Didactique du français et enseignement de la littérature au CO

Didactique du français et enseignement de la littérature au CO : la construction d’un rapport à la lecture

Dans ce rapport, nous avons remarqué un biais ; et de celui-ci émerge notre interrogation initiale. Dans la construction de séquences d’enseignement centrées sur la lecture d’œuvres ou d’extraits littéraires, les pratiques présentent une homogénéité formelle et structurelle : le questionnaire de lecture. Il est le medium standard pour favoriser le travail sur les significations et l’accès à la compréhension. En tant que tel, nous ne le remettons pas en question. Nous nous en servons cependant comme point de départ de la réflexion qui va suivre.

L’interrogation que nous soulevons ici porte bien sur le rapport entre l’élève et la lecture littéraire. Que pourrions-nous faire exister, dans ce rapport, pour accompagner l’élève dans ses lectures et la quête de sens, là où le questionnaire montre des faiblesses ? Nous aimerions chercher des pistes en introduisant une nouvelle donnée dans le système. En effet, il se pourrait qu’une cassure entre l’élève et le savoir (i.e. l’œuvre) provienne d’un déficit stratégique ou d’une sous représentation du développement des savoir-faire en lecture littéraire. En ce sens, nous souhaitons introduire comme variable les théories de la métacognition. Ainsi, nous avons pour projet de questionner le rapport entre le développement des stratégies des élèves avec la lecture littéraire en contexte scolaire.

La didactique de la littérature : évolutions et critiques d’un champ de recherche

Les ouvrages et articles que nous avons lus et qui faisaient état des recherches en didactique de la littérature (Daunay, 2007. Legros, 2008. Petitjean, 2014), ont mis en évidence les difficultés de s’accorder sur une identité des finalités du champ de recherche. Ils mettent en avant un « état de crise permanent » de l’enseignement de la littérature (Petitjean, 2014, p. 3) qu’ils attribuent à la multiplicité des objectifs qui lui ont été assignés. En absence de consensus, il nous paraît utile pour notre recherche de proposer une discussion diachronique des approches et, parallèlement, d’orienter la présentation vers notre objet de recherche. A ce sujet, nous choisissons, comme Daunay ou Petitjean, d’exposer cette pluralité d’objectifs à travers une liste proposée par Reuter :

La variété des objectifs et finalités assignés à l’enseignement-apprentissage de la littérature est aussi impressionnante : développer l’esprit d’analyse, développer les compétences linguistiques, développer les compétences en lecture et en écriture, développer les savoirs en littérature, développer le bagage culturel de l’élève, développer son esprit critique, lui permettre de s’approprier un patrimoine, développer son sens de l’esthétique et sa sensibilité, lui faire prendre du plaisir, participer à la formation de sa sensibilité… (Reuter, 1999, p. 197) .

Présenter une telle liste offre un double avantage pour la présentation de notre travail. D’une part, elle démontre la vaste superficie du chantier auquel s’attaquent aussi bien les chercheurs, en tentant de délimiter le champ de recherche, que les praticiens, dans la complexité des mises en acte de la question littéraire en contexte scolaire. D’autre part, nous reprendrons les éléments qui composent cette liste lorsque nous évoquerons la dynamique du couple savoirs / savoir-faire dans les phases d’enseignement – apprentissage de la littérature au secondaire. Pour commencer, nous synthétisons ici l’évolution des modèles généraux en didactique de la littérature en adoptant une vision diachronique. Nous pourrions opter pour une présentation essentiellement historique des mouvements et évolutions dans le domaine, mais nous choisissons, tout d’abord, d’utiliser le système didactique (Reuter, 2013) comme prisme au travers duquel nous ferons passer trois modèles. Dans un deuxième temps, nous formulerons nos remarques quant aux modèles. Ces dernières, nous l’espérons, faciliterons notre progression vers le cœur de la problématique. Grâce à Legros (2008) et Petitjean (2014), nous choisissons d’identifier trois mouvements distincts dans le renouvellement des modèles : Le premier correspond, selon Legros (2008), au « modèle traditionnel » : celui-ci privilégiait un enseignement du français axé sur la transmission d’un patrimoine historico-théorique littéraire. L’enseignant y « ordonnait chronologiquement des connaissances souvent gratuites, sans veiller suffisamment à leur appropriation et à leur intégration dans des pratiques réelles, liées aux intérêts et aux besoins des élèves dans le monde actuel ; d’où le risque de lectures seulement anthologiques.» (2008, pp. 38-39). Les pratiques enseignantes favorisaient des exercices en lien avec la pratique de la dissertation. Ainsi, au regard du système didactique, le processus « enseigner » est prépondérant : il consiste essentiellement en un flux unidirectionnel de transmission des connaissances. Ces derniers ne s’inscrivent pas dans un mouvement systémique des situations d’enseignement / apprentissage. De plus, l’anthologie ainsi présélectionnée en tant que corpus pertinent a fait l’objet de vives critiques puisqu’il résulte d’un choix idéologique, politique, patrimonial et donc potentiellement exclusif. C’est ce que D. Maingueneau nomme « discours constituants » (2004, pp. 47-48) ou encore ce que Petitjean exprime lorsqu’il explique que « c’est la fonction qui crée l’organe et non l’inverse, le qualificatif de littéraire réfère moins à une propriété interne des textes qu’à une construction sociale à laquelle l’institution scolaire contribue pour une part prépondérante. » (Petitjean, 2014, p. 6) Ces considérations éclairent le risque d’une non-prise en compte du sujet-apprenant et postulent une relation inégale, entre les valeurs institutionnelles et les valeurs de ce même sujet. Nous ne cherchons pas ici à faire le procès de ce modèle – essentiellement transmissif – mais à le mettre en perspective face aux évolutions des pratiques pédagogiques et des pratiques en lecture littéraire.

Le deuxième modèle représente, selon Halté, le « passage de l’œuvre au texte » (Halté, 1992, cité par Daunay, 2007, p. 147). Ici, le texte devient « un objet linguistique, qui doit faire l’objet d’une étude immanente » (Petitjean, 2014, p. 14). Il exprime l’influence du champ de la linguistique structurale sur la didactique de la littérature. Ceux que Petitjean appelle les « modernes » rejettent l’exercice de la dissertation littéraire au profit de travaux dont on revendiquait la scientificité, tels que le résumé, l’argumentation ou l’analyse de texte. La linguistique structurale devait alors apporter à la didactique de la littérature des fondements méthodologiques capables d’initier une pédagogie stable de la littérature :

l’accent sera mis sur les indices formels susceptibles d’étayer les interprétations et qui ont l’avantage de fournir à la discipline des savoirs objectivables et des exercices évaluables, procurant, de ce fait, un regain de légitimité aux études de lettres par rapport aux disciplines scientifiques. (Petitjean, 2014, p. 16) .

Petitjean montre ici ce déplacement dans le système : le texte devient l’objet central. Des outils d’analyse sont élaborés et fournis aux apprenants pour « travailler » l’objet littéraire. Ainsi, au regard des critiques que nous avons apportées au modèle traditionnel, il nous semble que la dimension des savoirs techniques, scientifiquement établis, prend une position dominante dans les séquences d’enseignement – apprentissage. Nous avons ressenti, par nos lectures, la volonté de donner une valeur scientifique, pédagogique au travail scolaire de lecture littéraire ; et c’est le champ de la linguistique qui a permis une redéfinition des fondements théoriques antérieurs. Face aux pratiques pédagogiques actuelles, nous aimons représenter cette évolution comme un nouveau pas de la discipline vers une prise en compte du sujet-apprenant, dans le processus didactique. La littérature et la lecture littéraire deviennent des objets enseignables pour lesquels des savoirs scientifiques spécifiques peuvent être clairement identifiés dans le parcours de l’élève, du primaire au tertiaire.

Le troisième modèle témoigne d’une nouvelle évolution en didactique de la littérature, principalement dans le domaine de la lecture littéraire. Ici, le texte n’est plus au centre de la démarche. C’est l’activité de lecture, c’est-à-dire le rapport particulier qu’entretient le lecteur avec son texte qui devient le véritable objet d’étude. En effet, le sujet-apprenant prend une place centrale dans l’acte de lecture littéraire, puisqu’il y apporte un regard unique, composé de l’ensemble subjectif de ses connaissances (savoirs et savoir-faire), de son vécu et de son propre rapport au texte. Il est le « maître du sens » (Petitjean, 2014, p. 20). Attention, le modèle ne néglige pourtant ni le rôle du texte ni celui des savoirs enseignables dans le système didactique :

[L’acte de lecture] est conçu comme une transaction dynamique de significations, un processus dialogique qui met en relation, d’un côté le texte, tel qu’il a été élaboré dans un contexte donné sous l’autorité d’un auteur et dont le sens est à la fois prescrit et indéterminé, et, de l’autre côté, le lecteur. Ce dernier investit le texte de significations différentes selon les enjeux de sa lecture, ses connaissances encyclopédiques, sa compétence linguistique, ses sentiments et ses affects, son système axiologique et plus généralement son identité socioculturelle. Cette conception interactive de la lecture, dans la relation qui unit le texte à un lecteur, met l’accent sur le ‘pouvoir créatif’ du lecteur (Michel, 2011) et sur le fait, comme le souligne Y. Citton (2007), que ‘toute lecture implique une forte activité projective de la part de l’interprète’. (Petitjean, 2014, p. 19-20) .

La lecture littéraire : du « texte interrogé au texte qui interroge » (Aron, 1987, tiré de Daunay, 2007, p. 168)

Si, jusqu’à présent, nous avons essentiellement discuté de la didactique de la littérature d’un point de vue diachronique, nous aimerions à présent resserrer l’objet de recherche sur l’enseignement de la lecture littéraire. Nous avons déjà identifié trois éléments essentiels, constitutifs des situations d’apprentissage : le rôle du sujet-apprenant, le statut idéologique – instable – du texte et les stratégies d’enseignement en constante (r)évolution.

Dans les pratiques littéraires actuelles du secondaire I, les dispositifs scolaires correspondent à des séquences de production et/ou de lecture-compréhension de récits. Le choix du corpus dépend d’un triple filtre : celui de l’institution qui pilote les choix didactiques, celui de l’enseignant qui sélectionne les œuvres ou les extraits à travailler et celui des moyens d’enseignement. Ce premier mouvement, descendant (de l’institution vers l’élève), est suivi d’un deuxième, centré sur l’activité de l’élève. Et c’est cette activité qui, selon certains auteurs, légitime la place de la lecture littéraire comme lieu didactique à part entière : « L’étude de la façon dont les textes sont lus, c’est-à-dire enseignés, montrés, reçus, et surtout transformés par des lecteurs particuliers, fait intrinsèquement partie de la réflexion théorique sur la littérature » (Verrier, 1991, cité par Daunay, 2007, p. 167). Nous le démontrerons, en toile de fond de ce travail s’inscrit bien la mise en discussion de l’activité du lecteur, lorsqu’il prend possession du texte. Evidemment, le contexte de réception implique la prise en charge didactique du lecteur, de sorte que son activité soit alimentée, par exemple :

• dans l’exploration de la relation privilégiée qu’entretient l’apprenti-lecteur avec le texte,
• par l’étayage du dispositif didactique prévu par l’enseignant,
• par les discussions orientées par l’enseignant, en référence à la « médiation sociale » de Vygotsky (Schneuwly, 2008, p. 39),
• et dans la confrontation des points de vue.

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Table des matières

1. INTRODUCTION
1.1 Contexte déclencheur
1.2 Didactique du français et enseignement de la littérature au CO : la construction d’un rapport à la lecture
2. PROBLEMATIQUE
2.1 La didactique de la littérature : évolutions et critiques d’un champ de recherche
2.2 La lecture littéraire : du « texte interrogé au texte qui interroge »
2.3 La métacognition et le processus de lecture littéraire
3. CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL
3.1 Comprendre pour interpréter ou interpréter pour comprendre ?
3.1.1 Débats autour du couple compréhension – interprétation
3.1.2 Comprendre : un acte socialement déterminé
3.1.3 L’interprétation : une construction sociale des savoirs pour accéder au sens
3.2 Développer des stratégies de lecture : l’interprétation comme principe régulateur de la compréhension
3.2.1 Développer la capacité à faire des inférences : un savoir-faire en construction
3.2.2 Des stratégies métacognitives pour apprendre à comprendre
3.2.3 La communauté de lecteurs comme cadre d’apprentissage des stratégies de lecture
3.3 Un corpus pour stimuler l’activité d’interprétation – compréhension
3.3.1 Comprendre des textes ou des textes pour comprendre ?
3.3.2 Les textes résistants
3.4 Question de recherche et hypothèses
4. METHODOLOGIE
4.1 Aspects théoriques
4.2 Dispositifs de questionnement
4.2.1 Population
4.2.2 Ingénierie didactique
4.2.3 Forme de la séquence
4.2.4 Les nœuds interprétatifs
4.2.5 Le travail en comité de lecture
4.3 Analyse a priori des poèmes de Rimbaud
4.3.1 Analyse des objets à enseigner du point de vue de leurs qualités résistantes
4.3.2 Analyse a priori des obstacles que les élèves pourraient rencontrer
5. PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS
5.1 Reconstruction explicative du déroulement de la séquence
5.1.1 Evocation des stratégies et leur évaluation par les élèves
5.1.2 Travail sur les interprétations
5.1.3 Obstacles observés pendant la séquence et a posteriori
5.2 Axes et analyses
5.2.1 Axe 1 : les stratégies de lecture et leur évaluation
5.2.2 Axe 2 : le travail d’interprétation des élèves
5.3 Retour à la question de recherche
5.3.1 Liens entre stratégies et interprétations
5.3.2 Rôle de la coopération dans la construction des savoirs en lecture littéraire
5.3.3 Métacognition et vigilance
5.3.4 Nature des apprentissages renforcés par l’explicitation des processus métacognitifs
6. CONCLUSION
7. BIBLIOGRAPHIE

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