Direction active du travail dans la population à bas risque

La Maïeutique, art de faire accoucher les esprits, initiée par Socrate, tire son nom du personnage de la mythologie grecque Maïa, déesse de la croissance et de la fertilité. Le philosophe, lui-même fils d’une sage-femme, donne une définition de cette notion : « Mon art de Maïeutique a les mêmes attributions générales que celui des Sages-Femmes. La différence est qu’il délivre les hommes et non les femmes et que c’est les âmes qu’il surveille en leur travail d’enfantement, non point les corps » [1]. Les pratiques concernant la prise en charge du travail obstétrical physiologique représentent le socle de base de la Maïeutique et sont donc au cœur du métier de Sage-Femme. Dans les années 60, l’Ecole de Dublin a défini des principes de direction du travail. Au fil des années, ces principes ont eu tendance à être systématisés et ce phénomène est en grande partie responsable de l’hyper médicalisation du travail et de l’accouchement.

Le travail obstétrical physiologique

Données classiques : Travaux de Friedman

En 1955, Friedman donne une première définition du travail physiologique. Pour cela, il sépare le travail en trois phases distinctes.
La première phase inclut la période allant du diagnostic du début de travail à la dilatation complète du col utérin. Cette première phase est elle-même divisée en deux. La phase de latence correspond à l’effacement et à la dilatation du col jusqu’à 3-4 cm. Puis, vient la phase active correspondant à l’accélération de la dilatation jusqu’à dilatation complète (soit de 4 à 10 cm de dilatation).
La deuxième phase comprend la période allant de la dilatation complète à la naissance de l’enfant. Elle est marquée par une phase passive correspondant à l’engagement ainsi qu’à la descente de la présentation. Puis, par une phase active correspondant aux efforts expulsifs et à l’expulsion de l’enfant.
La troisième phase correspond à la délivrance. Partant de cette définition, Friedman donne ensuite une durée de chacune de ces phases avec une valeur moyenne et une valeur maximale.

Données plus récentes : Travaux de Zhang J et al. [4], Laughton [5] et Neal

Afin de donner une nouvelle définition du travail physiologique, Zhang [4] a réalisé, en 2010, une étude sur la vitesse de la dilatation cervicale et de la durée du travail spontané dans une cohorte multicentrique. Dans cette étude, n’ont été incluses que les femmes ayant un travail spontané, accouchant par voie basse d’un singleton en présentation céphalique et bien portant à la naissance. Il s’agit donc d’une étude sur la population dite à « bas risque ». Les résultats ont d’abord montré que la phase de latence avait tendance à être prolongée jusqu’à 6 cm de dilatation et non plus 4 cm comme l’avait décrit Friedman [2]. De plus, il a été remarqué que la durée de la phase de latence avait tendance à être comparable chez la primipare et la multipare. Les autres résultats montrent que les nullipares ont une dilatation moyenne de 1,3 h entre 4 et 5 cm de dilatation (95e p = 6,4 h) et de 0,8 h en moyenne de 5 à 6 cm (95e p = 3,2 h). Les multipares ont un travail plus rapide après 6 cm de dilatation, ce constat semble corroborer le fait que la phase active débute à 6 cm. Cette étude a permis de définir une autre vitesse de dilatation minimale en phase active :
– 0,5-0,47 cm/h chez la primipare
– 0,5-1,3 cm/h chez la multipare

On remarque que ces valeurs sont nettement inférieures aux valeurs définies par Friedman (1,2 cm/h et 1,5 cm/h) et qu’il y a donc une réelle conséquence sur la définition de la stagnation et de sa correction. Tous ces résultats ont permis de redéfinir la notion de travail dystocique. Certaines études [5,6] ont cherché à évaluer les conséquences de l’augmentation de la durée du travail sur les caractéristiques maternelles et néonatales ainsi que sur d’autres facteurs comme l’augmentation du recours à l’analgésie péridurale. Pour cela, deux cohortes [5] ont permis de comparer la durée du travail : une dans les années 1960 et l’autre dans les années 2000. Il s’agissait de femmes américaines en travail spontané accouchant d’un singleton en présentation céphalique (population à bas risque).

Cela a comme principale conséquence de faire évoluer la définition du travail dystocique de Friedman, à savoir une dilatation < 1 cm/h en présence de contractions utérines adéquates. En 2010, une revue de la littérature [6] a été menée sur l’évaluation de la durée et de la vitesse de dilatation en phase active chez les nullipares à bas risque, en travail spontané et à terme. Les résultats ont montré qu’en moyenne la phase active dure 6 heures avec une vitesse de dilatation de 1.2cm/h :
– 30 % des femmes ont eu une vitesse de dilatation < 1cm/h et
– 10 % < 0.5cm/h.

La conclusion de l’étude est qu’une vitesse de dilatation < 0.5 cm/h peut être tolérée et ne nécessite pas systématiquement d’intervention.

Direction active du travail

Principes généraux : Ecole de Dublin 

A la fin des années 1960, l’équipe du National Maternity Hospital de Dublin avec O’Driscoll et Meagher [7] a introduit la direction active du travail (Active management of labor : AML). Ces pratiques de l’École de Dublin [7], dont le but était donc de limiter le travail prolongé, reposaient alors sur trois grands principes :
– Un diagnostic de certitude de travail
– Une correction précoce d’une anomalie de la dilatation (définie comme < 1cm/h) par rupture artificielle de la poche des eaux et perfusion d’oxytocine si nécessaire
– Un soutien de la parturiente par la Sage-Femme en « one to one » ou un proche tout au long du travail .

Deux études [8,9] se sont intéressées aux grands principes de l’école de Dublin en faisant une comparaison avant et après leurs mises en place. La première [8] inclut 1000 nullipares en travail spontané, parmi lesquelles 3 % ont eu une césarienne. Parmi les femmes ayant accouché par voie basse :
– 9% ont une RAPDE,
– 9% ont eu une RAPDE associée à une perfusion d’oxytocines
– 9% ont de l’oxytocine seule.

Le taux global d’utilisation du Syntocinon® en cas de travail spontané était de 18 %, le taux de césariennes de 4% et le taux d’extractions instrumentales 30.3 vs 18.9 %. La deuxième étude [9] inclut 552 nullipares, le taux de césariennes était de 13 vs 4% et le taux d’extractions instrumentales de 39 vs 19.4 %. Ces deux études montrent une réduction significative du taux de césariennes et du taux d’extractions instrumentales après la mise en place des principes de l’Ecole de Dublin.

Mais ces premiers résultats n’ont pas été confirmés par les méta analyses qui ont suivi. En effet, en 1999, Impey [10] a évalué la pratique de direction active du travail d’O’Driscoll en étudiant 500 partogrammes de femmes nulligestes, en travail spontané et à terme. Il rapporte une durée moyenne de dilatation de 6.1h, un taux d’accouchements dans les 12 heures de 97.2%, un taux de césariennes de 5.4% dont 51% pour dystocie.

Bohra [11] a repris les 1000 premiers accouchements de primigestes survenus dans le service de Dublin en 2000, et les a comparé aux données d’O’Driscoll et à celles de l’article de synthèse, d’Impey [10]. Le taux de césariennes n’a pas beaucoup augmenté : 4.2% (45% pour défaut de progression, 47.6% pour suspicion de souffrance fœtale, 7.2% pour d’autres raisons). Le taux d’extractions a augmenté (24% vs 19.5%) mais en 2000 la majorité des extractions était effectuée par ventouses, alors qu’en 1978, elle était effectuée par forceps. Les études observationnelles et les études randomisées citées ci-dessus présentent des résultats différents. Cela peut être dû à l’hétérogénéité des études randomisées qui ont inclues des patientes à une dilatation plus avancée que les études de Dublin.

Impact et conséquence de la systématisation des principes de l’école de Dublin

Direction active du travail « préventive » par RAPDE précoce et systématique seule

La RAPDE précoce n’a pas été clairement associée à une diminution du taux de césariennes et d’extractions instrumentales. Il apparaît, dans ce cas, important de s’intéresser aux potentiels impacts d’une telle pratique afin de juger de son utilité. Une méta analyse [12] de 15 essais incluant 5583 patientes a eu pour but de déterminer l’efficacité et les conséquences d’une RAPDE précoce et systématique. Pour cela, a été comparée une RAPDE précoce à une conservation des membranes. Les résultats ont montré que la durée de la phase de latence était comparable dans les deux groupes (différence moyenne de 20 minutes donc non significatif), le taux de césariennes et d’extractions instrumentales étaient eux aussi comparables dans les deux groupes. Ces résultats prouvent qu’une RAPDE précoce et systématique n’est pas recommandée et qu’une telle intervention doit se justifier par une stagnation de la dilatation.

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Table des matières

Introduction
1.1 Première Partie : Le travail obstétrical physiologique
1.1.1 Données classiques : Travaux de Friedman
1.1.2 Données plus récentes : Travaux de Zhang J et al. [4], Laughton [5] et Neal [6]
1.2 Deuxième Partie : Direction active du travail
1.2.1 Principes généraux : Ecole de Dublin
1.2.2 Impact et conséquence de la systématisation des principes de l’école de Dublin
1.2.2.1 Direction active du travail « préventive » par RAPDE précoce et systématique seule
1.2.2.2 Direction active du travail « préventive » par RAPDE précoce et systématique et perfusion d’ocytociques
1.2.3 Pronostic en fonction de la durée du travail
1.2.3.1 Première phase du travail augmentée
1.2.3.2 Deuxième phase du travail augmentée
1.3 Troisième Partie : Interventions médicales actuelles
1.3.1 Impact du soutien de la parturiente
1.3.2 Fréquence du toucher vaginal
1.3.3 Impact de l’analgésie péridurale
1.3.4 Variétés postérieures et rotation manuelle
1.3.5 Conséquences des modalités d’utilisation du partogramme
1.3.6 Utilisation du Syntocinon®
1.3.6.1 Indication
1.3.6.2 Modalités d’utilisation
Matériel et Méthode
Problématique
Objectifs et hypothèses
Type d’étude
2.1 Matériel
2.1.1 Population
2.1.2 Critères de sélection
2.1.2.1 Critères d’inclusion
2.1.2.2 Critères d’exclusion
2.1.3 Description du protocole (Annexe II)
2.2 Méthode
2.2.1 Recueil de données
2.2.2 Analyse statistique des résultats
Résultats de l’étude
3.1 Profils des populations
3.2 Caractéristiques du travail et voie d’accouchement
3.2.1 Durée du travail
3.2.2 Variété de présentation et rotation manuelle
3.2.3 Caractéristiques de l’accouchement
3.2.4 Complications du travail
3.2.5 Caractéristiques de l’utilisation du Syntocinon®
3.2.6 Caractéristiques néonatales
3.2.7 Application du protocole
Analyse et discussion
4.1 Discussion de la méthode
4.1.1 Forces de l’étude
4.1.2 Limites et biais
4.2 Discussion des résultats
4.2.1 Conséquences sur la durée du travail et la voie d’accouchement
4.2.1.1 Durée du travail
4.2.1.2 Voie d’accouchement
4.2.2 Conséquences sur la morbidité maternelle
4.2.3 Conséquences sur les interventions médicales
4.2.3.1 Rupture artificielle de la poche des eaux
4.2.3.2 Rotation manuelle
4.2.3.3 Hyperstimulation utérine
4.2.3.4 Extraction instrumentale
4.2.3.5 Toucher vaginal
4.2.4 Conséquences sur la morbidité néonatale
4.2.5 Conséquences sur l’utilisation du Syntocinon®
4.2.6 Analyse du respect du protocole
4.3 Propositions
4.4 Rôle de la Sage-Femme
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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