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LE PROGRAMME CDT – LES CONSULTATIONS DE TABACOLOGIE
Le dossier informatisé des consultations de tabacologie a été conçu en 2001 à partir d’une version papier élaborée par l’INPES, le Réseau hôpital sans tabac et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM-TS), en collaboration avec un comité d’experts et validé par la Société Française de Tabacologie (Le Faou, et al., 2005). Ce questionnaire est rempli par les fumeurs lors de leur première consultation (questionnaire CDT en annexe, page 113). Les données sont ensuite validées et saisies par le personnel des consultations de tabacologie dans la base de données en ligne du programme CDT (www. cdtnet.spim.jussieu.fr) (Le Faou, et al., 2005).
La base de données CDT contient des informations socio-démographiques, les antécédents médicaux et des indicateurs psychologiques, les données concernant le tabagisme ainsi que des observations libres de tabacologues au sujet des consultations et des commentaires libres de fumeurs au sujet de leur motivation face à l’arrêt. Conformément aux recommandations de bonne pratique de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), une consultation initiale d’aide au sevrage inclut : Une évaluation du comportement tabagique : âge du début du tabagisme, détail de la consommation quotidienne (volume et type de produits consommés), précédentes tentatives d’arrêt, motivation à l’arrêt, niveau de dépendance nicotinique à l’aide du test de Fagerstöm (Heatherton, Kozlowski, Frecker, & Fagerstrom, 1991). Une évaluation des troubles anxio-dépressifs : utilisation de tests psychométriques tels que le « Hospital Anxiety and Depression Scale » (HAD) (Zigmond & Snaith, 1983). Une prise en compte des données cliniques : antécédents de maladies cardiovasculaires et respiratoires, facteurs de risque cardiovasculaires (hypertension artérielle, hypercholestérolémie, diabète). La mesure de marqueurs du tabagisme : entre autres, la mesure du niveau de monoxyde de carbone dans l’air expiré est recommandée dans les centres de tabacologie. Cette mesure est utile pour valider l’abstinence et sa lecture informe le fumeur de l’évolution de son intoxication tabagique au cours du suivi (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, 2003).
L’évaluation du profil tabagique et des co-morbidités du fumeur conduit à la prescription de traitements de substitution nicotinique (TSN) (timbres transdermiques communément appelés patchs, gommes, comprimés sublinguaux, inhaleur) ou d’autres traitements pharmacologiques (bupropion ou varenicline), de thérapies cognitivo-comportementales (TCC), de suivi psychologique ou de suivi diététique si nécessaire (Perriot, 2006). En annexe page 122, figure un arbre de décision décrivant dans ses grandes lignes la prise en charge que l’on peut proposer aux fumeurs en sevrage. Il est adapté de la revue de la littérature de John Hughes (J. Hughes, 2008). Les informations sur les traitements prescrits et les consultations de suivi sont également enregistrées dans la base de données CDT.
En 2005, l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) recensait 270 consultations hospitalières et 215 non-hospitalières. 115 consultations participaient au programme CDT, réparties dans 20 des 22 régions de France (source CDTnet). En 2009, l’Office Français du Tabagisme (OFT) recensait 651 consultations de tabacologie dont 170 participaient au programme CDT.
Caractéristiques socio-démographiques, dépendance tabagique et intentions face au sevrage des fumeurs
D’après les résultats du Baromètre Santé 2005, la prévalence du tabagisme en France est plus faible parmi les adultes actifs et/ou ayant fait des études supérieures. Les plus éduqués réussissent plus souvent à arrêter de fumer pendant au moins une semaine. A l’inverse, le tabagisme est plus fréquent parmi les chômeurs que les actifs : 1,3 fois plus chez les femmes et 1,6 fois plus chez les hommes (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007).
Les fumeurs présentant des signes de forte dépendance à la nicotine tentent deux fois moins d’arrêter de fumer que les fumeurs peu dépendants. Les signes de forte dépendance retenus dans le Baromètre Santé 2005 sont : le fait de fumer la première cigarette dans la demi-heure suivant le réveil ou une consommation quotidienne de plus de 20 cigarettes (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007).
Les résultats du Baromètre Santé 2005 rejoignent ceux que l’on peut trouver dans la littérature internationale (Fiore, et al., May 2008; Hyland, et al., 2006; Hyland, et al., 2004). Selon la revue de la littérature accompagnant les recommandations américaines de bonnes pratiques en tabacologie, il est mentionné que les facteurs associés à de forts taux d’arrêts sont principalement: une forte motivation, une confiance en soi (dans sa capacité à maintenir l’arrêt), le soutien des proches. Les facteurs associés à de faibles taux d’arrêts sont : une forte dépendance à la nicotine, des co-morbidités psychiatriques ou la dépendance à d’autres produits psychoactifs, un fort niveau de stress/anxiété et un entourage fumeur (Fiore, et al., May 2008).
Ainsi, de nombreux facteurs influent sur la consommation tabagique, ce qui suppose que la prise en charge proposée en consultation d’aide au sevrage devrait prendre en compte les spécificités des différentes populations de fumeurs (Fiore, et al., May 2008).
Les femmes enceintes fumeuses
Selon une enquête menée en 2000 dans une population de femmes enceintes bénéficiaires des Caisses Régionales des Commerçants, des Artisans et des Professions Libérales d’Ile-de-France, 63% des femmes enceintes avaient arrêté de fumer durant leur grossesse et pour la majorité dès le début de leur grossesse (Blanchon, Parmentier, Colau, Dautzenberg, & Blum-Boisgard, 2004). La plupart des femmes enceintes qui arrêtent de fumer le font toutes seules ou avec le soutien de leurs proches.
Toutefois, une enquête menée dans des maternités de quatre régions de France a révélé que l’absence d’information médicale sur les risques du tabagisme pour le foetus est un facteur associé à la poursuite du tabagisme durant la grossesse (Grange, et al., 2005). Dans la littérature internationale, il est noté que les femmes enceintes qui poursuivent leur tabagisme tout au long de la grossesse sont souvent des femmes qui ne se sentent pas directement responsables de la santé de leur foetus (Ebert & Fahy, 2007). Elles sont par ailleurs moins rigoureuses en ce qui concerne le suivi médical de leur grossesse (Schneider & Schütz, 2008).
Dans l’enquête de Blanchon et al. en Ile-de-France, les femmes enceintes n’ayant pas réussi à arrêter de fumer se sentaient stressées ou angoissées (Blanchon, et al., 2004). En outre, l’étude de Grangé et al. indique que les femmes enceintes fumeuses avaient plus souvent des antécédents de dépression nerveuse que celles ayant arrêté de fumer (Grange, et al., 2005). Ces résultats se retrouvent dans la littérature internationale, ce qui montre l’importance des facteurs psychosociaux dans le sevrage tabagique des femmes enceintes (Ebert & Fahy, 2007; Schneider, Maul, Freerksen, & Potschke-Langer, 2008). De plus, une récente revue de la littérature internationale indique que les femmes qui fument durant leur grossesse sont le plus souvent : jeunes, socialement défavorisées, très dépendantes à la nicotine, en couple avec un fumeur (Schneider & Schütz, 2008). Le lien entre âge et poursuite du tabagisme durant la grossesse peut être expliqué par le fait que la prévalence du tabagisme est très élevée chez les jeunes femmes (38% des françaises âgées de 16 à 25 ans), une population dans laquelle les grossesses non désirées sont plus fréquentes que chez des femmes plus âgées (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007; Schneider, et al., 2008). En ce qui concerne les femmes enceintes socialement défavorisées, le fait de fumer leur permet de faire une pause-plaisir dans un quotidien difficile (Ebert & Fahy, 2007).
Les petits fumeurs adultes
La population des adultes fumeurs de une à dix cigarettes par jour a pour l’instant fait l’objet de peu de recherches. Il y a donc un manque de littérature sur les facteurs prédictifs du sevrage tabagique dans cette population. Quelques études descriptives existent toutefois qui présentent la population des petits fumeurs. D’après une étude longitudinale américaine comparant petits fumeurs et gros fumeurs, les petits fumeurs seraient le plus souvent des femmes, ils sont plus jeunes, mieux éduqués et avec des revenus plus élevés (Levy, Biener, & Rigotti, 2009). Les petits fumeurs auraient souvent commencé à fumer plus tard, ils seraient moins dépendants et évolueraient le plus souvent dans un entourage familial ou professionnel non-fumeur (Levy, et al., 2009).
S’il est généralisable, ce profil laisserait croire à une grande facilité à arrêter de fumer chez les petits fumeurs. Pourtant, des études menées avec des groupes de petits fumeurs afro-américains (population dans laquelle la proportion de petits fumeurs est élevée) révèlent une population de fumeurs dépendants, d’âge moyen et ayant fumé pendant plus de 20 ans. De surcroît, ils semblent avoir autant de mal à se sevrer que les gros fumeurs et sont parfois demandeurs d’une aide spécialisée (K. S. Okuyemi, et al., 2002; Kolawole S. Okuyemi, et al., 2007).
Les motifs d’arrêt des fumeurs
En 2005, 76,5% des fumeurs français ont essayé d’arrêter de fumer pendant au moins une semaine (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007). Il est très intéressant de noter que la plupart des fumeurs souhaitent arrêter de fumer. 90% des fumeurs interrogés au cours d’une étude de cohortes menée conjointement au Canada, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Australie ont déclaré regretter d’avoir commencé à fumer (Fong, et al., 2004).
Les motifs d’arrêt les plus fréquemment évoqués par les fumeurs sont : les risques pour la santé, l’entourage ou l’aspect social du tabagisme et le coût du tabac (Fong, et al., 2004; McCaul, et al., 2006; Vangeli & West, 2008). L’importance accordée à ces différents thèmes varie en fonction du profil des fumeurs. Ainsi, les fumeurs ayant un niveau socio-économique élevé sont traditionnellement orientés vers l’avenir et souhaitent arrêter de fumer pour éviter de développer des maladies liées au tabagisme. Les fumeurs socialement défavorisés motivés à arrêter de fumer s’inquiètent quant à eux pour le coût du tabac ou souhaitent améliorer leur état de santé déjà affecté par le tabagisme (Vangeli & West, 2008).
La dénormalisation du tabagisme dans la société
L’on peut voir une influence des mesures collectives de lutte contre le tabagisme dans les motifs d’arrêt des fumeurs. Au cours de la décennie écoulée, les mesures se sont durcies en France avec des campagnes de prévention plus agressives et d’importantes hausses du prix des cigarettes (surtout entre 2002 et 2004) (Peretti-Watel & Seror, 2009). Conséquemment, les principaux motifs d’arrêt rapportés par les ex-fumeurs dans le Baromètre Santé 2005 étaient le prix des cigarettes et la peur de tomber malade (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007).
Les mesures collectives de lutte contre le tabagisme participent également à rendre l’usage du tabac inacceptable en société : on parle alors de dénormalisation du tabagisme (Biener, Hamilton, Siegel, & Sullivan, 2010; Chapman & Freeman, 2008; Grünfeld, 2009; Hammond, Fong, Zanna, Thrasher, & Borland, 2006; Peretti-Watel, Beck, et al., 2007; Peretti-Watel & Seror, 2009). En 2005, 48,6% des fumeurs français considéraient « qu’à l’heure actuelle, on est bien moins accepté lorsqu’on est fumeur » (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007).
La littérature internationale présente la dénormalisation du tabagisme comme un concept efficace pour réduire l’usage du tabac (Albers, Siegel, Cheng, Biener, & Rigotti, 2007; Biener, et al., 2010; Hammond, et al., 2006). Une étude longitudinale menée conjointement au Canada, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Australie a montré que les projets d’arrêt sont plus fréquents et les taux de sevrage sont plus élevés chez les fumeurs ayant une perception négative du tabagisme c’est-à-dire qui se sentent réprouvés, mal à l’aise lorsqu’ils fument en public et à qui leur entourage a souvent conseillé d’arrêter (Hammond, et al., 2006).
En France, un changement de la norme sociale du tabagisme a été observé (Grünfeld, 2009), mais à notre connaissance, il n’existe pas d’études publiées documentant les tentatives d’arrêt et les taux de sevrage des fumeurs dans ce climat de dénormalisation.
Les motifs d’arrêt des femmes enceintes
D’après l’enquête de Blanchon et al. les femmes enceintes ayant arrêté de fumer l’ont fait principalement pour la santé de leur bébé (Blanchon, et al., 2004). Cependant, les résultats du Baromètre Santé 2005 montrent que l’arrivée d’un enfant est moins souvent un motif prédictif de l’arrêt pour les femmes que pour leurs compagnons (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007). Ce résultat illustre l’idée que les femmes enceintes qui poursuivent le tabagisme durant leur grossesse ont besoin d’une prise en charge qui répond à leurs besoins vis-à-vis de leur situation psychosociale et de leur bien-être, au lieu d’être uniquement centrée sur la santé de l’enfant à naître (Ebert & Fahy, 2007).
Les motifs d’arrêt des petits fumeurs
Il y a encore peu d’études traitant des petits fumeurs et par conséquent les données manquent au sujet de leurs motifs d’arrêt.
La prise en charge thérapeutique du sevrage tabagique
La prise en charge thérapeutique des fumeurs en consultation de tabacologie a fait l’objet de textes de recommandations de bonne pratique au niveau national et international (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, 2003; Fiore, et al., May 2008; Guichenez, et al., 2007; Perriot, 2006).
Les consultations de tabacologie en France participant au programme CDT offrent principalement aux fumeurs une ou une combinaison des aides au sevrage suivantes : des TSN sous forme de patchs ou sous forme orale, du bupropion, de la varenicline, des TCC.
Les TSN et le bupropion permettent de réduire l’envie de fumer et les symptômes de manque, les TSN constituant un apport en nicotine ciblé que le praticien peut progressivement diminuer (Galanti, 2008; Stead, Perera, Bullen, Mant, & Lancaster, 2008). Selon une étude de cohortes multinationale menée en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et en Espagne, l’usage de TSN en monothérapie multiplie par deux ou trois les chances d’être en arrêt à six mois de suivi (West & Zhou, 2007). Une méta-analyse d’essais cliniques randomisés indique que l’usage du bupropion en monothérapie double les chances d’être en arrêt à six mois de suivi (Fiore, et al., May 2008). La varenicline est commercialisée en France depuis 2007. En plus de soulager les symptômes de manque, ce médicament bloque l’effet satisfaisant de la nicotine inhalée et donc réduit le plaisir de fumer (Galanti, 2008). En monothérapie, l’usage de varenicline peut tripler les chances d’être en arrêt à six mois d’après les résultats d’essais cliniques randomisés (Fiore, et al., May 2008).
Les TCC permettent d’apporter une aide personnalisée aux fumeurs au travers des techniques suivantes : entretien motivationnel : accroître et entretenir leur motivation à l’arrêt. balance décisionnelle : lister les avantages et inconvénients d’une poursuite du tabagisme et/ou les avantages et inconvénients d’un sevrage. apprentissage de nouveaux comportements et/ou restructuration cognitive : gérer les situations et les pensées automatiques favorisant la consommation tabagique, relaxation, gestion du stress. prévention de la rechute : repérer les situations à risques et les décisions du quotidien qui peuvent mener à une exposition au tabagisme, éviter à la fois de minimiser ou d’exagérer le manque de motivation ou les prétextes pour fumer de nouveau.
Ces techniques sont particulièrement utiles pour les fumeurs présentant des symptômes anxieux ou dépressifs, ainsi que pour les fumeurs consommant d’autres substances psychoactives (Guichenez, et al., 2007). Utilisées seules, les TCC semblent avoir un effet sur le sevrage tabagique similaire aux traitements pharmacologiques, mais il est recommandé d’associer pharmacothérapies et TCC afin d’améliorer les taux d’arrêt (Fiore, et al., May 2008; J. Hughes, 2008; Ingersoll & Cohen, 2005).
Les recommandations pour la prise en charge du sevrage des femmes enceintes fumeuses
L’usage de pharmacothérapies chez les femmes enceintes fumeuses fait l’objet de controverse quant à leur innocuité et leur efficacité, notamment en ce qui concerne le bupropion et la varenicline pour lesquels aucune étude clinique n’a été réalisée sur les femmes enceintes (Coleman, 2007). Le bupropion et la varenicline sont donc déconseillés chez la femme enceinte (Coleman, 2007; Perriot, 2006). En revanche, quelques études randomisées ont été publiées suggérant que l’usage de TSN augmente les taux de sevrage chez les femmes enceintes (Oncken & Kranzler, 2009). Les TSN devraient être prescrits à celles qui sont très dépendantes à la nicotine car le risque associé à une poursuite du tabagisme durant la grossesse est plus élevé que le risque d’effets indésirables des TSN (Coleman, 2007; Fiore, et al., May 2008). Par mesure de précaution, le traitement de première intention recommandé chez la femme enceinte fumeuse reste une offre prise en charge psychosociale (Fiore, et al., May 2008; Oncken & Kranzler, 2009).
Les recommandations pour la prise en charge du sevrage des petits fumeurs
Les recommandations internationales concernant le sevrage tabagique sont le plus souvent basées sur les résultats d’études cliniques n’incluant que des fumeurs de plus de dix ou quinze cigarette par jour (Fiore, et al., May 2008). En France, les recommandations de prise en charge ne prévoient aucun traitement pour les petits fumeurs (Perriot, 2006). Des études sont donc requises sur le sujet (Fiore, et al., May 2008).
Conclusion – Questions de recherche
D’après le Baromètre Santé 2005, 67,7% des fumeurs français qui souhaitent arrêter de fumer envisagent de le faire seuls, sans aide médicale (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007). Pourtant, le présent état des connaissances en tabacologie confirme que certaines populations éprouvent des difficultés à se sevrer (fumeurs socialement défavorisées, fumeurs peu motivés à l’arrêt, fumeurs anxieux, femmes enceintes, etc). Ces fumeurs sont-ils pris en charge dans les consultations de tabacologie du programme CDT? Autrement dit, il s’agit dans un premier temps de présenter la population des consultants CDT.
Sachant que la motivation à l’arrêt est un facteur prédictif du sevrage tabagique, une prise en charge efficace et personnalisée des fumeurs requiert de s’intéresser à leurs motifs d’arrêt, qui varient selon les profils des fumeurs et semblent influencés par les messages de prévention (peur de la maladie, coût du tabac, aspect social du tabagisme). Avec le durcissement des mesures collectives de lutte contre le tabagisme dans de nombreux pays occidentaux (dont la France), le thème de la dénormalisation du tabagisme est de plus en plus présent. Par contre, les études manquent encore en France. Dans le contexte social actuel de dénormalisation du tabagisme en France, quels facteurs pourraient influencer la motivation à l’arrêt ou constituer un motif prédictif d’arrêt pour les fumeurs reçus en consultation de tabacologie?
La prise en charge thérapeutique du sevrage tabagique est balisée par des textes de recommandations de bonnes pratiques au niveau national et international. L’efficacité des traitements pharmacologiques et thérapies cognitivo-comportementales a été validée. Cependant, pour des raisons de sûreté, les femmes enceintes ne reçoivent pas les mêmes traitements que les autres fumeurs, bien que leurs difficultés à arrêter soient documentées dans la littérature. En consultation de tabacologie en France, quelle est la prise en charge offerte aux femmes enceintes qui ont du mal à arrêter de fumer ? Cette aide est-elle efficace ?
En termes de prise en charge, peu d’études sont pour l’instant consacrées aux petits fumeurs. Les données de la base CDT vont-elles confirmer les quelques études réalisées chez les fumeurs afro-américains ? Les petits fumeurs consultant en France ont-ils autant de difficulté à arrêter de fumer que les gros fumeurs (consommation quotidienne de onze cigarettes et plus)? Une prise en charge efficace est-elle proposée aux petits fumeurs reçus en consultation ?
MOTIVATIONS A L’ARRET DANS UN CLIMAT DE DENORMALISATION DU TABAGISME
Les mesures collectives de lutte contre le tabagisme participent à la dénormalisation du tabagisme (Biener, et al., 2010; Chapman & Freeman, 2008; Grünfeld, 2009; Hammond, et al., 2006; Peretti-Watel, Beck, et al., 2007; Peretti-Watel & Seror, 2009). Dans un contexte d’intensification de la politique de lutte contre le tabagisme, la présente étude aborde une question principale : les motivations à l’arrêt qui reflètent un changement de la norme sociale du tabagisme entraînent-elles des sevrages réussis ?
Dans le cadre de la thèse, l’étude sur l’évolution du profil des consultants entre 2001 et 2006 a mis en évidence une modification des comportements tabagiques en lien avec les mesures de lutte contre le tabagisme, mais avec un certain essoufflement en 2005 et début 2006. En 2006 – 2007, l’hypothèse était que l’arrivée du décret interdisant de fumer dans les lieux publics cristalliserait la modification de la perception du tabagisme en France. Il était donc intéressant d’examiner une influence de ce contexte social « anti-tabac » sur les motifs d’arrêt des fumeurs et sur les taux de sevrages réussis en consultation d’aide à l’arrêt.
La présente étude était une analyse rétrospective des données de 13746 fumeurs reçus en consultation de tabacologie à l’échelle nationale, de septembre 2006 à septembre 2007. Nous avons réalisé une analyse thématique des motivations à l’arrêt librement exprimées par les fumeurs lors de leur première consultation. Des tests bivariés et des modèles de régression logistique multiple ont été utilisés pour déterminer quelles motivations étaient prédictives de l’abstinence à un mois de suivi.
Les motifs les plus fréquemment avancés par les fumeurs étaient la santé et le coût du tabac mais ces thèmes n’étaient pas associés à l’arrêt. Le thème du coût du tabac n’était pas plus souvent mentionné par les fumeurs chômeurs et sans diplôme que par les fumeurs actifs et ayant fait des études supérieures. En fait, les fumeurs socialement défavorisés ont parfois déclaré sacrifier des besoins élémentaires pour payer leurs cigarettes. De plus, les fumeurs sans diplôme ont exprimé deux fois moins souvent une image négative du tabagisme comparé aux fumeurs ayant fait des études supérieures.
Les fumeurs ayant obtenu les meilleurs taux d’arrêt étaient influencés par leur réseau social soit parce que leur entourage ou la société les incitait à arrêter de fumer, soit parce qu’ils voulaient inciter des proches à ne pas fumer : « incitation ou pression des autres » (20,9%), « montrer l’exemple » (20,7%) et « avoir un entourage non-fumeur » (20,3%). Seul le thème « incitation ou pression des autres » était significativement prédictif de l’abstinence en régression multivariée (OR 1.26, IC 95% 1.02 – 1.56) : « La pression sociale de mon entourage professionnel devient de plus en plus forte. » ; « mon fils âgé de 7 ans me demande régulièrement d’arrêter avant que je décède. Comme quoi la campagne anti-tabac a du bon !!! ». Les fumeurs étaient las des contraintes du tabagisme sur leur vie sociale : « tous [mes] amis et [ma] famille ont arrêté, [je] fume dehors seule, [je me] sens exclue. »; « je voudrais qu’on ne me dise plus avec dégoût que je sens le tabac. Enfin, je veux me libérer de cette addiction car j’ai HONTE de fumer, pas chez moi mais dans la rue ». 259 fumeurs se sont rendus en consultation uniquement parce qu’ils avaient été enjoints d’arrêter de fumer par un médecin : « Pas motivé : la cigarette me contente, j’ai pas la tête à penser à ma santé et au coût du tabac ». Ces fumeurs avaient le profil suivant : orienté en tabacologie via une hospitalisation (OR=2,87 ; IC 95% 2,07 – 4,00), aucune tentative antérieure d’arrêt (OR=2,38 ; IC 95% 1,69 – 3,35), antécédents cardiovasculaires (OR=2,07 ; IC 95% 1,57 – 2,73). Ils ont obtenu le plus faible taux d’arrêt (10,9%) et le plus fort taux de perdus de vue (52,5%).
Au travers du développement de réseaux sociaux non-fumeurs (entourage privé ou professionnel), la dénormalisation du tabagisme semble promouvoir le sevrage. Par conséquent, pour les fumeurs heureux qui ne souhaitent pas arrêter et chez qui les mesures collectives et l’aide individuelle n’ont pas d’effet, une solution pourrait être de faire participer les non-fumeurs de leur entourage à leur sevrage.
DIFFICULTES FACE A L’ARRET DU TABAGISME DES FEMMES ENCEINTES EN CONSULTATION DE TABACOLOGIE
En France, la prévalence du tabagisme des femmes enceintes n’est pas négligeable. En 2005, 35% des femmes en âge de procréer fumaient régulièrement et les tabacologues estiment qu’environ 30% des femmes enceintes sont fumeuses (Garélik, 2007; Peretti-Watel, Beck, et al., 2007). Cependant, les études récentes manquent sur le sujet en France, et les données disponibles sont souvent issues d’enquêtes régionales. Etant donné les graves répercussions que peut avoir le tabagisme des femmes enceintes sur le développement du foetus ainsi que sur le déroulement de la grossesse (Jauniaux & Burton, 2007), il est indispensable de mieux comprendre les problématiques des femmes enceintes fumeuses afin de les aider à arrêter (Grange, et al., 2005). La présente étude portait sur le profil et les perceptions face à l’arrêt des femmes enceintes fumeuses en démarche de sevrage, l’objectif étant de mieux comprendre leurs difficultés.
Dans le cadre de la thèse, l’intérêt pour la prise en charge offerte aux femmes enceintes fumeuses s’est développé à l’observation de taux d’arrêt très faibles et de forts taux de perdus de vue parmi les femmes enceintes reçues en consultation de tabacologie entre 2004 et 2006. La lutte contre le tabagisme des femmes enceintes faisait partie des mesures phares du Plan Cancer 2003 – 2007, mais force était de constater qu’en 2006, la situation restait alarmante.
682 femmes enceintes de moins de 50 ans ont été reçues dans des services participant au programme CDT à l’échelle nationale entre 2004 et 2006. A la fin de la première consultation, les tabacologues avaient la possibilité de saisir leurs commentaires libres, apportant des informations complémentaires sur les fumeuses. Les déclarations d’arrêt durant la grossesse ont été vérifiées par des mesures de CO < 5 ppm. Il s’agit ici du statut tabagique à la dernière consultation de tabacologie durant la grossesse. Ne disposant malheureusement pas d’information sur le terme de la grossesse, nous avons supposé que toute consultation de suivi ayant lieu plus de 8 mois après la consultation initiale devait être postnatale. Deux femmes se sont trouvées dans ce cas.
Des méthodes bivariées et un modèle de régression logistique ont permis de tester les variables associées avec un arrêt durant la grossesse. A partir des commentaires des tabacologues, nous avons effectué une analyse thématique des perceptions des femmes enceintes fumeuses face à l’arrêt, en fonction de leur statut tabagique.
16,3% (n=111) des femmes enceintes ont arrêté de fumer, 23,9% (n=163) ont maintenu une consommation tabagique et 59,8% (n=408) ne sont jamais revenues en tabacologie après leur première visite (perdues de vue). Au cours de la consultation initiale, 80,5% des femmes fumaient plus de 10 cigarettes par jour. La prise en charge proposée incluait la prescription de patchs, qui s’est avéré être un important facteur prédictif de l’arrêt : OR 2,78 (IC 95% 1,77 – 4,37). 25 des 100 femmes à qui l’on a proposé une combinaison de patchs et TCC ont arrêté de fumer (p=0.007). Les commentaires des tabacologues sur les femmes perdues de vue ont révélé qu’elles présentaient une faible motivation à l’arrêt malgré une offre de prise en charge : « Sevrage difficile en perspective car elle n’est pas dans l’envie personnelle, elle est plus dans l’obligation ». Elles souhaitaient maintenir une consommation tabagique, même réduite, afin de gérer le stress de la grossesse : « motivée à arrêter de fumer mais pas prête. A bien réduit sa consommation et voudrait pouvoir fumer quelques cigarettes qui permettent de gérer l’angoisse de mener à bien cette grossesse. ». Les femmes ayant un entourage familial ou professionnel fumeur craignaient de ne pouvoir rester abstinentes. Les tabacologues ont également noté le cas de femmes, perdues de vue ensuite, qui ne souhaitaient pas recevoir de TSN.
Malgré une offre de prise en charge, la majorité des femmes enceintes reçues en consultation n’étaient pas prêtes à arrêter de fumer. Il se peut que la pression sociale vis-à-vis du tabagisme durant la grossesse ait poussé ces femmes à accepter une première consultation sur avis médical. Cette étude souligne la nécessité d’un soutien psychosocial et motivationnel intensif chez des femmes pour qui le plaisir de fumer est souvent plus fort que la nécessité d’arrêter pour préserver la santé de leur enfant. De plus, en dépit de certaines réticences, l’usage des TSN devrait être plus amplement discuté entre les partenaires de l’alliance thérapeutique (fumeuses enceintes, personnel des services de maternité ou gynécologues-obstétriciens, tabacologues).
LA PRISE EN CHARGE OFFERTE AUX PETITS FUMEURS EN CONSULTATION D’AIDE AU SEVRAGE : UNE POPULATION HETEROGENE AUX BESOINS SPECIFIQUES
En 2005, 41,7% des fumeurs français consommaient une à dix cigarettes par jour, une prévalence en augmentation depuis 2000 chez les adultes (Peretti-Watel, Beck, et al., 2007). Cependant, les consultations de tabacologie servent principalement les gros fumeurs (Le Faou, et al., 2009) car il est supposé que les petits fumeurs n’ont aucune difficulté à arrêter de fumer (Beck, et al., 2006). Cette étude aborde le thème de l’aide au sevrage proposé aux petits fumeurs en consultation, population pour laquelle il y a un manque de littérature et de recommandations de bonnes pratiques au niveau national et international.
Dans le cadre de la thèse, l’intérêt pour les petits fumeurs du programme CDT s’est précisé lorsque nous nous sommes interrogées sur les conséquences des modifications de comportements tabagiques (réduction de la consommation et compensation en inhalant intensément) observées lors de l’étude sur l’évolution du profil des consultants entre 2001 et 2006.
La présente étude était une analyse rétrospective des données de 36594 fumeurs âgés de 18 ans et plus, reçus en consultation de tabacologie à l’échelle nationale de janvier 2007 à décembre 2008. Il y avait parmi eux, 16,4% (n=6001) de petits fumeurs. La prise en charge thérapeutique incluait des traitements pharmacologiques et des TCC. Des tests bivariés et des modèles de régression logistique multiple ont été utilisés pour déterminer les aspects de la prise en charge prédictifs de l’arrêt à un mois de suivi chez les petits fumeurs.
Les petits fumeurs étaient 1,23 fois plus souvent perdus de vue que les gros fumeurs (consommation quotidienne de onze cigarettes et plus). Les taux d’arrêt étaient de 13,3% pour les petits fumeurs et 14,5% pour les gros fumeurs (p=0,013). Les tabacologues ont prescrit des TSN et de la varenicline moins souvent aux petits fumeurs qu’aux gros fumeurs. Pourtant, ces traitements pharmacologiques étaient associés à des taux d’arrêt deux fois plus élevés qu’en l’absence de pharmacothérapie : respectivement OR 2,18 (IC 95% 1,85 – 2,57) pour le patch et OR 2,34 (IC 95% 1,77 – 3,09) pour la varenicline. Les TCC n’amélioraient le sevrage que lorsqu’elles étaient associées à une prescription de patch. L’efficacité de l’aide au sevrage variait également en fonction du profil des petits fumeurs : les petits fumeurs en démarche personnelle de sevrage ou ayant essayé d’arrêter de fumer plusieurs fois avaient de meilleurs taux d’arrêt que ceux pour qui il n’était pas important d’arrêter de fumer ou pour ceux adressés en consultation de tabacologie sur avis médical. Les petits fumeurs à qui l’on avait conseillé d’arrêter de fumer au cours d’une précédente hospitalisation (généralement dans des services de cardiologie ou de pneumologie) avaient presque deux fois plus de chances d’être perdus de vue.
Afin d’améliorer les taux de sevrage des petits fumeurs, l’offre de prise en charge des consultations de tabacologie gagnerait à être mieux adaptée à leurs besoins. Ainsi, les petits fumeurs peu motivés à arrêter (même en dépit d’antécédents de maladies liés au tabagisme) auraient pu bénéficier entre autres d’un soutien motivationnel et d’éducation thérapeutique personnalisés. Par ailleurs, nos résultats suggèrent que les tabacologues ne devraient pas hésiter à prescrire des pharmacothérapies aux fumeurs de moins de dix cigarettes par jour.
Réponses aux questions de recherche : interprétation des résultats et perspectives de recherche
A la lumière de nos résultats, les trois populations de fumeurs sur lesquelles nous avons centré ce travail de recherche méritent effectivement l’intérêt accru de la recherche en tabacologie et des spécialistes de l’aide au sevrage. Déjà identifiés par le Baromètre Santé 2005 comme les plus touchés par le tabagisme, les fumeurs socialement défavorisés semblent résister aux mesures collectives de lutte contre le tabagisme. Il en est de même pour les femmes enceintes fumeuses dont l’importance des taux de perdues de vue suppose une offre d’aide au sevrage mal adaptée. Enfin, les petits fumeurs représentent un nouveau champ de recherche et d’action en raison des risques sanitaires encourus et de leurs difficultés à arrêter de fumer en dépit d’une consommation faible.
Les fumeurs socialement défavorisés en consultation de tabacologie
(1) Interprétation des résultats:
Avec trois fois plus de consultations hospitalières et la mise en place de formations pour les personnels hospitaliers, nos résultats indiquaient logiquement une augmentation de la proportion de fumeurs orientés en tabacologie via une hospitalisation entre 2001 et 2006. Ce résultat a été notamment observé pour les fumeurs au chômage ou peu éduqués. Toutefois, la proportion de fumeurs en démarche personnelle parmi les chômeurs et les personnes peu éduquées était aussi en progression (résultats non présentés dans l’article publié (Le Faou, et al., 2009)). La hausse de la fréquentation des consultations de tabacologie par les fumeurs socialement défavorisés est donc un résultat positif, signe d’un effort réalisé dans l’accessibilité des consultations.
Cependant, les résultats de notre étude sur les motifs d’arrêt des consultants du programme CDT entre 2006 et 2007 montraient que les fumeurs au chômage ou peu éduqués arrêtaient de fumer significativement moins souvent que les fumeurs actifs ou ayant fait des études supérieures (tableau 4, page 50). Nos résultats semblent donc s’accorder avec des études américaines et britannique plus récentes suggérant que les fumeurs socialement défavorisés envisagent d’arrêter de fumer, font des tentatives d’arrêt, utilisent les traitements de substitution nicotinique et pourtant ne parviennent pas à arrêter (Fiore, et al., May 2008; Kotz & West, 2009).
Alors que l’augmentation des prix du tabac est l’une des mesures primordiales de la politique de lutte contre le tabagisme en France, il est indispensable d’apporter en complément une aide au sevrage ciblée aux fumeurs socialement défavorisés qui sont les plus affectés (voire pénalisés) par cet argument économique (Peretti-Watel, et al., 2009). D’autant plus que nos résultats illustrent un essoufflement de l’impact de cette mesure sur le comportement tabagique des consultants du programme CDT : Les fumeurs semblent s’adapter au coût du tabac en diminuant le nombre moyen de cigarettes manufacturées consommées par jour, tout en compensant par une inhalation plus forte (étude sur le profil des fumeurs entre 2001 et 2006). Parmi les petits fumeurs, ceux ne consommant que du tabac à rouler (moins cher que les cigarettes manufacturées) sont principalement les bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé (données des consultants 2007 – 2008, non présentées dans la version finale de l’article sur les petits fumeurs). Certains fumeurs au chômage et/ou peu éduqués sont prêts à consacrer une part importante de leur budget au tabac au détriment de besoins plus essentiels (étude sur les motifs d’arrêt des fumeurs entre 2006 – 2007). Le coût du tabac n’est pas un thème prédictif de l’arrêt chez les fumeurs au chômage et/ou peu éduqués (résultats non présentés dans la version finale de l’article sur les motifs d’arrêt des fumeurs entre 2006 – 2007). Parmi les fumeurs qui se sont rendus en consultation uniquement parce qu’ils avaient été enjoints d’arrêter de fumer par un médecin, on retrouvait plus souvent des personnes sans diplôme que des personnes ayant fait des études supérieures (OR 1,66, IC 95% 1,14 – 2,42) et 69, 3% de ces fumeurs « heureux » étaient sans diplôme ou avaient un niveau CAP/BEP (résultats non présentés dans la version finale de l’article sur les motifs d’arrêt des fumeurs entre 2006 – 2007).
En 2004, dans le cadre des mesures de prévention du plan cancer 2003 – 2007, il était prévu d’expérimenter la gratuité des substituts nicotiniques sur une période de trois mois de traitement pour les fumeurs bénéficiaires de la couverture médicale universelle (CMU) dans trois régions de France (Ministère de la Santé, et al., 2004; Ministère de la Santé & de la Jeunesse et des Sports). Depuis le 1er février 2007, l’Assurance Maladie rembourse maintenant les TSN à hauteur de 50 euros par bénéficiaire et par an. Fin mars 2007, la varenicline a été rajoutée à la liste des médicaments de ce dispositif de remboursement (source Ameli.fr).
Le manque de succès des tentatives d’arrêt des fumeurs socialement défavorisés en dépit de ces mesures est un problème d’actualité qui entre dans le cadre des inégalités sociales de santé. Etant donné que par exemple, 90% des cancers du poumon en France sont imputables au tabagisme (Rouquet, 2009), la surexposition au tabagisme des individus socialement défavorisés explique en partie le fait que les taux de mortalité par cancer du poumon soient plus élevés dans ces populations (Institut National du Cancer, 2009; Menvielle, Leclerc, Chastang, & Luce, 2008). La politique de lutte contre les inégalités sociales de santé passe donc par la lutte contre le tabagisme dans les populations socialement défavorisées, une priorité aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale (Ministère de la santé et des sports & Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2009; Murray, Bauld, Hackshaw, & McNeill, 2009).
Les femmes enceintes fumeuses en consultation de tabacologie
(1) Interprétation des résultats:
Pendant longtemps en France comme dans d’autres pays occidentaux, le personnel d’obstétrique a fait preuve de tolérance à l’égard des femmes enceintes fumeuses afin de préserver les relations de confiance entre le personnel soignant et les patientes avec lesquelles la question du sevrage tabagique ne pouvait alors être abordée (Baxter, et al., 2010; Espiand-Marçais, et al., 2009). Un aspect positif de nos résultats est que la plupart des femmes enceintes fumeuses avaient été orientées en tabacologie par le personnel de maternité et une prise en charge leur avait été proposée. Cependant, le faible taux d’arrêts et l’importance du nombre de perdues de vue est inquiétant.
Chez les femmes qui ne sont jamais revenues en consultation, la motivation à l’arrêt était souvent absente. D’après les données des consultants reçus entre 2006 et 2007 dont nous avons étudié les motifs d’arrêt (résultats pour les femmes enceintes non présentés dans la version finale de l’article publié) : 5,6% des femmes enceintes étaient en arrêt à un mois de suivi, sans différence significative dans les taux d’arrêts entre celles motivées par leur grossesse (70% des femmes enceintes de l’échantillon) et les autres. De plus, aucun des autres thèmes de motivations évoqués par les femmes n’était prédictif de l’arrêt (coût du tabac, santé, image négative du tabagisme, entourage). Déjà, dans l’étude femmes enceintes 2004-2006, les femmes qui avaient subi de la pression de la part de leur entourage n’avaient pas réussi à arrêter. Il se peut donc que la dénormalisation du tabagisme n’ait pas d’influence sur une population qui souffre depuis longtemps de la culpabilité d’être fumeuse et pourtant maintient pour la plupart une consommation tabagique élevée de plus de 10 cigarettes par jour.
Une des limites de notre travail est qu’en dehors des commentaires de certains tabacologues, nous n’avions pas d’information sur le contenu des conseils apportés ou des TCC entreprises. Les femmes enceintes fumeuses doivent être informées et sensibilisées sans culpabilisation, notamment pour venir à bout de certaines idées reçues telles que le maintien de quelques cigarettes quotidiennes pour gérer le stress de la grossesse (mentionné par des femmes dans notre étude 2004 – 2006). Les femmes enceintes fumeuses ont également besoin d’un soutien motivationnel adapté et d’accompagnement psychologique systématique en cas de troubles anxio-dépressifs (31,2% de notre échantillon avait des antécédents de dépression nerveuse). Enfin, l’usage des TSN doit être clairement présenté pour les plus dépendantes, avec si nécessaire une sensibilisation du personnel médical pour éviter d’apporter des informations contradictoires aux femmes. En effet, dans nos résultats, une des femmes enceintes avait refusé de recevoir des TSN car l’usage lui en avait été déconseillé par sa gynécologue.
(2) Perspective de recherche:
L’exemple de la maternité de Montpellier, récemment publié, démontre que les recommandations de prise en charge actuelles peuvent être efficaces si elles sont mises en place et suivies systématiquement par tout le personnel : information sur les risques liés au tabagisme et sur les bénéfices de l’arrêt ; mesure du CO à chaque consultation pour que la patiente prenne conscience de son intoxication tabagique mais aussi de ses progrès ; évaluation de la dépendance physique ; orientation en tabacologie ; offre de TCC et de prise en charge psychologique en première intention, de TSN en seconde intention (Espiand-Marçais, et al., 2009). Nos résultats illustrent également ce constat car les femmes enceintes qui avaient bénéficié d’un suivi avec notamment une prescription de patchs et de TCC ont arrêté de fumer durant leur grossesse.
Par conséquent, plutôt que le contenu même des informations et des conseils offerts aux femmes enceintes fumeuses, c’est le format et la mise en place de l’aide au sevrage qu’il faudrait améliorer. Des facteurs tels que la durée des consultations ou les ressources et le personnel disponibles ont leur importance dans le maintien des femmes enceintes en consultation de tabacologie (Baxter, et al., 2010). Ainsi, le conseil minimal recommandé aux professionnels de l’équipe obstétricale en première intention avant l’orientation en tabacologie n’est pas suffisant. Une grande partie des femmes enceintes fumeuses présente des symptômes de dépression et affronte de nombreuses sources de stress (difficultés financières, problèmes familiaux, poly-addiction) (Alliance Contre le Tabac, et al., 2005; Bertrand, et al., 2005). Elles ont besoin d’entretiens approfondis avec des spécialistes formés qui pourraient prendre en compte leur profil anxio-dépressif (Cinciripini, et al., 2010).
Dans l’étude de Cinciripini et al., les femmes enceintes ont bénéficié de 10 séances d’une heure dont 15 minutes d’entretien motivationnel et conseils comportementaux et 45 minutes soit d’éducation à la santé pour apprendre à gérer les situations stressantes et à prendre soin d’elles-mêmes pendant la grossesse, soit de psychothérapie cognitivo-comportementale destinée à traiter la dépression chronique. Les taux d’arrêt au bout des 10 séances étaient d’environ 43% (Cinciripini, et al., 2010). Conduite par une équipe de psychologues ayant bénéficié d’une formation spécifique, cette étude serait difficile à généraliser en pratique, d’autant plus que les participantes ont reçu une compensation financière.
Quoi qu’il en soit, on peut tirer deux enseignements de cette expérience. Premièrement, sans avoir la formation spécifique des psychologues de l’équipe de Cinciripini, une formation complémentaire du personnel des consultations de tabacologie à l’entretien motivationnel serait utile pour encourager les femmes enceintes à revenir en consultation de tabacologie en l’absence de compensation financière. Deuxièmement, il est possible que l’une des clés du succès de cette expérience, comme dans l’exemple de la maternité de Montpellier, se trouve dans le fait que le personnel impliqué se conforme à un protocole préalablement établi (Cinciripini, et al., 2010; Espiand-Marçais, et al., 2009).
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Table des matières
INDEX DES TABLEAUX ET FIGURES
LEXIQUE
1 INTRODUCTION
2 LE PROGRAMME CDT – LES CONSULTATIONS DE TABACOLOGIE
3 FACTEURS INFLUANT SUR LE SEVRAGE TABAGIQUE – ETAT DES CONNAISSANCES
3.1 Caractéristiques socio-démographiques, dépendance tabagique et intentions face au sevrage des fumeurs
3.1.1 Les femmes enceintes fumeuses
3.1.2 Les petits fumeurs adultes
3.2 Les motifs d’arrêt des fumeurs
3.2.1 La dénormalisation du tabagisme dans la société
3.2.2 Les motifs d’arrêt des femmes enceintes
3.2.3 Les motifs d’arrêt des petits fumeurs
3.3 La prise en charge thérapeutique du sevrage tabagique
3.3.1 Les recommandations pour la prise en charge du sevrage des femmes enceintes fumeuses
3.3.2 Les recommandations pour la prise en charge du sevrage des petits fumeurs
3.4 Conclusion – Questions de recherche
4 EVOLUTION DU PROFIL DES FUMEURS REÇUS EN CONSULTATION DE TABACOLOGIE ENTRE 2001 ET 2006
4.1 Résumé des résultats publiés
4.2 Introduction
4.3 Methods
4.3.1 Study population
4.3.2 Measures
4.3.3 Statistical analysis
4.4 Results
4.4.1 Socio-demographic features
4.4.2 Medical history and psychological profile
4.4.3 Smoking profile
4.4.4 Centres in the second period
4.5 Discussion
4.6 Conclusion
4.7 Tables
5 MOTIVATIONS A L’ARRET DANS UN CLIMAT DE DENORMALISATION DU TABAGISME
Monique Yolande BAHA
Prise en charge individuelle du sevrage tabagique : les facteurs déterminants du sevrage
5.1 Résumé des résultats publiés
5.2 Introduction
5.3 Methods
5.3.1 Population
5.3.2 Measures
5.3.3 Data analysis
5.4 Results
5.4.1 Health concerns
5.4.2 Cost of smoking
5.4.3 Social concerns
5.4.4 Negative image of smoking
5.4.5 Fear of illness or dying
5.4.6 Advice from medical staff
5.4.7 Smoking ban
5.5 Discussion
5.6 Tables
6 DIFFICULTES FACE A L’ARRET DU TABAGISME DES FEMMES ENCEINTES EN CONSULTATION DE TABACOLOGIE
6.1 Résumé des résultats publiés
6.2 Introduction
6.3 Material and methods
6.4 Results
6.4.1 Baseline characteristics and intervention outcomes
6.4.2 Reports on women who never returned to a cessation service
6.4.3 Reports on CO-validated quitters
6.5 Comment
6.6 Tables
7 LA PRISE EN CHARGE OFFERTE AUX PETITS FUMEURS EN CONSULTATION D’AIDE AU SEVRAGE : UNE POPULATION HETEROGENE AUX BESOINS SPECIFIQUES
7.1 Résumé
7.2 Introduction
7.3 Methods
7.3.1 Population and measures
7.3.2 Data analysis
7.4 Results
7.4.1 Baseline characteristics
7.4.2 Smoking status at follow-up
7.4.3 Intervention plans among light smokers
7.4.4 Intervention outcomes among light smokers
7.5 Discussion
7.6 Tables
8 DISCUSSION ET PERSPECTIVES
8.1 Réponses aux questions de recherche : interprétation des résultats et perspectives de recherche
8.1.1 Les fumeurs socialement défavorisés en consultation de tabacologie
8.1.2 Les femmes enceintes fumeuses en consultation de tabacologie
8.1.3 Les petits fumeurs en consultation de tabacologie
8.2 Limites et points forts de notre travail
9 CONCLUSION
10 BIBLIOGRAPHIE
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