LES ANCETRES OU “ RAZANA ”
S’il est une chose dont on peut être certain, c’est que le Malgache croit en l’existence de Dieu et qu’il considère comme étant un Etre Suprême, le Créateur du monde, le Maître de la vie et de la mort. Il est le grand ordonnateur et décideur en même temps. Et bien qu’il soit un produit de représentation ou un résultat de pressentiment, si l’on ose dire ainsi, il agit certainement sur la vie d’un Malgache, influe beaucoup sur ses comportements et ses idées car dans tous ses actes et dans tous ses discours, il en fait toujours mention bien qu’il habite loin et très haut, dans un lieu où personne ne peut aller. Ce qui n’est pas le cas pour les “ Razana ”qui ont eu leur vie d’antan ici-bas. Ce sont des Anciens Vivants qui ont été des pères, des mères, des fils, des jeunes ou vieux …. Bref, ils étaient des personnes vivantes, ayant leur statut et rang social avant de mourir. Les Razana ou Ancêtres, ce sont les morts. Selon la croyance malgache, les morts ne le sont pas effectivement. Ils vivent d’une certaine manière bien que leur demeure reste inconnue. En tout cas, ils ne sont plus de ce monde-ci mais ailleurs c’est-à-dire dans l’au-delà. Ce dont on va parler ici, c’est l’Esprit des Morts et dont le statut se rapproche un peu à ce de Dieu. Il faut souligner avant tout que le Malgache croit en une vie après la mort. Autrement dit, l’individu cesse de vivre pour vivre une autre forme de vie. Plus précisément, c’est son corps qui est mort tandis que son esprit entre dans un monde autre que celui dans lequel l’individu en question vivait auparavant. Remarquons aussi que ce monde nouveau ressemble à celui du monde terrestre. Tout ce qu’on voit dans ce monde-ci est censé exister dans ce de l’au-delà, celui des Morts. Seul le corps cesse d’être en vie et l’individu devient un “ Ancêtre ”. Comme nous l’avons souligné auparavant, les Morts ne le sont pas effectivement car en fait, ils ont une forme de vie qui leur est spécifique, vivant dans un monde céleste. Ils ont leur lieu d’habitation, leur champ d’action, leur statut et leur rôle. Cependant, entre les Morts et les Vivants, il existe une certaine forme de relations et ils peuvent se communiquer. Ainsi, les Vivants peuvent adresser des paroles aux Morts pour demander aide, assistance et bénédiction. Et ces derniers peuvent en faire autant, surtout quand il s’agit de signaler certaines anomalies dans les cours normaux de la vie des Vivants, au cas où ceux-ci ne respectent pas les rituelles concernant leur rapport avec les Ancêtres. Il pourrait s’agir d’une certaine forme de déviationnisme dans la pratique de la vie quotidienne ou dans des mauvaises applications de certaines règles. Pour la plupart du temps, c’est au plus âgé du groupe que les Ancêtres communiquent. Si l’on peut s’exprimer ainsi, entre le monde des Vivants et ce des Morts, la rupture n’est jamais définitive car il y existe toujours une certaine forme de communication, voire, de cohabitation.
Notion de Fihavanana
Conformément à ce qui est prévu par la branche de la linguistique qui s’occupe des sens, il faut signaler que les mots ne sont pas des étiquettes affectées tout court aux objets du monde. Au contraire, il faut admettre que chaque langue organise différemment l’univers référentiel. Il en résulte ainsi que certains mots sont intraduisibles. Le mot “ Fihavanana ” en fait partie et en conséquence nous devons le conceptualiser plutôt que le définir. Et pour plus de précision vaut mieux partir de ce qu’a dit M. MANGALAZA E. Régis à ce propos : “ Le mot “ Fihavanana ” est un terme qui mérite explication. Il renvoie d’abord à la consanguinité, c’est-à-dire à l’ensemble des personnes issues d’un ancêtre commun et qui est d’ordre de la nécessité et du destin (car on ne choisit pas d’appartenir à telle ou telle famille) ; en second lieu, il désigne le lien plus large mais moins profond que la consanguinité, unissant tout simplement les personnes qui partagent le même espace vital, (le village, la vallée…) ou qui partagent le même idéal de vie, les mêmes mœurs et coutumes. Valeurs essentielles aux yeux des Betsimisaraka, le « Fihavanana » est présent dans tout le domaine de la vie et régularise ainsi tout rapport social ”.10 Dans ce propos, deux points sont à retenir, à savoir : “ les personnes issues d’un ancêtre commun ”, d’une part, et “ les personnes qui partagent le même espace vital ”, d’autre part. Ce qu’il faut préciser, c’est que le “ Fihavanana ” est cette forme de relations sociales dont les membres sont appelés “ mpihavana ”. Ainsi les ”mpihavana ” constituent un groupe social bien défini et bien distinct. Comme l’a dit M. MANGALAZA, ils sont issus d’un ancêtre commun dont on se souvient souvent le nom. En effet, on l’évoque à chaque occasion pour dire et rappeler aux descendants qu’ils sont qu’ »un ». Pour un Malgache et surtout chez les Antesaka, une ethnie du Sud-est de l’île, les “ mpihavana ” constituent un “ olo-raiky ”, c’est-à-dire, une seule et même personne, partageant le même sang qui est transmis de génération en génération, à partir de l’Ancêtre commun. D’oùle terme de consanguinité. Ainsi, on peut traduire le terme “ mpihavana ” en “ consanguins ”. Et l’on peut concevoir, à quel point, combien ils sont liés les uns aux autres par le sang. Disons qu’au début, ils étaient deux frères ayant chacun huit fils. Ils auront des petits fils, des arrières petits-fils et ainsi de suite. A chaque cérémonie, on réunit tous les membres de cette grande famille afin qu’ils puissent se connaître et s’aimer. En effet, ce qui caractérise surtout le “ Fihavanana ” c’est l’amour qui y règne. D’une manière innée, on aime les “ havana ”ou les consanguins car, en fait, ils sont les mêmes éléments d’un ensemble. Notamment, en cas de difficulté ou en cas d’échec dans la vie, ils doivent s’entretenir. Comme l’exprime bien le proverbe : “ voin-kava mahatratra ”, c’est- à- dire, le malheur d’un « havana » est aussi ce des autres. D’un commun accord et par affinité, ils doivent s’entraider en cas de besoins. Là également, le fameux « Vavambahoaka » est d’autant plus virulent comme dans d’autres circonstances. Dans pareil cas, l’assistance mutuelle est d’office, par amour et par peur des représailles de la part des Ancêtres qui sont censés voir de près ou de loin. Effectivement le problème d’un « havana » est celui d’es autres, étant donné qu’on a partagé le même sang, c’est-à-dire on est un seul et même individu. Autrement dit, si un “ havana ” est frappé de malheur, les autres doivent l’assister et l’aider. Ainsi, les “ mpihavana ”, par consanguinité, sont les membres d’une grande famille, qu’ils vivent ou non dans le même terroir. Toujours est-il qu’ils s’aiment et s’entraident en cas de besoin ou de difficulté. Entouré des “ havanana ”, le Malgache se sent parfaitement à l’aise. Il est chez soi. Tandis que, loin du groupe, il se sent étranger, perdu. Il faut noter également que cette grande famille constitue, pour l’individu membre, un lieu d’épanouissement et de sérénité car il y règne amour, respect, entente et cordialité. Comme nous l’avons déjà souligné auparavant, le Malgache, loin des siens, se sent seul et fragile car il n’est pas à l’abri des dangers. Il en résulte que le “ Fihavanana ” est tout ce qu’il y a de plus précieux, voire même, sacré. C’est un garant et une assurance pour la vie. Effectivement, il n’est surtout pas question de laisser tomber un “ havana ”, quelle que soit sa situation ou ses défauts. En fait, il fait partie intégrante de soi –même, comme on l’a déjà souligné par ailleurs. Et l’on a tort de faire autrement et aucune excuse n’est valable devant les autres membres au cas où il y a demande d’explication lors d’une réunion familiale. Et il n’est de pire sanction que celle d’être abandonné par les siens ou d’être isolé par eux. Parmi les sanctions possibles, la pire est le fait de ne pas pouvoir être enseveli dans le tombeau familial. En quelque sorte, c’est l’exclusion totale et définitive. L’autre explication qui vaut pour le mot “ Fihavanana ” se révèle être la notion de parenté. Les “ havana ” sont les proches parents tels que les frères et sœurs, les cousins, les oncles et tantes, les fils ou petits-fils de ces derniers. Mais ce qu’il y a de plus spécifique dans le “ Fihavanana ”, c’est le sentiment d’intimité et d’affinité qui relie les membres entre eux. Pour preuve, on n’a qu’à évoquer la joie d’un individu en présence de son “ havana ”qui lui a été inconnu auparavant car, enfin de compte, c’est lui-même qu’il a retrouvé dans l’Autre. Ainsi, le terme “ Fihavanana ” peut être le synonyme de consanguinité. Autrement dit, les « mpihavana » sont des consanguins et constituent un groupe social « Raza Raiky » ou littéralement, même Ancêtre. Mais en quoi consiste le deuxième volet, si l’on tient compte de l’approche de M. MANGALAZA, à propos de cette notion ? On peut aussi appeler « mpihavana », les personnes qui partagent le même espace vital, sans être nécessairement liées par une consanguinité. Autrement dit, les liens résultent de l’appartenance à un même terroir géographique et ne relève pas de l’être biologique. Le plus souvent, ce genre de lien est fragile parce qu’il relève de l’accidentel plutôt que du naturel. Dans le “ fihavanana ” par consanguinité, au contraire, les membres possèdent une base de mentalité commune, véhiculée génétiquement par le fait même qu’ils sont issus d’un même Ancêtre et qui se transmet de génération en génération. Exemple, dans certaines familles de Sud-est malgache, il y a des Consanguins ou des Raza Raiky qui sont guerriers ou doués d’un certain degré d’intelligence. Et de la même manière, il y en a aussi des fourbes et cela relève d’une certaine hérédité. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est très important de bien choisir dans quel groupe faut-il, si l’on veut avoir une femme pour épouse, au cas où l’on veut se marier. Il est surtout question de demander des informations enfin de bien choisir la future belle- famille. Il faut se renseigner auprès des « havana » ou avec des gens à qui on a de bonnes relations pour mieux connaître l’histoire de telle ou telle famille pour mieux optimaliser le choix. En effet, si le lien de consanguinité est quelque chose de naturel, en revanche, celui occasionné par une alliance l’est moins. Mais quoi qu’il en soit, par le mariage, le « Fihavanana » s’élargit encore plus. Cependant le partage du même espace vital crée également des liens qui se tissent à partir des relations de voisinage car le fait de se voir chaque jour, de se saluer, d’échanger des biens,…crée dans chaque individu un sentiment de cordialité etd’amour. A la longue, les personnes vivant dans le même terroir finissent par devenir des intimes et des proches. Ce qui veut dire finalement qu’elles deviennent des “ Mpihavana ” parce qu’elles font exactement ce qu’elles auront à faire pour un “ Havana ” dans le sens premier du terme. Il faut remarquer que ce genre de “ Fihavanana ” est toujours susceptible de fragilité, puisque si les sentiments qui animent les “ Mpihavana ”, par consanguinité, sont dotés d’une nature indéfectible, en revanche, ceux qui sont animés par la cohabitation dans la même aire géographique peuvent se dissoudre par éloignement de parenté ou par rupture de certaine régularité dans les habitudes acquises. Dans la consanguinité, il est question de filiation qu’on ne peut pas rompre par décision arbitraire. Effectivement, si on se réfère toujours dans la partie Sud – Est malgache, on constate que chez les “ Antesaka ”, les individus membres d’une famille sont classés par niveau de génération. On trouve alors la classe des grands- parents, celle des pères et des mères, celle des fils et des filles, celle des petits-fils,…si l’on se réfère à un Ego. De la sorte, un tel individu peut être classé parmi les pères malgré son jeune âge et un tel autre peut appartenir dans la classe des fils au détriment de son âge avancé. A chacun donc le respect qui lui est dû en fonction de la classe dans laquelle il appartient. Ce qui n’est pas le cas dans le Fihavanana par cohabitation. Là, c’est l’âge qui sera prépondérant et en voilà pourquoi ces deux types de “ Fihavanana ”sont vécus différemment par le Malgache. Dans ces deux formes de parenté, les liens sont d’autant plus solides dans la première que dans la seconde. Toujours est-il que le Fihavanana est un genre de lien social original et spécifique au monde. C’est une originalité uniquement malgache. Cependant, il faut admettre que ces deux formes de relations sociales sont d’une importance capitale malgré leur différence. Effectivement, chez le Malgache, la vie n’a rien d’individuel, c’est plutôt quelque chose de social. Ce qui implique que, qu’elle que soit la nature du lien dans lequel l’individu se trouve, consanguinité ou cohabitation, il a toujours besoin du “ Fihavanana ” pour jouir pleinement de sa vie. En définitive, l’essentiel est d’avoir une vie dispensée de tout conflit, aussi bien dans le groupe familial que social. La dignité individuelle est ainsi fonction de cette paix intérieure occasionnée par l’individu lui-même. En conséquence, dès son jeune âge, on inculque à l’individu ce qui est permis et ce qui est interdit pour harmoniser la vie en société. En transgressant ces règles, l’individu sait d’avance la force et la puissance de la société qui risque de peser sur lui en cas de comportement incorrect. En ce sens, il semble que les autres deviennent plutôt l’enfer dans le cas où l’individu n’en tient pas compte. Par contre, en respectant les règles du “ Fihavanana ”, il se met à l’abri de toute forme de sanction sociale et, du coup, trouve protection, amour et affection. Les règles mettent alors en avant l’importance du social par rapport à l’individuel. Il est alors question de bien entretenir les “ Havana ”en les aidants et les aimants le plus possible. Un désordre au sein des “ Mpihavana ” est nuisible non seulement pour l’individu qui en est la source mais également pour la vie du groupe. Ainsi, force est de l’écarter momentanément jusqu’à ce qu’il prenne conscience de la gravité de sa faute et demander pardon. On peut également assister à d’autres formes de “ Fihavanana ” telles que les alliances matrimoniales, par le sang et le “ Ziva ”. A propos du mariage, il est formellement interdit de prendre pour épouse une fille de son propre lignage. C’est l’inceste. Ce genre de prohibition est une manière ou une autre pour élargir encore plus le champ du “ Fihavanana ” sous forme de mariage exogamique. Il en est de même pour l’alliance par le sang dont les deux alliés sont souvent des individus qui partagent le même idéal de vie. En conséquence, ils décident de procéder aux rites du “ Fati-drà ” qui consiste à échanger leur sang pour le boire avec de l’eau. Le rituel de telle alliance peut prendre l’allure d’une cérémonie où les membres des deux groupes intéressés assistent pour en être des témoins oculaires. Il faut noter aussi que, contrairement au “ Fihavanana ” par consanguinité naturelle, ce dernier en est une autre car le fait de boire le sang de l’autre signifie symboliquement qu’on est du même sang. De ce fait, cette alliance est également susceptible de rupture d’autant plus qu’elle n’est que l’acte de deux individus et non du groupe. C’est quelque chose de conventionnel. Il y a aussi le “ Ziva ” qui est une forme de relation entre deux groupes ethniques et qui interdit à ses membres de se faire du mal et surtout leur recommande d’avoir une attitude consensuelle dans leurs relations quotidiennes. Cela peut être compris comme le sens générique du “ Fihavanana ” parce qu’il est le point commun entre la consanguinité avec d’autres formes de relations sociales. En définitive, chez les Malgaches, une chose est sûre, c’est que ce genre de liens est quelque chose de sacré puisqu’il découle d’un héritage ancestral. C’est pour cela que les relations engendrées par le « Fihavanana » ne se rompent pas aussi facilement. Entre les « Mpihavana « , le sacrifice de soi-même est de règle comme l’atteste le proverbe suivant : “Aleo very tsikalakalam-bola toy izay very tsikalakam-pihavanana”. Ce qui veut dire : « Vaut mieux subir un désagrément matériel que de briser un lien de parenté quelconque ». Nous retrouvons à travers ce proverbe la définition générique du terme “ Fihavanana ” que nous avons fait dériver du “ Ziva ”. Tout d’abord, on met en exergue les rapports qui peuvent exister entre relations parentales et l’argent qui sont tout deux des richesses. Parler de ces dernières c’est déjà entrer dans d’autres formes de relations sociales, notamment les échanges. Chez les Malgaches, le fihavanana est signe de richesse autre et qui ne peut être échangée contre de l’argent. Le proverbe que nous venons de citer en faisait foi. A propos de ce genre de richesse, il n’est pas question d’en être assouvi, et il est nécessaire d’en avoir plus. Le ziva, le fati-drà et même l’alliance matrimoniale sont des manières pour élargir ce genre de fihavanana. Plus on a des parents nombreux, mieux on est entouré et plus on a des richesses car ce qui appartient à mes havana est le mien aussi. Ce sentiment nous pousse à croire que la propriété de mes parents est également la mienne. Aucune propriété n’est frappée du sceau de l’individuel, le tout appartient à tout le monde dans un même groupe. Tout objet est senti ou appréhendé sur le mode du “ nôtre ”. Dès lors, il ne nous semble exagéré de dire que chez les Malgaches, la dignité humaine est fonction de ses relations en matière de parenté dans lesquelles les liens doivent être renouvelés et renforcés à chaque fois et à chaque occasion. Inversement, si quelqu’un rompt volontairement ou non ce genre de liens, c’est lui-même qui s’exclut du groupe et il commence à être mal considéré, ses statut et rang sont en baisse. Il se marginalise et finit par être exclu socialement. Voici ce qu’en pense M. MANGALAZA : “ La vie sociale suppose une tendance à la sociabilité, mais toutes société contient paradoxalement des forces anti-sociales. La vanité et l’orgueil, l’ambition et le désir de puissance, l’instinct de domination font que la nature humaine est nécessairement conflictuelle. Entièrement conscient que le conflit fait partie intégrante de toute vie en société, les Betsimisaraka pensent qu’il faut une volonté réelle d’entente constamment réactualisée au niveau du quotidien par les échanges (parole, nourriture, prestation de service…) pour que la coopération ne soit pas un vain mot mais qu’elle devienne une source d’épanouissement pour tous ”.11 Autrement dit, dans toutes relations humaines, du moins pour le cas des Malgaches, le « Fihavanana » est d’autant plus que primordial car, partout, vivement souhaité, sollicité et recommandé, là où il y a une vie en société car une vie individualisée est synonyme de vulnérabilité. En voici des proverbes illustrant ce point de vue : “Izay tsy mahay fatram-bary mahay sobika” Littéralement : « Celui qui ne sait pas mesurer du riz doit savoir au moins en confectionner le panier ». En fait ce proverbe nous apprend que, dans la vie, tout s’organise autour de la complémentarité entre divers éléments d’une totalité ou d’un ensemble. Que chaque chose se mette en place qu’il lui faut et cela est d’autant plus vrai dans l’espace comme dans le temps. Il est toujours question de saisir l’ordre des choses et l’admettre, sinon, il y aurait un déséquilibre. Et c’est la vie elle même qui est en danger, qu’elle soit celle d’un individu ou celle d’un groupe. Là où il y a ordre, il y a toujours vie et dans le cas contraire, ce serait la mort. L’égoïsme, une manière de prôner la particularité est condamnable par le fait même qu’elle favorise le déséquilibre. En fait, c’est une blessure occasionnée au sein de la société mais aussi et surtout, l’instauration du manque dans la forme. Or il est évident que ce manque est vécu comme étant une tension qui cherche une issue. C’est ce manque qui définit le désir comme une aspiration à la complétude et du même coup, explique le fait qu’on ne peut désirer que ce que l’on n’a pas. On peut même affirmer que les servitudes qu’impose la vie en société n’est qu’une forme de liquidation du manque. Ce que je ne possède pas en propre mais que possède mon “ Havana ” est mien. Voilà pourquoi j’entretiens, avec eux, de bonnes relations sous peine de vivre ce manque d’une manière cruelle, une cruauté qui naît du fait que l’objet est disponible mais je ne peux pas en faire usage puisque je suis en mauvais terme avec son détenteur. En effet, le refus de partager avec les siens ce que l’on possède est vivement condamné. Lorsqu’on parle de partage, on a en tête une configuration matérielle. A cela il faut ajouter les choses intangibles telles que tristesse et joie, malheur et bonheur. Tout est à partager et rien n’est à refuser quand on parle de fihavanana malagasy car en fait et selon un proverbe : “Izay iray vatsy, iray aina” “ Ceux qui ont même viatique ont même vie ” Sans vouloir contester la validité de la traduction de NAVONE, il nous semble qu’on peut faire la jonction de ce proverbe avec la notion de complétude ou de totalité évoquée ci-dessus. Pour plus de précision, Vatsy veut dire réserve de nourriture quand il s’agit de voyager ensemble. Durant tout le trajet, elles ne doivent former qu’une seule et même personne car l’entraide est de mise. L’explication qui nous semble appropriée ici consiste à prendre le “ un ” non pas comme un simple déterminant d’objet mais comme étant l’expression de l’unité qui représente la totalité indivisible. Autrement dit, il existe une unité de viatique et de la vie. Ceux qui possèdent en commun ont également la vie en commun. Pour bien mettre en exergue cette unité, le Malgache, surtout dans le Sud-est, quand il veut parler du lien de parenté dans le sens ci-dessus expliqué : “ olo raiky iahay ”, c’est-à-dire : « nous sommes une seule et même personne », une unité qui amplifie et renforce en même temps l’importance du “ Fihavanana ”.
Efficience du Tsiny et du Tody sur l’être d’un Malgache
Maintenant, la question qui se pose est celle-ci : “ Est-ce que le Tsiny ou le Tody a-t-il des effets sur l’individu Malgache ? ” Pour un Malgache, c’est certainement effectif. Autrement dit, chaque cause a un effet ou l’inverse. De même, le Tsiny produit un effet nocif pour l’individu victime. En effet, l’on est passible du Tsiny lorsqu’on a commis une erreur qui consiste à enfreindre les lois, les préceptes sociales, les us et coutumes… Comme nous l’avons, dit à chaque fois, “ manome Tsiny ”, littéralement “ donner du Tsiny ”, veut dire blâmer, donner tort ou reprocher. En d’autres termes, si la personne en question récidive et qu’à chaque fois tout le monde le corrige et qu’il ne veut toujours pas écouter, il s’attire des blâmes, accumule des reproches. Il s’expose ainsi à des ennuis et s’exclut lentement mais sûrement de la société, se marginalise peu à peu. A vrai dire, il se dénigre et sera certainement dénigré s’il s’entête dans ses mauvaises attitudes. Enfin de compte, son être flétrit. Ainsi, l’image de l’individu dans l’autre se dégrade, Autrui qui juge et qui condamne. Rappelons encore, un foi de plus, que Être Malgache c’est être pour Autrui.
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Table des matières
Introduction
Partie I : Cosmologie Malgache
1- Dieu ou le Zanahary
2- Les Ancêtres ou le Razana
3- Les vivants ou les Velona
Partie II : Spécificité du moi malgache
1- Notion de Fihavanana
2- Le moi malgache ou l’être pour autrui
3- Individu et communauté
Partie III : Le Tsiny et le Tody dans les relations sociales malgaches
1- Notion de Tsiny
2- Notion de Tody
3- Efficiences du Tsiny et de Tody sur l’être Malgache
Conclusion
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