La première question posée à la naissance d‘un enfant : est-ce un garçon ou une fille? Cette question à la réponse qui paraît si simple ne l‘est pourtant pas dans tous les cas. En effet il arrive que des enfants naissent avec un sexe dit « ambigu ». Le sexe phénotypique résulte d‘une différenciation des voies génitales internes et externes sous influence génétique et hormonale(1)(2)(3)(4). Tout dysfonctionnement de ce processus conduit à une ambiguïté sexuelle. Les nomenclatures « ambiguïté sexuelle », « intersexuation », « hermaphrodisme » ou « pseudohermaphrodisme » sont devenues anachroniques car source de confusion et, perçues comme péjoratives par certaines familles affectées. En effet, l’intersexuation est encore parfois qualifiée d’hermaphrodisme, mais ce terme ne fait plus consensus : les personnes intersexuées le jugent inadapté et insultant, car il ne reflète pas la réalité biologique de leur condition. À l’origine, Hermaphrodite est une figure de la mythologie grecque qui possède des organes sexuels à la fois mâles et femelles, tous deux pleinement fonctionnels, ce qui n’est pas le cas des personnes intersexuées. Vers la fin du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème, le vocabulaire médical commence à employer le terme d’hermaphrodisme pour parler des enfants dont l’organisme est sexuellement ambigu à la naissance et élabore un classement distinguant un « hermaphrodisme vrai » et des «pseudohermaphrodismes » masculin et féminin en se fondant sur l’observation des gonades. Les avancées de la médecine dans le courant du XXème siècle et le développement des études sur le genre ont provoqué la remise en cause à la fois du classement et de la terminologie qu’il utilise. Dans un article paru en 2005, un groupe de médecins américains travaillant en coopération avec l‘Intersex Society of North America (une association de personnes intersexuées) a proposé un renouvellement de la nomenclature dans ce domaine, afin de la clarifier et de ne pas induire le grand public en erreur.
C‘est ainsi que l’expression Disorders of sex development (troubles ou anomalies du développement sexuel, expression abrégée en DSDs) a été proposée en 2005 à Chicago par ce groupe connu par la suite sous le nom de « DSD Consortium » et qui réunissait des médecins, des universitaires, des militants intersexués et des associations de parents. L’expression de « Disorders of Sex Development » était destinée à classer les différents types d’intersexuation et à remplacer la nomenclature obsolète des hermaphrodismes. Par la suite une conférence internationale d‘experts lors du ―International Consensus Conférence on Intersex‖ organisé par le ―Lawson Wilkins Pediatric Endocrine Society‖ et le ―European Society for Paediatric Endocrinology‖ a adopté consentuellement le terme générique « disorder of sex development ou DSD» (anomalies du développement sexuelle ou ADS) pour remplacer ces termes et englobe toutes les conditions congénitales au cours desquelles les sexes chromosomique, gonadique et anatomique sont atypiques en relation avec les chromosomes ou les gonades .
DIFFERENCIATION SEXUELLE MORPHOLOGIQUE NORMALE
La détermination sexuelle résulte d‘une série d‘évènements moléculaires permettant la transformation de la gonade indifférenciée en testicules ou en ovaires(1). La différenciation sexuelle, programmée génétiquement, se déroule entre la 3ème et la 12èmesemaine. Elle porte successivement sur les gonades, les voies génitales internes et les organes génitaux externes.
Le sexe génétique
L’être humain possède dans le noyau de chacune de ses cellules 46 chromosomes, dont 22 paires d’autosomes, numérotés de 1 à 22 et une paire de chromosomes sexuels ou gonosomes appelés X et Y. La femme compte deux chromosomes X alors que l’homme possède un X et un Y. Chez la femme l’un des deux chromosomes X est inactivé sous la forme d’un amas d’hétérochromatine, ou chromatine sexuelle, le corpuscule de BARR. La présence de ce dernier va permettre de faire le diagnostic de sexe chromatinien. Cette inactivation se produit au stade de blastocyste et touche au hasard soit le chromosome X d’origine paternelle ou maternelle. La présence d’un chromosome Y induit le développement de gonades masculines (testicules) alors que son absence entraîne la formation de gonades féminines (ovaires).
Différenciation des gonades
Stade indifférencié
Même si le sexe de l‘embryon est déterminé dès la fécondation, la première ébauche de gonade n‘apparaît, dans l‘espèce humaine, qu‘à la 5ème semaine du développement. Il s‘agit d‘une crête génitale, formée à partir d‘une prolifération du mésenchyme du mésonéphros (ou corps de Wolff) et recouverte de l‘épithélium coelomique. Les cellules germinales primordiales ont une origine bien différente, elles proviennent d‘une région de l‘épiblaste adjacente à l‘ectoderme extraembryonnaire. En détectant leur activité phosphatase alcaline spécifique, on peut suivre leur cheminement (à partir de la 4ème semaine post conception chez l‘homme) de l‘extrémité postérieure de la ligne primitive (à la base de l‘allantoïde) à l‘endoderme de l‘intestin postérieur, puis le territoire gonadique (à la 5ème et 6ème semaine) via le mésentère dorsal. Des expériences in vitro ont montré que les crêtes génitales exercent un chimiotactisme positif sur les cellules germinales primitives. L‘ébauche de gonade ainsi formée renferme des cellules germinales entourées de cellules somatiques. Des vaisseaux sanguins entourent cette ébauche.
Différenciation des gonades
Dès la 7ème semaine, chez les embryons de sexe génétique (46, XY), la gonade indifférenciée commence à se transformer en testicule, alors que chez les embryons de sexe génétique féminin (46, XX), la transformation ne commence qu‘à partir de la 8ème semaine et les ovaires ne sont reconnaissables qu‘à la dixième semaine grâce à la prophase méiotique de leurs cellules germinales La différenciation testiculaire est caractérisée par la formation de cordons séminifères, c‘est à dire de cordons épithéliaux composés de cellules germinales (les spermatogonies, qui subissent une période de multiplication puis un arrêt mitotique dû à l‘environnement testiculaire) et des cellules somatiques (les cellules de Sertoli). La différenciation des cellules de Sertoli (cytoplasme clair et volumineux, REG développé) est le premier événement de l‘organogénèse testiculaire. Ces cellules s‘associent les unes aux autres par des jonctions membranaires englobant progressivement les cellules germinales et donnant ainsi naissance à des cordons séminifères pleins. En même temps se différencie la tunique albuginée, assise de tissu conjonctif se développant sous l‘épithélium coelomique. Entre ces cordons, au sein du mésenchyme, se différencient, à partir de la huitième semaine, des cellules de Leydig dont l‘origine précise (mésonéphros ou crête) n‘est pas encore établie. Pendant la vie fœtale et la petite enfance ces cordons restent pleins, ils se creusent en tubes séminifères au moment de la puberté, on observe alors la jonction entre ces tubes, le reste des tubules mésonéphrotiques et le canal de Wolff qui fonctionnera en spermiducte. Les testicules se différencient dans l‘abdomen, puis à partir de la fin du 3ème mois migrent vers le canal inguinal, qu‘ils franchissent pour se loger dans les bourses où ils se trouvent normalement à la naissance ; une anomalie de la migration est responsable d‘une cryptorchidie ou d‘une ectopie testiculaire.
La différenciation ovarienne : après une phase de multiplication active (comme chez le mâle) les cellules germinales de la femelle entrent spontanément en prophase méiotique et se bloquent en ovocyte I au stade diplotène (ou dyctié). C‘est le premier événement de la différenciation femelle de la gonade. Les follicules, eux, se forment par regroupement de cellules somatiques avec des ovocytes, au sein de structures épithéliales, appelées cordons ovariens ou ovigères, qui restent en contact avec l‘épithélium de surface. Lors du début de la folliculogénèse (qui a lieu chez certaines espèces après la naissance), ces cordons se fragmentent et chaque follicule primordial se constitue par association d‘un ovocyte et d‘une assise de cellules somatiques, précurseurs des cellules de la granulosa. Les cellules thécales se différencient plus tard, autour des follicules en croissance. La présence de cellules germinales est indispensable à la formation des follicules car, en leur absence, que ce soit pour des raisons génétique ou exogène, des cordons stériles se mettent en place mais dégénèrent ensuite, laissant un ovaire composé uniquement de stroma.
Différenciation des organes génitaux internes
Stade indifférencié
Au moment où débute la différenciation gonadique mâle, le tractus est encore sexuellement indifférencié. Le mésonéphros s‘est mis en place, pendant la quatrième semaine du développement fœtal humain, à partir du mésoblaste situé de la cinquième paire de somites cervicaux à la quatrième paire de somites lombaires. Dans le mésonéphros, des néphrons débouchent dans le canal de Wolff, qui, à la cinquième semaine, continue son extension sous la vessie jusqu‘au sinus urogénital, et forme un diverticule à la hauteur de l‘ébauche du métanéphros (futur rein). Ce diverticule donnera l‘uretère, son orifice se séparera du canal de Wolff lors de la croissance du sinus uro-génital (le sinus uro-génital s‘étend de la base de la vessie jusqu‘à l‘orifice uro-génital, situé au niveau du périnée, sous le tubercule génital qu‘encadrent les bourrelets génitaux). Quant au canal de Müller, il est issu d‘une invagination de l‘épithélium coelomique de la région antérieure du mésonéphros, ayant pris naissance à proximité de la région antérieure du canal de Wolff au cours de la sixième semaine, pendant la période de formation des crêtes génitales. Il se développe ensuite vers l‘avant et vers l‘arrière jusqu‘au sinus uro-génital en cheminant le long du canal de Wolff.
Stade différencié
Chez le fœtus mâle les canaux de Müller régressent totalement, ne laissant qu‘un reliquat facultatif au niveau de l‘épididyme (l‘hydatide sessile) et un petit diverticule de l‘urètre prostatique (l‘utricule prostatique). Dans leur partie supérieure les canaux de Wolff régressent en ne laissant qu‘un reliquat (l‘hydatide pédiculée). Dans leur partie moyenne, ils constituent les canaux épididymaires, où s‘abouchent les canaux efférents (anciens tubules mésonéphrotiques entrés en communication avec le rete testis). Dans leur portion inférieure ils deviennent les canaux éjaculateurs qui débouchent dans l‘urètre prostatique. A l‘union entre ces segments, deux bourgeonnements de la paroi forment les ébauches des vésicules séminales. La partie distale des conduits génitaux et urinaires dépend de l‘évolution du sinus uro-génital, essentiellement à partir de la neuvième semaine.
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Table des matières
INTRODUCTION
I- HISTORIQUE
II- DIFFERENCIATION SEXUELLE MORPHOLOGIQUE NORMALE
II.1- Le sexe génétique
II.2- Différenciation des gonades
II.2.1- Stade indifférencié
II.2.2- Différenciation des gonades
II.3- Différenciation des organes génitaux internes
II.3.1- Stade indifférencié
II.3.2- Stade différencié
II.4- Différenciation des organes génitaux externes
II.4.1- Stade indifférencié
II.4.2- Différenciation selon le sexe
II.5- Différenciation sexuelle du cerveau
III- FACTEURS DE LA DIFFERENCIATION SEXUELLE
III.1- Facteurs génétiques
III.1.1- Chromosomes sexuels
III.1.2- Gènes de la différenciation sexuelle
III.2- Facteurs hormonaux
III.2.1- Chez l‘homme
III.2.2- Chez la femme
IV- LES ANOMALIES DU DEVELOPPEMENT SEXUEL
IV.1- Anomalies du développement sexuel par anomalie des chromosomes sexuels (sex chromosom DSD)
IV.1.1- Le Syndrome de Turner 45, X et ses variantes
IV.1.2- Le Syndrome de Klinefelter 47, XXY et ses variantes
IV.1.3- La dysgénésie gonadique mixte 45, X/46, XY
IV.2- Les ADS 46, XY
IV.2.1- Les anomalies du développement testiculaire
IV.2.1.1- Les dysgénésies gonadiques complètes
IV.2.1.2- Les dysgénésies gonadiques partielles
IV.2.1.3- L‘agénésie testiculaire XY/ syndrome de régression testiculaire
IV.2.2- Les 46, XY DSD par défaut de synthèse ou d‘action des androgènes
IV.2.2.1- Défaut de synthèse des androgènes
IV.2.2.2- Insensibilité leydigienne à la LH
IV.2.2.3- Insensibilité aux androgènes
IV.2.2.4- Les troubles de l‘hormone antimüllérienne
IV.3- Les ADS 46, XX
IV.3.1- Troubles du développement des ovaires
IV.3.1.1- La dysgénésie gonadique 46,XX
IV.3.1.2- Les ADS testiculaires 46, XX (e.g.SRY+, dup SOX9)
IV.3.2- Les excès d‘androgènes fœtaux
IV.3.2.1. L‘HCS
IV.3.2.1.1- Déficit en 21 OH
IV.3.2.1.2- Déficit en 11OH
IV.3.2.2. Autres
IV.3.3- Les anomalies ovotesticulaires du développement ou ADS ovotesticulaires
CONCLUSION