Évolution historique du concept
Avant d’aborder plus spécifiquement le concept de fonctionnement exécutif, il est important de rappeler de manière historique l’évolution des approches neuropsychologiques. En effet, un certain nombre d’observations ont été faites depuis plus d’un siècle. Des liens ont été remarqués entre des lésions du lobe frontal et l’apparition de troubles du comportement. Le cas le plus célèbre est le patient d’Harlow, Phineas Gage. En 1848, il est victime d’un accident de travail sur les voies ferrées. Due à une mauvaise manipulation, une barre à mine explose et lui transperce le crâne, provoquant une lésion frontale, suivie d’un changement de personnalité et de comportement (Lechevalier, Eustache, & Viader, 2008). En 1994 (a), Damasio et al. ont reconstitué virtuellement son cerveau et pensent qu’il aurait eu une lésion bilatérale ventro-médiane. Jastrowitz, en 1888 (puis Oppenheim, 1890), a constaté, chez des patients présentant une tumeur frontale, un changement de personnalité (euphorie joviale accompagnée d’excitation psychomotrice (« moria »)).
En 1888, Welt (puis Quensel, 1914) observe dans le cadre d’un traumatisme frontal, des changements de comportements (agressivité, impulsivité, conduites inappropriées) sans trouble intellectuel. Goldstein (1936) propose le terme « d’attitude abstraite », cette définition floue n’est plus utilisée à présent. Il proposait que cette notion serait importante, non pas pour les fonctions cognitives (e.g. intelligence, mémoire), mais pour des aptitudes plus générales (e.g. anticipation, raisonnement, flexibilité). Ces éléments se rapprocheraient aujourd’hui de ceux constituant les fonctions exécutives. En 1940, un patient de seize ans (principalement des observations adultes habituellement), victime d’un traumatisme crânien (lésions frontales gauches et droites) a été suivi pendant dix ans. Après son opération, il retrouve un comportement plus adapté (Hebb & Penfield, 1940). L’étude clinique de ces cas a permis de comprendre qu’une lésion frontale pouvait entrainer des changements de personnalité et du comportement, sans qu’il n’y ait de perturbation au niveau des capacités intellectuelles, motrices ou langagières.
Apports neuroanatomiques
Sur le plan neuroanatomique, le cortex cérébral est principalement composé de cinq lobes (frontal, pariétal, temporal, occipital et limbique). Dans le cadre des fonctions exécutives, nous nous intéressons principalement au lobe frontal, qui est situé dans la partie antérieure du cerveau et représente un tiers du cortex cérébral. Ce sont le sillon central de Rolando et le sillon latéral de Sylvius qui délimitent ce lobe (Baciu, 2011 ; Manning, 2007). Il a un rôle important dans les capacités exécutives. Même si de nombreux liens entre lobe frontal et fonctions exécutives peuvent être faits, le syndrome frontal et le syndrome dysexécutif sont deux concepts bien distincts (e.g. certains patients peuvent avoir des lésions frontales sans trouble cognitif associé (Stuss, 2006)). Le fonctionnement exécutif est complexe et engage, en plus des structures frontales, des connexions avec un grand nombre de systèmes neuronaux (notamment dans les autres régions du cerveau).
Le cortex frontal est divisé en trois régions, à savoir, l’aire motrice, le cortex prémoteur et préfrontal (Gil, 2014). Dans le cadre des fonctions exécutives, c’est plus précisément le cortex préfrontal qui a de l’importance. Les aires de Brodmann qui lui sont associées sont les aires 9, 10, 11 et 46 (Illustration 1). Il est défini comme le « siège de la conscience » (Perecman, 1987), permettant de traiter, intégrer, juger et modifier toutes les activités du système nerveux. Il est divisé lui aussi en trois parties, à savoir les régions dorso-latérales (principales fonctions : attention, mémoire de travail), ventro-médianes (principales fonctions : inhibition, régulation comportementale) et orbito-frontales (Lezak et al., 2012). De plus, le cortex préfrontal est fortement relié avec les autres régions cérébrales. De nombreuses informations sont échangées avec les circuits limbiques notamment (e.g. hippocampe, amygdale, thalamus), dont la fonction principale est de gérer la sphère émotionnelle. Il sert donc d’interface entre cognition et sentiments (e.g. régulation comportementale, émotionnelle, mémorisation).
C’est également dans cette région préfrontale que le processus de maturation physiologique est le plus long (Roy, Guillery-Girard, Aubin & Mayor, 2018). En effet, entre quatre et dix ans, se met en place progressivement la capacité à contrôler les informations (connexions renforcées). De dix à quinze ans, les régions somatosensorielles et visuelles deviendraient matures (équilibre entre disparition et création synaptique, substance grise plus épaisse). Puis de quinze à vingt-cinq ans, le cortex frontal achève sa maturation (diminution substance grise, augmentation substance blanche, dernier stade de myélinisation des centres associatifs du cerveau) et devient pleinement opérant pour l’intégration et le traitement d’informations complexes (e.g. raisonnement) (Illustrations 2) (Gogtay et al., 2004).
Développement des fonctions exécutives
En ce qui concerne le développement des fonctions exécutives, rappelons qu’au niveau neuroanatomique, le cortex préfrontal se développe progressivement pendant l’enfance et l’adolescence. Les résultats aux études menées auprès de nourrissons vont en faveur d’un développement exécutif précoce (maturation tardive du cortex préfrontal dorso-latéral, Diamond, 2004). Les régions deviennent matures tardivement, il y a donc de grandes différences au niveau cérébral à huit, onze et quatorze ans. De manière générale, les études ont montré que les fonctions exécutives sont identifiées avant huit ans (Becker, Isaac & Hynd, 1987 ; Epsy, 1997 ; Luciana & Nelson, 1998 ; progrès à six, dix, puis douze ans, Welsh, 1991). En effet, les fonctions exécutives seraient identifiées à l’âge préscolaire (trois-quatre ans), mais indifférenciées à cette période (Lee, Bull & Ho, 2013). Ce n’est qu’à partir de sept-huit ans que l’enfant serait capable de répondre à des situations plus complexes. L’inhibition et la mémoire de travail se différencieraient en premier, puis ce serait au tour de la flexibilité (Roy, 2015). Il y aurait ensuite une progression importante jusqu’à la fin de l’adolescence (Fourneret & Des Portes, 2017).
La différence entre inhibition et flexibilité ne serait pas consolidée avant l’adolescence (Roy, 2015). Russell (1999) propose un développement en plusieurs étapes pour le fonctionnement exécutif. Il parle d’« exécutif-Piagétien », dans lequel l’inhibition et la mémoire de travail seraient au coeur du développement cognitif. La performance sur la tâche AnonB est considérée, pour certains, comme le signe d’émergence des fonctions exécutives (Epsy, Kaufmann, McDiarmid & Glisky, 1999 ; Welsh & Pennington, 1988). Dans le stade préopératoire (deux-sept ans), l’apparition du langage correspondrait au début du contrôle comportemental. Les stades, de la pensée opératoire concrète (sept-onze ans) et de la pensée opératoire formelle (onze ans et plus), seraient avant tout liés aux évolutions du système nerveux (Anderson & Jacobs, 2004 ; Levin et al., 1991 [groupes : sept-huit ans ; neuf-douze ans ; treize-quinze ans]). Dans de nombreuses études, les chercheurs ont tenté de définir un âge de développement pour chacune des fonctions exécutives. Le but n’est pas ici de proposer une liste exhaustive de chaque recherche, mais d’observer les points de vue très variés pour cette thématique. Une étude requiert davantage notre attention, celle d’Huizinga, Dolan & Van der Molen, 2006 (analyse factorielle confirmatoire). Ils ont constitué quatre groupes d’âges (sept ans [n = 71], onze ans [n = 108], quinze ans [n = 111] et vingt-et-un ans [n = 94]). Ils ont proposé neuf tâches, pour la mémoire de travail, la flexibilité et l’inhibition (trois tâches par fonction) et ont observé le développement de ces fonctions aux quatre âges donnés.
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Table des matières
INTRODUCTION
CADRE THEORIQUE – CHEZ L’ENFANT D’AGE SCOLAIRE ET L’ADOLESCENT
1. Fonctionnement exécutif
1.1. Généralités
1.1.1. Évolution historique du concept
1.1.2. Apports neuroanatomiques
1.2. Modélisation du fonctionnement exécutif
1.2.1. Présentation succincte des modèles
1.2.2. Modèle de Lehto
1.3. Développement des fonctions exécutives
1.3.1. Développement de la mémoire de travail
1.3.2. Développement de la flexibilité
1.3.3. Développement de l’inhibition
2. Théorie de l’esprit
2.1. Généralités
2.1.1. Évolution du concept de manière historique
2.1.2. Apports neuroanatomiques
2.2. Modèles théoriques de la théorie de l’esprit
2.2.1. Présentation succincte des modèles
2.2.2. Différenciation des théories de l’esprit
2.3. Développement de la théorie de l’esprit
3. Des liens entre fonctions exécutives et théorie l’esprit
3.1. Modèles théoriques des fonctions exécutives et de la théorie de l’esprit
3.2. Développement des fonctions exécutives et de la théorie de l’esprit
PARTIE EXPERIMENTALE
1. Objectifs, problématique, hypothèses
2. Méthodologie
2.1. Participants
2.2. Matériel
2.2.1. Matériel évaluant les fonctions exécutives
2.2.2. Matériel évaluant la théorie de l’esprit
2.3. Procédure
2.4. Analyse statistique
3. Résultats
3.1. Analyse des résultats obtenus aux épreuves des fonctions exécutives en fonction du groupe d’âge
3.1.1. Analyse des résultats à l’épreuve MCI en fonction du groupe d’âge
3.1.2. Analyse du score d’interférence de l’épreuve Stroop en fonction du groupe d’âge
3.1.3. Analyse des résultats à l’épreuve NCST en fonction du groupe d’âge
3.2. Analyse des résultats obtenus aux épreuves de théorie de l’esprit en fonction du groupe d’âge
3.2.1. Analyse des scores à l’épreuve Advanced TOM en fonction du groupe d’âge
3.2.2. Analyse des résultats à l’épreuve Faux-Pas en fonction du groupe d’âge
3.3. Corrélations entre les résultats obtenus aux épreuves de fonctions exécutives et de théorie de l’esprit
4. Discussion
4.1. Hypothèse 1
4.2. Hypothèse 2
4.3. Hypothèse 3
4.4. Limites de l’étude
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES
TABLE DES FIGURES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES TABLEAUX
ANNEXES
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