Une grande attention a récemment été portée sur l’étude de la production et de la perception des sons de la parole dans une seconde langue. L’acquisition d’une langue seconde soulève nombre de problèmes majeurs, touchant à la fois à la recherche appliquée et fondamentale sur la parole, liés par exemple aux réseaux neuronaux sousjacents impliqués dans l’acquisition de la parole, au contrôle moteur dans la production de la parole, aux liens entre perception et production de la parole, aux limites de plasticité du cerveau humain après la puberté, ou encore à l’influence du système phonétique et phonologique maternel dans l’acquisition d’une langue seconde. Il est bien établi que le système phonétique-phonémique d’une langue est, parmi les nombreuses composantes de cette langue, celui posant les plus grandes difficultés d’acquisition aux apprenants. Nous nous intéresserons dans ce travail de recherche à l’acquisition de l’anglais par des apprenants francophones, et aux difficultés phonétiques qui apparaissent lors de cet apprentissage.
Grâce à un questionnaire élaboré et présenté à des enseignants de phonétique anglaise, nous avons fait un tour d’horizon des différentes difficultés phonétiques de perception et de production (sur les phonèmes, l’accent de mot, ou encore la prosodie) présentées par des natifs francophones lors du processus d’acquisition de l’anglais. Les réponses recueillies nous ont permis de mettre en avant les difficultés principales que rencontrent les apprenants francophones, et ainsi de voir que la production de certains sons pose problème et donne matière à investigation. Notre présent travail sera centré plus particulièrement sur la production des consonnes coronales anglaises /t/, /d/, et /n/ par des apprenants francophones, grâce à des études acoustiques ainsi qu’articulatoires (palatographie statique) que nous avons conduites afin de mener à bien ces investigations.
Dans un second temps, et avant de nous focaliser sur les éléments sus-cités, nous nous sommes intéressé aux mécanismes qui sous-tendent ces difficultés d’acquisition phonétique, à savoir les deux versants du langage que sont la production et la perception de la parole. Le second chapitre portera sur l’acquisition de la phonologie chez les jeunes enfants et les apprenants d’une seconde langue, ce qui nous permettra d’aborder les modèles théoriques sur l’acquisition du langage chez les enfants et de faire un parallèle avec l’acquisition d’une seconde langue chez les adultes. Nous centrerons ensuite notre étude sur les langues et les phonèmes qui nous intéressent dans ce travail, à savoir les consonnes coronales anglaises, en regardant les différentes études portant sur ce sujet et les résultats obtenus. Les différents points abordés nous permettront de poser nos hypothèses de travail, avant de conduire nos expérimentations.
Difficultés phonétiques d’apprentissage de l’anglais par les francophones
La lecture de texte et les problèmes relevés
Le texte et les locutrices
Les deux étudiantes enregistrées, que nous nommerons D1 et D2, sont âgées de 18 et 19 ans, ont toutes deux appris l’anglais à l’école, et n’ont commencé à suivre des cours de phonétique anglaise qu’à l’université (elles avaient suivi un mois de cours seulement au moment de l’enregistrement). Elles n’ont pas de famille anglophone et n’ont pas l’occasion de parler anglais en dehors de l’université.
Le petit texte que nous avons choisi de faire lire à ces deux locutrices est un texte de Wells (http://www.phon.ucl.ac.uk/resource/index.html) comprenant la plupart des phénomènes et des caractéristiques phonétiques de l’anglais standard. Ce court extrait (annexe 1 : CD-Rom) nous a permis de relever les erreurs récurrentes pouvant survenir de la part de nos deux locutrices D1 et D2 grâce à une transcription phonétique détaillée de leur production. Voici le texte et les transcriptions phonétiques correspondant aux productions de D1 et D2 :
The oils, of course, come from all over the world, from various aromatic plants, but the actual centre where most of them are collected, or indeed actually some of the aromatic plants are themselves grown, is in Grasse in France, and that is actually the centre of what we call « The pure essential Oil Trade »; although I have been trained in the medical field, I make it quite clear that in my work here it is actually beauty treatment, but of course minor stress ailments such as migraine can be helped merely by giving massage with oils which are very relaxing and detensifying, so that one isn’t really working into the realms of real medicine but is just merely helping people who are tired and fatigued and a little bit stressed.
Les erreurs relevées
La liste des erreurs relevées ne se veut pas exhaustive mais plutôt représentative des fautes les plus rencontrées dans ce petit texte.
Les voyelles
Les voyelles simples. L’erreur la plus récurrente concerne la voyelle . Nous pouvons voir que la plupart des en anglais sont prononcés et remplacés par des du français, c’est-àdire beaucoup plus fermés et plus tendus. Cette erreur se manifeste quasi systématiquement chez la locutrice D1. Les exemples sont multiples : aromatic, medical, giving, with, which etc. où pour chaque mot le est prononcé comme un du français au lieu d’un de l’anglais. Cette substitution apparaît également chez la locutrice D2, même si cela se manifeste moins souvent.
Une autre erreur récurrente notée dans les enregistrements porte sur le son Zz\ qui est fréquemment prononcé comme un Z`\. Cette substitution est systématique notamment pour la locutrice D1. La locutrice D2 quant à elle produit le son Zz\ correctement mais le remplace à quelques reprises également par le son du français.Nous pouvons également observer des erreurs chez les deux locutrices sur le ZN9\ de l’anglais. Celui-ci est fréquemment remplacé par un ZN\court français plus ouvert et moins postérieur, comme par exemple dans les mots « all », « call », et «although». Aussi, le remplacement du son /d/ en anglais par le son [D] est systématique de la part de nos deux locutrices, qui produisent donc un son français mi-ouvert en lieu et place d’un son anglais un peu plus fermé.
D’autres erreurs apparaissent aussi sur les voyelles anglaises ZT\ et ZU\ notamment chez la locutrice D1. Le ZU\ est remplacé soit par un [N] court français, soit par un [a] (par exemple dans « come » prononcé [jNl], ou encore « one » prononcé [v`m]). Le ZT\ ainsi que le Zt9\ de l’anglais sont assimilés à un Zt\ du français, beaucoup plus arrondi, plus fermé et plus postérieur que les deux voyelles anglaises. On notera par exemple le mot « into » prononcé [!hmst], ou le mot « who » prononcé [vt].
Les voyelles réduites
Il apparaît très clairement dans les transcriptions de nos deux locutrices, que les voyelles ne sont pas réduites, c’est-à-dire que toutes les voyelles sont prononcées avec leur valeur pleine au lieu d’être produites avec le son schwa. Ceci se manifeste plus particulièrement sur les mots grammaticaux, tous prononcés avec une voyelle pleine (souvent française qui plus est) au lieu d’un [?]. En effet, les mots qui contiennent un sont produits avec un ZN\ court français, et les exemples ne manquent pas (« of » et « from » qui reviennent à de nombreuses reprises).
Cette non réduction se manifeste également sur le à quelques reprises, prononcé alors comme un plutôt qu’un schwa. Notons par exemple le cas de « them » et de « themselves ».
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : Difficultés phonétiques d’apprentissage de l’anglais par les francophones
Introduction
I. La lecture de texte et les problèmes relevés
I.1. Le texte et les locutrices
I.2. Les erreurs relevées
I.2.1. Les voyelles
I.2.2. Les consonnes
I.2.3. L’accent de mot
II. Interview des enseignants
II.1. Le questionnaire et les enseignants
II.2. Les problèmes rencontrés
II.2.1. Les voyelles
II.2.2. Intonation / Prosodie / Rythme
II.2.3. Les consonnes
II.2.4. L’accent lexical
Conclusion
Chapitre 2 : Production et perception de la parole chez les enfants et les apprenants
Introduction
I. La production et la perception de 0 à 12 mois
I.1 Des capacités universelles
I.2 Adaptation de la production et de la perception à la L1
I.2.1 La production
I.2.2 Réorganisation perceptive
I.2.3. Liens production/perception
II. Période critique et limite de plasticité ?
II.1. Un manque de plasticité
II.2. Des signes de plasticité
III. Capacités de perception et de production chez les apprenants d’une L2
III. 1. Les capacités perceptives des apprenants
III.1.1. Influence de la L1
III.1.2. La proximité des sons de L1 et L2
III. 2. Les capacités de production des apprenants
III.2.1. Les facteurs influant sur la production
III.2.2. Les sons de la L1 et de la L2
III. 3. Capacités perceptives et productives en relation
Conclusion
Chapitre 3 : Les consonnes coronales anglaises et françaises
Introduction
I. Propriétés des consonnes anglaises et françaises
I.1. Lieu et mode d’articulation
I.2. Différences acoustiques
I.2.1. Le Voice Onset Time (VOT)
I.2.2. Transitions de F2
II. Capacités et problèmes d’acquisition des apprenants
II.1. Des phonèmes semblables
II.2. Le contraste de voisement
II.3. Opposition consonnes voisées/dévoisées
II.4. Retour sur les modèles théoriques
Conclusion
Chapitre 4 : Problématique et hypothèses
Introduction
I. Les études précédentes
II. La problématique
Conclusion
CONCLUSION