Différences de sexe dans l’accidentologie du jeune conducteur
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2013), les accidents de la circulation représentent la huitième cause de décès dans le monde et la première cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans, faisant de la sécurité routière un enjeu de santé publique majeur. Pour bien comprendre les données qui vont être développées dans ce chapitre, quelques définitions préalables doivent être d’abord fournies. L’accident constitue un évènement, fortuit qui a des effets plus ou moins dommageables pour les personnes ou pour les choses (« Accident », 2015.). L’accident de la circulation routière, plus précisément, peut être défini en fonction des dommages occasionnés. Ceux-ci peuvent être matériels et, le cas échéant, corporels. Un accident corporel de la circulation routière est défini comme un choc survenant sur le réseau routier (voie ouverte à la circulation publique), impliquant au moins un véhicule roulant (automobile, moto, vélo, etc.) et provoquant au moins une victime (ONISR, 2012b). Les accidents de la circulation routière sont plus souvent matériels que corporels (Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière [ONISR], 2010). Toutefois, nous inscrivant dans une approche de santé publique, ce chapitre se centrera sur les accidents corporels, auquel renverra le terme « d’accident ».
En dehors du conducteur du véhicule roulant, l’accident de la circulation peut impliquer plusieurs usagers, notamment les éventuels passagers du véhicule. Parmi les usagers impliqués dans un accident corporel on distingue les victimes (personnes impliquées décédées ou ayant fait l’objet de soins médicaux) et les indemnes (personnes impliquées non victimes) (Assailly, 1997). Les victimes peuvent être de trois types : les tués, les blessés hospitalisés et les blessés légers. Est considérée comme un « tué », toute personne victime d’un accident corporel de la circulation routière ayant perdu la vie sur le coup ou dans les 30 jours qui ont suivi l’accident. Les blessés hospitalisés sont des victimes dont l’état nécessite plus de 24 heures d’hospitalisation, tandis que les blessés légers sont des victimes dont l’état nécessite des soins médicaux et/ou une hospitalisation de moins de 24 heures (ONISR, 2012b). En fonction du type de victime impliqué dans un accident corporel, celui-ci pourra donc être qualifié de mortel, « grave » ou léger .
D’un point de vue épidémiologique, trois grands indicateurs permettent d’appréhender la gravité accidentelle: la mortalité (nombre de tués rapporté à l’effectif de la population), la morbidité (nombre de blessés rapporté à l’effectif de la population) et l’implication (nombre de personnes impliquées, qu’elles soient victimes ou indemnes, rapporté à l’effectif de la population) (Assailly, 1997). Ce dernier indicateur est cependant plus compliqué à appréhender du fait de la difficulté à connaitre lenombre exact de personnes réellement impliquées dans un accident, notamment lorsque celles-ci n’ont pas nécessité de soins médicaux. La mortalité accidentelle recouvre deux phénomènes : le risque « primaire » d’être la victime d’un accident, estimé par des incidences (nombre total de victimes rapporté à l’effectif de la population) et le risque « secondaire » d’être tué dans ledit accident, ou létalité (nombre de tués rapporté au nombre de victimes). La gravité des accidents peut être évaluée au travers du nombre de blessés hospitalisés (nombre d’accidents graves ou nombre de victimes graves pour 100 accidents), de la gravité des blessures ou de la létalité.
Partout dans le monde, l’accidentologie routière constitue un problème de santé publique. Au niveau mondial, on estime à 1,24 millions le nombre de personnes tuées et à 50 millions le nombre de blessés chaque année dans les accidents de la circulation (OMS, 2013). En France, le bilan accidentologique dressé par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) repose sur les données issues du Fichier national des accidents corporels de la circulation routière (dit « Fichier BAAC ») sur la base des informations constituées par les services de la Police et de la Gendarmerie nationales. Ces données sont parfois complétées par celles issues du Registre du Rhône qui constitue une autre base de données plus qualitative permettant de préciser certains éléments (gravité, nature et potentiel séquellaire des blessures, etc.). En 2012, en France, 3653 personnes ont été tuées sur les routes et 27142 ont été hospitalisées (ONISR, 2013b). Outre le coût humain, les accidents de la circulation représentent un coût économique important compte tenu de la perte de capital humain et de capacité productive, de la rééducation nécessaire, des incidences familiales et des dommages matériels. Le coût économique des décès et dommages corporels causés par les accidents serait d’environ 1 % du produit national brut (PNB) dans les pays à faible revenu, 1,5 % dans les pays à revenu intermédiaire et 2 % dans les pays à revenu élevé (OMS, 2013). En France, le coût des accidents corporels pour 2012 s’élevait à 9,5 milliards d’euros (ONISR, 2013a).
Au niveau mondial, le véhicule de tourisme (ou la voiture) est le véhicule le plus impliqué dans des accidents mortels, les usagers de voiture représentant 31% des tués sur les routes en 2013. Cela est particulièrement vrai dans les pays à haut revenu (OMS, 2013). En France, en 2012, 78% des accidents corporels impliquaient un véhicule de tourisme, l’ensemble des usagers impliqués dans ces accidents représentant 74.9% de la mortalité routière et les usagers de voiture de tourisme (conducteurs et passagers) représentant 51.1% de la mortalité routière (ONISR, 2013a). Ceci est dû au fait que la voiture reste le moyen de transport le plus utilisé, plus particulièrement dans les pays à haut revenu . Les usagers de véhicules de tourisme représentaient en France, en 2012, 83% des véhicules motorisés (ONISR, 2013a) et 76% du trafic (ONISR, 2014). De plus, généralement davantage de personnes (e.g., passagers) sont impliquées dans un accident corporel avec un véhicule de tourisme.
Un accident est, par définition, un évènement fortuit, imprévisible et relativement rare au niveau individuel. Il est le résultat de la conjonction aléatoire de plusieurs éléments à caractère causal. Certains facteurs de risque augmentent cependant sa probabilité de survenue, ou la gravité de ses conséquences. Les trois principaux facteurs du risque d’accidents de la circulation sont l’infrastructure, le véhicule et le comportement humain. Le facteur humain (inattention, fatigue, imprudences, compétences cognitives, etc.) serait toutefois en cause dans plus de 90 % des accidents (Sabey & Staughton, 1975). Plusieurs comportements humains ont été identifiés. En France, d’après les informations des forces de l’ordre de 2012, l’alcool serait la cause principale dans au moins 20 % des accidents mortels et serait présent dans 30% des cas (ONISR, 2013a). Cette proportion est une constante depuis une dizaine d’année. Le refus de priorité serait la cause principale dans 14 % des décès routiers. L’usage de stupéfiants par le conducteur serait la cause principale dans au moins 4 % des décès routiers et serait présent dans 23 % des cas. Le cocktail alcool – stupéfiant multiplierait par 14 le risque d’être responsable d’un accident mortel (ONISR 2013a). 16 % des décès routiers interviennent lors d’un accident où l’un au moins des conducteurs présentait des signes manifestes de fatigue ou avait eu son attention perturbée. Enfin, le non port d’équipements de sécurité est un facteur aggravant des accidents : 21 % des personnes tuées en véhicule léger, poids lourds ou transports en commun n’avaient pas ou mal attaché leur ceinture de sécurité et 6 % des usagers tués en deux roues motorisés n’avaient pas de casque. Mais c’est surtout la vitesse, associée à 25% des cas d’accidents mortels par les forces de l’ordre, qui reste la principale cause d’accidents (ONISR, 2013a).
Certaines circonstances dans lesquelles surviennent les accidents semblent récurrentes. Les accidents corporels se produisent le plus souvent en fin de journée, à mettre en relation avec le pic des trafics cumulés (trajets scolaires et domicile/travail) mais aussi avec la présence du facteur « fatigue ». Ils se produisent également plus souvent le vendredi et le week-end, ce qui lié à des circulations moins urbaines, nocturnes et donc plus dangereuses, en fin de semaine (ONISR, 2010). La fin de journée et le week-end correspondent également au moment où le pic d’alcoolisation des conducteurs impliqués dans les accidents corporels est atteint (ONISR, 2014). Les accidents corporels sont particulièrement nombreux pendant la période estivale ainsi qu’au début de l’automne (ONISR 2013a). Concernant leur localisation, bien que les accidents survenant en agglomération soient plus nombreux que les accidents survenant sur routes hors agglomération, ces derniers sont plus graves (ONISR, 2013a), la fluidité du trafic sur les routes de rase campagne permettant des vitesses plus élevées.
Face à cette situation, de nombreux engagements ont été pris, que ce soit au niveau mondial, européen ou national, en vue d’améliorer la sécurité routière et réduire le nombre de tués sur les routes (OMS, 2013 ; ONISR, 2010). Dans ce sens, de nombreuses mesures de sécurité routière ont été déployées – règlementations, campagnes d’information et de sensibilisation –, notamment dans les pays à revenu moyen ou faible, concernant les principaux facteurs de risque (OMS, 2013). Possiblement due aux mesures entreprises pour faire face aux objectifs fixés, les chiffres de la sécurité routière montrent une amélioration de la situation. Au niveau mondial, malgré une augmentation de 15 % du nombre de véhicules immatriculés entre 2007 et 2010, peu de changements concernant les accidents de la route ont été observés (OMS, 2013). En France, la mortalité routière a été divisée par deux entre 2000 et 2010 et le nombre de personnes tuées a encore baissé de 18% entre 2010 et 2012. Dans le même temps, le coût total de l’insécurité routière décroît régulièrement (ONISR, 2013a).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 DIFFERENCES DE SEXE DANS L’ACCIDENTOLOGIE DU JEUNE CONDUCTEUR
1. Introduction
2. Différences de sexe dans l’accidentalité
2.1 Un phénomène important
2.1.1 Une plus grande fragilité féminine dans les accidents
2.1.2 Les différences de sexe dans l’accidentalité au niveau mondial
2.1.3 Les différences de sexe dans l’accidentalité en France
2.2 Différences de sexe dans l’accidentalité : un phénomène généralisé
2.2.1 Des différences de sexe observables dans la plupart des modes de transports
2.2.2 Des différences de sexe observables à tous les âges
2.3 Des différences de sexe dans la responsabilité et les infractions
2.4 Différences de sexe dans l’accidentologie : effet de l’exposition et évolution du gender gap
2.4.1 L’exposition comme explication des différences de sexe
2.4.2 L’exposition : un facteur explicatif insuffisant
3. Une sexospécificité particulièrement marquée chez le jeune conducteur
3.1 Le jeune conducteur : définition
3.2 Différences de sexe chez les jeunes conducteurs
3.2.1 Les jeunes conducteurs : une population à risque
3.2.2 Une différence de sexe particulièrement importante
3.3 Circonstances et facteurs d’accidents
3.3.1 Les circonstances des accidents des jeunes conducteurs
3.3.2 Les infractions des jeunes conducteurs
4. Conlusion
CHAPITRE 2 DIFFERENCES DE SEXE DANS LES COMPORTEMENTS A RISQUE
1. Introduction
2. Transgressions et prise de risque
2.1 Différences de sexe dans les transgressions
2.2 Transgressions routières et prise de risque
3. Qu’est-ce que la prise de risque ?
3.1 Le risque : définition
3.2 Risque objectif et risque subjectif
3.3 Prise de risque et conduites à risque : définitions
3.3.1 La prise de risque
3.3.2 Conduites à risque
3.3.3 Comportements à risque
4. Pourquoi prend-t-on des risques ?
4.1 La prise de risque : un facteur général ?
4.1.1 L’attitude face au risque : définition
4.1.2 Transversalité ou spécificité de la prise de risque
4.2 Les modèles du risque
5. La perception du risque et des bénéfices
5.1 Risque perçu, bénéfices perçus et prise de risque
5.2 Les bénéfices du risque
5.2.1 Bénéfices primaires individuels : La recherche de stimulations et de sensations
5.2.2 Bénéfices secondaires individuels
5.2.3 Des bénéfices secondaires sociaux et institutionnels
5.3 La perception du risque
5.3.1 Risque objectif et risque perçu
5.3.2 Hiérarchisation individuelle des risques
5.3.3 Biais perceptifs
6. Les facteurs associés aux comportements à risque
6.1 Facteurs sociaux
6.1.1 Facteurs situationnels
6.1.2 L’environnement familial
6.1.3 Les pairs, le groupe
6.1.4 La culture et les médias
6.2 Facteurs individuels
6.2.1 Traits de personnalité
6.2.2 Facteurs dispositionnels
6.3 L’âge et le sexe
6.3.1 Âge et comportements à risque : les adolescents et les jeunes adultes, une population à risque
6.3.2 Le sexe
7. Conclusion
CHAPITRE 3 THEORIES EXPLICATIVES DES DIFFERENCES DE SEXE
1. Introduction
2. Différences de sexe : les perspectives biologique et évolutionniste
2.1 La perspective biologique : des différences génétiques et hormonales
2.1.1 Les étapes de la différenciation sexuelle
2.1.2 Différences biologiques entre les sexes et comportements
2.2 La perspective évolutionniste : les comportements différenciés des hommes et des femmes comme le résultat de l’évolution
2.2.1 La psychologie évolutionniste
2.2.2 Les différences de sexe et l’évolution
3. Du sexe biologique au genre psychosocial
3.1 Sexe et genre
3.1.1 Sexe et genre : définitions
3.1.2 Passage du sexe au genre dans l’explication des différences de sexe
3.2 Stéréotypes de sexe et rôles de sexe
3.2.1 Stéréotypes et rôles de sexe – définitions
3.2.2 Contenu des stéréotypes et rôles de sexe
3.2.3 Origine, différences culturelles et évolution des stéréotypes et des rôles de sexe
3.3 La masculinité et la féminité comme traits de personnalité
3.3.1 Des différences de sexe au genre comme trait de personnalité
3.3.2 Du genre comme trait de personnalité au genre comme catégorie sociale
3.4 Le sexe : une catégorie sociale particulière
3.4.1 La catégorisation sociale
3.4.2. Le sexe : une catégorie sociale
3.4.3. L’asymétrie sociale des sexes
4. L’identité sexuée
4.1 L’identité sexuée : définition
4.1.1 Identité sexuelle, identité de genre et identité sexuée
4.1.2 L’identité sexuée : deux versants
4.1.3 La multidimensionnalité de l’identité sexuée
4.2 Identité sexuée / Genre et comportements : comment l’individu en vient-il
à se conformer aux attentes de sexe de la société ?
4.2.1 Une conformité précoce : connaissance et conformité aux stéréotypes
4.2.2 Les processus impliqués
4.2.3 Effet des attentes sur les comportements
4.2.4 Différences de conformité en fonction du sexe
4.2.5 Différences interindividuelles intragroupes de sexe
4.2.6 Différences intraindividuelles
5. Théories explicatives des différences de sexe dans les comportements à risque
5.1 Le sexe biologique et les théories évolutionnistes comme explication des différences de sexe dans la prise de risque
5.1.1 Le sexe biologique comme explication des différences de sexe dans les comportements à risque
5.1.2 Les théories évolutionnistes comme explication des différences de sexe dans les comportements à risque
5.2 Approche psychosociale des différences de sexe dans les comportements à risque routiers
5.2.1 Stéréotypes de sexe et comportements à risque
5.2.2 Croyances en termes de conduite : une activité masculine
5.2.3 Effet des attentes en termes de conduite sur les comportements au volant
5.2.4 Vers une prise en compte de l’effet intégratif des variables sexe et genre dans l’explication des comportements à risque
6. Conclusion
CONCLUSION