Difficultés des enseignants en lien avec l’orientation
Jugement professionnel
Comme nous l’expliquent Allal et Lafortune (2008), le jugement professionnel est présent dans des professions autres que celles liées à l’enseignement. « Le jugement professionnel n’est certainement pas une spécificité de la pratique enseignante » . On le retrouve notamment dans les professions touchant au domaine de la médecine. Voici une définition du jugement professionnel chez les diététistes, proposée par Cohen (2015) : Application des connaissances, des compétences et de l’expérience qui prend en compte les normes professionnelles, les lois et les principes éthiques en vue d’établir une opinion ou de prendre une décision sur ce qu’il faudrait faire pour servir au mieux les clients. En effet, « le médecin, comme l’enseignant ou l’enseignante dans sa classe, doit tenir compte des procédures et des règles imposées par l’institution, sans que celles-ci nuisent toutefois à l’autonomie de son jugement. » (Allal & Lafortune, 2008, p.3). Même dans les professions fortement encadrées par des normes et des procédures, on ne peut mettre le jugement professionnel de côté, comme nous le soulignent Allal et Lafortune (2008), il est au cœur de l’autonomie professionnelle.
Jugement professionnel en évaluation
De toute évidence, le jugement professionnel est une notion qui intéresse, notamment lorsqu’on le relie à l’évaluation dans le cadre scolaire. En voici la définition si l’on se réfère aux travaux de Lafortune.
Le jugement professionnel est un processus qui mène à une prise de décision, laquelle prend en compte différentes considérations issues de son expertise (expérience et formation) professionnelle. Ce processus exige rigueur, cohérence et transparence. En ce sens, il suppose une collecte d’informations à l’aide de différents moyens, une justification du choix des moyens en lien avec les visées ou intentions et un partage des résultats de la démarche dans une perspective de régulation.
Contrairement à la notion du jugement évaluatif définit par Mottier Lopez (2008) comme une opération constitutive de l’évaluation des apprentissages qui se situerait quelque part entre l’interprétation des données recueillies et la prise de décision. Le jugement professionnel comme défini ci-dessus par Lafortune, concerne l’ensemble des activités de l’enseignement.
Il intervient à la fois dans les choix didactiques et pédagogiques, dans la gestion de la classe tout comme dans chacune des formes d’évaluation des apprentissages (formatives, diagnostiques, formatrices, sommatives et pronostiques).
Référentialisation en évaluation
La recherche sur le jugement professionnel dans les pratiques évaluatives au Québec menée par Lafortune (2008) a permis d’identifier de manière plus précise la manière dont celui-ci est construit. « Pour porter un jugement d’évaluation, les personnes enseignantes utilisent des moyens pour s’aider à évaluer les élèves ; ces moyens sont des sources d’information différentes » . Si l’on se réfère aux résultats de la recherche de cette auteure, il en ressort que la matière dans laquelle est porté le jugement d’évaluation influence le choix des sources d’information permettant de construire ce dernier. Durant cette recherche, Lafortune (2008) a comparé le domaine de l’univers social avec celui des mathématiques. Il en ressort que, dans les sources d’information utilisées, on retrouve notamment les fameuses « évaluations » ou « travaux », dont l’envergure est différente en fonction de la discipline, des entrevues avec des élèves en particulier, le nombre de fois où l’enseignant a dû aider l’élève ainsi que le nombre de fois où celui-ci a posé des questions.
D’autre part, seuls quelques-uns d’entre eux ont mentionné avoir recours aux devoirs des élèves comme source d’information en ce qui concerne les mathématiques. Tandis que quelques-uns d’entre eux prennent en compte, lors des leçons d’univers social, la participation de l’élève.
Jugement professionnel dans la décision d’orientation
Dans le canton de Berne, les élèves arrivant à la fin du cycle 2, c’est-à-dire en 8e, sont soumis à une procédure d’orientation qui a pour objectif de les orienter vers un niveau « correspondant à leurs aptitudes et à leur développement présumé et dans lesquels ils pourront le mieux progresser» (ODED, 2013) pour chacune des branches évaluées en vue de l’école secondaire. C’est l’Ordonnance de Direction concernant l’évaluation et les décisions d’orientation à l’école obligatoire (ODED) qui règle cette procédure au niveau légal.
À la fin du premier semestre de 8e (mi-janvier), l’enseignant remplit un rapport3 et une fiche de passage4 pour chaque élève. Le rapport contient une évaluation des compétences en termes d’atteinte des objectifs dans les trois disciplines où l’élève sera orienté, c’est-à-dire en français, allemand et mathématiques et une évaluation de l’attitude face au travail et à l’apprentissage portant sur la fréquence de l’attitude adoptée. La fiche de passage, quant à elle, comprend l’orientation provisoire de l’élève du point de vue de ses enseignants, elle ne peut faire l’objet d’un recours. Les parents et l’élève sont invités à compléter cette fiche selon leur point de vue. Cette fiche servira de base à un entretien de passage qui aura lieu avant mi-février et qui aura pour but de donner, aux parents et à l’élève, des informations sur l’orientation provisoire de l’élève. Le deuxième semestre de la 8e est défini comme étant un semestre probatoire servant à confirmer l’orientation provisoire de l’élève. À la fin de l’année scolaire, l’enseignant complète la partie «orientation définitive » présente sur la fiche de passage. En lien avec le semestre probatoire, cette orientation peut différer de l’orientation provisoire. Si tel est le cas, l’enseignant organisera un entretien avec les parents. À noter que cette orientation définitive peut faire l’objet d’un recours.
Difficultés des enseignants en lien avec l’orientation
Les enseignants interrogés ont, au travers des entretiens, évoqué cinq difficultés auxquelles ils étaient confrontés en lien avec l’orientation. Au travers des propos des enseignants, nous constatons, d’une part, que l’orientation n’est pas une évaluation sans difficulté. D’autre part, nous constatons que les difficultés dont ils nous font part ne concernent pas seulement les situations d’orientation particulières et/ou complexes mais bien l’orientation en général. A propos de l’évaluation sommative, évaluation qui sert de base à l’orientation des élèves, Laveault (2008) souligne que « l’évaluation sommative à des fins de certification est sans doute celle qui fait intervenir le plus souvent les niveaux réflexifs et critiques du jugement professionnel de l’enseignant » et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, les enjeux de cette évaluation sont élevés et intéressent plusieurs personnes. Deuxièmement, « les buts poursuivis sont multiples et pas toujours compatibles » . En effet, l’évaluation sommative est utilisée pour faire le bilan des acquis des élèves, mais aussi, dans notre cas, à des fins d’orientation. Finalement, l’évaluation place l’enseignant au centre d’un conflit de loyauté.
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Table des matières
Introduction
1. Problématique
1.1 Définition et importance de l’objet de recherche
1.1.1 Raison d’être de l’étude
1.1.2 L’évaluation : un sujet qui questionne
1.1.3 L’évaluation pronostique : un sujet qui questionne
1.2 État de la question
1.2.1 Jugement professionnel
1.2.2 Jugement professionnel en évaluation
1.2.3 Référentialisation en évaluation
1.2.4 Jugement professionnel dans la décision d’orientation
1.3 Question et objectifs de recherche
1.3.1 Identification de la question de recherche
1.3.2 Objectifs de recherche
2. Méthodologie
2.1 Fondements méthodologiques
2.1.1 Recherche qualitative
2.1.2 Une double démarche : descriptive et compréhensive
2.1.3 Recherche appliquée et enjeu ontogénique
2.2 Nature du corpus
2.2.1 Récolte des données
2.2.2 Procédure et protocole de recherche
2.2.3 Echantillonnage
2.3 Démarche d’analyse des données
2.3.1 Transcription des entretiens
2.3.2 Traitement et analyse thématique des données
3. Analyse et interprétation des résultats
3.1 Difficultés des enseignants en lien avec l’orientation
3.2 Situations d’orientation particulières et/ou complexes
3.3 Démarches d’évaluation : entre référents explicites et implicites
3.3.1 Référents explicites relevés par les enseignants
3.3.2 Référents implicites relevés par les enseignants
3.3.3 Autres référents relevés par les enseignants lors de décisions d’orientation particulières / complexes
3.4 Perceptions des enseignants en lien avec la procédure d’orientation
3.4.1 Construction de la procédure d’orientation
3.4.2 Documents en lien avec la procédure d’orientation
3.4.3 Un aspect négatif de la procédure d’orientation
3.4.4 Orientation définitive, ou presque
3.4.5 Orientation et subjectivité
Conclusion
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