Dispositifs de mesure et d’interprétation de l’activité d’un nerf

Organisation du système nerveux

   Le système nerveux est composé de deux sous-systèmes : le système nerveux périphérique (SNP) et le système nerveux central (SNC). Le système nerveux périphérique assure le transport de l’information entre les organes et le système nerveux central, et réciproquement. Le SNP est formé des ganglions et des nerfs périphériques qui innervent des organes cibles. Il comprend le système nerveux somatique et le système nerveux autonome. Le système nerveux somatique permet d’interagir avec le monde extérieur. Il régit les fonctions volontaires en véhiculant des informations motrices et sensorielles. Nous exposerons seulement les sens liés au toucher et à la proprioception, et nous écarterons ceux liés à des informations plus complexes qui dépassent nos préoccupations (audition, vision, goût…). Les informations sensorielles, dites afférentes, proviennent de la peau, des muscles ou des articulations et aboutissent dans la corne postérieure de la moelle épinière (figure 1.2). Les fibres afférentes du système nerveux somatique sont divisées en trois catégories : les fibres sensitives A alpha et bêta, qui véhiculent les informations de proprioception et du touché, les fibres sensitives A delta, qui propagent la sensation liée à la température, et les fibres sensitives C qui transmettent la douleur (tableau 1.1). Les informations motrices sont véhiculées par les fibres motrices, dites efférentes, qui débutent par un neurone moteur dans la corne antérieure de la moelle épinière et aboutissent généralement aux jonctions neuromusculaires de plusieurs fibres musculaires squelettiques. L’ensemble composé par le neurone moteur, l’axone (fibre motrice), les jonctions neuromusculaires et les fibres musculaires associées à ce neurone est appelé unité motrice. La majorité des fibres motrices peut être divisée en deux catégories : les fibres motrices alpha qui innervent les fibres musculaires extrafusales squelettiques et les fibres motrices gamma qui innervent les fibres des muscles fuseaux (tableau 1.1). En général les fibres du SNP somatiques sont munies d’une gaine isolante appelée gaine de myéline, on parle alors de fibres myélinisées.

Propagation de l’influx nerveux

   Un influx nerveux est initié par une variation du potentiel de membrane —différence de potentiel entre l’intérieur et l’extérieur de la membrane— d’un neurone. Cet influx, appelé potentiel d’action (PA), se propage ensuite le long de l’axone par une modification du potentiel de membrane. Un exemple de potentiel d’action est présenté figure 1.5(a), tel que décrit par A. L. Hodgkin et A. F. Huxley en 1952 [HH52]. Sur cette figure, le potentiel de membrane est référencé par rapport à son potentiel de repos (Vrest de −70mV). Au moment de la propagation d’un potentiel d’action, cette différence de potentiel va augmenter localement jusqu’à une amplitude maximale, puis diminuer jusqu’à sa valeur de repos. Un potentiel d’action est créé par des modifications de la perméabilité membranaire aux ions sodium (Na+) et potassium (K+), celles-ci sont représentées par des variations de conductance (respectivement gN a et gK ) figure 1.5(a). Ces modifications, qui sont dues aux ouvertures et fermetures successives des canaux ioniques (Na+ et K+), créent des flux d’ions, ou courants ioniques. En pratique, les ions Na+ entrent dans la membrane et les ions K+ sortent de la membrane. Une illustration de ces flux d’ions est donnée figure 1.5(b). Les densités de courant (JN a et JK ), exprimées en µA/mm2 , créés par les flux d’ions sont représentées en traits pleins et la différence entre ces deux densités de courants est représentée en pointillés. Pour un axone myélinisé, ces courants ioniques n’apparaissent qu’aux NDR.

Tension extra-cellulaire

   Les caractéristiques des tensions extracellulaires permettent le dimensionnement de l’interface de mesure. Elles nous serviront donc tout naturellement de socle pour le développement de nos travaux. Les premières caractéristiques à définir sont l’amplitude du potentiel extracellulaire en fonction de la distance entre la fibre nerveuse et le site de mesure ainsi que son évolution le long d’un nerf. Le comportement des tensions extracellulaires a été modélisé dans différents travaux, comme ceux de J. Clark et de J. J. Struijk [CP68,Str97]. La méthode utilisée pour le calcul de tensions extracellulaires repose généralement sur une modélisation d’un axone permettant d’estimer les courants transmembranaires au niveau des NDR [HH52,Chi+79,Mei+92,MRB98,PoD00,AAS08]. Le détail sur la complexité des modèles et leur cohérence par rapport à la réalité seront abordés dans le chapitre suivant, mais il est intéressant d’analyser déjà rapidement les résultats obtenus dans la littérature. L’étude de N. Ganapathy et J. Clark [GC87] modélise la tension extracellulaire produite dans le nerf par un axone myélinisé actif. L’axone est représenté par un volume conducteur cylindrique, étant lui-même à l’intérieur d’un autre volume cylindrique de conductivité différente représentant le nerf (figure 1.7). Les calculs associés sont alors décomposés en deux étapes : l’estimation de la tension de membrane et l’évaluation de la fonction de transfert liant la tension de surface et le potentiel extracellulaire à une distance ρ donnée. La figure 1.7 illustre ces deux étapes de calcul. Il est intéressant de noter que la diminution d’amplitude du signal mesuré dépend de la distance de la mesure mais aussi de volumes de conduction autour de l’axone [GC87]. la position longitudinale de la mesure. Ce deuxième effet de modulation longitudinale du potentiel extracellulaire est d’autant plus important que l’on est proche de l’axone. Il est dû à la présence ou non de NDR à proximité. Cet effet de modulation est illustré figure 1.8 en fonction du temps pour différentes positions du site de mesure en surface, le long de l’axone. On peut observer que la tension extracellulaire est de l’ordre du µV face à un NDR mais atténuée d’un facteur dix pour un site de mesure éloigné d’un NDR. Il faut donc bien prendre en compte cette position longitudinale du site de mesure pour représenter l’évolution de  la tension extracellulaire en fonction de la distance. J. J. Strjuik [Str97] présente quant à lui l’évolution (cf. figure 1.9), de l’amplitude pic-pic de la tension extracellulaire d’un axone myélinisé en fonction de la distance radiale dans le cas le plus favorable : face à un NDR. Cette figure illustre que, pour des distances d’environ 100µm, la tension pouvant être mesurée est de l’ordre du µV, alors que pour des distances de 1mm cette tension s’écroule aux alentours d’un dixième de µV. Pour les distances inférieures à 100µm l’atténuation est de l’ordre de −20dB/dec (décades spatiales) mais elle augmente grandement en s’éloignant du nerf.

L’information neurale

   La propagation d’un PA et la tension extracellulaire produite par cette propagation ont été illustrées aux sections 1.1.2 et 1.1.3. Il faut comprendre que le PA n’est que le support de transmission de l’information neurale. Cette dernière est codée par la fréquence d’impulsions (ou fréquence de décharge), pouvant être exprimée en nombre de PA par seconde. À un deuxième niveau, l’information neurale est codée par le nombre de fibres recrutées. La forme et l’amplitude des potentiels d’action recueillis ne véhiculent aucune information neurale mais uniquement une information sur la distance entre les électrodes de mesure et le groupe de fibres actives. Dans un même nerf, plusieurs types d’information transitent. Le nerf véhicule les signaux neuronaux efférents, allant du SNC au SNP, qui régissent et contrôlent les fonctions naturelles de l’organisme par le biais du recrutement musculaire. Mais le nerf véhicule aussi les informations provenant des capteurs naturels (mécanorécepteurs, proprioceptifs, etc.) et transitant vers le SNC par l’activation des fibres nerveuses afférentes. Généralement, le recrutement musculaire et l’activation des fibres sensorielles ne sont pas codés de la même manière. Dans le cas des fibres motrices ou efférentes, les travaux de [AB29] et de [Sey40] avaient montré que le nombre d’unités motrices actives ainsi que leurs fréquences de décharges varient en même temps que la force produite par le muscle. Des expérimentations plus récentes illustrent clairement ce principe [MHF08,DH10]. Dans l’expérimentation de [MHF08], l’activité des unités motrices est mesurée en surface de la peau par une matrice d’électrodes de recueil d’électromyogramme (EMG). Cette matrice d’électrodes mesure les potentiels d’action se propageant sur les fibres musculaires. La figure 1.10(a) représente l’activité de 20 unités motrices, avec leur fréquence de décharge représentée en fonction du temps. La force produite par le muscle est superposée à cette représentation. Cette figure illustre bien que le nombre de fibres actives varie en même temps que la force produite par le muscle. La figure 1.10(b) qui présente la vue détaillée des unités motrices 15 et 16, montre que la fréquence de décharge de ces fibres varie de la même manière que la force produite par le muscle. Dans le cas des fibres sensorielles ou afférentes, le codage de l’information dépend de l’organe qui génère cette information et du type d’information à véhiculer. Les fibres transportant les informations sont les fibres Ia Ib pour la proprioception et les fibres II pour la force musculaire (tableau 1.1). Ce comportement est schématisé figure 1.11 lorsque le muscle s’étire, et figure 1.12 lors d’une contraction musculaire.

Électrode intrafasciculaire

   Les électrodes intrafasciculaires ont été conçues pour avoir une sélectivité supérieure aux électrodes extra-neurales. Elles sont placées à l’intérieur du nerf, au plus proche des tissus cibles (figure 1.17). Elles offrent en effet une bonne sélectivité de mesure [GH92,MH94,YS99]). En outre, elles permettent d’augmenter l’amplitude des signaux mesurés (de l’ordre de la centaine de microvolt [YH96]) et offrent ainsi un meilleur SNR. Pour illustrer la sélectivité particulière de ce type d’électrode, un exemple de signal mesuré est donné figure 1.18 [Dji08]. Sur cette figure, on peut remarquer que même l’activité de fibres unitaires peut être perçue (présence de spikes cadencés en début et fin du signal). Ainsi de nombreux travaux [YH96,Dji+09,Dji08] ont pu extraire la fréquence de décharge de fibres nerveuses. Cependant, la haute sélectivité de ces électrodes de mesure implique que leur sensibilité se limite au fascicule où elles sont implantées. Les informations transitant sur les autres fascicules sont difficilement perceptibles. Néanmoins, des TLIFE (Transverses LIFE) ont été proposées [Bor+10] pour être implantée perpendiculairement au nerf, augmentant ainsi la possibilité de placer des pôles de mesure dans plusieurs fascicules. Mais cette électrode est seulement en phase de validation [Bad+11].

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Table des matières

Remerciements
Abréviations
Introduction
1 État de l’art 
1.1 Caractéristiques physiologiques du système nerveux humain
1.1.1 Organisation du système nerveux
1.1.2 Propagation de l’influx nerveux
1.1.3 Tension extra-cellulaire
1.1.4 L’information neurale
1.2 L’interface : l’électrode 
1.2.1 Introduction
1.2.2 Électrodes extra-neurales
1.2.3 Électrodes intra-neurales
1.2.4 Bilan
1.3 Extraction d’information 
1.3.1 Extraction de la fréquence de décharge
1.3.2 Extraction d’enveloppe
1.4 Amélioration de la sélectivité des recueils ENG 
1.4.1 Sélectivité aux fibres unitaires
1.4.2 Sélectivité ENG – EMG
1.4.3 Sélectivité au type d’information
1.4.4 Sélectivité par type de fibres nerveuses
1.4.5 Sélectivité spatiale
1.5 Problématique et choix de l’approche
2 Modélisation d’un nerf 
2.1 Modélisation des courants de membrane d’un axone 
2.1.1 Modèle électrique d’un axone
2.1.2 Caractérisation des courants nodaux : cas d’une fibre type
2.1.3 Caractérisation des courants nodaux : généralisation
2.2 Calcul du potentiel à la surface du nerf 
2.2.1 Introduction
2.2.2 Fonction de transfert du milieu
2.2.3 Potentiel extra-cellulaire
2.3 Potentiel extra-cellulaire engendré par un axone 
2.3.1 Propriétés spatiales des potentiels créés
2.3.2 Propriétés spatio-fréquentielles des potentiels créés
2.3.3 Généralisation
2.4 Potentiel extra-cellulaire engendré par un fascicule 
2.4.1 Introduction
2.4.2 Construction d’un modèle de nerf et de ses fascicules
2.4.3 PA extra-cellulaire d’un fascicule dans l’espace
2.5 Conclusion
3 Électrode et traitement du signal 
3.1 Introduction
3.2 L’électrode tripolaire
3.2.1 Structure et fonctionnement
3.2.2 Analyse du traitement tripolaire
3.2.3 Dimensionnement classique
3.3 Amélioration de la sélectivité 
3.3.1 Le phénomène local dans le PA monopolaire
3.3.2 Quantification des variations locales de potentiel
3.3.3 Dimensionnement d’un tripole adapté
3.4 Évaluation du signal en sortie d’un petit tripôle 
3.4.1 Méthode de calcul
3.4.2 Signaux temporels
3.4.3 Sensibilité d’un petit tripôle en fonction de la distance
3.5 Étude de la sélectivité
3.5.1 Électrode FINE
3.5.2 Électrode FORTE
3.5.3 Comparaison des deux électrodes
3.5.4 Indice de sélectivité
3.5.5 Évaluation de la sélectivité
3.6 Conclusion 
4 Faisabilité de la chaîne d’acquisition 
4.1 Introduction
4.2 Approche théorique 
4.2.1 Modélisation de l’interface
4.2.2 Théorie du bruit
4.2.3 Cas de l’acquisition d’ENG tripolaire
4.3 Électrode
4.3.1 État de l’art
4.3.2 Possibilités en termes d’électrode
4.4 Électronique
4.4.1 État de l’art
4.4.2 Développement de l’électronique
4.5 Conclusion
5 Validation expérimentale 
5.1 Justification
5.1.1 Expérimentation naturelle in vitro
5.1.2 Axone artificiel
5.1.3 Objectifs de l’expérimentation
5.2 Plateforme experimentale
5.2.1 Matériel
5.2.2 Méthode
5.3 Résultats
5.3.1 PA spatial
5.3.2 Sensibilité monopolaire et tripolaire
5.4 Discussion
Conclusion

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