L’approche par entretiens semi-directifs
Le guide d’entretien
Le guide d’entretien élaboré permet d’avoir un fil conducteur à la discussion tout en mentionnant les thèmes importants à aborder. Toutefois, il semble important de rappeler que certaines questions peuvent ne pas être posées ou au contraire, certaines peuvent être rajoutées dans un souci d’explicitation ou au regard d’un propos qui semblerait particulièrement pertinent par rapport à l’objet de la recherche. Le guide d’entretien est disponible en annexe 3 (p.67).
Dans un premier temps, la présentation de la démarche permet d’élaborer avec l’interviewé un lien de confiance en rappelant les règles déontologiques de l’entretien. Il est alors spécifié que les données seront anonymisées puis supprimées et que ces dernières ne seront utilisées que dans un objectif de recherche et non d’évaluation ou de jugement.
Nous avons volontairement souhaité ne pas évoquer la question du travail collectif pour les élèves BEP. Introduire dès le début de l’entretien ce sujet aurait forcément influencé les questions suivantes.
La première question vise à recueillir les conceptions générales des enseignants quant aux pratiques collectives tout en leur demandant d’étayer leurs propos à l‘aide de leurs expériences de terrain. Il est ensuite demandé de donner une vision plus précise du travail en équipe et des façons dont celui-ci est effectif sur le terrain par le biais d’une question de relance visant à approfondir le propos.
La première relance permet de poser la question d’un des thèmes du mémoire à savoir la réussite des élèves. La question de la réussite des élèves est plutôt complexe et sujette à de nombreux débats. Ici, nous comprendrons réussite dans le sens scolaire du terme c’est à dire l’atteinte par les élèves des objectifs fixés par l’enseignant au regard des programmes d’enseignement.
C’est ensuite qu’intervient la question des élèves BEP et de la pertinence selon l’enquêté de la mise en place de travail collectif. Les dys et élèves handicapés ne sont pas évoqués dès le début. La sous-question permet ensuite d’évoquer ce thème si celui-ci n’est pas intervenu dans la discussion. Il s’agit ensuite de recueillir des éléments concrets, d’évoquer des situations réelles mises en place de manière collective pour inclure un élève.
Dans cette même optique la troisième relance vise à en savoir davantage sur les formes qu’ont pu prendre le travail collectif mais également à connaître les effets que ce dernier peut avoir sur les élèves. Cette relance s’inscrit également dans la problématique par rapport à la dynamisation de la scolarité des élèves dys.
Enfin, la dernière relance vise à recueillir les informations des enquêtés sur les freins qu’ils ont pu rencontrer dans leur carrière face au travail en équipe. Il s’agira de proposer un temps pour évoquer les difficultés rencontrées et les façons de les surmonter. Nous utilisons le terme « frein » au sens d’élément ralentissant le travail collectif, le rendant difficile voire même impossible.
Le choix du terrain
Depuis le début de l’année, problématiques de classes et mémoire se sont imbriqués.C’est donc tout naturellement que nous souhaitons nous appuyer sur notre expérience de terrain et les personnes rencontrées pour évoquer le travail collectif. Ces personnes sont donc des collègues, que nous côtoyons quotidiennement pour la plupart. La demande d’entretien a été faite de vive-voix sur des temps informels comme ceux de repas. La recherche porte sur des enseignants et AVS d’une classe de CE2 et de CM1-CM2 de la même école. L’une des enquêtés travaille quant à elle sur l’ensemble du département.
Passation de l’entretien
Le terrain étant notre lieu de stage la plupart des entretiens ont eu lieu dans notre école.
Ces entretiens ont été menés dans notre classe de façon à être isolées du reste du personnel de l’école. Seul l’entretien avec S.B s’est déroulé à son domicile. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits très précisément. En effet, les temps de silence sont matérialisés par des « … » plus ou moins nombreux relativement à leur durée.
Les enquêtés ont toutes été informées de l’enregistrement.
Approche par bilan réflexif
Comme évoqué précédemment, l’émergence du sujet de ce mémoire provient de notre expérience de terrain. Des biais peuvent toutefois être induits par cette méthode du fait que celle-ci repose sur une reconstruction a posteriori qui n’a pas été instrumentée par un journal d’enquête.
Depuis le début de l’année, nous avons travaillé collectivement avec différents partenaires en vue de dynamiser la scolarité de Juliette. Nous avons notamment pu rencontrer la première personne interviewée de ce mémoire qui nous a proposé des axes de travail. Suite à cette première entrevue, nous avons associé les parents, partenaires privilégiés de l’école aux dispositifs mis en place pour Juliette. Nous nous sommes rencontrés à intervalles très réguliers, de façon formelle après des rendez-vous médicaux importants par exemple ou de façon informelle en discutant le soir à la sortie de l’école. Quoi qu’il en soit, c’est une vraie démarche partenariale qui s’est construite tout au long de l’année.
Lors de la mise en place du PAP en octobre 2016, nous nous sommes rencontrés formellement pour la seconde fois. Avec les parents de Juliette nous avons conjointement coché les items qui nous semblaient les plus pertinents au regard du projet envisagé. Nous avons également effectué des points réguliers pour partager des « techniques », « astuces » que chacun avait décelé pour faire réussir Juliette. Ainsi, dans la partie analytique de ce mémoire nous reviendrons sur les modalités de travail en partenariat que nous avons mené et nous évoquerons les effets ressentis par les différents protagonistes du projet.
Pour conclure cette partie méthodologique basée sur le couplage de deux méthodes d’enquête, il est important de rappeler que le premier objet d’étude porte sur le travail collectif des enseignants entre eux ainsi qu’avec les partenaires. Le second propose d’analyser ce travail collectif en ce qui concerne la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers tels que le sont les enfants handicapés et/ou ayant des troubles des apprentissages.
Résultats et discussions
Résultats de l’entretien avec S.B
L’entretien avec S.B s’est déroulé à son domicile, dans son salon. Nous étions assises face à face. Dès notre arrivée, madame B. nous a interrogés sur notre pratique professionnelle et nous a fait savoir que différents professionnels médicaux avaient salué le travail mis en place avec Juliette. L’entretien a duré plus d’une heure et quinze minutes. Il s’est d’ailleurs achevé suite à l’arrivée d’une tierce personne qui a été présente dans une pièce à côté durant les dernières minutes de l’entretien.
L’entretien a débuté par une question ouverte sur le parcours professionnel de l’enquêté.
Elle s’est attachée à nous dire qu’il s’agissait d’une reconversion professionnelle et que la majeure partie de sa carrière avait été effectuée en Réseau d’Éducation Prioritaire. Madame B. nous a ensuite expliqué les raisons pour lesquelles elle avait décidé de s’orienter vers un poste d’enseignante ressource, notamment dans le but de continuer à apprendre car « au bout de 8/9 ans j’avais l’impression d’avoir fait le tour ».
L’entretien a commencé très rapidement et d’autres questions et réponses sont intervenues plus rapidement que la question ouverte relative au regard porté sur le travail collectif. Toutefois, l’analyse des entretiens nous a permis de trouver différents propos pouvant répondre à cette question. En effet, pour cette enquêtée, le travail collectif est particulièrement positif voire indispensable : « On est dans la même barque, il faut qu’on rame dans le même sens. ». S.B explique que le travail collectif permet d’améliorer le travail de chacun, d’avancer : « Alors je vois et puis après je réadapte mais m’appuyer sur les autres je trouve que c’est important, c’est comme ça qu’on avance hein ». Le travail collectif se révèle donc être également un moyen de contourner des difficultés voire de passer outre « Je dis toujours aux enseignants quand je les rencontre, je dis face à la difficulté, que ce soit la difficulté d’un élève ou sa propre difficulté à aider cet élève, faut jamais rester seul », qui plus est d’inscrire son action sur le long terme : « Je dis toujours ‘Tout seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin’ ». Dans cette vision du travail collectif, Madame B. évoque également certains « prérequis » qui apparaissent nécessaire au travail collectif telles que la reconnaissance de chacun dans ses compétences, ainsi que la transparence sur ce qui est mis en place. S.B évoque également une façon d’appréhender le travail en collectif et la façon dont celui-ci peut être effectif sur le terrain en disant : « La collaboration on peut avoir le même objectif mais avec des missions différentes. » Dans cette perspective, il convient d’évoquer les différents partenaires pouvant intervenir dans le travail en équipe qui peuvent ne pas avoir les mêmes objectifs au vu de leurs compétences spécifiques.
En ce qui concerne les partenaires Madame B. explique : « Le travail il doit se faire avec tous les professionnels, avec tous les professionnels qui travaillent autour de cet élève-là hein, que ce soit la famille, les rééducateurs, c’est ça qu’est important hein. » Ainsi, les partenaires peuvent être multiples et pas uniquement internes à l’Éducation Nationale « Les rééducateurs, que ce soit les orthophonistes, psychomotricité, ergothérapie. » Ici, la question des parents n’est pas évoquée, mais elle le sera ensuite, présentée comme une certaine évidence.
Toutefois, S.B soulève une certaine « hiérarchisation » dans les partenaires. En effet, selon elle les enseignants contactent facilement les orthophonistes pour travailler en commun autour d’un élève, mais cela reste encore plus difficile pour eux de contacter d’autres professionnels : « Aujourd’hui les enseignantes vont appeler les orthophonistes, je ne suis pas persuadée qu’elles appellent encore euh… les ergothérapeutes, les psychomotriciennes, les orthoptistes, voilà l’orthophoniste ça reste encore le corps de métier où on va solliciter parce qu’on se sent proche. » D’ailleurs, lorsque la question du travail hors temps scolaire est posée, S.B explique qu’elle contactait les orthophonistes sur le temps du midi ou du soir et qu’elle travaillait doncsur son temps personnel ce qui lui permettait de « trouver le temps ».
Au sujet du travail en équipe comme facteur de réussite des élèves, S.B a expliqué : « Je n’ai pas de référence comme ça par rapport à… la fonction que j’ai actuellement. » Toutefois, dans les expériences professionnelles qu’elle a évoquées une certaine notion de « réussite » intervient. Elle évoque une situation de co-intervention avec une enseignante. Selon elle, le travail collaboratif a permis de réussir le suivi de l’élève : « Si on avait pas travaillé vraiment en collaboration, en réfléchissant ensemble, en ayant ce cadre de travail et respecter ce cadre de travail, on aurait peut-être pas réussi ». Il ne s’agit cependant pas de la réussite de l’élève en lui-même mais de la réussite de la collaboration avec l’enseignante.
Résultats de l’entretien avec A.V
L’entretien s’est déroulé dans notre classe, située à quelques mètres de la classe d’A.V. et a duré environ quarante-cinq minutes.
A la première question relative à la façon de percevoir le travail en équipe, l’enseignante a tout de suite répondu qu’en cas de difficulté elle se tournait vers l’auxiliaire de vie scolaire. Elle justifie ce propos du fait qu’elles travaillent ensemble depuis plusieurs années et qu’elles ont une certaine proximité : « Moi si j’ai besoin d’aide je travaille avant tout avec mon AVS C.S., parce que je la connais, je la connais depuis deux ans donc je peux me permettre d’être hyper familière avec elle, de lui poser toutes les questions que je veux. » Elle évoque ensuite le reste des collègues de l’école et conclut par : « Donc je collabore avec l’équipe enseignante et avec l’AVS ». Cette première piste de réponse ancre le discours non pas dans une réponse globale, générale ou même idéologique sur la question de la collaboration mais plutôt sur une réalité de terrain vécue au quotidien. De ce fait, nous avons reposé la même question, A.V nous apporte d’autres éléments : « Alors moi je trouve que c’est très positif car je ne pourrai pas travailler sans C.S », elle explique ensuite que la présence d’un enfant autiste dans la classe ne serait pas possible sans la présence de l’AVS. Ainsi, l’entretien est tout de suite orienté vers la question du handicap. Nous pouvons peut-être imaginer que l’enseignante était au courant du sujet de l’entretien en ayant discuté avec les autres enquêtées, ce qui pourrait induire un biais dans notre recherche. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande si elle travaille en équipe uniquement parce qu’elle a un enfant autiste dans la classe, elle répond : « Oui enfin non, j’aime bien travailler en groupe, avoir l’avis d’autres personnes etcetera, ça aide à avancer. » L’envie de travailler en groupe dépasse le seul cas de l’élève BEP : «Il n’y a pas que pour le handicap que je vais travailler avec les autres. » Dans la suite de l’entretien, d’autres réponses ont été apportées quant à la façon de percevoir le travail en équipe : « Ça fait partie de la vie de l’école, ça fait partie du métier, pour moi c’est indispensable, c’est pas que positif c’est indispensable dans une école. Si t’as une équipe qui ne s’entend pas entre elle, forcément ça ne va pas aller. » Madame V. estime donc que le travail collectif est indispensable au-delà d’être positif. Toutefois, elle commence déjà à émettre des pistes de réponses quant aux freins limitant le travail en équipe.
Nous comprenons ainsi que le travail en équipe est perçu positivement par cette enseignante. Les premières personnes avec lesquelles elle va collaborer sont les enseignants de l’école mais avant tout l’AVS. La question d’autres partenaires se pose alors « Euh bah j’ai travaillé avec les collègues, c’est ce que je t’ai dit, avec les parents d’élèves notamment l’année dernière en maternelle, c’est également indispensable. Euh…… je suis en train de réfléchir… donc les parents, les enseignants….. les AVS… donc j’ai eu plusieurs AVS depuis trois ans… euh…. Pour l’instant je ne vois que ça, les entraîneurs de sport à la limite ». Les différents partenaires sont donc peu nombreux et très proches géographiquement de l’enseignante, ce sont des personnes lesquelles elle va être en contact direct régulièrement.
Dans le cas plus spécifique d’un élève handicapé, l’enseignante évoque : « Il y a une éducatrice de la…….. MDPH….. j’espère que je ne me trompe pas qui vient tous les vendredis matins de 8h30 à 9h30 depuis la semaine dernière ». Après vérification il s’agit d’une personne du Service d’Éducation Spéciale et de Soins À Domicile, toutefois ce n’est pas A.V qui est présente les jours où cette personne intervient.
La question des ESS a également été évoquée au travers du travail en équipe en dehors des réunions obligatoires. Madame V. répond d’abord qu’elle s’attache à séparer sa vie personnelle de son travail : « non, tu vois le personnel ça reste le personnel, le privé ça reste le privé et le travail ça reste le travail » expliquant alors qu’elle ne travaille pas avec lespartenaires présents aux ESS en dehors de celles-ci. Elle revient toutefois sur son discours en expliquant qu’elle accepte de les contacter par téléphone notamment ou lors de discussions informelles après ou avant l’ESS. Elle explique notamment que dans certains cas, différents partenaires discutent de façon informelle, font un bilan pour « préparer » l’ESS et ce qui va être dit aux parents. Cela induit donc une certaine hiérarchisation des partenaires dont certains se seraient mis d’accord et se seraient tenus informés mutuellement avant les réunions d’équipe de suivi de scolarisation. En ce qui concerne les autres enseignantes et les AVS, elle explique ne pas uniquement se servir du temps de concertation : « « Non non, j’utilise le temps qui est en dehors de ces heures-là mais je reste à école. Récréation, le temps du midi, après4h30 comme tu vois parfois on reste papoter cinq 10 minutes, sur ces temps-là oui. »
A.V. a également eu l’occasion de donner son point de vue quant aux élèves pour lesquels le travail en équipe était le plus bénéfique selon elle. Dans un premier temps, elle a indiqué : « Il est plus pertinent… je dirais quoi… je suis pas sûre mais pour les élèves en difficulté notamment. » N’étant pas certaine de sa réponse elle a finalement dit que cela était pertinent pour tous les élèves voire pour toute l’école : « Ça dynamise ta classe, ça dynamise l’école, ça dynamise bah la vie du personnel enseignant, ça dynamise l’ensemble des choses en fait, ça rend l’école vivante enfin ça participe à la vie de l’école ». Dans cette même perspective, Madame V. pense que le travail collectif a un impact positif sur la réussite des élèves : « Oui ça impact la réussite parce que parfois toi tu vas pas trouver la solution, tu vas aller demander à une collègue, qu’a un avis extérieur qui connaît pas l’élève et elle elle va t’aider, elle va te donner des outils en fait pour trouver la solution. » elle évoque également le fait que le travail en équipe sous la forme de projet à l’échelle de l’école permet d’impliquer différents partenaires tels que les parents et est un facteur de motivation des élèves : « Ça a un impact positif sur les élèves, sur les parents, ça permet aussi de souder l’équipe éducative, de mieux se connaître. Les enfants sont contents parce qu’ils montrent à leurs parents, ils expliquent à leurs parents leur travail donc en même temps ça valorise leur travail et les parents sont contents aussi de partager ce moment-là avec leurs enfants et de voirl’enseignant aussi dans un autre contexte, tu vois. »
Nous avons ensuite évoqué plus spécifiquement sur le travail en équipe auquel a participé A.V tout en essayant de comprendre comment les différents partenaires se sont organisés. L’enseignante explique tout d’abord qu’elle n’a pas eu l’occasion de prendre part à des projets de grande envergure du fait de sa récente titularisation et des différents postes fractionnés qu’elle occupe. Elle évoque toutefois un projet réalisé l’an passé nommé « La grande lessive », des réunions d’équipes pédagogiques ont alors été organisées : « Il y avait des réunions pour en parler entre nous, s’organiser, se sera tel jour, à telle heure, les parents pourront venir dans l’école de 8h30 à 10h30 après ils partiront, ils pourront emmener leurs enfants etc. »
En ce qui concerne les élèves BEP et plus spécifiquement les dys, elle explique ne jamais en avoir eu. Néanmoins, elle nous a expliqué que différentes séances de travail collaboratif avaient permis de créer des outils pour l’élève autiste présent dans sa classe : « Ça nous a permis de créer un emploi du temps pour B. donc ça on l’a fait ensemble, on a mis en place un système avec des cartes…….. des émoticônes après on a mis en place tout ce qui est cahiers etc ». A.V évoque également d’autres outils tels que des photos des maîtresses ou encore la mise en place de règles partagées avec l’AVS. Lorsque l’on cherche à comprendre vraiment la nature du travail effectué entre l’enseignante et l’AVS, la réponse est claire : « Ça c’est C.S qui fait tout, on a lâché. C’est C.S qui s’occupe de tout ce qui est apprentissage. ». A.V explique qu’elle ne serait pas en mesure de suivre les réelles humeurs et évolutions de l’enfant et que par conséquent, les apprentissages et leurs conceptions sont en intégralité confiés à l’AVS qui « dépasse son rôle clairement, très clairement ». L’enseignante estime donc travailler à la fois en coopération et en collaboration puisque « Elle a sa partie, j’ai ma partie mais ça fonctionne ensemble, ça pourrait pas fonctionner l’un sans l’autre » et que les discussions, toujours informelles sont très fréquentes. Madame V. pense ne pas pouvoir faire autrement étant donné que l’élève BEP présente un grand écart par rapport aux besoins des élèves de CM1-CM2 de sa classe, elle se dit même « bloquée ».
Pour conclure sur cet entretien, il convient de rappeler que l’enseignante porte un regard très positif sur le travail en équipe qu’elle juge indispensable, notamment dans la scolarisation d’un élève handicapé. Toutefois, les manières d’organiser ce travail en équipe restent complexes notamment dans le rôle pédagogique de l’enseignant dans sa classe auprès de l’élève BEP et vis-à-vis de son A.
Diversité des partenaires et réussite des élèves
Concernant les partenaires avec qui les enseignantes travaillent dans le cadre de la scolarité d’élèves BEP, les trois quarts des personnes interrogées ont cité les professionnels du monde paramédical, spécialistes de la question des troubles des apprentissages : orthophonistes, ergothérapeutes, psychomotriciens… S.B. va plus loin dans cette démarche en évoquant tous les professionnels gravitant autour de l’élève. Trois des quatre personnes interrogées citent également les parents comme des partenaires privilégiés mais aussi l’équipe enseignante et plus spécifiquement les collègues faisant partie du même cycle ou du même niveau. Les AVS sont citées dans deux entretiens d’enseignantes, tout comme les éducateurs sportifs également citées à deux reprises. Enfin, une enseignante a évoqué un partenariat avec le SESSAD. Les partenaires de l’école tels qu’imaginés par les professionnels avec qui nous avons pu discuter ne sont pas semblables à ceux que nous avons évoqué dans la partie théorique. En effet, alors que nous évoquions des partenariats très spécifiques avec d’autres ministères ou des associations, les pratiques partenariales déclarées font davantage référence à des membres de la communauté éducative dont font partie les parents, AVS, collectivités territoriales au travers des éducateurs sportifs. Les partenaires évoqués font davantage référence à des personnes plutôt qu’à des organismes. Au sein de ces différents partenaires cités, nous avons ressenti une certaine hiérarchisation de ceux-ci. En effet, S.B. expliquait que les enseignants contactaient plus facilement les orthophonistes que les autres professionnels paramédicaux tandis qu’A.V. expliquait ne pas tout révéler aux parents lors des ESS et plutôt communiquer avec les autres partenaires en amont afin de se mettre d’accord sur ce qui va être dit.
Toutes les enseignantes interrogées ont expliqué que le travail collectif et plus spécifiquement la collaboration dans le cas de Madame B. a un impact positif sur les élèves.
Seul le discours de C.S. est différent, puisqu’elle explique que cela n’a pas forcément eu un grand impact sur les élèves, ce qui n’est toutefois pas le cas dans la collaboration qu’elle a menée pour son fils. Certaines enquêtées précisent leur pensée en indiquant que cela est positif pour l’élève mais également pour d’autres acteurs tels que l’ensemble de l’équipe éducative ainsi que pour l’AVS.
Outre la question du travail collectif de façon générale, nous avons évoqué la coopération et collaboration au regard des élèves BEP. A ce titre, deux enseignantes expliquent qu’elles jugent le travail collectif d’autant plus nécessaire pour les élèves dys (S.B.) ou pour les élèves en difficultés (A.V.) même si A.V. tend à nuancer son point de vue. V.D expose un regard différent en expliquant que le travail collectif qu’elle a surtout appréhendé au travers de la pratique du décloisonnement n’est pas toujours positif pour tous les élèves qui peuvent être perturbés par les changements de référents. Elle explique toutefois que la scolarité d’un élève handicapé est une « scolarité collaborative par excellence » tant chacune des personnes intervenant auprès de l’élève a son rôle à jouer.
Une volonté affirmée mais des freins nombreux
Lors des différents entretiens menés, la question des freins empêchant le travail en équipe est souvent intervenue dans les premières réponses. Malgré les freins qui ont été soulevés, l’attitude des protagonistes à l’égard de ceux-ci n’a pas du tout été la même. A.V., V.D. et C.S. ont bien conscience du temps que prend le travail collectif, tout en expliquant que cela leur a posé des difficultés au point d’en devenir insurmontable. C.S exprime d’ailleurs très clairement la différence qu’il existe selon elle entre les demandes institutionnelles et les réalités de terrain qui ne permettent pas de pouvoir travailler en équipe. Elles ont également exprimé des difficultés quant à la personnalité des partenaires tout en assurant qu’elles étaient quant à elles très aptes à travailler en équipe. Madame B. exprime un point de vue plus optimiste expliquant qu’elle a souvent pris sur son temps personnel pour mener à bien des projets et assure que la volonté induit la possibilité. De notre côté, le temps n’a pas forcément été un frein insurmontable dans la mesure où nous avons pu rencontrer régulièrement nos interlocuteurs qui étaient très disponibles. Les outils que nous avons mis au point ont été faits lors de séance d’APC soit sur le temps scolaire, comme la plupart des adaptations proposées.
Les freins se sont davantage apparentés à la méconnaissance des dys dans les premières semaines. En effet, nous en avions une connaissance plutôt générale, sans avoir observé cela réellement. Nous avons toutefois pu passer outre ces freins en menant notre recherche et en sollicitant des partenaires tels que S.B. Dans notre cas, nous n’aurions pu progresser sans un travail collectif. C’est d’ailleurs ce que S.B. évoque également quand elle explique que certains enseignants se trouvent démunis face aux aides qu’ils peuvent apporter à leur élève BEP, n’étant pas formé sur la question.
Au-delà de la question de la formation des enseignants, la question du diagnostic posé est également une difficulté pour l’enseignant lorsque celui-ci est en perpétuelle évolution. Dans cette optique, nous rejoignons Michel Habib qui explique que le diagnostic posé sur les dys peut être remis en question en fonction des spécialistes rencontrés. Cela a été le cas tout au long de l’année pour nous. D’abord diagnostiquée TDA/H, Juliette a ensuite été reconnue par certains scientifiques comme dyslexique d’où la nécessité d’un suivi orthophonique. Lors d’un dernier bilan à l’hôpital d’Evreux, le neuropsychologue a plutôt affirmé qu’il s’agirait également d’une dyspraxie nécessitant alors un suivi psychomoteur. Enfin, après une consultation chez une professionnelle de la remédiation cognitive, cette dernière évoquait plutôt une forme d’autisme asperger sans y voir de trouble de l’attention. Autant dire que nouer des relations pérennes avec des partenaires paramédicaux était assez complexe au vu du nombre de ceux ci et de leurs changements en fonction des diagnostics posés. Cela s’est révélé être un frein à une réelle pratique partenariale entre les différents acteurs.
De nombreuses réponses ont également soulevé des difficultés liées à la personnalité des partenaires rencontrés expliquant qu’il était plus facile de travailler avec des personnes avec qui des affinités étaient présentes. S.B. nous éclaircit ce point en expliquant que dans certaines écoles un climat de méfiance était présent entre les différents partenaires. Elle expliquait que chacun voulait garder le monopole de son travail ce qui freinait le travail en équipe. Elle considère ainsi que la reconnaissance des différents partenaires comme compétent dans leur champ d’action était indispensable afin d’assurer une bonne coopération ou collaboration. De notre point de vue mais également en accord avec les propos de S.B., des freins peuvent également apparaître, ou même des incompréhensions du fait que les différents partenaires n’aient pas une connaissance avérée du travail de chacun. En effet, au début de l’année et même encore aujourd’hui nous n’avons pas idée du travail effectué par l’orthophoniste ou du psychomoteur et nous ne pouvons donc pas nous investir dans une même démarche. C’est ce qu’expliquait S.B. lorsqu’elle évoquait la cohérence des aides.
La question des freins se place également au niveau des zones géographiques. En effet, même si Maurice Tardif explique que des lieux partagés ne peuvent être les seuls facteurs de travail en équipe cela a tout de même été un frein pour nous. Depuis la réforme des rythmes scolaires, toutes les salles de l’école sont prises pour les activités périscolaires. Lorsque nous souhaitions nous réunir nous n’avions que très peu d’endroits où aller ce qui a gêné notre collaboration à certains moments. D’ailleurs, le travail des enseignants entre eux s’est également trouvé freiné par cela puisque la salle des maîtres étaient également occupée pour la garderie du matin et du soir ainsi que pour les activités périscolaires. C.S. explique également que le travail collectif avec les enseignants est plus compliqué depuis qu’elle n’est plus à proximité géographique de l’établissement de son enfant.
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Table des matières
Introduction
I. Emergence de la réflexion et cadrage institutionnel
1. Des élèves à besoins éducatifs particuliers
2. Dispositifs institutionnels relatifs aux troubles des apprentissages
3. Dispositifs institutionnels relatifs au travail collectif
4. Questionnement et hypothèses
II. Troubles des apprentissages et travail collectif : perspectives théoriques
1. Emergence du concept d’élèves à besoins éducatifs particuliers
2. Les troubles des apprentissages : galaxie des dys
3. Le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité
4. Différentes modalités de travail collectif : collaboration, coopération et partenariats
III. Méthodologie de recherche utilisée
1. Choix de la méthode
2. L’approche par entretiens semi-directifs
2.1 Le guide d’entretien
2.2 Le choix du terrain
2.3 Description de l’échantillon
2.4 Passation de l’entretien
3. Approche par bilan réflexif
IV. Résultats et discussions
1. Résultats de l’entretien avec S.B
2. Résultats de l’entretien avec A.V
3. Résultats de l’entretien avec V.D
4. Résultats de l’entretien avec C.S
5. Bilan réflexif de pratique professionnelle
6. Discussions des résultats
6.1 Le travail collectif : une perception positive
6.2 Diversité des partenaires et réussite des élèves
6.3 Des pratiques déclarées aux réalités de terrain
6.4 Organisation des travaux collectifs et mise en perspective théorique
6.5 AVS et enseignantes : une situation partenariale complexe
6.6 Une volonté affirmée mais des freins nombreux
Conclusion
Lexique
Bibliographie
Sitographie
Table des annexes