Quelle décentration est nécessaire ?
Une fois le texte produit, le scripteur expert révise son texte. Il le relit et vérifie son adéquation avec ce qui a été demandé. Le scripteur compare la production qu’il a planifiée mentalement à celle qu’il a écrite et procède à une mise au point de son texte en effectuant les modifications requises. Pour cela, le scripteur doit se décentrer par rapport à son propre texte, il doit accepter de revenir dessus, de supprimer des éléments, d’en ajouter, d’en déplacer. Il doit avoir un regard extérieur par rapport à sa propre production. C’est cette capacité que l’apprenti scripteur n’a pas encore acquise.
Selon Jacques Crinon et Brigitte Marin (2014), pour évaluer ce qu’il a produit, un élève va adopter différentes stratégies ; des stratégies « automatisées » réalisées sans difficulté ou des stratégies « délibérées et contrôlées, qui recourent à la mémoire de travail et sont limitées par les ressources disponibles » (p.33).
Plus l’élève automatise de stratégies, moins il recourt à sa mémoire de travail. Les ressources ainsi mise à disposition l’aide à se décentrer pour mener à bien la tâche de révision. Le passage du statut d’apprenti scripteur à scripteur expert nécessite donc d’automatiser de plus en plus les stratégies.
Bernard Lahire (2008), montre qu’il est nécessaire pour les élèves d’avoir la capacité à se décentrer pour considérer la langue comme un système et pas uniquement comme un outil.
D’après lui, les enseignants jugent souvent les écrits de leurs élèves comme étant « pauvres », « banals », « plats ». Et pour cause, les élèves ne se détachant pas complétement des exercices de grammaire ou d’orthographe, ils éprouvent des difficultés à écrire sur ce qu’ils ont vécu par exemple, à accepter « la situation consistant à transformer leur expérience (réelle ou imaginaire) en un récit d’expérience » (Lahire, 2008, p.111).
Il est nécessaire pour l’élève d’avoir une position extérieure par rapport à la situation, aux actions, aux personnages qu’il décrit. Ainsi, il peut prendre en compte son lecteur et avoir un autre rapport au langage.
Il doit, selon Bernard Lahire (2008), « prendre pour objet le langage en tant que tel en vue de construire un petit univers autonome de sens » (p.114). En s’appropriant le langage écrit, l’enfant se détache des situations de communications qu’il vit. Il devient scripteur, un rapporteur de faits non vécus par le lecteur. Pour cela, l’élève développe un autre rapport au langage, il peut jouer avec lui, considérer le langage comme dissociable de ce qu’il permet d’évoquer, dissociable des situations d’énonciation.
Quels sont les liens avec l’étude de la langue ?
Au cours des différentes étapes, la production d’écrit mobilise des savoirs sur la langue, en particulier dans l’étape de formulation, et permet également de construire de nouveaux savoirs sur la langue notamment dans les étapes de révision. Nous nous intéressons plus particulièrement dans cette partie aux interactions entre l’écriture et les apprentissages sur le système de la langue.
Rappelons en outre que l’axe pédagogique principal de notre projet d’école porte sur le développement du lexique des élèves et plus particulièrement, sa réutilisation en situation de production d’écrit. Ce choix d’axe principal repose sur le constat d’un manque de vocabulaire chez une grande partie des élèves. Cette lacune s’explique par divers facteurs : le français n’est pas la langue maternelle chez une proportion importante de nos élèves, certains d’entre eux sont issus de milieux socio-culturels très éloignés de l’école. Dans ce cadre, l’école a un rôle prépondérant pour permettre aux élèves d’explorer de nouveaux champs lexicaux. Il nous paraît donc indispensable de porter une attention particulière aux mots avec lesquels nous choisissons de travailler dans le cadre de la séquence que nous mettons en œuvre dans le cadre de ce mémoire.
L’enseignement du lexique
Comme l’indique Jean-Paul Vaubourg (2010), l’apprentissage du vocabulaire peut se faire selon deux axes : la construction des mots (morphologique) et leur sens (sémantique). Il indique que ces deux approches sont liées entre elles puisque le sens d’un mot est aussi lié à sa construction. Il ajoute néanmoins que la morphologie est fixe pour un mot alors que l’aspect sémantique peut varier selon le contexte. Ce qui l’amène à la préconisation suivante : « Les familles de mots, relevant ici de la morphologie, feront plutôt l’objet d’un travail spécifique, là où les activités autour des champs lexicaux trouveront plutôt leur place en contexte, et donc en écriture ou en lecture. » (Vaubourg, 2010, p 148)
Cette affirmation nous amène à nous poser la question de la contextualisation. S’il est nécessaire de mener des séances décrochées de vocabulaire qui permettent d’envisager la langue pour ellemême, il est également nécessaire que les enseignements soient liés de manière étroite « aux activités de communication et d’expression » (Grossmann, 2011, p177). Nous retenons donc qu’afin de donner du sens aux élèves, il est pertinent de réinvestir les activités menées lors des séances décrochées dans des productions d’écrits qui constituent des tâches complexes.
Quels objets de lexiques enseigner ?
Au-delà de la question des modalités d’enseignement du lexique, il est donc nécessaire de se poser la question des objets de lexique qu’il est pertinent de travailler pour permettre au scripteur d’améliorer sa production d’écrit.
S’il est indispensable que les élèves possèdent les mots du domaine dans lequel le texte s’inscrit, l’appropriation du lexique émotionnel est également toujours nécessaire pour permettre aux élèves d’accéder à une autre façon de travailler l’écriture narrative. Elle prend ainsi plus en compte le lecteur. Selon Grossmann, Boch et Cavalla (2008), cette entrée permet à l’élève scripteur d’aller vers la prise en compte du sens transmis au lecteur en se détachant de la narration d’une succession d’événements.
Pour ce faire, les auteurs nous proposent quatre parcours didactiques liant lexique et écriture afin d’y parvenir. Le premier parcours proposé s’intitule « Mieux connaître le lexique des sentiments ». Ce parcours s’appuie sur l’idée suivante : la première étape pour parvenir à mobiliser ce type de lexique de manière pertinente dans une production est de susciter l’emploi de termes appartenant au domaine des sentiments. Il faut également affiner la perception des nuances de sens chez l’apprenti scripteur.
Afin de permettre cette augmentation de la précision du sens porté par les sentiments, nous pensons qu’il peut être pertinent de s’appuyer sur un travail de définition qui nécessite la verbalisation des différentes nuances portées par ces mots. Les sentiments pourront ainsi servir de points d’appui pour d’autres productions d’écrit. Le travail autour d’un champ lexical précis peut être vu comme une contrainte dans la tâche d’écriture. Intéressons-nous aux intérêts de ces contraintes et aux modalités et postures d’écritures qui peuvent y être liées.
Différentes modalités et postures d’écriture
Ateliers d’écriture et écriture avec contraintes
À travers l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle fondé en 1960), de nombreux écrivains, dont Georges Pérec et Italo Calvino, se sont prêtés à l’invention de jeux verbaux et de leurs contraintes. De nombreuses illustrations de ces exercices d’écriture en résultent et sont utilisées lors des ateliers d’écriture. Michel Perraudeau (1994) fournit quelques exemples parmi lesquels figurent le cadavre exquis, les anagrammes, les mots tordus, les mots-valises ou l’acrostiche.
Les ateliers d’écriture constituent un cadre où on travaille la langue et l’écriture. Les participants produisent des textes en suivant quatre étapes ; le lancement, la production, la communication et les réactions (Cabrera & Kurz, 2002). Dans le cadre de l’école, l’étape de lancement est la consigne donnée aux élèves, qui dépend des objectifs de l’enseignant. Cette consigne peut être donnée à voir comme un élément inducteur ou une contrainte, qui permet à l’enfant de se lancer dans l’écriture, sans avoir peur de la page blanche. Les contraintes donnent un cadre d’écriture qui facilite ensuite la création car elles ont un rôle d’inducteur. Une contrainte est une règle d’écriture, comme nous pouvons le voir dans cet exemple de contrainte « oulipienne » de Marcel Bénabou : « Acronyme groupe d’initiales abréviatives (OVNI est l’acronyme de “ Objet Volant Non Identifié ”). Exercice : choisir un mot, et le traiter comme s’il était un acronyme, en prenant soin de multiplier et de varier les propositions, par exemple en explorant successivement des champs sémantiques différents » (2014).
Ainsi, il existe des contraintes d’écriture. Dans le cadre de la création d’un dictionnaire, définir uniquement des mots sans utiliser la lettre « a » pourrait être une contrainte d’écriture. Il existe également des contraintes du genre. Par exemple, dans le cadre du dictionnaire de langue, la définition d’un nom doit comporter sa nature, son genre, la définition en elle-même et un exemple d’utilisation du nom.
Grâce à ces contraintes, le scripteur ne part pas de rien, il est guidé dans sa démarche de production écrite, qu’il peut réaliser individuellement ou en groupe. Dans la suite de l’atelier d’écriture, l’élève est confronté à ses pairs, auxquels il communique sa production. Les échanges portent sur le respect de la consigne, sur les effets produits et les choix opérés. Selon Annie Cabrera et Monique Kurz (2002), « ces échanges permettent à chacun d’assumer son écrit, d’évaluer les effets produits sur les lecteurs / auditeurs » (p.73). Ainsi, les élèves sont directement confrontés au destinataire de leurs écrits, ce qui peut faciliter une révision du texte.
Comme nous l’avons vu précédemment, cette révision demande une très grande décentration.
Dans ce contexte de prise de recul par rapport à la production, le scripteur peut très vite se trouver dans un état de surcharge cognitive. En effet, il doit à la fois revenir sur ses idées, veiller au respect de la consigne et évaluer les effets produits tout en prêtant attention à l’orthographe et la syntaxe. Ainsi, comme le précise Claudine Garcia-Debanc, des outils d’aide peuvent être apportés, ce qui constitue des « facilitations procédurales » (1990, p.28). Selon Michel Fayol, elles consistent à « alléger la tâche tout en laissant à l’enfant le soin de l’affronter dans son intégralité » (1984, p.68).
Des facilitations procédurales peuvent être apportées par l’introduction de critères destinés à guider le travail de correction du texte. Le scripteur vérifie s’il a respecté ces critères. Ceux-ci se rapportent aux caractéristiques de l’objet textuel à produire. Ils sont définis au préalable avec les élèves et sont qualifiés de critères de réussite (Garcia-Debanc, 1990), en ce sens que la tâche est réussie si l’élève a respecté ces critères. Cependant, ils ne doivent pas uniquement servir d’outils d’évaluation de la tâche, mais aussi d’aide durant la production. Dans ce cas, ils sont qualifiés de critères de réalisation (Garcia-Debanc, 1990). Ils permettent à l’élève de s’autoréguler durant la tâche. Par ailleurs, selon Claudine Garcia-Debanc, « le temps d’explicitation de critères de réussite ou de critères de réalisation est un moment nécessaire pour favoriser un autocontrôle de l’élève » (1990, p.12).
Ainsi, l’identification explicite des critères auxquels un texte doit répondre facilite la révision d’un texte et la décentration du scripteur. En effet, la décentration du producteur vers le récepteur sera plus aisée pour les élèves s’ils ont des points d’appuis tangibles sur lesquels ils vont opérer ce changement de posture.
Au-delà de ces facilitateurs procéduraux dans la mise en texte, quels dispositifs pédagogiques et modalités de travail peuvent également contribuer à la décentration ?
Les éclairages de la pédagogie par projet
Sur le plan pédagogique, nous nous sommes intéressées à la pédagogie par projet qui repose sur la nécessité de donner du sens aux élèves dans le travail qui leur est demandé. Il s’agit d’identifier des finalités réelles et pas uniquement scolaires. Par rapport à la thématique de la production d’écrit, il s’agit notamment d’identifier un destinataire réel mais aussi une production qui a du sens. Nous pensons donc que le destinataire réel ainsi que le sens donné à la production aident nos élèves à dépasser la dimension purement scolaire qu’ils donnent à la production d’écrit.
La finalité du projet d’écriture est toujours la communication. L’objectif est réel et clair, les élèves savent pourquoi et pour qui ils effectuent la tâche demandée. Différents types de projets sont possibles :
– La correspondance scolaire, qui place les enfants en situation d’écriture authentique ;
– La tenue du journal de l’école ou du site internet de l’école ;
– Le récit donné à lire à d’autres classes ou offert à des élèves plus jeunes ;
– Le recueil de contes pour les familles.
La pédagogie de projet constitue un moteur motivationnel pour les élèves. Ils connaissent l’enjeu, le destinataire et le type d’écrit à produire. Ensemble, ils déterminent les caractéristiques du texte à produire et ils avancent étape par étape. Le projet d’écriture permet un allègement de la charge cognitive dans la mesure où chaque séance de travail privilégie un niveau d’opérations. Cela permet de lier une logique de production et une logique d’apprentissage. D’après Claudine Garcia-Debanc, « le projet d’écriture donne lieu à une gestion collective et dilatée dans le temps des différents sous-processus impliqués dans une activité de production de texte » (1990, p.38). Les élèves construisent petit à petit leur production, dans une dynamique de projet collectif. Ils construisent ensemble les critères de réussite, les critères de réalisation, ce en vue de se réguler à la fois individuellement et collectivement pour produire un écrit visant un destinataire réel.
Par ailleurs, un élément important à souligner dans un projet est le fait qu’il se réalise sur le long ou le moyen terme. Il est donc possible de varier les dispositifs de travail ; écriture individuelle ou en groupes, lecture critique des productions de pairs ou encore évaluation collective en vue d’une réécriture. Ces dispositifs pouvant également se révéler être des facilitateurs procéduraux.
Travail sur les définitions des sentiments
Lors de la première séance, les élèves ont travaillé sur quatre définitions de sentiments, les objectifs spécifiques étaient de connaitre les différents éléments invariants constituant la définition d’un mot et d’étudier le vocabulaire autour des sentiments et des émotions. Dans les deux classes, la recherche dans le dictionnaire avait déjà fait l’objet d’une séquence dédiée en vocabulaire. Il nous a toutefois semblé important de cibler plus précisément la construction de la définition puisque les élèves seront ensuite amenés à produire leurs propres définitions. Il s’agit là de l’identification et l’explicitation des contraintes du genre. Pour cela, nous leur avons fait observer 4 définitions de sentiments, uniquement de noms, dans lesquelles ils devaient identifier les régularités : la nature, le genre, la définition et l’exemple. Ceci nous a permis d’élaborer une affiche (annexe 2) rassemblant les critères de réussite pour produire une définition. De plus, ils ont identifié le fait que la phrase définition présente la particularité de commencer par un nom. Dans un dictionnaire de langue, celui-ci est le nom générique de la catégorie. Nous n’avons pas pointé cette particularité avec les élèves.
Nous avons également commencé la production de définitions individuelles de huit sentiments connus des élèves. Nous avons volontairement choisi huit sentiments qu’ils avaient déjà rencontrés dans la séance précédente ou qui leur sont particulièrement familiers : joie, amour, jalousie, amitié, tristesse, peur, surprise, colère. Nous leur avons indiqué qu’après la première production individuelle, les élèves qui avaient choisi le même mot se mettraient d’accord sur une définition commune. Ils ont eu la possibilité de choisir leur mot parmi les mots proposés.
Nous avons imposé un minimum de trois et un maximum de quatre élèves par mot afin de pouvoir constituer les groupes. Cette première production individuelle constitue une évaluation diagnostique à laquelle nous comparerons les productions finales.
Lors de la deuxième séance, les élèves ont repris leurs définitions individuelles et ont produit une affiche par groupe avec leur production commune. Cela a nécessité de la part des élèves de se mettre d’accord en s’appuyant sur la liste des critères de réussite. Une phase de restitution orale devant la classe a permis un feedback dans lequel les observateurs aussi bien que les présentateurs ont pu évaluer l’adéquation de leur productions aux contraintes du genre. Ils se sont notamment beaucoup appuyés sur la présence ou non des quatre éléments nécessaires que nous avons identifiés comme critères de réussite pour définir un nom : la nature, le genre, la phrase définition et la phrase d’exemple. Leurs commentaires ont aussi portés sur la forme de la phrase définition : vérifier si elle commence par un nom. Ils ont également fait part de leurs impressions générales : « C’est facile », « Nous avons eu du mal à nous mettre d’accord », « J’avais raison mais je n’ai pas réussi à faire entendre mon opinion »…
Travail sur les mots-valises
Nous avons commencé par faire découvrir aux élèves les mots-valises. Pour cette découverte, nous nous sommes appuyées sur des mots qui représentent des objets concrets et connus des élèves dans lesquels les mots sont facilement identifiables : éléphantôme, cinémadeleine, assassinge, chevalise. Ces mots ont été recueillis sur différents sites mis en ligne par des classes d’élémentaire et de collège. Nous avons procédé à une analyse collective des mots afin de comprendre leur construction.
Dégouttière : n, f. Sentiment d’être repoussé par les eaux pluviales
Les élèves ont choisi chacun deux mots dans la liste de la classe afin de produire individuellement des définitions. Nous avons essayé de leur laisser un choix le plus ouvert possible en limitant toutefois le nombre d’occurrences d’un même mot pour constituer un dictionnaire suffisamment large. Avant de produire leurs définitions, nous leur avons indiqué que nous n’en retiendrions qu’une pour chaque mot dans la classe. Ils ont écrit leurs définitions en s’aidant des définitions du dictionnaire. Ils ont ensuite choisi une définition parmi celles proposées lorsqu’il y en avait plusieurs. Le choix entre les différentes définitions proposées pour un même mot-valise a pour objectif de les amener à s’interroger sur les critères de pertinence.
Cette séance a permis d’obtenir seize définitions pour la classe de Karine et dix-sept pour la classe d’Audrey. Ces mots-valises et leur définition ont ensuite été échangés entre les classes.
Echange entre classes
L’objectif de l’échange était de permettre aux élèves de se décentrer de leurs productions pour prendre conscience des critères de réussite pour construire un mot-valise et écrire une définition.
Ils ont dû déconstruire les mots-valises et analyser les définitions. Pour cela, la tâche demandée était d’associer les mots-valises produits par l’autre classe et de donner des conseils d’amélioration si nécessaire.
Pour les aider à déconstruire les mots-valises, nous avons fourni et présenté la liste des sentiments élaborés par l’autre classe. En effet, chaque mot-valise était construit avec un de ces mots. Ceci a constitué un élément facilitateur pour trouver les constituants des mots-valises.
Les élèves ont travaillé en binôme.
Chaque binôme avait à sa disposition :
– la liste de vingt étiquettes à découper portant chacune un mot-valise. Nous avons préparé cette liste en incluant les seize ou dix-sept mots-valises définis et en complétant par des mots-valises non définis. Dans la classe d’Audrey, la liste proposée à ses élèves est constituée uniquement de mots-valises créés par les élèves de Karine et réciproquement.
– Une fiche proposant quatre définitions choisies parmi celles rédigées par l’autre classe (annexe 3).
Nous avons prévu quatre fiches différentes pour la classe d’Audrey et cinq fiches différentes pour la classe de Karine. Dans la classe de Karine, certaines définitions apparaissent sur plusieurs fiches puisqu’il y a dix-sept définitions faites par la classe d’Audrey et quatre définitions par fiche.
Dans chaque classe, une des fiches a été volontairement fabriquée dans un souci de facilitation de la tâche pour les binômes plus fragiles. Nous avions prévu également de réduire le nombre de choix possibles parmi les étiquettes si un binôme se trouvait en difficulté pendant la séance.
Dans chaque classe, cette remédiation a été mise en place pour un des binômes.
La tâche pour chaque binôme était d’associer à chacune des définitions sur sa fiche la bonne étiquette de mot-valise et d’indiquer s’ils avaient trouvé facilement, avec hésitation ou au hasard (Figure 2).
Résultats
Ce travail nous a donc permis de mettre en œuvre une séquence ludique. Il s’agit maintenant pour nous d’analyser quels effets cette séquence ludique de création d’un dictionnaire de motsvalises a eu sur les productions des élèves ainsi que sur l’envie des élèves à produire de l’écrit. Nous nous limiterons à la présentation des résultats obtenus sur trois aspects. Tout d’abord nous verrons la qualité des mots-valises produits. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à la pertinence des définitions produites et enfin nous nous pencherons sur l’adéquation des phrases exemples choisies.
Dans cette partie, je présenterai les résultats produits par ma classe, tout en faisant parfois référence aux productions de la classe d’Audrey qui sont en annexe.
Qualité des mots-valises
La qualité des mots-valises produits peut s’apprécier sous deux angles : celui du fond et celui de la forme. Sur le fond, la contrainte que nous avions imposée aux élèves qui étaient d’utiliser au moins un sentiment en s’appuyant sur la liste identifiée a été respectée par l’ensemble des deux classes.
Nous avons donc choisi dans cette partie d’analyser la qualité des mots-valises relativement à leur formation. En effet, la jointure entre les deux mots associés peut être phonétiquement plus ou moins riche. C’est ce que nous nommons la qualité d’assemblage des mots.
Discussion
Au cours de la mise en œuvre du dispositif pédagogique et plus particulièrement lors de l’analyse des résultats, nous avons identifié plusieurs axes de réflexion en lien avec notre problématique : « Comment utiliser une écriture ludique comme levier d’amélioration des productions d’écrit ? ». En effet, nous avons constaté que la mise en œuvre de cette séquence autour des mots-valises nous a interrogées sur plusieurs domaines. Ne pouvant traiter l’ensemble des points, je choisis de mener cette discussion autour de deux axes : d’une part, la mobilisation de la phonologie en CE2 qui permet ici d’accéder à la dimension ludique du concept de mot-valise et d’autre part, la production des exemples en fin de séquence qui me semble une étape intéressante à examiner car il s’agit du principal point de divergence entre les mises en œuvre dans nos deux classes respectives.
Aspects phonologiques
Au cours de la mise en œuvre de la séquence et plus particulièrement lors de la séance de création des mots-valises, nous avons constaté que les élèves semblaient avoir bien compris le processus de création d’un mot-valise. Cependant, ils avaient du mal à trouver la dernière ou première syllabe orale du mot du répertoire des sentiments qu’ils avaient choisi. Nous avons ainsi constaté dans les deux classes que l’activité qui consiste à taper les syllabes orales, très présente en maternelle, avait été oubliée. Cela a permis de mettre en avant un réel besoin de réactivation de cette notion que l’on peut penser acquises en CE2. Nous avons également constaté une tendance à ne pas bien différencier syllabe orale et syllabe écrite.
Néanmoins, lorsqu’on regarde la qualité phonologique des mots-valises produits dans les deux classes, on s’aperçoit que si cette réactivation a été nécessaire, elle semble aussi avoir été suffisante. En effet, la qualité des mots-valises produits est similaire dans les deux classes et elle est bonne avec près de quatre-vingt-dix pour cent (90%) de mots-valises liés par une syllabe orale ou écrite complète.
Il est également intéressant de constater que le nombre de mots-valises qui a pu être produit par ces deux classes au cours de la séance est équivalent avec vingt-neuf mots d’un côté et trente mots de l’autre pour vingt-deux et vingt-et-un élèves. Le nombre de mots produits et leur qualité étant identiques, on peut donc se demander si notre objectif initial de quatre mots par élève n’était pas largement surévalué et si le fait de produire un ou deux mots dans le contexte de la séance c’est-à-dire avec la contrainte d’utiliser l’un des sentiments listés au préalable n’est pas un objectif plus raisonnable.
Par ailleurs, les élèves ont rencontré plus de difficultés que nous n’en avions anticipées pour produire ces mots-valises mais il nous semble intéressant de noter que l’aspect ludique lié à la création de nouveaux mots semble avoir été bien assimilé par les élèves et leur a donné envie de produire d’autres mots-valises. Ainsi, dès le rappel de la séance précédente qui portait sur la découverte des mots-valises et l’annonce de l’objectif de la séance de création des mots-valises, les élèves ont voulu s’essayer à créer leurs propres mots-valises. Ils ont ainsi tenté de créer des mots-valises avec leurs prénoms, ceux de leurs enseignants et aussi avec les objets qui les entouraient. On peut ainsi évoquer « tableautel = tableau + hôtel » qui a servi d’exemple pour l’affiche de création d’un mot-valise mais également « Lounasli = Louna + Asli », « Raphaëléphant = Raphaël + éléphant » ou encore « Malikide = Malik + Liquide ». Il est intéressant de noter qu’une quinzaine d’élèves a fait des tentatives plus ou moins réussies et que les élèves qui n’ont pas fait de proposition étaient néanmoins très investis que ce soit dans les retours collectifs sur les propositions ou dans le rire suscité par certaines plus rigolotes comme « Pipyramide ». De plus, lors de la séance suivante, au moment du rappel de la séance précédente, un élève a demandé si nous ne pourrions pas essayer de faire des mots-valises en associant trois noms et certains s’y sont essayé avec notamment « tableauteléphant = tableau + hôtel + éléphant ».
L’un des intérêts de cette séquence semble donc bien résider dans l’approche ludique qui a permis aux élèves de s’approprier la langue comme un matériau que l’on peut parfois également détacher de son sens et utiliser pour lui-même. Cette dimension semble avoir nettement contribué à la motivation et donc à l’implication des élèves au cours de la séquence.
Perspectives et conclusions
En conclusion, la mise en œuvre de cette séquence ludique de production d’écrit autour des mots-valises semble avoir été un levier intéressant pour améliorer la qualité des productions des élèves mais également pour augmenter leur quantité de production et leur envie à le faire. Sans pouvoir établir de lien de cause à effet, j’ai constaté dans ma classe une demande forte de la part de mes élèves de pouvoir, durant leurs temps d’autonomie, écrire des histoires puis les lire à leurs camarades. Lors de la période suivante, en mars avril, les élèves ont en plus souhaité pouvoir écrire leurs histoires à deux ou parfois à trois. Ils semblent donc avoir trouvé durant cette année des motivations et un certain plaisir dans l’écrit. On peut penser que la mise en œuvre de cette situation ludique y a contribué.
Cette séquence pourrait être prolongée par une réutilisation des mots en contexte. Il serait ainsi possible de travailler la production de texte plus long en s’appuyant sur les mots construits dans le dictionnaire. Elle pourrait également servir de point d’appui pour l’étude d’une œuvre longue utilisant des mots-valises ou plus généralement des jeux de mots comme La belle lisse poire du Prince de Motordu de Pef ou Le Bon Gros Géant de Roald Dahl.
A la fin de cette séquence, les élèves étaient très fiers de leur production collective et avaient le souhait de partager leur création, notamment avec leur famille. J’ai profité de cet enthousiasme et de leur questionnement sur le partage de cet objet collectif pour mettre en œuvre un prolongement avec une séance d’informatique. Elle a permis de travailler les compétences du B2I de saisie de texte au clavier et également d’aborder les aspects collaboratifs du numérique. Sur le plan pédagogique, ce travail m’a permis de prendre conscience de l’intérêt de mettre en place des situations ludiques et de construire avec les élèves des projets ayant de réelles finalités. Ces situations semblent plus marquantes pour eux et les apprentissages ainsi réalisés semblent mieux ancrés. Cela se traduit dans ma pratique par la mise en place de jeux de société autour du calcul mental afin de les aider à mieux mémoriser les tables de multiplication et aussi par une séquence autour de l’utilisation du Kamishibaï pour réinvestir la compréhension d’un texte en lecture. De plus, nous menons avec Audrey un projet de création de jeu de société afin de remobiliser les connaissances de sciences. Suite à la présentation de jeux de société par une classe d’une école voisine, nous irons cette fois leur présenter nos jeux.
Suite à cette séquence, j’ai également constaté que j’avais plus naturellement recours au travail en groupe qu’auparavant. Nous le faisions déjà régulièrement lors des séances en cointervention avec le maître supplémentaire mais je le fais désormais de plus en plus souvent dans d’autres disciplines. Je constate d’ailleurs que les élèves s’y sont habitués puisqu’il arrive régulièrement qu’ils me demandent avant que je leur présente une tâche s’ils travailleront seuls, en binôme ou en groupe.
La rédaction de ce mémoire, en particulier le travail d’analyse mené dans la discussion, m’a permis de constater concrètement l’intérêt de faire un bilan en fin de séquence sur les réussites et les échecs de celle-ci afin de progresser dans ma pratique. J’ai beaucoup apprécié le travail d’équipe effectué lors de la construction de cette séquence et de celles que nous préparons ensemble avec Audrey et l’enseignant supplémentaire lorsqu’il s’agit de séances en cointervention. Ces préparations nous permettent de confronter nos points de vue et nos pratiques et aboutissent à des séquences riches pour les élèves.
La séquence de lecture qui a suivi celle présentée dans ce mémoire a permis de mettre en pratique ces concepts. Il s’agissait d’écrire une nouvelle version de l’histoire du « Petit
Chaperon Rouge » après avoir mené un travail de lecture qui s’appuie sur différentes versions de ce conte. La réécriture leur a été annoncée comme l’objectif final de toute la séquence. En nous appuyant sur le travail de ce mémoire, nous avons construit plusieurs outils pour préparer cette tâche d’écriture. Nous avons introduit un aspect ludique avec la mise en place d’un dé pour fixer la contrainte de la réécriture : le changement de lieu. J’ai pu constater avec plaisir la réelle motivation de mes élèves pour produire leur propre texte.
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Table des matières
1. Introduction
2. Etat de l’art et problématique
2.1. Etat de l’art
2.2. Définition de la problématique
3. Méthodologie
3.1. Contexte
3.2. Le dispositif pédagogique
3.3. Mise en œuvre
4. Résultats
4.1. Qualité des mots-valises
4.2. Pertinence des définitions
4.3. Adéquation des phrases exemples
5. Discussion
5.1. Aspects phonologiques
5.2. La production des exemples
6. Perspectives et conclusions
7. Bibliographie
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