Le béton est un des matériaux très utilisé pour la réalisation de bâtiments et ouvrages de génie civil. En situation d’incendie, malgré son meilleur comportement à la température ambiante, le béton peut présenter une instabilité thermique au-delà d’une certaine température. Les incendies de tunnels sous la Manche (1996 et 2008) en France, Tauern (1999) en Autriche ou Saint-Gothard (2001) en Suisse sont les exemples illustrant l’endommagement du béton soumis à une température élevée. Les travaux de recherche sur le comportement du béton à haute température ont permis de lier cette instabilité thermique à la formation de pression (phénomène thermo-hydrique) et de contraintes qui se développent dans le matériau chauffé (phénomène thermo-mécanique). Plusieurs paramètres peuvent être à l’origine de l’instabilité thermique du béton : le type de béton (béton ordinaire, béton à hautes et très hautes performances), l’état hydrique, la nature des granulats, le type de sollicitation thermique, le chargement mécanique…
Instabilité thermique du béton
Différentes formes d’endommagement thermique
En cas d’incendie de bâtiments, de tunnels, le béton peut présenter une instabilité thermique au delà d’une certaine température. L’instabilité thermique du béton peut se présenter sous diverses formes [Arupfire 2005] :
− Eclatement explosif : ce type d’éclatement se produit pendant les trente premières minutes du feu ou d’un essai standard. Il peut se produire à une température supérieure à 100°C. L’éclatement explosif est caractérisé par un détachement brutal de petits ou gros morceaux de béton, accompagné d’un bruit fort.
− Eclatement de surface : couramment appelé écaillage, l’éclatement de surface est caractérisé par le détachement de petits morceaux (jusqu’à 20 mm environ) du parement exposé au feu. Il est moins violent que l’éclatement explosif.
− Eclatement de granulats : cet éclatement est provoqué par la dilatation thermique des granulats proches de la surface à cause de la montée en température. Les principales causes de ce phénomène sont la conversion de quartz à 570 °C. Les dommages engendrés par l’éclatement de granulats ne sont que superficiels.
− Eclatement d’angle : il s’observe dans les stades avancés du feu lorsque le béton est affaibli et que les fissures se développent en raison des contraintes de traction le long des bords et coins de l’ouvrage.
− Eclatement par détachement des granulats : ce type d’instabilité est issu de la modification de la microstructure de la pâte de ciment avec la montée en température et aussi des fissures internes engendrées par la dilatation thermique différentielle entre la pâte de ciment et les granulats.
− Eclatement en phase de refroidissement : il est non violent et sans bruit. Ce phénomène est causé par la présence de granulats calcaires et de la réhydratation de la chaux lors de la phase de refroidissement.
Mécanisme du phénomène d’écaillage et de l’éclatement du béton chauffé
D’après [Kalifa et al. 2000, Consolazio et al. 1997], le phénomène de l’éclatement peut être principalement attribué à deux processus : le processus thermomécanique et le processus thermo-hydrique.
− Le processus thermomécanique : il est lié à la température au sein du béton. Le gradient thermique crée une dilatation thermique, et lorsqu’elle est empêchée, elle génère des contraintes de compression parallèles à la face chauffée [Bazant et al. 1996] . De plus, au cours du chauffage, les granulats se dilatent [Bazant et al. 1996, Khoury 1995, Khoury 1992, Schneider et al. 1982], tandis que la pâte de ciment se rétracte en raison de sa déshydratation [Diederichs et al. 1989]. La pâte de ciment est ainsi soumise à des contraintes de traction et les granulats, à des contraintes de compression. Lorsque les contraintes thermiques sont importantes, le phénomène d’écaillage peut se produire [Kalifa et al. 2000, Consolazio et al. 1997].
− Le processus thermo-hydrique : il est associé au transfert de masse qui engendre de fortes pressions de vapeur dans le réseau poreux. La figure I-1 montre le mécanisme d’éclatement [Consolazio et al. 1997] lié à la pression de vapeur. Lorsque le béton est exposé à une haute température, l’eau qui se trouve dans les pores sous forme libre ou liée commence à s’évaporer. Une partie de cette eau vaporisée s’évacue vers la surface chauffée et une autre partie migre vers les zones froides à l’intérieur puis se condense. Une accumulation de l’eau liquide dans les pores aux zones froides crée unbouchon saturé qui gêne la migration de l’eau vaporisée. Le bouchon saturé provoque une élévation de la pression interne des pores du côté le plus chaud. Ces pressions de vapeur associées aux fortes contraintes thermiques aboutissent à l’apparition du phénomène d’instabilité thermique. Dans le cas de béton de forte densité et de faible perméabilité, l’augmentation de pression pourrait engendrer l’éclatement.
Paramètres favorisant l’instabilité thermique
Plusieurs paramètres peuvent influencer l’éclatement du béton. Une des causes principales de l’instabilité thermique du béton est la pression de vapeur dans les pores [Phan et al. 2001].
− Teneur en eau : elle joue un rôle principal dans la formation de pression de vapeur. Des travaux de recherche de [Robert et al. 2008, Hertz 2003], montrent qu’une teneur en eau massique inférieure à 3-4% limiterait le risque d’éclatement. Li et al. [Li et al. 2004] ont montré, dans le cadre de travaux de l’influence de teneur en eau sur l’endommagement de BHP, une faible fissuration sur des échantillons de teneur en eau inférieure à 2.6%.
− Propriétés physico-mécaniques du matériau (densité, perméabilité, résistances) : les travaux de [Kanema 2007, Phan et al. 2001, Anderberg 1997, Consolazio et al. 1997] montrent qu’un BHP caractérisé par un faible rapport Eau/Liant est plus sensible à l’éclatement. La faible perméabilité du BHP rend difficile le transfert de fluide engendrant de fortes pressions de vapeur lors de la montée en température.
− Vitesse de chauffage : plus elle est élevée, plus le risque d’instabilité thermique du béton est important. L’échauffement rapide engendre de forts gradients thermiques d’où de fortes contraintes thermiques pouvant entraîner l’écaillage/ éclatement du béton. Des travaux de recherche de [Noumowé 1995] sur l’instabilité thermique du BHP ont montré qu’à la vitesse de chauffage de 1°C/min, des éprouvettes cylindriques (16x32cm) ont éclaté à une température du surface voisine de 300 – 350°C. A l’inverse des éprouvettes exposées à la vitesse de chauffage de 0.1°C/min n’ont pas éclaté. La faible vitesse de montée en température réduit donc le risque d’éclatement.
− Taille des éprouvettes : un effet d’échelle est remarqué sur le comportement de diverses sections d’éprouvettes de béton. Des tests de chauffage réalisés par [Kanema 2007] sur des éprouvettes cylindriques 16×32 cm et 11×22 cm, ont montré plus d’éclatement avec les éprouvettes 16x32cm. La mesure de la perte de masse des éprouvettes au cours du chauffage a conduit à un séchage plus rapide des échantillons 11x22cm. Cette perte de masse peut atténuer la pression de vapeur et limiter l’éclatement.
− Nature des granulats : le comportement des granulats est fortement lié à leur nature chimique et minéralogique. Les granulats siliceux présentent généralement un coefficient de dilatation thermique plus élevé que celui les granulats calcaires [Xing 2011, Mindeguia 2009, Arupfire 2005].
En dehors de ces différents paramètres, la présence d’un chargement mécanique, surtout celle de la précontrainte, favorise dans certains cas le phénomène d’éclatement [Diederichs et al. 1989, Jahren 1989].
Phénomènes physiques et chimiques dans le béton chauffé
Le béton est un matériau composite formé de liant (ciment), de granulats (graviers, sable), de l’eau et éventuellement des ajouts. L’eau dans le béton existe sous diverses formes. Elle joue un double rôle d’hydratation et d’ouvrabilité du mélange. Elle se présente sous forme d’eau libre (ou capillaire) d’eau adsorbée, d’eau chimiquement liée. Du fait de son hétérogénéité, il est nécessaire de comprendre le rôle de chacun des composants du béton dans la phase de montée et /ou de baisse en température. Lorsque le béton est exposé à une température élevée, il subit diverses transformations physico-chimiques.
Matrice cimentaire
Le ciment est un liant hydraulique, c’est-à-dire un matériau minéral finement moulu qui, gâché avec de l’eau, forme une pâte qui fait prise et durcit par suite de réactions chimiques et de processus d’hydratation. Ce processus conduit à la formation de l’hydrosilicate de calcium (C-S-H), de l’ettringite (Ca6Al2(SO4)3(OH)12·26(H2O)), de la portlandite Ca(OH)2. Le C-S-H confère au ciment hydraté sa résistance. L’eau joue un rôle important dans la matrice cimentaire. Avec l’augmentation de la température, elle se dilate puis s’évapore en entraînant une déshydratation des hydrates formés. Alonso et Fernandez [Alonso et al. 2004] ont mené des travaux sur le processus de déshydratation et de réhydratation de pâte cimentaire soumise à différents cycles de chauffage-refroidissement à la vitesse de 1°C/min.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Chapitre I – SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHIQUE
I.1 Introduction
I.2 Instabilité thermique du béton
I.2.1 Différentes formes d’endommagement thermique
I.2.2 Mécanisme du phénomène d’écaillage et de l’éclatement du béton chauffé
I.2.3 Paramètres favorisant l’instabilité thermique
I.3 Phénomènes physiques et chimiques dans le béton chauffé
I.3.1 Matrice cimentaire
I.3.2 Granulats
I.4 Propriétés thermiques
I.4.1 Déformation thermique du béton
I.4.1.1 Déformation thermique de la pâte cimentaire
I.4.1.2 Déformation thermique des granulats
I.4.1.3 Déformation thermique du béton
I.4.2 Conductivité thermique
I.4.3 Chaleur massique
I.5 Propriétés physiques
I.5.1 Porosité
I.5.2 Perméabilité
I.6 Propriétés mécaniques des bétons chauffés
I.6.1 Résistance à la compression
I.6.2 Résistance à la traction
I.6.3 Module d’élasticité
I.7 Transferts thermiques, hydriques
I.7.1 Transferts thermiques
I.7.2 Transferts hydriques
I.7.2.1 Pression de vapeur
I.7.2.2 Perte de masse
I.8 Conclusion de l’étude bibliographique
Chapitre II – PROTOCOLE EXPÉRIMENTAL
II.1 Introduction
II.2 Caractéristiques des matériaux
II.2.1 Granulats
II.2.2 Ciment
II.2.3 Eau
II.2.4 Superplastifiant
II.3 Compositions des bétons
II.4 Dispositif expérimental
II.4.1 Fabrication
II.4.1.1 Instrumentation
II.4.1.2 Gâchage du béton
II.4.2 Conservation des éprouvettes
II.5 Cycle de chauffage – refroidissement
II.6 Mesures de température, de pression et de masse
II.7 Mesure de la perméabilité intrinsèque
II.7.1 Préparation des échantillons
II.7.2 Dispositif de mesure de la perméabilité
II.7.3 Mesure de la perméabilité au gaz kg
II.7.4 Détermination de la perméabilité intrinsèque ki
II.8 Mesure de la masse volumique apparente et de la masse d’eau déshydratée
II.8.1 Préparation des échantillons
II.8.2 Dispositif expérimental de mesure de masse volumique apparente
II.8.3 Détermination de la quantité d’eau de déshydratation
II.8.4 Détermination de la masse volumique apparente
II.9 Mesure des propriétés thermiques
II.9.1 Préparation des échantillons
II.9.2 Dispositif de mesure des propriétés thermiques
II.9.3 Mesure de la conductivité thermique, diffusivité thermique et chaleur volumique
Chapitre III – RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX
III.1 Mesures des propriétés physiques des bétons
III.1.1 Masse volumique apparente
III.1.2 Déshydratation des bétons
III.1.3 Perméabilité au gaz
III.1.4 Mesures des propriétés thermiques
III.1.4.1 Conductivité thermique
III.1.4.2 Diffusivité thermique
III.1.4.3 Chaleur spécifique
III.1.5 Conclusion
III.2 Présentation des résultats de transferts thermo-hydriques
III.2.1 Mesures de la température
III.2.1.1 Température
III.2.1.2 Gradient thermique et différence de température
III.2.2 Mesures de la pression
III.2.3 Mesure de la perte de masse
III.3 Analyse des résultats
III.3.1 Confrontation des mesures de température et de pression
III.3.2 Confrontation des mesures de température et de perte de masse
III.3.3 Confrontation des mesures de température, de pression et de perte de masse
III.3.4 Conclusion
Chapitre IV – ÉTUDE NUMÉRIQUE DES TRANSFERTS COUPLÉS DE CHALEUR ET DE MASSE
IV.1 Synthèse théorique du modèle
IV.1.1 Hypothèses du modèle
IV.1.2 Lois de conservation de la masse
IV.1.2.1 Conservation de la masse d’eau liquide
IV.1.2.2 Conservation de la masse de vapeur
IV.1.2.3 Conservation de la masse d’eau totale
IV.1.3 Loi de conservation de l’énergie
IV.1.4 Présentation des paramètres de la modélisation
IV.1.4.1 Paramètres relatifs aux fluides
IV.1.4.2 Paramètres relatifs aux propriétés thermiques
IV.1.4.3 Paramètres déterminés expérimentalement
IV.2 Présentation de la mise en œuvre du calcul numérique
IV.2.1 Modélisation numérique 2D
IV.2.2 Discrétisation des équations
IV.2.2.1 Résolution du système d’équations
IV.2.2.2 Analyse critique
IV.2.2.3 Schéma du programme
IV.2.3 Données d’entrée de la modélisation pour les bétons B1 et B2
IV.3 Comparaison des résultats numériques et expérimentaux
IV.3.1 Comparaison entre les températures numériques et expérimentales
IV.3.2 Comparaison entre les pressions numériques et expérimentales
IV.3.3 Comparaison entre la perte de masse numérique et expérimentale
IV.4 Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE