Les ambiguïtés sexuelles, renommées DSD (Disorders of Sex Development) dans la nouvelle nomenclature, se définissent comme des anomalies de la différenciation sexuelle (ADS) aboutissant à une discordance entre organes génitaux internes, organes génitaux externes (OGE) et caractères sexuels secondaires. La différenciation sexuelle est le résultat d’une série d’évènements qui se succèdent dans un ordre chronologique précis, à partir de la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde, jusqu’à la fin de la croissance et de la puberté. Le diagnostic se pose généralement dès la naissance, devant des OGE anormaux, mais peut être beaucoup plus tardif, à l’âge de la puberté, devant un retard pubertaire, une aménorrhée ou l’apparition de caractères sexuels secondaires discordants. Les ADS résultent ainsi d’une rupture d’harmonie entre les trois niveaux de définition du sexe : le niveau génétique ou chromosomique, le niveau gonadique et le niveau morphotypique.
Jadis considérés comme un mythe dans plusieurs civilisations antiques, les états intersexués n’entrainent plus du tout, des sentiments d’ordre poétique, mais apparaissent bien aujourd’hui comme une réalité médicale complexe. Les ADS posent aux praticiens des problèmes difficiles, constituent pour les parents une situation affligeante et pour le patient, une source de souffrance psychologique pour la vie entière.
Ces situations d’ambiguïté sexuelle sont relativement rares dans le monde et la prévalence varie en fonction de la définition : 0,1 à 2% aux USA. A Bamako (Mali) une étude effectuée en 2003 avait montré une prévalence hospitalière de 1 sur environ 185 consultants (soit 5,4‰) (1). Les progrès réalisés ces dernières années dans le domaine de la biologie moléculaire et de la génétique ont permis de mieux préciser la physiopathologie, la clinique et les étiologies des états intersexués.
DIFFERENCIATION SEXUELLE HUMAINE NORMALE
La différenciation sexuelle est donc le résultat d’une série d’événements, qui se succèdent dans un ordre chronologique précis, à partir de la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde, jusqu’à la fin de la croissance et de la puberté. On distingue quatre étapes successives, strictement ordonnées chronologiquement et dépendantes : ce sont les étapes génétique, gonadique, gonophorique et phénotypique. La différenciation sexuelle, phénomène séquentiel et ordonné, résulte de facteurs multiples et complexes. Des gènes présents sur les chromosomes X et Y mais aussi sur des autosomes sont indispensables au déroulement normal de ce processus (2).
Etape génétique
Elle établit le sexe génétique. Le sexe génétique ou sexe chromosomique est déterminé au moment de la fécondation par l’union de deux cellules haploïdes (gamètes) des 2 parents :
– L’ovocyte de la mère, qui contient 23 chromosomes dont un chromosome X.
– Le spermatozoïde du père, qui contient également 23 chromosomes dont un chromosome X ou un chromosome Y. La rencontre du chromosome X de la mère et du X du père définit le sexe génétique homogamétique XX féminin. La rencontre du chromosome X de la mère et du Y du père définit le sexe génétique hétérogamétique XY masculin.
Etape gonadique
Stade indifférencié
La gonade primitive indifférenciée se développe chez l’embryon à partir de la 5ème semaine de gestation. Elle est alors représentée par une simple saillie du bord interne du mésonéphros, saillie épithéliale constituée par un épaississement de l’épithélium cœlomique qui recouvre le corps de Wolff. Elle surmonte un stroma conjonctif avec des cellules mésenchymateuses, l’ensemble réalisant la crête génitale (3). Cette gonade primitive est bi-potentielle jusqu’à la 6ème semaine de gestation. Elle est formée de 3 parties :
➤ Les cellules germinales primordiales qui donneront naissance aux spermatogonies chez le mâle, aux ovogonies chez la femme ;
➤ Les cordons sexuels qui seront à l’origine des tubes séminifères chez le sujet XY, et des follicules primordiaux chez le sujet XX ;
➤ Les cellules mésenchymateuses, ancêtres des cellules de Leydig chez l’homme, des cellules de la thèque et du stroma chez la femelle.
Différenciation testiculaire
Le déterminisme du sexe gonadique est sous le contrôle du chromosome Y qui porte le gène TDF «Testis Determining Factor» ou SRY. C’est devant l’absence des facteurs nécessaires à la gonade indifférenciée pour une différenciation testiculaire que celle-ci va s’orienter vers le type féminin. L’organogenèse testiculaire commence chez l’embryon mâle à partir de la 7e semaine. Les cellules germinales induisent la formation de tubes séminifères au sein des éléments somatiques du blastème (mésenchyme et épithélium cœlomique). Les cellules germinales sont entourées de cellules épithéliales qui vont se différencier en cellules de Sertoli. Ces dernières vont sécréter le facteur antimüllérien (hormone antimüllérienne) qui semble être aussi un cofacteur de différenciation testiculaire. Les cellules de Leydig se différencient au cours de la 9èmesemaine c’est-àdire un peu plus tard à partir du mésenchyme.
Une fois la gonade primitive différenciée en testicule, la prolifération des cellules germinales et leur évolution s’arrêtent au stade de spermatogonies. Les cellules de Sertoli produisent l’hormone antimüllérienne, les récepteurs HCG/LH apparaissent sur les cellules de Leydig permettant la biosynthèse de la testostérone sous l’influence de la HCG (4).
Le blastème somatique commun migre vers la corticale, puis se segmente en unités morphologiques entourant chacune un gonocyte formant ainsi les follicules primordiaux. Dans chaque gonocyte se réalisent les premières étapes de l’ovogenèse, conduisant, au moment de la naissance, à un stock d’ovocytes de premier ordre bloqués en diploténe de la 1ère division de la méiose. Ce sont les ovocytes dyctiés. La différenciation ovarienne ne s’accompagne pas de synthèse hormonale.
Etape gonophorique
Elle installe les voies génito-sexuelles. Les structures indifférenciées, identiques dans les deux sexes à partir desquelles vont se développer le tractus génital et les organes génitaux externes, sont présentes très tôt dans l’embryon, dès la 4ème semaine. Il s’agit des canaux de Müller qui donneront le tractus féminin. Les canaux de Wolff donneront le tractus masculin et le sinus urogénital.
Différenciation gonophorique féminine
A partir du tubercule génital se développeront les organes génitaux externes. En l’absence de testicule, il n’y aura pas de sécrétion de testostérone, hormone nécessaire au maintien des canaux de Wolff. C’est ainsi que ces derniers vont régresser. Cette absence de testicule entraîne également une carence en hormone antimüllérienne. Ce qui explique la persistance des canaux de Müller qui seront à l’origine de la formation des trompes de Fallope, de l’utérus et de la partie supérieure du vagin. Le sinus urogénital donne l’urètre et les grandes lèvres du vagin .
Différenciation gonophorique masculine
La présence de testicules oriente la différenciation phénotypique dans le sens masculin. Le testicule va intervenir selon deux mécanismes : L’hormone antimüllérienne sécrétée par les cellules de Sertoli va provoquer la régression des canaux de Müller, sauf à ses deux extrémités où se forme, au-dessus de la gonade, l’hydatide sessile et à sa partie terminale l’utricule prostatique; La testostérone sécrétée par les cellules de Leydig va être responsable de la différenciation masculine des canaux de Wolff et du sinus urogénital. La sécrétion de l’hormone antimüllérienne apparaît très tôt, dès la différenciation des cellules de Sertoli, et son activité est maximale à la 8ème semaine de gestation puis décline ensuite et est très basse à la naissance (6). La sécrétion de la testostérone apparaît plus tardivement, la sécrétion globale atteint un maximum chez l’embryon entre la 11ème et la 17ème semaine avant de décliner. Cette sécrétion est indépendante de l’hypophyse fœtale et est stimulée par l’hormone chorionique gonadotrope (HCG). Chez l’homme, les canaux de Wolff maintenus par la sécrétion de testostérone vont donner l’épididyme, le canal déférent, l’ampoule défférentielle et la vésicule séminale. Le sinus urogénital donne la prostate et l’urètre prostatique. Le tubercule génital est à l’origine du gland pénien. Le bourrelet génital devient le scrotum et les replis génitaux se soudent pour former l’urètre pénien et la verge ou corps du pénis (6). L’ensemble de ces événements aboutit à une différenciation sexuelle masculine.
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Table des matières
INTRODUCTION
I- DIFFERENCIATION SEXUELLE HUMAINE NORMALE
I.1- Etape génétique
I.2- Etape gonadique
I.2.1- Stade indifférencié
I.2.2- Différenciation testiculaire
I.2.3- Différenciation ovarienne
I.3.- Etape gonophorique
I.3.1- Différenciation gonophorique féminine
I.3.2- Différenciation gonophorique masculine
I.4- Etape phénotypique
I.4.1- Stade indifférencié
I.4.2- Chez le fœtus
I.4.3- A la puberté
I.5- Facteurs de la différenciation sexuelle
I.5.1- Facteurs endocriniens
I.5.1.1- Hormones sexuelles mâles
I.5.1.2- Les hormones sexuelles femelles
I.5.2- Facteurs génétiques
I.5.2.1- Le facteur TDF (SRY)
I.5.2.2.- Autres facteurs
I.6- Sexe d’état civil et Sexe psychologique
II- ANOMALIES DE LA DIFFERENCIATION SEXUELLE
II.1- Définition
II.2- Classification
II.2.1- Classification clinique
II.2.2- Classification étiopathogénique
II.2.2.1- ADS par anomalies des chromosomes sexuels
II.2.2.1.1- ADS ovo testiculaire : 45, X0/46, XY ; 46, XX/46, XY
II.2.2.1.2- Dysgénésie gonadique mixte (DGM) : 46, XY/45, X0)
II.2.2.1.3- Syndrome de Turner et ses variantes
II.2.2.1.4- Syndrome de Klinefelter (47, XXY)
II.2.2.2- ADS 46, XX
II.2.2.2.1- ADS ovotesticulaire avec 46, XX
II.2.2.2.2- Dysgénésie gonadique pure 46, XX
II.2.2.2.3- Excès d’androgènes
II.2.2.2.4- Males XX (Testicular ADS)
II.2.2.3- ADS, 46, XY
II.2.2.3.1- ADS ovotesticulaire avec 46, XY
II.2.2.3.2- Dysgénésies gonadiques complète XY
II.2.2.3.3- Le testicule absent (Anorchidie, Régression testiculaire, Agénésie gonadique, Agonadisme)
II.2.2.3.4- Anomalies de la biosynthèse de la testostérone
II.2.2.3.5- Anomalies de l’hormone antimüllérienne ou de la LH
III- DIAGNOSTIC DE L’AMBIGUÏTE SEXUELLE
III.1- Diagnostic anténatal
III.1.1- Moyens du diagnostic anténatal
III.1.2- Indications du diagnostic anténatal
III.2- De la naissance à la puberté
III.2.1- Examen clinique
III.2.2- Dépistage néonatal du déficit en 21hydrolase
III.3- A partir de la puberté
III.4- Examens complémentaires
III.4.1- Moyens d’étude des organes génitaux internes
III.4.2- Explorations endocriniennes
III.4.3- Cytogénétique
IV- TRAITEMENT DES ANOMALIES DU DEVELOPPEMENT SEXUELLES
IV.1- Buts
IV.2- Moyens
IV.2.1- Médicaux
IV.2.1.1- Traitement médical anténatal
IV.2.1.2- Traitement médical post-natal
IV.2.2- Traitements Chirurgicaux
IV.3- Conseil génétique et choix du sexe
CONCLUSION