LES ORIGINES DE L’ENGAZEMENT DU SODIUM
Les différentes sources d’engazement identifiées par le CEA sont détaillées dans cette section. Celles ci se séparent en trois catégories. Il s’agit en premier lieu des phénomènes conjoints de dissolution et de nucléation ; viennent ensuite les phénomènes d’entrainement ; et enfin toutes les autres sources potentielles.
Afin de comprendre l’origine de l’engazement du circuit primaire, il est nécessaire de se familiariser avec le fonctionnement dudit circuit primaire. Celui-ci est constitué de 2 grandes zones : le collecteur chaud et le collecteur froid (Figure 1). Le collecteur chaud recueille le sodium réchauffé à env iron 550°C par le cœur, sodium qui libère ensuite son énergie thermique dans les échangeurs in termédiaires avant de retourner dans le collecteur froid à une température d’environ 400°C. De là les pompes primaires l’injectent de nouveau dans le cœur pour démarrer un nouveau cycle. Afin de permettre la dilatation du sodium en surface, le circuit primaire est recouvert d’un gaz de couverture : de l’argon.
La dissolution – nucléation
Il existe entre le collecteur chaud et froid un fort gradient thermique. Du fait de la présence d’argon en gaz de couverture, celui-ci va se dissoudre dans le sodium du collecteur chaud jusqu’à une concentration d’équilibre ? ? donnée par la loi de Henry.
Les effets d’entraînement
L’autre grande source d’engagement du circuit primaire est constituée par l’ensemble des phénomènes d’entrainement. Ceux-ci consistent en l’entrainement de gaz par le sodium lorsque celui-ci est en mouvement. Cependant, au contraire de la dissolution/nucléation, un design adapté des circuits permet de limiter leur apparition.
Entrainement par le déversoir
Sur certains réacteurs, un déversoir est présent afin de permettre au sodium dérivé pour refroidir la cuve principale de retourner dans le collecteur froid (Figure 2). En cas d’un déversoir non noyé, comme pour Superphénix, cela crée une cascade de sodium qui peut entrainer du gaz. Et dans le cas où les forces d’Archimède ne seraient pas suffisantes pour permettre au gaz de remonter à la surface, des bulles peuvent apparaitre au sein du sodium du collecteur froid, bulles qui peuvent aussi agir en tant que germes de nucléation.
LES CONSEQUENCES DE CET ENGAZEMENT
Bien que la présence de cet engagement fût connue, les taux de vides pouvant impacter de façon critique les échanges thermiques et le bon fonctionnement neutronique du réacteur (quelques %) ne pouvant pas être atteint de façon normale, il fut choisi de ne pas instrumenter Phénix et Superphénix afin de surveiller cet engagement.
Cependant, si ces bulles n’impactent pas les échanges thermiques et neutroniques au sein du cœur et des échangeurs, d’autres conséquences de cet engagement sont à prendre en compte.
La modification des propriétés acoustiques du sodium
Du fait de l’opacité du sodium, les méthodes de contrôle – qu’elles soient effectuées en continu ou lors de contrôles périodiques – sont principalement acoustiques. Par exemple, sur Phénix se trouvait le dispositif VISUS (pour VISualisation par UltraSons en sodium) qui perm ettait de détecter d’éventuels obstacles dans le sodium au-dessus du cœur.
Or la présence de bulles dans un liquide impacte grandement les propriétés acoustiques de ce derniercomme le chapitre 2 l’explicitera. Des taux de vides aussi faibles que 10 −5 impliquent une diminution de la célérité du son de 2315 ?. ? −1 à 1925 ?. ? −1 , soit une réduction de 386 ?. ? −1 aux basses fréquences.
Si les caractéristiques de l’engazement sont inconnues, il est notamment impossible de garantir la fiabilité des mesures US par temps de vol. De plus, la présence de bulles s’accompagne d’une forte atténuation, particulièrement importante autour des fréquences de résonances des bulles. Il est donc possible qu’au-delà de quelques centimètres de propagation, le signal soit complètement atténué par l’engazement du sodium. Pour reprendre le cas de VISUS, lorsque les 4 pompes fonctionnaient simultanément, il devenait impossible de détecter le moindre signal. 2 pompes devaient alors être arrêtées afin de diminuer cet engazement [6].
La thèse de Paumel [7] a aussi montré que des poches de gaz se formant aux interfaces composites solide-liquide-gaz étaient responsables des mauvaises transmissions acoustiques.
La génération de poches de gaz
Les valeurs moyennes du taux de vide au sein du circuit primaire sont trop faibles pour impacter les échanges thermiques et neutroniques au sein du cœur. Cependant, il est possible que localement des bulles de gaz coalescent et génèrent des poches de gaz qui, si elles sont relâchées dans le cœur, peuvent dégrader son fonctionnement nominal.
Cette situation peut apparaitre dans certaines configurations géométriques, d’écoulement et de tailles des bulles.
Les conséquences de cet engazement
Contrairement à un engagement constitué de petites bulles, le passage de larges poches de gaz dans le cœur peut être problématique. La connaissance des caractéristiques de l’engagement continu constitue une donnée d’entrée dans la modélisation de ces phénomènes d’accumulation/relargage.
La perturbation des mesures de l’activité du ciel de pile
Afin de détecter l’émission de gaz de fission consécutif à une rupture de gaine, le ciel de pile est instrumenté. Cependant, la présence de l’engazement continu peut venir perturber les mesures. En effet, comme présenté au paragraphe 1.2.3.1, une partie de l’engazement est dû à des réactions neutroniques. Or le relargage de ce gaz dans le ciel de piles peut venir aveugler ces capteurs. Par exemple, le taux de vide menant à l’aveuglement des chambres d’ionisations a été estimé à 10 −2 dans le cadre du projet RNR 1500 [8].
Perturbation des réactimètres
La présence de bulles de gaz dans le cœur implique un vide partiel qui se traduit par une réactivité positive pendant le passage des bulles. L’engazement continu aura pour effet de fausser les bilans de réactivité. Des fluctuations de cette présence de gaz entraineront une fluctuation de réactivité qui aura un effet sur les réactimètres. Or des seuils d’arrêt d’urgence sont définis sur les signaux issus de ces instruments. Afin de ne pas déclencher d’arrêt d’urgence intempestif, il est donc important de contrôler que la présence de gaz ne présente pas de taux de vide provoquant une variation de réactivité correspondant au seuil d’arrêt d’urgence. Pour le réacteur RNR 1500 – resté au stade du projet – la variation de réactivité induite par la présence de gaz avait été évaluée à 2 pcm par 10 −3 d’argon en volume. Le seuil de taux de vide à ne pas dépasser avait été évalué à un taux de vide moyen de 4.10 −3 avec des fluctuations maximales de 10 −3 [8].
Une conséquence positive : la prévention de l’ébullition explosive
Si lors de son passage dans le cœur le sodium surchauffe, il est possible qu’il atteigne un état métastable, c’est-à-dire qu’il reste liquide alors que sa température est supérieure à sa température d’ébullition théorique. Cette situation est problématique car elle peut mener au phénomène d’ébullition explosive : un brusque passage en phase vapeur.
Les bulles présentes dans le circuit agissent cependant comme sites de nucléation, ce qui prévient l’apparition de l’ébullition explosive dans un RNR [9].
Influence sur les phénomènes de cavitation
De la même manière que les bulles agissent comme sites de nucléation dans le cas de l’ébullition, elles ont un fort impact sur les phénomènes de cavitation. Cette présence de germes permet par exemple d’éviter les retards à la cavitation et dans certains cas d’avancer l’apparition de la cavitation. Les conséquences de la cavitation, essentiellement l’érosion due à l’implosion des bulles, sont al ors nettement réduites, car l’onde de choc est diminuée par l’existence d’un volume non nul en fin d’implosion et par le comportement « amortisseur » des bulles lors de la propagation de ces ondes dechoc. L’étude fine – théorique et/ou expérimentale – des phénomènes de cavitation nécessite dès lorsdes connaissances sur le nombre et la taille de ces germes.
La présence de bulles dans le circuit primaire présente donc des enjeux bien plus conséquents que les échanges thermiques et neutroniques. Il a été montré ici que la connaissance fine de cet engazement est nécessaire pour la quantification précise de son influence sur le fonctionnement du RNR-Na.
EQUILIBRE LIQUIDE/GAZ ET PHYSIQUE DES BULLES
Dans ce paragraphe est détaillée la physique de base expliquant la formation et l’évolution des bulles dans le circuit primaire du réacteur. Selon Rahmani [10] environ 80% de l’engazement du sodium primaire provient de la dissolution puis nucléation de l’argon. C’est donc ce processus qui sera étudié en premier.
Saturation
A l’interface entre un gaz et un liquide, il s’installe un équilibre entre la pression partielle en gaz libre de la phase gazeuse et la tension en gaz dissous dans le liquide. La pression partielle d’un gaz correspond à la pression qu’il aurait s’il était le seul à occuper le volume donné, tandis que la tension d’un gaz correspond à la quantité de gaz dissous à l’équilibre dans le liquide pour une pression partielle donnée. Si la tension en gaz est inférieure à la pression partielle, il y a alors sous-saturation ; lorsque ces valeurs sont égales, nous sommes à l’équilibre. Et lorsque la pression partielle est inférieure à la tension en gaz, il y a sursaturation. Ce cas est possible lors de l’absence de sites de nucléation qui peut conduire à l’apparition d’un état métastable.
Dans le cas d’un équilibre liquide-vapeur, on parle plutôt de pression de vapeur saturante et de tension de vapeur.
A saturation, le sodium du collecteur chaud est capable de dissoudre 10 fois plus d’argon que dans le collecteur froid. En considérant un équilibre de saturation dans le collecteur chaud, le changement de température dû au passage dans les échangeurs induit une sursaturation en argon du sodium du collecteur froid, sursaturation qui conduit à la nucléation de bulles d’argon.
Tension superficielle et géométrie des bulles
A l’interface entre une phase gazeuse et une phase liquide (ou entre 2 phases liquides) existe une tension de surface quantifiée par le coefficient de tension superficiel le ?. Au sein d’un fluide, les forces de cohésion entre les molécules s’équilibrent. Cependant, à l’interface, ces forces donnent une résultante dirigée vers l’intérieur du fluide et la surface se comporte comme si elle était soumise à une pression extérieure. La tension superficielle est définie par l’énergie mécanique nécessaire pouraccroître la surface de l’interface d’une unité.
Une requête de l’autorité de sûreté nucléaire
Durant l’exploitation de Superphénix, l’autorité de sureté nucléaire (ASN) a demandé à l’exploitant de ce réacteur « d’examiner (…) la possibilité d’apprécier de façon plus précise (…) la valeur du taux d’engagement, soit en améliorant les méthodes de mesures déjà utilisées, soit en définissant d’autres méthodes de mesures ». En effet, entre 1989 et 1990, plusieurs Arrêt d’Urgence pour Réactivité Négative (AURN) eurent lieu à Phénix. Le passage d’une large poche de gaz dans le cœur fut l’une des pistes étudiées pour expliquer ces arrêts. Phénix étant alors à l’arrêt, des essais préliminaires par mesure de la décroissance d’activité de l’argon 41 en ciel de couverture suite à un arrêt rapide furent alors menés sur Superphénix. Cependant, l’arrêt de ce réacteur en 1998 empêcha la mise en œuvre d’autres méthodes. La requête de l’ASN est donc à ce jour resté sans réponse définitive.
Bien qu’une telle demande n’ait à ce jour pas été expressément posée pour ASTRID, il semble quand même difficile de ne pas progresser sur la question alors que la génération IV impose une suretéaccrue.
Détection des incidents
L’apparition d’incidents sources d’engazement se traduirait par la modification des caractéristiques de l’engagement normal du réacteur. La caractérisation en continu de l’engagement permettrait alors de détecter et quantifier de tels incidents.
De plus, les méthodes acoustiques développées dans cette thèse sont facilement transposables aux canalisations des circuits secondaires et tertiaires du réacteur. La détection de la présence de gaz dans ces circuits, normalement exempts de bulles, permettrait la détection de fuites au niveau des échangeurs sodium (générateurs de vapeurs ou échangeur sodium-gaz) ou ailleurs dans le circuit.
Réacteurs étrangers
Rapsodie, Phénix et Superphénix ne sont évidemment pas les seuls RNR-Na à avoir été construits dans le monde. De nombreux pays comme la Russie, les Etats -Unis, le Japon, l’Inde et d’autres ont construit ou ont en projet des réacteurs rapides à caloporteur sodium. Cependant, à notre connaissance, l’engagement n’a pas été spécifiquement étudié dans ces pays. Il n’existe donc pas de retour d’expérience étranger. Le seul réacteur ayant eu des études sur l’engagement est l’European Fast Reactor (EFR). Pour ce réacteur, resté au stade du projet, la problématique de la présence de gaz libre au sein du sodium liquide primaire a été clairement prise en compte. L’approche consistait à chercher à diminuer voire supprimer les sources d’engagement – en particulier les sources d’entrainement – identifiées. Ainsi, le taux d’engagement continu, pour EFR, aurait vraisemblablement était plus faible que celui des réacteurs comme Phénix ou Superphénix.
DISPOSITIF DE GENERATION DE MICROBULLES EN EAU ET DE MESURES ACOUSTIQUES ET OPTIQUES
Afin de tester les différentes méthodes de caractérisations présentées dans ce manuscrit, le CEA s’est doté d’un banc de génération de microbulles d’air en eau. En effet, la manipulation de sodium liquide est complexe du fait de sa forte réactivité avec l’air et l’eau ainsi que des températures mises enjeu.
Les essais réalisés ont donc tous été effectués avec des nuages de bulles d’air dans de l’eau car les propriétés acoustiques du couple sodium/argon sont semblables à celles du couple eau/air. A la sortie du cœur du réacteur, il règne une température d’environ 500°C et une pression d’environ 1 bar. La possibilité de la transposition des essais en eau repose principalement sur 2 points : les impédances acoustiques des milieux considérés et les fréquences de résonance en jeu. Comme le montre le
Tableau 1, les propriétés régissant le comportement acoustique du couple eau/air à 20°C sous 1 atm et celles du couple sodium/argon à 550°C sont comparables. L’atténuation acoustique dans le sodiumliquide est par ailleurs plus faible que celle rencontrée dans l’eau.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RESUME – ABSTRACT
NOTATIONS
ABREVIATIONS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLEMATIQUE INDUSTRIELLE
1.1 Les réacteurs nucléaires de 4ème génération refroidis au sodium
1.2 Les origines de l’engazement du sodium
1.2.1 La dissolution – nucléation
1.2.2 Les effets d’entraînement
1.2.3 Autres sources d’engazement
1.3 Les conséquences de cet engazement
1.3.1 La modification des propriétés acoustiques du sodium
1.3.2 La génération de poches de gaz
1.3.3 La perturbation des mesures de l’activité du ciel de pile
1.3.4 Perturbation des réactimètres
1.3.5 Une conséquence positive : la prévention de l’ébullition explosive
1.3.6 Influence sur les phénomènes de cavitation
1.4 Equilibre liquide/gaz et physique des bulles
1.4.1 Saturation
1.4.2 Tension superficielle et géométrie des bulles
1.4.3 Nucléation de bulles
1.4.4 Coalescence et fractionnement
1.5 Les enjeux de la caractérisation de l’engazement du sodium
1.5.1 La validation de codes de calcul du comportement des bulles en réacteurs
1.5.2 Une requête de l’autorité de sûreté nucléaire
1.5.3 Détection des incidents
1.6 Retour d’expériences
1.6.1 Rapsodie
1.6.2 Phénix
1.6.3 Superphénix
1.6.4 Réacteurs étrangers
1.7 Dispositif de génération de microbulles en eau et de mesures acoustiques et optiques
1.7.1 Génération de microbulles
1.7.2 Chaine acoustique
1.7.3 Mesures de référence par contrôle optique
1.7.4 Conclusion
1.8 Conclusion du premier chapitre
CHAPITRE 2 ACOUSTIQUE DES BULLES
2.1 Dynamique des bulles
2.1.1 Dynamique non linéaire des bulles
2.1.2 Linéarisation
2.1.3 Conclusion sur la dynamique des bulles
2.2 Acoustique linéaire des milieux bulleux
2.2.1 Modèle de Wood
2.2.2 Section efficace acoustique
2.2.3 Atténuation et célérité
2.2.4 Conclusion sur l’acoustique linéaire des milieux bulleux
2.3 Acoustique non linéaire
2.3.1 Introduction à l’acoustique non linéaire
2.3.2 Non linéarité des milieux bulleux
2.3.3 Conclusion de l’acoustique non linéaire des milieux bulleux
2.4 Conclusion du deuxième chapitre
CHAPITRE 3 INVERSION DE MESURES D’ATTENUATION ET DE CELERITE
3.1 Etat de l’art
3.1.1 Méthode Analytique
3.1.2 Méthode Numérique
3.1.3 Autres méthodes
3.1.4 Conclusion sur l’état de l’art
3.2 Caractérisation de milieu diphasique par résolution de l’équation du nombre d’onde équivalent
3.2.1 Equation de Fredholm du premier type et régularisation de Tikhonov
3.2.2 Application à des liquides bulleux : théorie et simulation
3.2.3 Application aux milieux bulleux : expérimentations
3.2.4 Conclusion sur la caractérisation via régularisation de Tikhonov
3.3 Ajustement de données
3.3.1 Principe
3.3.2 Applications
3.3.3 Conclusion sur la caractérisation via ajustement de données
3.4 Applicabilité industrielle : Mesures avec des TUSHT
3.4.1 Le TUSHT
3.4.2 Résultats
3.4.3 Conclusion sur la caractérisation de nuages via l’utilisation de TUSHT
3.5 Conclusion du troisième chapitre
CHAPITRE 4 MESURES DU COEFFICIENT DE NON LINEARITE
4.1 Introduction
4.2 Méthodes non linéaires de caractérisation de milieux diphasiques
4.2.1 Recherche du second harmonique
4.2.2 Mixage de fréquences
4.2.3 Dérivations de la méthode de spectroscopie acoustique linéaire
4.2.4 Conclusion des méthodes de caractérisation non linéaires
4.3 Inversion de mesures spectrales du coefficient de non linéarité
4.4 Conclusion du quatrième chapitre
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
REFERENCES