meilleures précisions sont obtenues avec les techniques utilisant le silicium qui atteignent des résolutions allant de la dizaine de micromètres [Iliescu et al., 2012] jusqu’au nanomètre [Duan et al., 2013]. Nous pouvons également rapporter le développement récent de la paper fluidics, à base de papier, et décrite par exemple dans la revue [Nge et al., 2013].
Pour l’étude de la cristallisation, nous retenons la technologie PDMS-verre à la faveur de sa facilité de mise en œuvre et de la bonne qualité optique de ces deux matériaux. Le PDMS est également choisi en raison de sa forte déformabilité, en ayant l’idée initiale d’observer une déformation des parois induite par la croissance d’un cristal. La technologie silicium-verre est quant à elle sélectionnée pour l’étude des écoulements en canal nanométrique grâce à ses performances en résolution. Ces procédés de micro et nanofabrication nécessitent de travailler en salle blanche, c’est-à-dire une salle à environnement contrôlé : température, hygrométrie, taux d’empoussièrement et lumière. Le LAAS a la chance de disposer d’une des plus grande salle blanche académique de France (1500 m2, ) qui nous a permis d’effectuer l’ensemble des étapes de fabrication au laboratoire, de la mise en forme des canaux à leur caractérisation.
Dans la suite du document, nous commencerons par introduire la géométrie « type » des dispositifs expérimentaux utilisés, qu’ils soient micro ou nanométriques. Ils seront appelés indifféremment dispositifs ou puces, en analogie avec les puces électroniques. Leur mode d’utilisation sera décrit suivant le type d’expérience réalisée. Ensuite, nous détaillerons les procédés de fabrication des dispositifs microfluidiques PDMS-verre puis nanofluidiques silicium-verre. Le développement d’un nouveau procédé de fabrication de nanocanaux à profondeurs variables sera présenté dans la section suivante. Ce travail sera restitué sous la forme d’un article soumis dans le journal Lab on a Chip. Enfin, nous terminerons ce chapitre par une description du banc expérimental en s’intéressant particulièrement au système d’alimentation en gaz à haute pression.
Présentation des dispositifs expérimentaux
Présentation d’une puce « type »
La géométrie « type » de l’ensemble des puces utilisées dans cette étude . Leur fonctionnalité a été validée dans des études précédentes menées aux laboratoires [Phan et al., 2011, Chauvet et al., 2012]. Elles sont composées de quatre trous d’alimentation et de deux canaux de grande dimension pour faire parvenir les différents fluides à la zone d’intérêt qui est située au centre. Les trous et canaux d’alimentation sont invariants pour une même étude (micro ou nanométrique). Seule la zone centrale est modifiée. Il y est représenté des structures types réseaux de pores, des canaux droits traversants (ouverts des deux côtés) ou en impasse (ouverts d’un seul côté), et des canaux à profondeur constante ou variable. Dans le cas des puces nanofluidiques, les deux canaux d’alimentation sont dimensionnés de telle sorte que la perte de pression visqueuse y soit négligeable devant celle se produisant dans les nanocanaux. Il faut également noter que les nanocanaux ne sont nanométriques que dans une seule dimension, la profondeur, d. La largeur, w, est de l’ordre de quelques micromètres afin de permettre l’observation au microscope optique. Il s’agit donc plutôt de nanofentes que de nanocanaux (nous conserverons tout de même ce terme dans le reste du manuscrit).
Adaptabilité des dispositifs aux différents écoulements étudiés
La géométrie décrite ci-dessus a l’avantage de s’adapter à toutes les situations à étudier . Dans le cas de l’évaporation, un débit de gaz est maintenu dans chacun des canaux d’alimentation en appliquant une différence de pression entre leurs deux ouvertures. La pression appliquée est très faible et négligeable devant les niveaux de pression capillaire des canaux de la zone d’intérêt pour ne pas y induire d’écoulement. Dans le cas de l’imbibition, une goutte est déposée à l’entrée de l’un des canaux d’alimentation qui est envahi par capillarité, tandis que les autres ouvertures sont laissées à la pression atmosphérique, Patm. Enfin, dans le cas du drainage, la pression est imposée dans un canal d’alimentation en reliant ces deux ouvertures à la source de pression, Pgaz , tandis que le second canal est laissé à Patm.
Fabrication des dispositifs microfluidiques en PDMS-verre
L’utilisation des dispositifs PDMS-verre est très courante en microfluidique depuis les premiers travaux de l’équipe de Whitesides [Duffy et al., 1998, Xia et Whitesides, 1998]. Le principe de cette technique se fonde sur la fabrication d’un moule, négatif de la structure souhaitée. Puis, le PDMS est coulé et réticulé sur ce moule. La structure de PDMS est ensuite démoulée. Le moule peut ainsi être réutilisé. L’intérêt non négligeable est de limiter le procédé de microfabrication à la seule étape de la réalisation du moule, puis de répliquer autant de dispositifs que souhaités.
Fabrication du moule par photolithographie
La première étape consiste donc à réaliser le moule en salle blanche. Afin de réduire le nombre d’étapes, il est choisi de faire un dispositif avec une même profondeur pour les canaux d’alimentation et ceux de la zone d’intérêt. La fabrication du moule repose sur les techniques de photolithographie, c’est-à dire la structuration d’une résine photosensible sur un substrat ; ici, un wafer de silicium (disque de 4 pouces de diamètre et 500 µm d’épaisseur, avec une rugosité de l’ordre ou inférieure au nanomètre). La particularité de notre procédé est qu’il utilise une résine négative déposée par lamination, sous forme d’un film sec (DF 1000) (une résine négative se caractérise par le fait que les zones insolées réticulent à l’inverse des résines positives dont les zones insolées sont enlevées). Cette technique apporte un gain de temps et d’argent important par rapport aux techniques classiques utilisant des résines type SU-8, enduites par centrifugation (spincoating) [Courson et al., 2014]. Ainsi, la fabrication d’un moule se fait en moins d’une demi journée. Pour étudier l’effet de la taille des canaux sur la cristallisation, trois moules composés de canaux de sections différentes sont fabriqués : 5×5 µm2 , 20×20 µm2 et 50×100 µm2 . L’épaisseur du film sec mis en œuvre est donc choisie en conséquence. Avant de commencer la fabrication du moule, un masque en quartz et chrome est fabriqué par écriture laser. Les zones transparentes (quartz) correspondent aux motifs qui doivent être transférés, le reste étant opaque (chrome). Le dessin du masque utilisé pour les dispositifs PDMS-verre . Les zones bleues correspondent aux zones transparentes du masque. Une quarantaine de puces tiennent sur ce masque. Afin de réduire les coûts de fabrication, un seul masque est préparé pour les trois tailles de dispositifs. C’est-à-dire que seulement un tiers des puces du masque sont utilisables pour une épaisseur de film sec donné. Les deux tiers restants sont adaptés aux deux autres épaisseurs.
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Table des matières
1 Introduction
2 Dispositifs micro/nanofluidiques et banc expérimental
2.1 Présentation des dispositifs expérimentaux
2.1.1 Présentation d’une puce « type »
2.1.2 Adaptabilité des dispositifs aux différents écoulements étudiés
2.2 Fabrication des dispositifs microfluidiques en PDMS-verre
2.2.1 Fabrication du moule par photolithographie
2.2.2 Mise en forme des dispositifs PDMS
2.3 Fabrication des dispositifs nanofluidiques silicium-verre à profondeur constante
2.3.1 Gravure des canaux
2.3.2 Fabrication des dispositifs silicium-verre
2.3.3 Caractérisation des dispositifs nanofluidiques
2.4 Développement d’un protocole de nanofabrication de dispositifs à profondeurs variables
2.4.1 Introduction
2.4.2 Materials and methods
2.4.3 Fabrication of nanostructures with non-uniform depths
2.4.4 Conclusion
2.4.5 Acknowledgements
2.4.6 Supplementary informations of the article
2.5 Banc expérimental
2.5.1 Banc expérimental et acquisition des images sur microscope inversé
2.5.2 Support des puces
2.5.3 Alimentation en gaz à haute pression
2.6 Conclusion du chapitre
3 Études des écoulements liquide-gaz en nanosystèmes modèles
3.1 État de l’art
3.1.1 Lois validées jusqu’aux échelles micrométriques
3.1.2 Résultats sur les écoulements en milieu nanoporeux
3.2 Imbibition et transport de gaz
3.2.1 Nucléation de bulles au cours de l’imbibition d’un nanocanal ouvert
3.2.2 Transport de bulles dans un système modèle nanofluidique complexe
3.2.3 Imbibition de nanocanaux en impasse
3.2.4 Imbibition de nanocanaux à profondeurs variables
3.2.5 Supplementary informations of the article (suite)
3.3 Évaporation
3.3.1 Protocole expérimental
3.3.2 Phénoménologie observée
3.4 Drainage
3.4.1 Protocole expérimental
3.4.2 Limites des expériences dans les dispositifs à profondeur constante
3.4.3 Expériences dans les dispositifs à profondeurs variables
3.4.4 Simulation sur réseau de pores
3.4.5 Résultats et discussions
3.5 Vers des expériences en milieux déformables
3.5.1 Motivations
3.5.2 Phénomènes élasto-capillaires
3.5.3 Vers la fabrication de dispositifs nanofluidiques déformables
3.5.4 Conception de systèmes microfluidiques déformables
3.5.5 Expériences d’imbibition en fentes micrométriques déformables
3.6 Conclusion du chapitre
4 Cristallisation à l’échelle d’un pore micrométrique
4.1 Motivations
4.2 Pré-requis théoriques
4.2.1 Pression de cristallisation
4.2.2 Cinétique de croissance du cristal
4.3 Matériels et méthodes
4.3.1 Expériences
4.3.2 Simulation numérique
4.4 Phénoménologie et formes des cristaux
4.4.1 Cristallisation dans les films de liquide
4.4.2 Cristallisation dans la solution
4.4.3 Sursaturation à la nucléation
4.5 Cinétique de croissance théorique et paramètre global de cinétique de croissance, kG
4.6 Cinétique expérimentale de croissance du cristal
4.7 Simulation de la croissance d’un cristal
4.7.1 Configuration
4.7.2 Définitions des différents termes de transport
4.7.3 Modèle mathématique
4.7.4 Résultats
4.7.5 Discussion sur la forme de l’expression du flux diffusif
4.8 Diagramme de phase de la pression de cristallisation
4.9 Déformation négative
4.10 Conclusion du chapitre
5 Conclusion