Les méthodes audios orales et la méthode SGAV
Comme dans la méthode directe, la méthode dite « audio-orale » développée par l’armée américaine durant la guerre froide, avait pour but de former des militaires à l’apprentissage pratique et rapide d’une langue étrangère. Elle bénéficie des apports de la linguistique structurale et du distributionnalisme de Bloomfield combiné avec les avancées des matériels audio visuels où des séquences linguistiques tirées de la vie quotidienne sont enregistrées. Cette méthode permet d’acquérir des structures grammaticales et lexicales de base que l’apprenant devait répéter et apprendre. Il s’agit pour Cuq d’ « une deuxième génération de cours avec des supports multimédias » pour l’enseignement du français et de l’espagnol à l’étranger. (2003 : 220)
Afin de répondre au besoin de communication courante et simple, la méthode « structuroglobale audiovisuelle », plus communément appelée SGAV, s’est appuyée sur les apports de la linguistique énonciative de Bally et Benveniste tournée autour de la parole en situation de communication. Son application a trouvé place dans un contexte de décolonisation où un grand besoin de maintenir l’enseignement du français s’est fait sentir.
Cette méthode proposée par Rivenc et Guberina vise l’apprentissage de la communication dans la langue parlée donnant la priorité encore à l’oral en interaction. « La démarche SGAV consiste en une approche situationnelle, audiovisuelle, communicative et intégrée de la langue orale d’abord, puis de la langue écrite[…] » (Cuq, 2003 :221). La langue visée est manifestement une langue courante, simple, avec des supports favorisant l’oral, ce qui exclue l’utilisation de supports littéraires jugés complexes, ambigus, inutiles et porteurs de traces culturelles qui pourraient faire obstacle à la compréhension de l’apprenant et rendraient son adaptabilité problématique selon les contextes. S’ajoute à ce rejet le statut Linguiste, auteur de Problèmes de linguistique générale, dans lequel il développe la théorie de l’énonciation.La littérature est finalement exclue de cette méthode à cause de sa complexité et de son éloignement de situation de la parole quotidienne. Les limites des méthodes audio-orales ou SGAV se font sentir à partir des niveaux intermédiaires ou avancés. En effet, quelle suite peut-on prévoir après la maitrise répétitive des formules de la langue courante ?
L’approche communicative en FLE
Le choix du mot « approche » au lieu de « méthode » a été expliqué par Cuq dans son dictionnaire de didactique du français. En effet, le choix du mot « approche » marque une distance par rapport aux courants et méthodes antérieurs.
Les limites des méthodes audio-orales et SGAV concernant les niveaux avancés amorcent un débat autour de la fonction de la langue en général et spécifiquement des langues étrangères. Cette approche dite « communicative » prolonge le recours à la fonction communicative d’une langue, amorcée par la méthode directe et active ainsi que sur le recours à des situations de communication réelles auxquelles un apprenant pouvait être confronté. Elle vise à développer chez lui la compétence de communiquer. Elle développe ainsi « une pédagogie des compétences où les savoirs déclaratifs deviennent moins importants que les savoir-faire et les savoir-être » (Godard, 2015 : 17). C’est la porte ouverte à plusieurs manières d’enseigner qui se développent autour des besoins de l’apprenant (langue de spécialités, langue sur objectif spécifique…). Avec cette approche, on assiste au retour du texte littéraire pris comme document « authentique » dans une situation de communication spécifique. Il s’agit d’adapter son énoncé en fonction de la situation (lieu, canal, interlocuteur, etc.) et de son intention de communiquer. Or un programme de communication ne peut se limiter à des phrases structurées et préfabriquées ? mais sera appréhendé plutôt en termes d’actes du langage aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.
Le CECRL
Le CECRL, Cadre européen commun de référence pour les langues, est un document de référence élaboré à l’initiative du Conseil de l’Europe afin de faciliter les échanges entre les acteurs pédagogiques pour l’apprentissage et l’enseignement des langues. Il est considéré depuis les années 2000 comme la balance qui pèse, juge et quantifie le niveau des apprenants, la conformité des formations et l’exigence suprême de recrutement des enseignants de langue. Il est considéré comme l’unique grille de compétence à appliquer en matière de didactique des langues européennes en particulier et des langues étrangères en général. Il fait suite et intègre les objectifs de l’approche communicative.
Son élaboration dans les trois dernières décennies s’est focalisée sur la mise en place d’un programme commun pour l’enseignement des langues diverses qui forment l’union européenne. Conscient de la diversité linguistique et culturelle du continent, le Conseil de l’Europe tente de faire de cette diversité une richesse et un atout à protéger et à La traduction de Essais de linguistique générale de Roman Jakobson a ouvert la recherche des formalistes russe au reste de la communauté scientifique. Ils ont appliqué, au texte littéraire, les méthodes d’analyses structurales empruntées à la linguistique de Saussure.
Le CECRL, comme projet didactique, adopte une adaptabilité et une neutralité qui lui permettent d’être appliqué sur toutes les réalités linguistiques de chacun des états. Il se présente au début comme un ouvrage rédigé en anglais et en français par des théoriciens, des didacticiens, puis traduits en plusieurs langues européennes. Il n’aborde pas les spécificités de chaque langue, mais se veut un document-outil commun qui faciliterait son application dans tous les pays de l’Union européenne. Dans la pratique pédagogique, il sert à élaborer un programme commun d’enseignement des langues et de faciliter également l’homogénéisation des certifications des langues au sein de l’UE.
Pour arriver à harmoniser les évaluations des compétences des apprenants, le CECRL propose des descripteurs de niveaux communs. En outre, le Portfolio européen des langues, le PEL, permet d’établir la biographie langagière de chaque apprenant en permettant de répertorier ses langues et de connaître ses compétences pour chacune d’elles. Il est à remarquer que le CERCRL adopte le terme de compétence pour désigner « l’ensemble des connaissances, des habiletés et des dispositions qui permettent d’agir » (CECR, 2001, op.cit. p. 15). Il s’agit de son aptitude pour une des quatre domaines de compétences des langues appelées traditionnellement compréhension écrite, compréhension orale, production écrite et production orale. Dans le CECRL, on mentionne ces quatre domaines :
– Réception : écouter, lire
– Production : s’exprimer oralement en continu, écrire
– Interaction : prendre part à une discussion, une conversation
– Médiation : englobant des activités d’interprétation et de traduction.
Le CECRL redéfinit certains concepts de l’approche communicative et établit six niveaux linguistiques différents : A1, A2, B1, B2, C1, C2.
Méthodologie du texte littéraire en classe de FLE
L’analyse des manuels de FLE, aussi bien établis par les didacticiens (Godard, 2000), (Beacco, 2000), comme les manuels que j’ai moi-même consultés pour préparer mes séquences de cours de littérature au CUEF (Centre Universitaire d’Études Françaises de Grenoble) m’ont semblé à la fois insuffisants, variés puis problématiques : insuffisants, car peu d’eux s’intéressent vraiment à l’exploitation du texte littéraire. Un bref tour des manuels de FLE permet d’établir un état des lieux des méthodologies, ou de la didactique de la littérature FLE. Si elle est rarement évoquée, c’est qu’en partie on continue parfois à la calquer sur la didactique de la littérature (en FLM, c’est-à-dire en français langue maternelle) dans l’enseignement secondaire. Certains enseignant de FLE sont en général des titulaires d’un Capes de Lettres modernes, ou des enseignants de FLM.
D’abord, l’absence de l’exploitation des textes littéraires dans les manuels de FLE est liée aux niveaux des compétences : par exemple, les descripteurs des niveaux A1 et A2 ne prévoient pas de développement des compétences de réception et de production vis-àvis des textes littéraires. La littérature apparaît donc aux niveaux B2, C1 et C2.
L’écriture et le processus rédactionnel
Ce chapitre sera structuré en deux volets. Dans le premier, nous aborderons l’écriture en langue maternelle, puis nous nous pencherons sur la rédaction ou l’écriture en langue étrangère. Celle-ci comporte-t-elle des spécificités qu’il faudrait prendre en compte dans son enseignement ? Peut-on réellement apprendre à écrire ? Quelle démarche adopter à cette finalité ?
Didactique de l’écrit en langue maternelle avant les années 2000
L’écriture a été pour Bucheton « l’un des instruments premiers du développement de l’agir humain dans toutes ses dimensions religieuse, économique, technique, politique et de la culture, le conservatoire de tous les patrimoines culturels […] »(2014 :7). C’est également un instrument psychologique qui permet à la pensée d’être transmise, d’être traçable, et d’être à la portée des autres. Depuis la Mésopotamie jusqu’à nos jours, l’écrit a été au cœur des civilisations et pourtant jusqu’à nos jours il émerge au sein des débats et des réflexions didactiques et théoriques. Comment apprend-on à écrire ?
L’écriture a souvent eu la réputation d’être un savoir-faire qui ne peut être didactisé. Yves Reuter (1996 :14) situe la rédaction comme une pratique qui ne s’enseigne pas. Il appuie la vision de J.F Halté quant à l’écriture qui affirme que les anthologies littéraires dans les années 1960 ont formé l’arrière-plan didactique de l’écriture. Celle-ci s’acquière après avoir maitrisé d’autres composantes linguistiques qu’il fallait exploiter dans ledit écrit en construction.
Dans cette conception didactique, l’écriture est un objet d’apprentissage mais n’est pas un objet d’enseignement. Trop complexe […]elle ne peut s’acquérir que par la répétition, sous la guidance tâtonnante par essai rédactionnels et erreurs bimensuellement reconduits ; s’il y a, à l’époque, des dogmes, il n’y a pas par contre, de théorie. (Halté, 1988 : 9)( cité par Yv es Reu ter ( 1 9 9 6 : 14)
De l’école élémentaire jusqu’au baccalauréat de français, la rédaction peine souvent à trouver un enseignement adéquat qui réglerait le problème de générations d’élèves. Reuter insiste et confirme l’absence d’une véritable didactique de l’écrit qui continue à être « une synthèse magique des autres compétences linguistiques à savoir la syntaxe, le vocabulaire, la conjugaison et l’orthographe. (1996 :15) Comment les intégrer ? « C’est aux élèves à apprendre, par eux-mêmes, la manière dont il faut les intégrer. » (Ibidem) C’est également à l’élève de comprendre comment aligner les phrases, construire le sens et organiser ses idées. Pour comprendre cette absence d’une véritable didactique scripturale jusqu’aux années 1990, Y. Reuter (1996, p. 15) évoque quatre raisons :
L’absence, à l’époque, de véritables recherches sur l’écriture et son apprentissage
La grammaire qui sert de support aux enseignements est intraphrastique, c’est-àdire centrée sur la phrase et non sur le texte or les recherches structurales ont également montré que chaque texte a sa propre grammaire qui lui confère les conditions nécessaires à sa signification.
La domination de l’évaluation de la langue sur d’autres aspects de la production écrite (l’agencement, la cohérence, la cohésion…)
Enfin l’enseignement de l’écriture est réservée exclusivement au cours de français, alors qu’on rédige bien ailleurs (SVT, histoire-géographie …)
A toutes ces difficultés recensées par Reuter, la relation entre lecture et écriture, qui sont souvent mentionnées dans la pratique de la rédaction et de son apprentissage sont très peu explicitées ou formalisées. Puis en dernier, Reuter évoque l’absence de l’exercice de réécriture qui est exclu des pratiques rédactionnelles.
L’écriture est un don
Pour Reuter comme pour Bucheton et Frier, l’exploitation du texte littéraire à des fins scripturales constitue un poids qui met l’apprenant face à une insécurité scripturale.
Aussi parfait soit son écrit, l’apprenant mesure l’impossibilité d’égaler le style d’un écrivain ce qui augmente son stress et tend à transformer le texte littéraire d’un élément déclencheur à un élément inhibiteur.
En effet, comme nous l’avons vu déjà, la littérature est le réceptacle du « beau ». Comme produit langagier, elle obéit aux règles de l’œuvre d’art. Comme telle, elle se présente « comme une activité mystérieuse devant laquelle on s’incline, pratiquée par des Auteurs, pourvus d’un don, venus d’on ne sait où. » (Reuter, 1996, p.19).
Le modèle de Hayes et Flower
Les travaux anglo-saxons de Hayes et Flower (1980), ont servi de base à plusieurs recherches : Reuter (1996), Bucheton (2014), Hidden (2013), Frier (2016) sur le processus rédactionnel. Nous examinons ici le travail de Garcia-Debanc18 (1986), (2021) qui a repris Hayes et Flower. Les enseignements recueillis par Garcia-Debanc ont permis de proposer un modèle d’organisation des opérations intervenant dans le processus rédactionnel. Malgré sa remise en question, le processus et le schéma proposé constituent une avancée extraordinaire. Le schéma rend compte d’un protocole expérimental sur le sujet scripteur c’est-à-dire l’apprenant engagé dans le processus de l’écrit. Son protocole consiste à l’enregistrer en train de rédiger ou de commencer à rédiger en réfléchissant à haute voix sur sa pratique scripturale. Voici la légende du schéma qu’elle donne : Le modèle concernant l’activité d’écriture à proprement parler est représenté dans le cadre cerclé de gras. Cependant, le schéma indique également les composantes du contexte de réalisation de la tâche et de la structure de la mémoire du scripteur. Ces divers facteurs interviennent en effet dans la tâche de production.
La didactique de l’écrit en langue étrangère
En abordant l’évolution de la didactique de l’écrit en langue maternelle, nous pouvons à présent aborder le processus scriptural en langue étrangère. Il s’agira dans ce chapitre de voir à quel processus se réfère -t-on en matière d’apprentissage de l’écrit.
S’il y a bien un constat désolant à faire en matière de théorisation du fait scriptural en langue étrangère c’est bien l’absence d’une méthodologie propre et ad hoc. Les recherches faites dans le cadre de ce mémoire et de mon expérience personnelle en tant que scriptrice étrangère se heurte au tâtonnement des formateurs en ce qui concerne la compétence écrite.
Souvent la compétence scripturale en langue étrangère s’inspire de la didactique de la langue maternelle. Et pourtant nous n’avons pas affaire au même scripteur.
La fonction première d’une langue étant avant tout un instrument de communication. Le CECRL distingue dans l’apprentissage des langues, des activités langagières qui se réalisent à l’écrit et à l’oral. Si à l’oral l’apprenant peut jouer sur l’intonation, la gestuelle et le regard pour combler des lacunes dans la compréhension de son message par un locuteur, à l’écrit il ne dispose que de son écrit pour assurer une intelligibilité à son discours et pour que celui-ci produise un sens comme nous venons de le voir. Or pour produire un sens dans le cadre des activités de rédaction, les apprenants en FLE doivent mobiliser plusieurs compétences simultanément.
L’écriture apparait comme une activité plus complexe en langue étrangère qu’en langue maternelle. Si, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, une didactique du processus scriptural peine à être installée dans les cursus scolaires, elle l’est encore davantage en FLE. En effet, en plus de toutes les compétences requises en FLM, l’apprenant en FLE fait face d’abord et avant tout à une insuffisance linguistique. Alarcon (2001) affirme qu’« il ne faut pas oublier qu’il existe une différence dans la manière d’aborder l’étude de l’écriture en langue maternelle et en langue étrangère. Le natif connaît déjà sa langue quand il rentre à l’école, il possède une compétence qui lui est très utile. »
Au contraire, l’apprenant en FLE doit réapprendre à comprendre, à trier déjà le matériau avec lequel il doit affronter la tâche scripturale qui lui est demandée.
Le processus scriptural en FLE : le modèle de Hayes et Flower et Reuter
Le processus rédactionnel en FLE est souvent calqué sur les modèles en FLM.
Nous verrons ici un exemple d’application de la méthodologie de Claudine Garcia-Debanc que nous avons détaillée précédemment. Cette méthode qui a repris les travaux de Hayes et Flower en Amérique a été largement utilisée jusqu’à nos jours et elle apparaît sans doute et, à mon avis, la plus intéressante, car elle pointe les difficultés procédurales que rencontre le sujet scripteur et peut à la fois les cibler et les régler avec des exercices adéquats. Reuter aussi s’est inspiré de cette méthode en procédant à un réajustement de quelques éléments que nous étayerons ici au fur et mesure.
Comment écrit-on ? L’écriture d’un texte se fait de manière linéaire, une phrase suit une autre à tel point que nous pouvons conclure comme le dit M.O. Hidden « qu’il suffit de savoir former des phrases pour savoir rédiger un texte. » (2013 : 52) Cependant, le processus rédactionnel n’est pas aussi simple, et encore moins, quand il s’agit de rédiger dans une langue étrangère.
Nous rappelons ici brièvement les composantes du processus rédactionnel que nous avons vu chez Garcia-Debanc inspiré des travaux de Hayes et Flower (1980). Ce processus comprend trois composantes qui sont investies différemment chez l’apprenant étranger :
-L’environnement de la tâche qui est la consigne du projet d’écriture et le texte fini.
-La mémoire à long terme où l’apprenant puise les connaissances nécessaires à la rédaction
– Et enfin le processus d’écriture.
Le processus d’écriture, comme nous l’avons présenté, est aussi subdivisé en trois étapes : la planification, la mise en texte et la révision. Rappelons que « la planification » consiste à puiser dans la mémoire à long terme les informations nécessaires pour la réalisation de la tâche, puis il faut les hiérarchiser afin de choisir un ordre de présentation. Pour Hidden «
Ces opérations se matérialisent sur le brouillon sous forme de notes et de fragments de phrases. » (2013, p.33).
La planification
Étonnement, il ressort des recherches de Hidden, et c’est également mon point de vue concernant cette question, que le scripteur étranger a moins tendance à planifier sa rédaction qu’un scripteur natif. Et s’il lui arrive de planifier, c’est au niveau phrastique et non au niveau de la construction globale de son paragraphe ou de son texte. Pour Hidden, cette planification se montre dans l’usage du brouillon qui est plus élaboré en langue étrangère qu’en langue maternelle. Le scripteur natif se sert du brouillon pour organiser ses idées alors que le brouillon, chez le scripteur étranger, s’il y en a un, « consiste en un texte déjà agencé, car le scripteur est plus préoccupé par la formulation de ses idées que par leur structuration. » (Hidden, 2013 : 34). Conséquemment, les brouillons se présentent sous forme d’idées, de prises de note abrégées et codifiées alors que chez l’apprenant étranger, le brouillon contient des phrases élaborées voire des paragraphes écrits intégralement.
Le texte final apparaît plus organisé chez le natif que chez l’étranger qui, faute d’expression, réduit ses idées, se préoccupant du comment il exprimerait les plus simples que d’en développer d’autres qui lui couteraient encore des efforts pour les structurer.
La mise en texte
La mise en texte qui est au cœur du projet scriptural se transforme chez l’apprenant en quête lexicale. En général, tous les efforts sont tournés vers la recherche du vocabulaire, du verbe adéquat et de l’adjectif précis. À ce stade déjà, il enlève, essaye un mot à la place d’un autre, il l’écrit plusieurs fois pour voir sous quel aspect orthographique il lui paraît plus correcte ou laquelle des formes orthographiques qui lui paraît la plus habituelle, la plus lue, et la plus fréquemment rencontrée et également la plus appropriée.
Le scripteur en FLE peut même planifier des formes linguistiques qu’il maîtrise et leur fait correspondre des idées ce qui appauvrit ses dernières. Cet effort se distingue lors des rédactions en classe ou lors des examens, où il évite de réécrire ou de supprimer une phrase qu’il trouve lui-même correcte même si elle n’exprime pas d’idée originale. Enfin, « les arrêts et pauses qu’il effectue pour trouver des formes linguistiques appropriées ralentissent sa tâche et lui font perdre ses idées et affecte le sens global de son texte. « Ces interruptions aléatoires, particulièrement fréquentes chez les moins experts, ont pour conséquence de faire perdre au scripteur le fil de ses idées » (Hidden, 2013 : 34) Hidden évoque les travaux de Zimmermann( 2000) qui attribue le ralentissement de la rédaction au fait que le scripteur doit le plus souvent faire plusieurs essais de « formulation » avant d’arriver à une forme qu’il juge lui-même satisfaisante.
La révision
Nous constatons que l’apprenant étranger revient sur les aspects locaux de la langue.
Il se préoccupe de la révision de la grammaire et de l’orthographe des mots et semble ne pas s’intéresser au dysfonctionnement du sens global du texte et de sa cohérence. (Hidden, 2013 :34).
Les difficultés scripturales chez l’apprenant étranger le plongent dans une surcharge cognitive accrue par rapport à un sujet scripteur natif. Souvent le scripter peut effectuer des allers-retours entre les trois instances du processus en essayant de s’inspirer de sa langue maternelle. Cette opération appelée en didactique « le transfert » de certaines techniques suppose que les techniques rédactionnelles mobilisées restent les mêmes dans toutes les langues ; l’apprenant a parfois tendance à tout traduire dans sa tête pour lui donner une forme correcte. Ce recours n’est pas condamnable, mais au contraire il est même recommandé. Il est vrai que la traduction a ses limites que nous verrons dans l’analyse des données recueillies
Les stratégies scripturales, un savoir transférable
Cuq définit le transfert comme « l’ensemble des processus psychologiques par lesquels la mise en œuvre d’une activité dans une situation donnée sera facilitée par la maitrise d’une activité similaire et acquise auparavant. » (2003 : 240). Ce transfert est qualifié de positif ou de facilitation proactive dans des cas, et au contraire les nouvelles habiletés peuvent parfois être entravées par des capacités acquises antérieurement. (Idem)
Dans le cadre de l’écriture en langue étrangère, ce transfert ne se fait pas d’une manière automatique. Certes, toute compétence procédurale ou rédactionnelle peut être transférable, mais elle reste tributaire d’une très bonne maitrise de la langue. En dehors d’un bon niveau linguistique, elle ne peut être efficiente. Hidden (2013) insiste même sur le « recul des aptitudes rédactionnelles » (Ibidem :35) acquises en langue maternelle afin de rédiger en langue étrangère faute d’un bon niveau de langue. Pour elles, l’apprenant n’arrive parfois pas à réutiliser ses compétences rédactionnelles acquises pour les transférer car il est préoccupé et « accaparé par ses limites linguistiques » (Idem)
Cependant, ces compétences peuvent être transférables lorsque les apprenants en langue étrangère justifient d’un niveau linguistique avancé.
Il y a une autre condition pour la transferabilité des compétences que nous verrons plus loin. Interférence ou recours à la langue maternelle
Les transferts des compétences rédactionnelles peuvent être possibles dans le cadre de la didactique de l’écrit entre la langue maternelle et la langue étrangère. Nous pouvons avancer, de par notre expérience d’enseignante, que pour les apprenants débutants le recours à la langue maternelle en écriture est souvent automatique. Ce recours se fait dans la recherche d’un lexique ou d’une formulation ou autre. Comme le définit Cuq, le transfert peut être positif ou négatif. (2003 : 240). C’est donc en sujet bilingue que tout apprenant affronte l’exercice scriptural. Ce recours à la langue maternelle ou tension entre les deux ont fait l’objet d’une étude de Wang et Wen qui ont travaillé sur le modèle de Hayes et Flower (1980) et ont constaté que l’apprenant étranger recourt à la langue maternelle dans les trois processus rédactionnels : environnement de la tâche, processus de rédaction et la mémoire à long terme. Les travaux de Wang et Wen 2002) montrent que la langue cible est utilisée exclusivement dans l’environnement de la tâche car, rappelons-le, cette étape concerne la prescription et le résultat fini de la production.
Le processus de composition ou de rédaction n’est plus compatible avec celui de Hayes et Flower (1980), puisqu’il se compose de cinq composantes qui se réalisent et se développent dans le cadre de la langue maternelle (L1) ou de la langue étrangère (L2).
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Table des matières
Introduction
PARTIE 1 – LA LITTERATURE EN CLASSE DE FLE
Chapitre 1. La littérature
1. La littérature
Chapitre 2. L’écriture et le processus rédactionnel
1. Didactique de l’écrit en langue maternelle avant les années 2000
2. La didactique de l’écrit en langue étrangère
3. Les stratégies scripturales, un savoir transférable
4. Vers une pédagogie de la production écrite en FLE
5. Les ateliers d’écriture
PARTIE 2 – CONTEXTE DE RECHERCHE ET METHODOLOGIE
Chapitre 4. Contexte de recherche et méthodologie
1. Le CUEF de Grenoble
Chapitre 5. Les démarches méthodologiques et le recueil des données
2. L’observation des cours
3. Le questionnaire
PARTIE 3 – RESULTATS ET ANALYSE DES DONNEES
Chapitre 7. Recueil des données
1. Les données recueillies
2. Synthèse des questionnaires sur la littérature en classe de FLE
Chapitre 8. Analyse des données
1. L’enseignement de la littérature au CUEF
2. La littérature : découverte d’une culture
3. Le choix des textes littéraires dans les trois cours observés
4. Déroulement des cours
Chapitre 9. Conception des cours et entrée dans le texte
1. Préparer l’horizon d’attente pour faciliter la compréhension
2. La lecture des textes
3. Ateliers d’écriture et production écrite
4. Limites de cette recherche
Conclusion
Bibliographie
Table des illustrations
Table des annexes
Table des matières