Les lymphomes non hodgkiniens (LNH) constituent un ensemble hétérogène d’hémopathies regroupant des entités aux caractéristiques épidémiologiques, cliniques, biologiques, évolutives et pronostiques très différentes. Au cours des cinquante dernières années, les classifications des lymphomes non hodgkiniens ont été nombreuses résultant de concept différents :
o anatomo-clinique comme les classifications de Rappaport et la Working Formulation (WF) ou
o physiopathologique comme celle de Kiel proposée par K Lennert, la Revised European American Lymphoma (REAL) avec comme principale hypothèse celle d’un équivalent normal de la prolifération lymphomateuse.
C’est ce dernier concept qui est unanimement accepté et repris dans la classification de l’OMS 2001 (révisée en 2008). Cette classification de l’OMS se base sur des données clinique, morphologique, immunophénotypique, cytogénétique et parfois moléculaire.
Le lymphome est un cancer dont l’incidence augmente rapidement. Cette incidence a quasiment doublé en 20 ans, devenant ainsi l’hémopathie maligne la plus fréquente, au 8ème rang des cancers dans l’Union Européenne. Les incidences les plus élevées sont observées en Amérique du Nord et en Australie (plus de 17/100.000), les plus faibles sont en Asie et Amérique du Sud (5/100.000) . En France, l’incidence des lymphomes est dans la zone intermédiaire. Ils se situent au 6ème rang chez l’homme et chez la femme, représentant un peu plus de 3% de l’ensemble des nouveaux cancers diagnostiqués chaque année. Entre 1980 et 2005, l’augmentation annuelle d’incidence des LNH était de 2,7% chez l’homme et de 2,9% chez la femme. Actuellement, les taux d’incidence sont respectivement de 12,2 et 8,2/100.0000 . L’augmentation de l’incidence des lymphomes chez l’adulte pourrait être expliquée en partie par les changements de classification et l’amélioration des outils diagnostiques. En Afrique, on dispose de données parcellaires avec souvent des prévalences hospitalières. En Côte d’Ivoire, les premiers résultats de leur registre de cancer font état de 2850 nouveaux cas de cancer en 3 ans (1995 et 1997), et 10% des ces néoplasies étaient des LNH [6]. Au Sénégal, une étude effectuée sur 13 ans par Diop et coll. a permis de recruter 107 cas de LHN confirmés par l’histologie, avec une incidence annuelle de 0,82/100000/ an, à Dakar [7]. En Afrique, le diagnostic de LNH est probablement sous estimé en raison de la non exhaustivité du recrutement due à l’absence de registre de cancer, de l’insuffisance de structures sanitaires et de moyens de diagnostiques adéquats. Ces difficultés sont majorées par la non reconnaissance actuelle des lymphomes comme pathologie prioritaire par les pouvoirs publics. Tout ceci confirme les difficultés diagnostiques dont nous sommes confrontées face à cette pathologie.
Le diagnostic initial de LNH repose avant tout sur la biopsie ganglionnaire, toutefois, le cytologiste est souvent amené à reconnaître des cellules lymphomateuses dans le sang circulant ou la moelle osseuse puisque, de très nombreux lymphomes à cellules matures peuvent présenter dès le diagnostic avec une dissémination sanguine. Cette dissémination sanguine ou médullaire est appelée syndrome lymphoprolifératif. Si le diagnostic peut être évoqué plus ou moins fortement sur les seules caractéristiques cytologiques, l’analyse immunologique est indispensable pour le confirmer, aider éventuellement à l’analyse cytogénétique conventionnelle et/ou à la recherche d’anomalies récurrentes caractéristiques des différents types de syndromes lymphofilfératifs. Au Sénégal et même en Afrique sub saharienne, le diagnostic des syndromes lymphoprolifératifs (SLP) B comme T est basé essentiellement sur la clinique et la cytologie. Dans nos pays, l’intégration des données immunophénotypiques, cytogénétiques et moléculaires, tel recommandé par l’OMS demeure encore exceptionnelle, ce qui justifie l’initiation de ce travail.
Différenciation lymphocytaire
Les progrès récents de la compréhension du développement des lymphocytes ont permis d’obtenir une image plus claire des voies multi-étapes complexes impliquées dans la génération des lymphocytes T et B et une meilleure compréhension des pathologies associées. La plupart des éléments clé indispensables pour la différenciation et la survie des lymphocytes normaux sont également impliqués dans la prolifération tumorale de nombreux lymphomes B ou T matures. A pratiquement chaque étape de différenciation correspond un sous-type donné de néoplasie lymphoïde, « bloqué » par les processus de transformation maligne à une étape donnée de développement. La reconnaissance de ces étapes et du cheminement de la différenciation des lymphocytes apparait comme un élément crucial de la stratification des lymphomes.
Différentiation lymphocytaire
Les lymphocytes B sont les médiateurs de l’immunité humorale et de la mémoire immunologique. Pour réaliser ces fonctions, ces cellules doivent passer par un certain nombre d’étapes de différenciation leur permettant d’acquérir un répertoire le plus divers possible de récepteurs à l’antigène (anticorps) mais néanmoins tolérants au soi. Certaines de ces étapes, impliquant un remodelage somatique de segments géniques (recombinaison V(D)J et commutation de classes) et un affinage de leur spécificité (à travers un processus d’hypermutation somatique) sont complexes, et bien que hautement régulées, non sans danger pour l’intégrité du génome. Les premières étapes de développement des lymphocytes B se déroulent dans la moelle osseuse, et permettent l’assemblage du récepteur à l’antigène à travers le processus de recombinaison V(D)J . Chez l’adulte, les cellules B, à cette étape encore « immatures », sortent de la moelle osseuse et rejoignent la rate, où une décision cellulaire fondamentale va orienter leur destinée soit vers une réponse T indépendante (TI) soit vers une réponse Tdépendante (TD).
Cette orientation est prise en fonction du type de « signaling » mis en jeu, et auquel chaque lymphocyte B transitionnel est sensible de façon différentielle. Cette première bifurcation développementale donnera lieu d’une part aux cellules B pré-activées de la zone marginale résidant dans la zone marginale splénique, et d’autre part aux cellules B folliculaires matures résidant dans les follicules spléniques.
Chez l’homme, l’origine des cellules B de la zone marginale est encore débattue, et ces lymphocytes pourraient ne pas provenir de ce lignage de cellules transitionnelles, mais plutôt du foie ou possiblement des tissus lymphoïdes associés aux intestins (GALT) .
Ces cellules B de la zone marginale sont spécifiquement éduquées pour répondre rapidement aux antigènes TI transmissibles par le sang, et produisent une première ligne de défense de type « innée » contre des pathogènes spécifiques tels que les bactéries encapsulées. Chez l’homme, la plupart (sinon tous), des lymphocytes B de la zone marginale portent des taux (bien que relativement faibles) d’hypermutations somatiques sur les régions variables de leurs récepteurs, suggérant que la diversification du récepteur peut survenir en dehors de la réponse TD classique, et avant la rencontre avec l’antigène. Lors de la stimulation antigénique, les lymphocytes B pré-activés, pré-diversifiés et prédéveloppés de la zone marginale migrent rapidement dans le sang soit sous forme de cellules plasmocytaires sécrétrices d’anticorps, soit sous forme de lymphocytes B mémoire à IgM. A contrario, les lymphocytes B folliculaires matures ne sont pas encore des cellules effectrices lorsqu’elles sortent de la rate et recirculent dans la circulation sanguine. Ces cellules B naïves n’ont en effet à ce stade pas encore rencontré leur antigène spécifique, mais elles sont en revanche « primées » pour répondre de façon fonctionnelle à une stimulation TD. Cette dernière réaction se produit dans les follicules des organes lymphoïdes secondaires. Lorsque les lymphocytes B naïfs entrent les organes lymphoïdes périphériques, ils sont dirigés vers un follicule primaire, qu’ils vont scanner pour la présence éventuelle d’un antigène suffisamment affin. Ces lymphocytes B, maintenant activés par l’antigène, relocalisent rapidement dans la zone inter-folliculaire B-T, où elles subissent une première expansion limitée sous l’impulsion du « signaling » résultant de l’interaction avec les cellules T (via notamment le récepteur T et le couple CD40/CD40L). Une fraction des cellules se différencie en cellules plasmatiques à IgM, de courte durée de vie, ne subissant ni commutation de classe ni hypermutation somatique, mais produisant rapidement une première réponse aux pathogènes invasifs. L’autre fraction des cellules B activées initie en parallèle la formation d’un centre germinatif (CG) dans un follicule secondaire. Dans la zone sombre du centre germinatif, les cellules B activées répriment l’expression à leur surface du récepteur à l’antigène, ainsi que d’autres gènes tels que BCL2, prolifèrent de façon extensive en tant que centroblastes, et déclenchent le programme de maturation de l’affinité, consistant principalement au processus d’hypermutation somatique des gènes des immunoglobulines.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I. Différenciation lymphocytaire
I.1 Différentiation lymphocytaire B
I.2 Différenciation lymphocytaire T
II. Mécanismes de lymphomagenèse
III. Classification des lymphomes
IV. La leucémie lymphoïde chronique
IV.1 Epidémiologie
IV.2 Diagnostic
IV.2.1 Manifestations cliniques
IV.2.2 Critères du diagnostic
IV.3. Facteurs pronostiques
IV.3.1 Classifications clinico-biologiques
IV. 3. 2 Temps de dédoublement lymphocytaire (TDL)
IV.3.3 Infiltration lymphocytaire de la moelle osseuse à l’histologie
IV.3.4 Les marqueurs sériques
IV.3.5 Marqueur de surface CD38
IV.3.6 Marqueur intracellulaire Zap 70
IV.3.7 Mutations somatiques des gènes des chaînes lourdes des immunoglobulines (Ig VH)
VI.3.8 Les anomalies cytogénétiques et moléculaires
IV.4 Les microARN
IV.4.1 Biogenèse
IV.4.2 Méthodes d’études des
IV.4.3 MicroARN et LLC
V. Les autres syndromes lymphoprolifératifs B à petites cellules
V.1 Lymphome splénique à lymphocytes villeux (LSLV)
V.2 Leucémie à tricholeucocytes (LT)
V.3 Forme variante de la leucémie à tricholeucocytes LT-V
V.4 Lymphome diffus de la pulpe rouge de la rate (LDPRR)
V.5 Lymphome folliculaire
V.6 Le lymphome à cellules du manteau
V.7 Lymphome lympho-plasmocytaire et maladie de Waldenström
VI. Les syndromes lymphoprolifératifs T
VI.1 Leucémie prolymphocytaire T
VI.2 Leucémie/ lymphome T de l’adulte (LLTA) lié à HTLV1
VI.3 Syndrome de Sézary
DEUXIEME PARTIE
I. Méthodologie
I.1 Type d’étude
I.2 Cadres d’étude
I.3 Echantillonnage
I.4 Critères d’inclusion et de non inclusion
I.5 Considérations éthiques
I.6 Paramètres étudiés
I.7 Procédures de collecte des données et des prélèvements
I.8 Analyse statistique
I.9 Méthodes d’analyses
I.9.1 Hémogramme
I.9.2 Frottis sanguin
I.9.3 L’immunophénotypage par technique de cytométrie en flux
I.9.4 Immunocytochimie
I.9.5 Hybridation fluorescente in situ (FISH)
I.9.6 Mesure d’expression des microARN par RT-qPCR
II. Résultats
II.1 Les syndromes lymphoprolifératifs B à petites cellules 122
II.1.1 La leucémie lymphoïde chronique (LLC)
II.1.2 Les autres syndromes lymphoprolifératifs B à petites cellules
II.2 Les syndromes lymphoprolifératifs T
II.2.1 Syndrome de Sézary
II.2.2 La leucémie prolymphocytaire T (LPT)
II.2.3 La leucémie aiguë à cellules T (ATLL : acute T leukemia/lymphoma)
II.2.4 Lymphome T CD30
III. Discussion
CONCLUSION
REFERENCES