Diligence raisonnable et responsabilité d’entreprise
Depuis toujours, des entreprises tant européennes qu’étrangères sont parfois peu regardantes sur les droits de l’homme et sur l’environnement. Cet état de fait a été amplifié depuis la crise du Covid-19. Cette pandémie a montré la fragilité des chaines d’approvisionnement et a pointé du doigt les pratiques peu convenables de certains donneurs d’ordre. En effet, pour parvenir à satisfaire la demande de certaines marchandises convoitées en cette période, les entreprises ont parfois mis de côté l’environnement ou les droits humains.
Avant l’entrée en vigueur d’une éventuelle législation européenne, voire d’une législation nationale en la matière comme la loi française, il fallait se tourner vers d’autres mécanismes tels que la responsabilité délictuelle, la méconnaissance d’obligations statutaires ou la responsabilité pénale de ces entreprises. Or ces procédures dans ce domaine sont parfois assez compliquées. Une étude a démontré que sur 38 affaires concernant des abus liés aux droits de l’homme et à l’environnement ces dix dernières années, avaient été rejetées, certaines étaient toujours en cours, d’autres réglées à l’amiable et une seule a abouti à une condamnation judiciaire de la société. On comprend donc que mettre en cause une entreprise pour ses impacts négatifs sur la société n’est pas chose aisée. C’est notamment cette situation que l’UE souhaite voir disparaitre.
Cette mise en lumière des dérives et a poussé le Parlement européen à agir de toute urgence afin de proposer un texte à la Commission dans les plus brefs délais. Ce qui a été fait puisque le 29 avril 2020 le commissaire européen Didier Reynders a annoncé qu’une initiative législative sur le devoir de diligence et la responsabilité d’entreprise allait voir le jour.
Propositions de règlements afin d’améliorer l’accès à la justice
On l’a vu, l’UE souhaite mettre en place un régime de responsabilité des entreprises pour cause de préjudices causés aux droits de l’homme ou à l’environnement, mais encore faut-il que ceci puisse être mis en œuvre.
Dans de nombreux cas, les préjudices causés à l’environnement et aux droits de l’homme proviennent de pays tiers, dans lesquels les victimes n’ont souvent pas accès à un tribunal. Ces personnes se tournent alors vers l’État d’accueil de la société afin de pouvoir faire valoir leurs droits. Cependant, ici encore d’autres obstacles se dressent devant elles, comme le coût d’une telle procédure, la question de la loi applicable, etc.
Dès lors, concomitamment à la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises, le Parlement européen a proposé deux règlements modifiants ceux déjà existant afin d’améliorer l’accès à la justice pour les personnes préjudiciées par les actes des entreprises.
Première proposition : Pour mettre en œuvre plus efficacement le troisième pilier des Principes Directeurs des Nations Unies, le législateur européen souhaite réformer deux dispositions du règlement Bruxelles I portant sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
La première modification porterait sur l’article 8 qui indique les lieux où une personne domiciliée dans l’Union peut être attraite devant les tribunaux.
Le Parlement va notamment rajouter un paragraphe 5 à cette disposition afin de permettre aux juridictions des États membres de connaitre des actions dirigées contre des entreprises de l’Union, des filiales de celles-ci ou des fournisseurs.
Deuxième proposition : Le règlement Rome II est un ensemble de normes permettant de résoudre certains problèmes résultant d’éventuels conflits de loi en matière d’obligations non-contractuelles.
L’article 4 paragraphe 1 donne la règle générale suivante : « La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ». En d’autres termes, la loi applicable pour les quasi-délits est celle du lieu où le dommage a été subi.
Dans d’autres dispositions du règlement, le législateur prévoit des cas particuliers comme pour la responsabilité du fait des produits ou l’environnement. En effet, l’article 7 déroge au principe général en ce que le demandeur a le choix entre la loi du pays où le dommage est survenu et celle du fait générateur. Bien que le législateur ait prévu beaucoup d’exceptions, il n’y a rien concernant les droits de l’homme et les entreprises, il faut donc se référer à la règle générale de l’article 4, mais cette disposition peut poser un problème dans les pays les moins « développés ». Souvent, dans ces derniers, les droits de l’homme sont peu ou pas respectés, ce qui expose les victimes à d’immenses difficultés pour faire valoir leurs droits.
Gouvernance d’entreprise durable
Dans sa communication « Le Pacte vert pour l’Europe », la Commission européenne rappelle que la durabilité devrait en outre être intégrée dans le cadre de gouvernance d’entreprise, car nombreuses sont les entreprises qui se focalisent encore trop sur les performances financières à court terme, au détriment de leur développement à long terme et de leur durabilité .
Comme pour le devoir de vigilance des entreprises, l’Union s’appuyait beaucoup sur une démarche volontaire. Or, ce système a montré ses failles puisque très peu d’entreprises se sont elles-mêmes mises au travail dans ce sens. Pour pallier cela, l’Union souhaite mettre en place des normes contraignantes.
Afin de concrétiser cela, le Parlement européen a publié une recommandation dans laquelle il invite la Commission à réviser dans les plus brefs délais la directive sur la divulgation des informations non financières.
Il demande également un cadre réglementaire définissant clairement les obligations des conseils d’administration en matière de durabilité afin d’avoir des actions concrètes de ces derniers et pas seulement une publication d’informations.
Pour ce faire, le Parlement apporte son aide via différents rapports d’initiatives, un datant de début décembre 2020 l’autre de mi-février 2021 et que nous avons eu l’occasion d’examiner un peu plus tôt. En plus de cela, une consultation populaire a été lancée en 2020 et s’est terminée le 8 février 2021. Grâce à ces différents documents et à d’autres études commandées par les institutions européennes, la Commission pourra se lancer pleinement dans la rédaction d’une ou plusieurs directives en la matière.
RÉVISION DE LA DIRECTIVE SUR LES INFORMATIONS NON FINANCIÈRES
Dans une résolution du 29 mai 2018, le Parlement européen souligne tout particulièrement la place de la finance et des marchés financiers dans la transition écologique. Selon lui, la publication d’informations non financières est étroitement liée à la gouvernance d’entreprise durable et a donc son rôle à jouer dans le passage à une économie plus verte. Cet appel à la révision a ensuite été repris dans la proposition de recommandation du 21 décembre 2020, pour ensuite faire l’objet d’une proposition de directive en date du 21 avril 2021.
Concept :La directive sur la publication d’informations non financières (directive 2014/95/UE) est une révision de la directive comptable 2013/34. En résumé, il s’agit pour certaines entreprises de plus de 500 employés de divulguer, «dans la mesure nécessaire à la compréhension de l’évolution», certaines données concernant leurs implications et l’impact de leurs activités sur les droits de l’homme, l’environnement et les questions sociales dans différentes catégories comme «leur modèle d’entreprise, leurs politiques (y compris les processus de diligence raisonnable mis en œuvre), leurs résultats, risques et gestion des risques, et indicateurs de performance clés (KPI) pertinents pour l’entreprise» grâce au rapport de gestion. En Belgique, cela s’est traduit par la loi du 3 septembre 2017 établissant une obligation de divulgation de la part de certaines entreprises dans leur rapport de gestion (article 3 : 4 paragraphe 4 du Code des sociétés et des associations).
AVIS DU CONSEIL NATIONAL DU TRAVAIL
Le 26 novembre 2020, le ministre Dermagne a consulté le Conseil National du Travail afin que ce dernier rende un avis sur la proposition de directive. Le 5 février 2021, le Conseil a rendu deux avis concernant ce texte.
Une des premières choses qu’a perçu le Conseil National du Travail est la mécompréhension du système belge par les institutions européennes. En effet, dans le document fourni avec la proposition de directive, on peut lire que la Commission européenne classe le système belge dans la catégorie des systèmes légaux, c’est à dire des systèmes où le salaire minimum est fixé par la loi.
Or, dans ces avis, le Conseil rappelle le système mis en place en Belgique. Bien que le législateur intervienne à la toute fin du processus, l’ensemble « du boulot » est dans les mains des commissions ou sous commissions paritaires. Dès lors, selon le Conseil il est faux de dire que notre système est légal.
Cette qualification est essentielle étant donné le champ d’application de la directive. En effet, si la Commission considère notre système comme un système légal, il va falloir remodeler ce qu’on connait aujourd’hui afin de satisfaire aux obligations de l’Union. Le Conseil épingle notamment deux éléments erronés :
L’indexation automatique des salaires n’est pas, comme le prétend la Commission, fixée par voie légale. Le législateur n’intervient que pour indexer le minimum des allocations légales de sécurité sociale et les salaires du personnel de la fonction publique et de l’enseignement. Au-delà de ces cas, ce sont les conventions collectives qui se chargent du travail.
Le mécanisme d’augmentation du salaire minimal est confondu, par l’Union, avec le mécanisme de participation des partenaires sociaux concernant la détermination annuelle de l’évolution de l’indice des prix à la consommation. Selon le Conseil, « Il n’y a pas de mécanisme légal qui prévoit des augmentations au-dessus de l’index des salaires minima dans le secteur privé ».Ensuite, le Conseil reconnait que certaines catégories de travailleurs sont visées par une réglementation étatique concernant les salaires minimums. L’institution pense notamment aux flexis jobs ou starter job, mais ces derniers sont bien trop spécifiques que pour qualifier le système belge de système légal. Le CNT invite donc la Commission à revoir sa copie.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Remise en contexte
SECTION 1 : MISE EN LUMIERE DES CONCEPTS
1.1. Base commune
1.2. Différences
SECTION 2 : HISTORIQUE
2.1. Naissance hors UE
2.2. Arrivée en Europe
2.2.1. Le démarrage
2.2.2. Avancée par petits pas dans les années 2000
2.2.3. Accélération majeure dès 2019
SECTION 3 : MESURES PHARES
Partie 2 : Analyse d’initiatives
I. Diligence raisonnable et responsabilité d’entreprise
SECTION 1 : CONCEPT
1.1. Les Principes directeurs des Nations Unies (PDNU)
1.2. Les Principes directeurs de l’OCDE
1.3. Autres normes pertinentes
SECTION 2 : HISTORIQUE
2.1. Sur le plan international
2.2. Sur le plan européen
2.3. Dans les autres États membres
SECTION 3 : SITUATION BELGE
3.1. Débat naissant
SECTION 4 : OBJECTIFS
SECTION 5 : MÉTHODE
SECTION 6 : BASES LÉGALES
SECTION 7 : ANALYSE
7.1. Champ d’application
7.1.2. Haut risque
7.2. Obligations
7.2.1. En amont
7.2.1.1. Entreprises
7.2.1.2. État
7.2.2. En aval
SECTION 8 : POSITION PERSONNELLE ET CONCLUSION
II. Propositions de règlements afin d’améliorer l’accès à la justice
III. Gouvernance d’entreprise durable
SECTION 1 : PROBLÉMATIQUE
SECTION 2 : RÉVISION DE LA DIRECTIVE SUR LES INFORMATIONS NON FINANCIÈRES
2.1. Concept
2.2. Problématique
2.3. Contenu
2.3.1. Champ d’application
2.3.2. Audit
2.3.3. Numérisation
SECTION 3 : DEVOIR DE SOLLICITUDE DES DIRIGEANTS ET MESURES SUPPLÉMENTAIRES VISANT À AXER DAVANTAGE LA GOUVERNANCE D’ENTREPRISE SUR LA DURABILITÉ
1.1. Champ d’application
1.2. Contenu
1.3. Gros plan sur l’intérêt social
1.3.1. Principe communément admis
1.3.2. Changement de perspective
1.3.2.1. Jurisprudence
1.3.2.2. Législation
1.3.2.3. Soft Law
SECTION 4 : CONCLUSION
IV. Proposition de directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l’UE
SECTION 1 : CONTEXTE ACTUEL
SECTION 2: OBJECTIFS
SECTION 3 : BASES LÉGALES
SECTION 5 : MÉTHODE
SECTION 6 : ANALYSE
SECTION 7 : SYSTÈME BELGE
7.1. Remise en contexte
7.2. Système à plusieurs niveaux
SECTION 8 : AVIS DU CONSEIL NATIONAL DU TRAVAIL
SECTION 9 : POSITION PERSONNELLE
V. Programme de travail de la Commission pour 2021
Conclusion générale
Bibliographie
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