Différentes techniques de mesure de champ cinématique
La mesure « de champ cinématique » (par opposition à : mesure « ponctuelle » ou moyenne) informe sur le déplacement ou la déformation dans toute une région de la surface (voire du volume) du spécimen. Elle se sert de l’intensité des ondes électromagnétiques qui sont transformées en champs de scalaires, vecteurs ou tenseurs [Surrel, 2005]. Les ondes électromagnétiques les plus exploitées pour la mesure de champ en mécanique expérimentale appartiennent au spectre visible. Ce spectre se situe entre 380nm et 780nm en terme de longueur d’onde. Surrel [2005] propose une classification des méthodes de mesure de champs cinématiques en fonction de leur principe physique . Il définit ainsi deux groupes : les techniques de mesure non interférométriques et les techniques interférométriques.
Techniques basées sur la diffusion
Lorsque la surface est diffusante (e.g., rugosité naturelle) la lumière y parvenant est diffusée dans toutes les directions. La surface d’onde réfléchie ne reste pas lisse et un phénomène d’interférence se produit.
Interférométrie de speckle L’interférométrie en lumière diffusée est aussi appelée interférométrie de speckle. L’objet étudié est éclairé avec différents faisceaux de lumière cohérente (laser). Suivant les lieux considérés, l’ensemble des faisceaux réfléchis peuvent conduire, statistiquement, à une interférence constructive ou destructive. Ceci crée une figure d’interférence spatiale complexe constituée de taches de lumières appelées grains de speckle (tavelure en français). Une caméra enregistre une simple coupe de la figure dans le plan du capteur. Un mouvement de l’objet observé crée un mouvement du speckle. La soustraction de deux images donne un interférogramme. Un algorithme est alors nécessaire pour extraire la phase, donnée essentielle pour remonter aux déplacements. Lorsqu’une seule direction d’éclairage est utilisée, la direction d’observation définit le vecteur sensibilité, i.e., la composante du déplacement à laquelle la méthode sera sensible [Surrel, 2005]. En fonction des directions d’illumination et d’observation retenues, il est donc possible de mesurer le déplacement hors plan, mais également ses composantes dans le plan. Concrètement, deux directions d’illumination sont nécessaires pour remonter aux composantes planes du champ de déplacement [Moore and Tyrer, 1990].
Les bonnes performances métrologiques de cette méthode ont conduit de nombreux auteurs à l’adopter à des fins de validation et d’identification. On pense en particulier à l’identification des paramètres élastiques. Voici deux exemples de travaux récents. Lecompte et al. [2005] par exemple, utilisent l’interférométrie de speckle pour identifier les quatre paramètres élastiques plan d’un modèle de comportement orthotrope (Titane). Pour cela, ils réalisent un essai de traction sur une plaque stratifiée trouée. Les paramètres constitutifs sont identifiés en mettant à jour de manière itérative un modèle éléments finis . Une fonction coût basée sur la différence entre les déformations expérimentales et celles simulées est proposée. En pratique, les déformations expérimentales sont issues d’une dérivation numérique du champ de déplacement mesuré [Avril et al., 2008a]. Les résultats obtenus sont en accord avec ceux provenant d’une identification classique, 2 à 7% d’écart.
Bruno et al. [2008] utilisent également l’interférométrie de speckle afin d’identifier quelques paramètres élastiques d’une plaque (matériau composite unidirectionnel). Cette fois, les auteurs s’intéressent à la flexion d’une plaque en matériau composite. Le montage adopté leur permet de mesurer le déplacement hors plan . L’une des difficultés abordées dans l’article concerne la compensation des effets liés aux mouvements de corps rigide vus par la plaque. Enfin, les auteurs parviennent à identifier les quatre paramètres élastiques plan d’un modèle orthotrope en mettant à jour un modèle éléments finis . Les résultats sont en assez bon accord avec les résultats obtenus par d’autres méthodes d’identification : des écarts de 3 à 22% sont observés. Dans ce cas, le module transverse et le coefficient de poisson sont plus difficiles à identifier que le module longitudinal.
En résumé, sur le papier, l’interférométrie de speckle semble fort prometteuse pour l’identification de paramètres élastiques. Avec l’avènement des caméras CCD ou CMOS et le développement de méthodes d’extraction de phases automatisées [Huntley and Saldner, 1993], la technique s’est de plus démocratisée [Rastogi, 2000b]. Comparée à certaines autres techniques, l’interférométrie de speckle ne nécessite pas de marquage de la pièce étudiée. Son fonctionnement nécessite par contre une surface qui doit être diffusante. Par ailleurs, la méthode est malheureusement très sensible aux grands déplacements [Lehmann, 2001] et son montage reste non trivial et couteux (environ 75ke pour les premières solutions sur étagère). Toute- fois, les expériences récentes de passage à des essais plus complexes, e.g., essais biaxiaux sur éprouvette cruciforme, montre que l’interférométrie de speckle n’est pas forcement compatible avec des ambiances de travail usuelles dans les laboratoires de mécanique [Ramault et al., 2011].
Shearographie (de speckle) En français, la shearographie est aussi connue sous le nom Interférométrie de speckle à dédoublement latéral. En anglais on l’appelle speckle shearography ou Laser Speckle Shearing Interferometry. Le principe de la shearographie, introduit par [Leendertz and Butters, 1973], ressemble beaucoup à celui de l’interférométrie de speckle. Au lieu de dédoubler le faisceau d’éclairage, c’est la lumière réfléchie par l’éprouvette qui est dédoublée. Cela peut être atteint, par exemple, avec un interféromètre de Michelson dans lequel l’un des miroirs est légèrement incliné. Ce type de montage permet de mesurer des déplacements différentiels, concrètement des déformations dans le plan et des pentes. On trouvera dans [Lee et al., 2004] une application de la méthode à la mesure de champs de déformations à la surface de matériaux composites cousus. L’avantage de cette méthode est son insensibilité par rapport aux vibrations parasites. La shearographie est d’ailleurs souvent utilisée dans l’industrie pour détecter des défauts structuraux (Non-Destructive Testing : NDT [Hung, 1982]).
Techniques basées sur la diffraction
Un réseau de diffraction est déposé sur la surface d’étude de manière à ce que le premier ordre diffracté soit normal à la surface. Comme pour la réflexion spéculaire, les surfaces d’ondes sont lisses.
Moiré Interférométrique Le moiré interférométrique, ou l’interférométrie sur réseau, permet de mesurer des déplacements dans le plan. La méthode combine l’effet du moiré avec la technique de l’interférométrie. La méthode présente une bonne résolution de mesure et un très bon rapport signal/bruit. Typiquement, Molimard et al. [2005] obtiennent une résolution en déformation de 20µ » pour une résolution spatiale de 187 µm. Bien que très performante, cette méthode nécessite de déposer une grille sur la surface et un montage optique relativement complexe.
Molimard et al. [2005] ont utilisé le Moiré interférométrique pour identifier quatre paramètres élastiques plan d’un matériau composite. Ils réalisent un essai de traction sur une plaque trouée. Le montage optique utilisé est présenté en figure 1.5b. La surface est couverte d’un réseau de diffraction d’une densité de 1200 lignes/mm. Un algorithme calcule les déplacements à partir des images obtenues (état inital et déformé). Ces images montrent des motifs de franges de moiré. Les champs de déformation sont ensuite obtenus par une dérivation numérique directe, figure 1.5c. Pour l’identification, Molimard et al. [2005] utilisent deux jeux de données simulées, l’un analytique basée sur la solution proposée par [Lekhnitskii et al., 1968], l’autre basé sur un modèle éléments finis. Dans les deux cas, la fonctionnelle minimisée est construite sur la distance entre les champs de déformation expérimentaux et les champs simulés. Les résultats des deux approches sont en très bon accord avec les résultats de trois essais de traction normalisés (4 à 5% d’écart).
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Table des matières
Introduction
1 Corrélation d’images numériques
1 Différentes techniques de mesure de champ cinématique
1.1 Techniques interférométriques
1.2 Techniques non interférométriques
1.3 Bilan
2 La corrélation d’images numériques (CIN)
2.1 Un peu d’histoire
2.2 Un formalisme unifié : la CIN globale
2.3 Une formulation par éléments finis : la CIN-EF
2.4 L’influence du bruit d’image
2.5 Les incertitudes de mesure
3 Illustration de la CIN dans un cas unidimensionnel
3.1 Implantation
3.2 Illustration dans un cas 1D
3.3 Un mouchetis à deux échelles
4 Conclusion
2 Identification de paramètres constitutifs à partir de corrélation d’images
1 Methodes d’identification à partir de mesure de champs
1.1 Méthodes sans recalage
1.2 Méthodes avec recalage
2 Le recalage de modèle éléments finis
2.1 Principe, application et limites
2.2 FEMU classique
2.3 FEMU-R : une approche régularisée
2.4 MIC : Mechanical Image Correlation
2.5 IMIC : Integrated Mechanical Image Correlation
2.6 I-MIC modifié : Integrated Mechanical Image Correlation
2.7 Conclusion sur les méthodes
3 Les incertitudes d’identification
3.1 Le bruit d’image
3.2 La fonction coût – amplification d’erreur par dérivation
3.3 La discrétisation de la mesure de champ cinématique – erreur de projection
3.4 Le maillage
3.5 Les conditions aux limites
3.6 La forme de la structure
4 Bilan
3 Corrélation d’images et identification multi-échelles
1 Images synthétiques mécaniques multi-échelles
1.1 Synthèse d’images mécaniques multi-échelles
1.2 Analyse séparée d’images de multi-résolution
2 Mesure de champs multi-échelles
2.1 Le recalage par fonction analytique de 4 modes
2.2 Le recalage par homographie
2.3 Initialisation du recalage d’images
3 Identification multi-échelles
3.1 Recalage par éléments finis à partir de la mesure de champ multi-échelles
3.2 Analyse a priori de la robustesse de l’identification
4 Conclusion
4 Application à un essai de traction sur plaque trouée
1 Le matériau étudié
2 Essai de traction sur plaque trouée
2.1 Choix de la zone d’intérêt du champ proche
2.2 Analyse de sensibilité
2.3 Simulation de l’essai
3 La mesure de champ
3.1 Le rapport signal/bruit
3.2 Analyse des erreurs de mesure
3.3 Sensibilité par rapport au bruit de l’image
4 Identification à partir de mesure de champ
4.1 Mise en œuvre de la méthode
4.2 Mono-échelle – Utilisation du champ lointain
4.3 Multi-échelles – Utilisation des champs proche et lointain
4.4 Analyse des cartes de résidu
Conclusion