Différentiation tissulaire et formation du bois
La différentiation tissulaire a été cruciale pour l’évolution des premières plantes terrestres qui sont apparues vers la fin de l’Ordovicien, il y a 450 millions d’années ou Ma (Garbaye, 2007). Elle a eu lieu bien avant que les gymnospermes et les angiospermes ne divergent il y a environ 380 Ma (Kenrick et Crane, 1997) et avant que les conifères n’apparaissent il y a 200 Ma (Lu et coll., 2014). Les arbres, comme toutes les plantes vasculaires, ont pu réaliser la conquête du milieu terrestre grâce à des organes et des tissus bien différentiés et spécialisés (Garbaye, 2007). Ils possèdent trois organes végétatifs dont les rôles sont complémentaires : la feuille est un organe photosynthétique; la tige est un organe de soutien qui porte le feuillage et les bourgeons aériens; et la racine est un organe d’ancrage, d’absorption de l’eau et des sels minéraux, et d’entreposage de réserves. Chacun de ces organes possède des tissus avec un nom décrivant sa fonction. Il s’agit des tissus de revêtement (phelloderme et liège), des tissus vasculaires (xylème et phloème), des tissus fondamentaux (parenchyme, collenchyme, sclérenchyme) et des tissus méristématiques.
Les tissus méristématiques peuvent être primaires ou secondaires selon leur mode de croissance. Ainsi, les méristèmes primaires qui se trouvent à l’extrémité des tiges et des racines (méristèmes apicaux) et au niveau des entre-noeuds de la tige (méristèmes intercalaires) assurent la croissance en longueur. Les méristèmes secondaires se trouvent en position latérale dans les arbres et assurent la croissance en épaisseur. Les méristèmes secondaires sont au nombre de deux : le cambium et le phellogène. Le phellogène est un anneau de méristème latéral qui produit le phelloderme vers l’intérieur et le liège vers l’extérieur. À l’intérieur, au-delà du phellogène, se trouve le cambium, un anneau latéral qui produit les tissus vasculaires secondaires tels que le xylème secondaire (vers le centre) et le phloème secondaire (vers l’écorce). Chez les arbres, l’effet de la croissance secondaire, plus particulièrement celle du xylème secondaire ou bois, est remarquable.
La grande taille des arbres est due à la grande production des matières ligneuses au niveau du xylème secondaire (bois). Le bois assure des rôles de soutien mécanique, de protection et de transport de l’eau et des sels minéraux. Il est particulièrement abondant dans les organes tels que les branches et le tronc. Chez le pin maritime (Pinus pinaster Aït), le taux en bois est estimé à près de 90 % la biomasse totale de ces organes ligneux peu importe l’âge de l’arbre (Porté et coll., 2002). Les troncs renferment près de 85 % de bois (le reste est constitué de l’écorce) selon une estimation basée sur des relations allométriques établies sur des conifères et des feuillus des forêts canadiennes (Lambert et coll., 2005; Ung et coll., 2008). L’importance en biomasse de ces organes ligneux augmente avec l’âge de l’arbre. Par rapport à la biomasse aérienne totale, l’importance en biomasse que représentent les branches et les troncs passe de 55 % dans des arbres âgés de 5 ans, à plus de 90 % dans des arbres âgés de plus de 25 ans (Porté et coll., 2002). Ces deux organes représentent environ 85 % de la biomasse aérienne chez les conifères et plus de 95 % chez les feuillus (Lambert et coll., 2005; Ung et coll., 2008).
En raison de grande production des matières ligneuses, les arbres sont un énorme puits de carbone et doivent investir beaucoup d’énergie pour la synthèse des constituants du bois. Le bois est essentiellement composé de cellulose (45 %), d’hémicellulose (25 %) et de lignine (25 %) (Sjostrom, 1993). Le bois des conifères est différent de celui des angiospermes. Chez les conifères, le bois est composé des trachéides (à 90 %) et non de vrais vaisseaux ou de fibres comme chez les angiospermes. De plus, chez les conifères, la lignine est composée principalement des sous-unités d’alcool coniférylique (G ou Guaïacyles) alors qu’elle est formée principalement du mélange des sous-unités d’alcool coniférylique et sinapylique (S/G ou Syringyles / Guaïacyles) chez les angiospermes (Donaldson, 2001). Aussi, l’hémicellulose des conifères est composée d’un mélange d’hétéromannanes (galactoglucomannane et arabinoglucuronoxylane) tandis que l’hémicellulose des angiospermes est composée des xylanes (glucuronoxylane).
La formation du bois implique cinq processus de différenciation : la division des cellules cambiales, l’expansion des cellules, le dépôt de la paroi secondaire, la lignification de la paroi et la mort cellulaire programmée (Hertzberg et coll., 2001). Le processus de la formation du bois qui est lié à l’activité cambiale est influencé par des facteurs reliés à l’environnement et aux stades de développement. Ces facteurs peuvent laisser des empreintes permanentes dans la structure du bois et générer différents types de bois. Chez les conifères, il s’agit des bois initial et final, du bois de compression et du bois opposé, ou des bois juvénile et mature. Dans les régions tempérées et boréales, le bois initial et le bois final se forment pendant la saison de croissance suivant le cycle de développement annuel des arbres. Leur formation est aussi influencée par la variation des facteurs abiotiques qui peut être très marquée entre les saisons (Hertzberg et coll., 2001). Ainsi, le bois initial se forme au début du printemps quand la température, la photopériode et la pluviométrie sont favorables à la période active de croissance. La formation du bois final a lieu vers la fin de la saison de croissance et quand les ressources hydriques s’amenuisent. Pendant cette période, la division et l’expansion des cellules cambiales diminuent au profit du dépôt et de la lignification de la paroi secondaire (Uggla et coll., 2001). C’est ainsi que le bois final est différent du bois initial sur le plan anatomique et chimique. Chez les conifères, le bois final est composé de trachéides généralement plus longues, à faible diamètre, à faible angle d’inclinaison des microfibrilles (donc plus dense), à paroi cellulaire plus épaisse et à teneur plus élevée en cellulose (Uggla et coll., 2001; Barnett et Jeronimidis, 2003).
Stratégies d’adaptation
Les arbres ont un mode de vie pérenne. Ils peuvent être soumis à des agressions diverses et variables à cause du changement des facteurs abiotiques (paramètres climatiques) ou biotiques (insectes et agents pathogènes). Face à cette pression et devant l’impossibilité de fuir les conditions hostiles, ils ont développé des stratégies d’adaptation durables qui ne devraient pas être surmontées par des variations climatiques, ou par des insectes et des agents pathogènes qui ont un cycle de vie court. Cependant le cycle de vie court permet une adaptation rapides des agents pathogènes. En outre, ces derniers peuvent produire rapidement des populations de grande taille par reproduction sexuée et asexuée. Les stratégies incluent les mécanismes de défense, la diversité génétique et la plasticité phénotypique. Les mécanismes de défense peuvent être préformés ou constitutifs et induits ou déclenchés en réaction aux blessures causées par des facteurs biotiques. Les conifères semblent notamment avoir investi dans le développement des défenses constitutives. Les mécanismes de défense constitutifs font référence aux barrières physiques et chimiques (métabolites secondaires). Par exemple, les cellules sclérifiées qui contiennent des dépôts de lignine et que l’on retrouve dans le phloème et l’écorce des conifères interfèrent physiquement avec l’alimentation du charançon du pin blanc (Pissodes strobi (Peck)) sur l’épinette de Sitka (King et coll., 2011). Les canaux résinifères remplis d’oléorésine et préformés au niveau des aiguilles, de l’écorce et du bois constituent aussi une barrière constitutive chimique contre les insectes et les champignons (Robert et coll., 2010; Hall et coll., 2011).
L’oléorésine est composée de terpènes qui sont des métabolites secondaires répulsifs ou toxiques pour les insectes et les champignons (Zulak et Bohlmann, 2010; Hall et coll., 2011). Les mécanismes de défense induits peuvent être aussi physiques et chimiques. Le traitement au jasmonate de méthyle a augmenté la quantité de résines terpénoïdes et le nombre des canaux résinifères dans l’écorce d’épinette de Norvège (Picea abies [L.] H. Karst.; Zeneli et coll., 2006). Des résultats similaires ont été obtenus chez des épinettes de Sitka traitées avec des charançons du pin blanc (Byun-McKay et coll., 2006). Bien que distincts, ces deux mécanismes sont complémentaires. La défense induite se met en place quand la défense constitutive échoue.
Une grande diversité génétique caractérise de nombreuses espèces forestières et permet à une population ou à une espèce de mieux s’adapter aux changements des facteurs abiotiques et biotiques dans l’environnement (St-Clair et Howe, 2011). La diversité génétique qui est nécessaire pour la survie d’une population ou d’une espèce est un paramètre de base des programmes de conservation de la biodiversité (Ledig, 2012). La diversité génétique au sein de la population est significativement plus grande chez les arbres forestiers que chez toute autre plante (Hamrick et coll., 1992). Chez les conifères, la diversité est plus grande chez les populations à large distribution de l’hémisphère nord que chez les populations fragmentées du sud (Alberto et coll., 2013). La grande diversité génétique des conifères du nord est en grande partie liée à leur vaste aire de répartition et au système d’accouplement allogame favorisé par l’anémophilie (Hamrick et coll., 1992; Beaulieu et coll., 2001; Alberto et coll., 2013).
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Table des matières
Résumé
Abstract
Table des matières
Liste des tableaux
Liste de figures
Remerciements
Avant-propos
Liste des abréviations
Chapitre 1.Mécanismes physiques de solidification magmatique
1.1 Origine et importance économique et écologique des conifères
1.2 Biologie et caractéristique unique des arbres et des conifères
1.2.1 Différentiation tissulaire et formation du bois
1.2.2 Stratégies d’adaptation
1.3 Caractéristiques du génome des conifères
1.4 Méthodes de profilage transcriptionnel
1.5 Profilage transcriptionnel chez les conifères
1.5.1 Formation du bois
1.5.2 Stratégies d’adaptation
1.5.3 Autres études chez des conifères
1.6 Mise en contexte du projet
1.7 Objectifs
1.8 Références bibliographiques
Chapitre 2. Transcriptome profiling in conifers and the PiceaGenExpress database show patterns of diversification within gene families and interspecific conservation in vascular gene expression
2.1 Résumé
2.1.1 Contexte
2.1.2 Résultats
2.1.3 Conclusion
2.2 Abstract
2.2.1 Background
2.2.2 Results
2.2.3 Conclusion
2.3 Background
2.4 Results and Discussion
2.4.1 Development of an oligonucleotide microarray for spruces (Picea spp.)
2.4.2 Differential expression in the vascular transcriptome is conserved among Picea species.
2.4.3 Validation of the microarray and profiling results by RNA-Sequencing.
2.4.4 PiceaGenExpress contains reference profiles that reveal patterns of tissue preferential expression.
2.4.5 Non-annotated genes are expressed at low levels and in fewer tissues
2.4.6 Diversity of expression profiles varies within and among gene families with related functions
2.4.7 Expression of LTR retrotransposon sequences
2.5 Conclusions
2.6 Methods
2.6.1 Evaluation of array design and manufacture parameters with test oligonucleotide microarray
2.6.2 Microarray design and manufacture
2.6.3 Plant materials
2.6.4 RNA extraction, labelling and hybridization
2.6.5 Microarray data processing and analysis
2.6.6 The PiceaGenExpress database
2.6.7 RNA-Seq data processing and analysis
2.7 Acknowledgments
2.8 References
2.9 Additional files
Chapitre 3 Modular organization of the white spruce (Picea glauca (Moench) Voss) transcriptome reveals functional organization and evolutionary signatures
3.1 Résumé
3.2 Abstract
3.3 Introduction
3.4 Materials and methods
3.4.1 Plant material
3.4.2 RNA isolation, labelling and hybridization
3.4.3 Microarray pre-processing and statistical analyses
3.4.4 Functional annotation analysis
3.4.5 Reverse transcription quantitative PCR (RT-qPCR)
3.5 Results
3.5.1 The expression of most white spruce genes vary significantly across vegetative tissues
3.5.2 The white spruce transcriptome is organized into coexpression groups classifying tissues based on their types or physiological functions
3.5.3 Gene ontology term enrichments show functional diversity among coexpression groups
3.5.4 Conifer-specific genes are more strongly associated with secondary meristematic tissues
3.5.5 Highly conserved invariant genes are associated with high expression and cell basic functions
3.5.6 Expressional and functional diversity among conserved secondary xylem and phelloderm preferential genes
3.5.7 Distinct expression patterns characterize wood formation at different stages during a growth season
3.5.8 Variation in secondary cell wall regulatory network hub genes is associated with xylem transcriptome reorganization during the growth season
3.6 Discussion
3.6.1 Evolutionary signatures of tissue differentiation
3.6.2 Modular transcriptome organization underpins tissue differentiation
3.6.3 Coexpression is associated with functional similarity
3.6.4 Temporal reorganization of gene expression networks in the vascular transcriptome
3.7 Concluding remarks
3.8 Acknowledgements
3.9 References
3.10 Supporting information
Chapitre 4.
4.1 Discussion des résultats majeurs
4.1.1 La première puce à oligonucléotide
4.1.2 Étude sur plusieurs tissus: construction d’une base de données d’expression
4.1.3 Étude sur plusieurs tissus: organisation du transcriptome et réseaux transcriptionnels
4.1.4 Conservation de profil d’expression
4.2 Études complémentaires
4.2.1 L’approche RNA-seq pour les études complémentaires
4.2.2 Des questions pour les études complémentaires
4.3 Retombées pratiques et enjeux forestiers
4.4 Références bibliographiques
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