Diagnostics de territoires et représentations de la culture

LES FESTIVALS QUARTIERS LIBRES ET L’ARPENTEUR : TERRITOIRES, ACTEURS ET REPRESENTATIONS

Au cœur du projet culturel se trouvent les acteurs associatifs, leurs partenaires, et le territoire sur lequel ils agissent. Pour comprendre le fonctionnement de ces projets, présentons d’abord ces différents aspects : quel est le contexte etl’histoire de ces projets ? Ensuite, comment différencier les faits objectifs des systèmes devaleurs que ces acteursdéfendent ? Comment se représentent-ils leur territoire ? Quelles fonctions donnent-ils à la culture ? Toutes ces questions sont essentielles pour parvenir à lacompréhension des modèles d’action publique à l’œuvre dans ces projets culturels locaux.

DEUX FESTIVALS AUX CARACTERISTIQUES TERRITORIALES FORTES ET AUX PARTENARIATS VARIES

Ces deux projets existent grâce à deux associations, Sasfé et Scènes Obliques, depuis déjà plus de dix ans. Ils s’inscrivent dans deux territoires particuliers : l’un plutôt rural, marqué par une géographie montagnarde, l’autre urbain, au cœur d’un quartier prioritaire. Au sein de ces territoires particuliers, de nombreux acteurs sont impliqués dans les projets Quartiers Libres et l’Arpenteur dans le cadre d’un partenariat avec les associations concernées.

SASFE ET SCENES OBLIQUES : DES ASSOCIATIONS EXISTANT DE LONGUE DATE ET MULTIPLIANT LES PARTENARIATS

L’association Sasfé, porteuse du projet Quartiers Libres, est née en 1998 autour de trois habitants du quartier de la Villeneuve, qui ont lancé ce projetavec l’envie de provoquer une dynamique culturelle dans ce quartier, et des échanges entre les habitants de différents quartiers. Cette volonté donna lieu à un premier projet appelé « 48 heures à la Villeneuve », devenu ensuite Quartiers Libres. L’association est composée de six salariés. L’équipe compte trois personnes permanentes : Yves Poirier, s’occupant de l’administration, Sybille Soreel, salariée la plus ancienne de l’association, chargée de la coordination des ateliers et de la communication, ainsi que Martin Belle, chargé dela coordination des villages associatifs.
Le bureau est ensuite composé de trois personnes : Ségolène Clément, présidente de l’association, Saïd Saouam, secrétaire, et Aurélie Lagille, trésorière. Ce bureau est l’organe décisionnaire principal, en charge de la programmation artistique du festival et de la conception du projet. Le festival propose un large panel d’évènements(théâtre, concerts, parades ou encore scènes hip-hop)se déroulant en extérieur etrassemblés sous l’appellation « Arts de la rue ».
Le projet s’organise sous la forme d’ateliers de pratiques artistiques pendant l’année, suivi d’un temps évènementiel se déroulant sur trois quartiers (ces deux dernières années, la Villeneuve, Saint-Bruno, et le centre ville). Ces réalisations sont élaborées en partenariat avec les structures sociales des différents quartiers: cette année, par exemple, les « ateliers interquartiers » se sont déroulés au centre social Chorrier-Berriat, la Maison de l’Enfance Prémol ou encore la Maison des Jeunes et de laCulture Parmentier. Sybille Soreel, en charge de l’organisation des ateliers, explique : « Je rentre en contact avec toutes les structures culturelles ou sociales ou socio-éducatives […] et puis j’essaye de les mobiliser un premier temps, soit en rendez-vous […] et puis s’ils connaissent, là je mobilise sur une réunion collective avec l’ensemble des structures qui se mobilisent sur le projet. » Il s’agit pour Sasfé de passer par le biais des structures sociales afin de mobiliser le public, et de les inciter à participer en prenant en charge la prestation des artistes.
Des partenaires institutionnels sont aussi présentsdans le projet, et l’un des principaux est la ville de Grenoble. Le partenariat s’organise au cours de nombreuses rencontres, comme le remarque Sybille Soreel : « La ville, c’est des échanges tout au long del’année, par rapport aux subventions, déjà, d’une part, et puis y’a des comités de pilotage, on a mis en place des comités de pilotage depuis deux, trois ans ». Ces comités de pilotage rassemblent l’ensemble des acteurs institutionnels participant auprojet. De nombreux partenaires publics subventionnent le projet dans le cadre de la politique de la ville, puisque la Villeneuve est située en Zone Urbaine Sensible . C’est le cas par exemple de la Région Rhône-Alpes : « La Région, par contre, elle fait partie de nos premiers subventionneurs et ça fait pas mal de temps qu’on est avec la Région, on a une relation quand même qui est assez étroite, quoi.». C’est aussi le cas de la communauté d’agglomération de Grenoble, la Métro. Yves Poirier, responsable de l’administration et de l’ensemble des demandes de subvention, remarque : « Après y’a un gros dossier sur lequel nous on rentre, c’est Poliville, c’est la politique de la ville, c’est dans ce cadre là, par exemple, qu’on reçoit des sous de la Métro et du Conseil régional. On fait pas de demandes de subvention directes au Conseil régional, ça passe dans le cadre de la politique de la ville. ». Le Conseil régional aide aussi le festival dans le cadre d’appels à projet. La Métro, quant à elle, soutient le festival dans le cadre de la politique de la ville : elle est en effet en charge d’élaborer le Contrat urbain de cohésion sociale et son volet culture. La Métro gère aussi des crédits FEDER (Fonds Européen de Développement Régional), qui sont alloués dans le cadre du développement par la communauté d’agglomération de « programmes européens decohésion sociale et urbaine » (PIC URBAN et depuis 2008 PUI). Ils permettent généralement de soutenir plus fortement à court terme des projets issus du Contrat Urbain de Cohésion Sociale . La participation de la DRAC cette année a été exceptionnelle, dans le cadre de l’appel à projet « Pour une dynamique culturelle dans les quartiers », dans le cadre de la dynamique « Espoir Banlieues », programme triennal d’action 2009-2011 en faveur de la politique de la ville dans lequel s’est inscrit le ministère de la Culture. Relancé en 2010, ce programme a soutenu 219 projets culturels à destination des quartiers prioritaires, dont lefestival Quartiers Libres . Le Conseil général subventionne le festival dans le cadre de la politique de la ville, de son service « Culture et lien social », mais aussi de manière générale du fait de laqualité de sa programmation artistique. Les financements « Politique de la ville » supposent de même un partenariat avec l’Acsé et la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), représentants de la politique nationale dans ce domaine. Sasfé a aussi quelques partenaires privés comme la Compagnie de chauffage, la Société Dauphinoise pour l’Habitat ou encore Actis.
Les partenaires apportent leur soutien en termes de subventions, mais aussi parfois par des aides matérielles. Yves Poirier remarque : « y’a un emploi tremplin de Sybille cette année, qui est un dispositif du Conseil régional. Donc on touche par la politique de la ville et par les emplois tremplins […] La ville aussi […] nous finance d’autres façons, […] et c’est aussi pour ça qu’on travaille avec eux, parce qu’il y a une grosse aide matérielle de leur part. Tout simplement le local. Le local nous est prêté par la ville […] et ils nous prêtent aussi, contre évidemment caution etc., assurance et compagnie, du matériel, énormément de matériel, pendant le festival ». Une aide de la ville est aussi proposée en terme de communication, ayant permis cette année, par exemple, l’affichage en colonne Morris des affiches du festival, durant deux semaines, gratuitement.
L’histoire du projet du festival de l’Arpenteur est sensiblement différente. Ce projet de l’association Scènes Obliques se déroule essentiellement aux Adrets, dans le Grésivaudan.
L’essor de cette association et du projet « Arpenteur » est dû en partie à la rencontre de deux personnages, Antoine Choplin, écrivain et aujourd’hui directeur artistique du festival, et Jean Picchioni, maire des Adrets. Ce partenariat est en fait historique puisqu’il est à l’origine du festival de l’Arpenteur. Celui-ci, mis en place par Antoine Choplin, est né en 1996 et s’appelait à l’origine « Communes en scène ». L’installation aux Adrets a été déterminée par une convergence d’intérêts entre ces deux personnages. Martin Koenig, président de l’association Scènes Obliques, raconte : « L’ancien maire des Adrets était le président de la communauté de communes, dont dépendait en fait Scènes Obliques à l’époque. […] Scènes Obliques avait son siège au Touvet, et puis Jean Picchioni […] était forcément un de nos partenaires privilégiés. […] Voilà, Jean s’est proposé de nous accueillir parce qu’il voyait, lui, il voyait bien l’intérêt d’accueillir une association comme la notre sur son territoire ». Antoine Choplin, dans son discours, donne beaucoup d’importance à cette rencontre dans l’histoire de l’élaboration du projet : « Au moment de la création de « Communes en scène », même un peu avant que les choses se créent dans le cadre intercommunal, je me suis présenté un peu au territoire, je me suis fait connaître et la personne qui était en charge de toutes les actions, peu nombreuses à ce moment, dans ledomaine culturel s’appelle Jean Picchioni, maire historique des Adrets. Il se trouve que c’est quelqu’un, c’est un élu très moteur, très actif, visionnaire peut-être et qui a été très vite dans le soutien sans faille, dans la confiance sans faille dans les propositions que j’ai faites. On s’est connus en 93, quelque chose comme ça, et on est devenu aujourd’hui des amis. ». L’ancien maire des Adrets, aujourd’hui chargé de la culture et du patrimoine à la communauté de communes du Grésivaudan et président de l’Espace Belledonne, est un personnage important dans le paysage culturel du territoire. Maire des Adrets pendant 36 ans, il a aussi une implication en termes de tourisme sur le territoire par la présidence du SIVOM des 7 Laux . Il a mis en place de nombreuses actions culturelles aux Adrets en dehors de l’Arpenteur, et manifeste une forte volonté de mettre en place une dynamique culturelle sur le territoire. La plupart des partenaires reconnaissent la particularité évidemment caution etc., assurance et compagnie, du matériel, énormément de matériel, pendant le festival ». Une aide de la ville est aussi proposée en terme de communication, ayant permis cette année, par exemple, l’affichage en colonne Morris des affiches du festival, durant deux semaines, gratuitement.
L’histoire du projet du festival de l’Arpenteur est sensiblement différente. Ce projet de l’association Scènes Obliques se déroule essentiellement aux Adrets, dans le Grésivaudan.
L’essor de cette association et du projet « Arpenteur » est dû en partie à la rencontre de deux personnages, Antoine Choplin, écrivain et aujourd’hui directeur artistique du festival, et Jean Picchioni, maire des Adrets. Ce partenariat est en fait historique puisqu’il est à l’origine du festival de l’Arpenteur. Celui-ci, mis en place par Antoine Choplin, est né en 1996 et s’appelait à l’origine « Communes en scène ». L’installation aux Adrets a été déterminée par une convergence d’intérêts entre ces deux personnages. Martin Koenig, président de l’association Scènes Obliques, raconte : « L’ancien maire des Adrets était le président de la communauté de communes, dont dépendait en fait Scènes Obliques à l’époque. […] Scènes Obliques avait son siège au Touvet, et puis Jean Picchioni […] était forcément un de nos partenaires privilégiés. […] Voilà, Jean s’est proposé de nous accueillir parce qu’il voyait, lui, il voyait bien l’intérêt d’accueillir une association comme la notre sur son territoire ». Antoine Choplin, dans son discours, donne beaucoup d’importance à cette rencontre dans l’histoire de l’élaboration du projet : « Au moment de la création de « Communes en scène », même un peu avant que les choses se créent dans le cadre intercommunal, je me suis présenté un peu au territoire, je me suis fait connaître et la personne qui était en charge de toutes les actions, peu nombreuses à ce moment, dans ledomaine culturel s’appelle Jean Picchioni, maire historique des Adrets. Il se trouve que c’est quelqu’un, c’est un élu très moteur, très actif, visionnaire peut-être et qui a été très vite dans le soutien sans faille, dans la confiance sans faille dans les propositions que j’ai faites. On s’est connus en 93, quelque chose comme ça, et on est devenu aujourd’hui des amis. ». L’ancien maire des Adrets, aujourd’hui chargé de la culture et du patrimoine à la communauté de communes du Grésivaudan et président de l’Espace Belledonne, est un personnage important dans le paysage culturel du territoire. Maire des Adrets pendant 36 ans, il a aussi une implication en termes de tourisme sur le territoire par la présidence du SIVOM des 7 Laux . Il a mis en place de nombreuses actions culturelles aux Adrets en dehors de l’Arpenteur, et manifeste une forte volonté de mettre en place une dynamique culturelle sur le territoire. La plupart des partenaires reconnaissent la particularité de ces deux acteurs. Dans le cadre de ce projet, on se trouve face à des personnalités ayant une certaine importance dans la vie culturelle de leur territoire.

LES ADRETS ET LA VILLENEUVE : MUTATIONS DE L’ESPACE RURAL ET PROBLEMATIQUES DES QUARTIERS PRIORITAIRES

Ces deux festivals se déroulent dans deux territoires distincts. Le festival Quartiers Libres est un festival urbain, se déroulant dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble, tandis que le festival de l’Arpenteur est basé aux Adrets, dans le Grésivaudan.
Si on considère le territoire de la communauté de communes, le Grésivaudan représente 46 communes pour 97560 habitants. Il peutse diviser en trois parties : le massif de la Chartreuse, la vallée du Grésivaudan etle massif de Belledonne.
Le festival de l’Arpenteur se déroule aux Adrets, c’est-à-dire du côté du massif de Belledonne. L’ensemble de l’action de Scènes Obliques se concentre sur ce territoire. Cette chaîne de montagne s’étire sur soixante kilomètres entre Grenoble et Chambéry, et domine la vallée sur près de 3000 mètres.
La plupart des structures culturelles du Grésivaudan se trouventdans la vallée, comme le Musée de la Houille Blanche à la Combe-de-Lancey. Le territoire dispose néanmoins d’un réseau de bibliothèques et de quelques lieux culturels comme l’Espace Aragon, équipement géré par la Communauté de communes à Villard-Bonnot. On peut remarquer un dynamisme culturel certain, par l’existence de nombreux évènements, comme le Festirock en Belledonne, se déroulant aux Adrets, ou encore le festival« Musique dans le Grésivaudan », auquel il est possible d’assister dans plusieurs villages du Grésivaudan.
Le village des Adrets représente 743 habitants pour 16,2 km2. La population du village a tendance à augmenter (+1,7%entre 1999 et 2007.)
Le village des Adrets semble regrouper une population plutôt aisée, avec un revenu imposable moyen par foyer fiscal et une médiane du revenu fiscal des ménages par unité de consommation supérieurs à la moyenne en 2007 . Il est cependant impossible de se procurer des informations sur la répartition des habitants en termes de catégorie socioprofessionnelle.
Si ces statistiques sont inexistantes, on peut tout de même constater une légère baisse du nombre d’exploitations agricoles, ce qui correspondrait à une baisse de cette activité traditionnelle. La baisse de l’activité agricole peut cependant se constater au niveau national.
En effet, en 2004, la population active agricole représentait 929 000 personnes, c’est-à-dire moins de 4% de la population active totale, lorsqu’en 1970 elle en représentait 13%. Le nombre d’actifs agricoles a aussi diminuéde 3, 5% par an depuis 2000. Le nombre d’exploitations a diminué de 3,5% par an entre 1998 et 2000 et de 3,9% par an entre 2000 et 2003. Sur un million d’exploitations recensées en 1988, on en comptait en 2003 590 000.
Cette commune est aussi caractérisée par un tourisme important : 80% des logements qui y sont recensés sont des résidences secondaires. De plus, le village se trouve à proximité de la station de ski des 7 Laux.
Le territoire de Belledonne est un territoire de montagne, entre zones urbanisées dans la vallée et milieu rural . Les conditions naturelles rendent lacommunication difficile entre les villages. En effet, les routes existantes relient le plus souvent les villages de montagne à la vallée, dans une communication verticale et jamais horizontale. L’unique route est « la route des balcons » reliant les villages entre eux. Les balcons de Belledonne sont usuellement des espaces agricoles développés en hameaux. L’agriculture était historiquement marquée par la double activité « ouvrier-paysan », mais aussi par l’activité pastorale dans les alpages. Il s’agit aussi d’un espace très touristique, par la présence de stations de sports d’hivers et plus généralement le développement de loisirs de plein air.
On peut remarquer une urbanisation des villages des balcons de Belledonne : la population locale est passée de 17853 habitants en 1990 à 21355 en 1999, soit une augmentation de 20%.
Cette évolution s’est ensuite ralentie de 1999 à 2007 (+ 10,5%). Selon les derniers éléments de recensement de la population enregistrés, celle-ci serait aujourd’hui de 23 300 habitants.
L’urbanisation se traduit notamment par l’arrivée de nouveaux résidents en Belledonne, du fait de la proximité avec l’agglomération grenobloise et la vallée du Grésivaudan. Cette urbanisation résidentielle est justement le faitde personnes travaillant le plus souvent à Grenoble ou dans les entreprises du Grésivaudan. Les études menées par l’Espace Belledonne établissent le constat suivant : ces nouveaux habitants auraient délibérément choisi de dissocier leur lieu de travail et leurlieu de vie, en recherchant en Belledonne une qualité de l’environnement etdes paysages, une proximité avec la nature, une ambiance montagnarde et de villages ruraux. Ils correspondraient alors à la définition donnée au terme « rurbain ». Sylvie Le Calvez, directrice de Village magazine, remarque à leur sujet : « Ce que veulent ceux qui s’installent dans le milieu rural,c’est retrouver un sens à leur vie, associer vie professionnelle et vie personnelle. Au delàde ce point commun, leur profil est très hétérogène, que ce soit en termes derevenus, d’âge, de nombre d’enfants . » La présentation faite de ces populations par l’Espace Belledonne met en avant la difficulté à les intégrer dans ces territoires : « Ces nouveaux modes de vie partagés entre le rural et l’urbain remettent en question les schémas classiques des modes d’habiter un territoire. N’étant ni de la ville, ni de la montagne, ces nouvelles populations se définissent elles-mêmes comme « hybrides ».
Certaines ont à cœur de s’impliquer dans la vie locale de leur village, notamment via l’école de leurs enfants, alors que d’autres n’entretiennent qu’un rapport de « consommateur » au paysage qu’ils ont depuis leurs fenêtres . ». Ce sont ces « nouvelles populations aux attentes contradictoires » qu’il paraît difficile de gérer pour les villages de Belledonne.
Cette évolution du territoire rural est constatée auniveau national. On parle de rapprochement avec le monde urbain, notamment par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication et par l’arrivée des rurbains. Certains auteurs se demandent aujourd’hui quelle distinction faire entre le rural et l’urbain, face à ce monde rural en mutation . On remarque de manière générale une tertiarisation des activités à la campagne, et des populations appartenant à des territoires multiples (travail, résidence, loisirs) : la mobilité se développe.
Cependant, malgré cette « urbanisation » du monderural, les études nationales menées par le ministère de la Culture font état des différences en termes d’équipements culturels entre le rural et l’urbain. Elles insistent sur la « corrélation forte entre, d’une part, la localisation des équipements et, d’autre part, la population etla hiérarchie fonctionnelle des villes » confirmant ainsi « la nature essentiellement urbaine des activités culturelles » : en effet, « le développement important de l’offre au cours des vingt dernières années a bénéficié aux principales agglomérations mais aussi à de nombreuses villes moyennes, comptant entre 30 000 et 50 000 habitants. ». Cependant, les territoires ruraux ne sont pas totalement absents « grâce à ses bourgs-centres qui proposent un nombre non négligeable d’activités liées au tourisme (villes et pays d’art et d’histoire, festivals…) ». Le quartier de la Villeneuve, où sedéroule le festival Quartiers Libres en partie, et où il trouve son origine, se distingue aussi par ses caractéristiques sociales, économiques, mais aussi par son histoire. La ville de Grenoble est divisée en six secteurs. La Villeneuve appartient au secteur 6, rassemblant trois quartiers (Villeneuve, Village Olympique, Vigny-Musset), dont deux situés en zone urbaine sensible.
Le quartier rassemble 17000 habitants. La population sur le quartier Villeneuve – Village Olympique est majoritairement jeune . On peut remarquer une forte concentration de logements sociaux à l’Arlequin et au Village Olympique (respectivement 70% et 68% de l’ensemble des logements). Globalement, le territoire Villeneuve – Village Olympique compte 60% de logements sociaux inégalement répartis sur l’ensemble du secteur. Jeunesse est souvent synonyme de précarité : 45% des moins de 25 ans habitent le parc social de la Villeneuve. Le taux de chômage dans le quartierest sensiblement plus élevé dans le secteur que la moyenne grenobloise, et on peut aussiremarquer un pourcentage élevé de personnes touchant de bas revenus dans le quartier (entre 70et 80% dans le secteur). On peut y trouver un certain nombre d’acteurs enprésence : une maison de quartier, une régie de quartier, trois centres sociaux, deux centres de santé, trois maisons des jeunes et de la culture, deux bibliothèques et deux théâtres, ainsi que des structures éducatives (écoles, collèges, pôles universitaires). On peut remarquer que les structures culturelles et socioculturelles y sont donc relativement nombreuses : un grand effort est réalisé de la part de celles-ci en direction des habitants, par l’organisation d’ateliers de pratique culturelle dans les centres sociaux, mais aussi par les bibliothèques et les théâtres (lectures publiques, effort en termes de participation des habitants aux projets culturels…).
Le quartier de la Villeneuve est depuis longtempsintégré aux dispositifs de politique de la ville. Dès la fin des années 80, la Ville de Grenoble et ses partenaires ont été mobilisés dans le cadre de cette politique pour endiguer le processus de déqualification du site, dans le cadre du Développement Social des Quartiers (DSQ) en 1989, puis par sa qualification comme Zone Urbaine Sensible en 1995. Le secteur reste aujourd’hui un quartier prioritaire de la politique de la ville. La tradition de partenariat local est très intégrée dans le secteur, qui bénéficie de différents dispositifs : il est inscrit au contrat de ville d’agglomération et la zone franche urbaine a été créée en 2004. Il fait partie des 23 quartiers bénéficiant d’un plan prévention contre la violence et les actes de délinquance initié par le Ministère de l’intérieur depuis 2005.
L’effort en terme de politique de la ville s’applique aussi au secteur éducatif puisque le collège Villeneuve est classé en Réseau d’Education Prioritaire de niveau 1 « collège ambition réussite » depuis mars 2006.
Nous pouvons constater que plusieurs éléments construisent ici le quartier et définissent ses caractéristiques : une population jeune, souvent précaire, confrontée à des dynamiques d’exclusion et de pauvreté ainsi qu’une grande tradition de partenariat public dans le domaine de la politique de la ville. Mais ce quartierest aussi marqué par son histoire particulière.
En effet, c’est dans un contexte de manque de logements sociaux à Grenoble que naît le projet de la Villeneuve. A la suite d’un rejet par les nouveaux élus aux municipales de février 65 d’un grand plan d’aménagement lancé par le préfet, Grenoble, sous la municipalité d’Hubert Dubedout, et Echirolles remontent un nouveau projetde zone à urbaniser en priorité (ZUP).
Le projet comprend 300 hectares au sud de la ville, et les financements sont permis par les fonds arrivant pour les infrastructures des Jeux Olympiques de 68 . L’approche du projet se veut révolutionnaire : il inclut la participation d’une équipe d’architectes, mais aussi de sociologues, d’urbanistes et d’enseignants installés sur place. Le but est de construire un espace intégrant, un nouveau centre ville au sud de Grenoble, en favorisant la mixité sociale. 60 logements à l’hectare, deux sous-quartiersde 2000 logements séparés par un parc, une majorité de voies piétonnes : on cherche à éviter les barres et les tours, et les associations d’habitants du Village Olympique sont associées aux discussions. Le plan du quartier sera finalement en forme de criques avec une galerie piétonne. Aujourd’hui, la décoration d’origine a disparu en grande partie. Le premier ensemble, Arlequin, comprenait des façades en grands dégradés de couleursvives sur fond blanc (d’où le nom), des fresques et statues.
Des infrastructures sont mises en places, des projets innovants essaient de mélanger les jeunes et les plus âgés ainsi que les différentes catégories sociales du quartier . La première génération d’habitants est composée en majeure partie de personnes engagées dans le projet d’origine. Dix ans plus tard, avec la crise et des vagues migratoires, un changement important se produit avec l’arrivée d’une nouvelle population venue non par engagement mais par nécessité. Le quartier se « déqualifie » et se paupérise. Aujourd’hui, des tensions peuvent se constater entre le peu « d’anciens » qui restent, et les habitants d’aujourd’hui, qui majoritairement ne connaissent pas le projet d’origine et se sont approprié les lieux dans leur vie quotidienne.

« DIAGNOSTICS DE TERRITOIRES » ET REPRESENTATIONS DE LA CULTURE

Les porteurs de projet et leurs partenaires exacerbent certains aspects des territoires étudiés.
Ils mettent souvent l’accent sur leurs difficultés : problèmes de communications, d’accès à la culture ou encore économiques et sociaux. Insistant cependant sur le dynamisme de ces territoires, ils présentent dans leur vision de la culture des réponses aux problématiques qu’ils constatent : une culture allant vers plus de « démocratisation » et de « lien social ».

REPRESENTATIONS DES ADRETS ET DE LA VILLENEUVE : UNE PROBLEMATIQUE MONTAGNARDE ET DES DIFFICULTES DE COMMUNICATION ; UN QUARTIER SOUFFRANT DE STIGMATISATION ET DE VIOLENCE

Les acteurs de ces deux projets sereprésentent leur territoire d’action de manière particulière.
Pour le festival de l’Arpenteur, l’accent est mis sur les difficultés de communications engendrées par la géographie et par l’arrivée d’une nouvelle population. A la Villeneuve, Sasfé et ses partenaires publics soulignent la stigmatisation de ce quartier et les problèmes de violence que l’on peut y constater.
Pour les membres de Scènes Obliques, mais aussi pour les partenaires publics, le territoire sur lequel se déroule le festival de l’Arpenteur sedéfinit d’abord par son caractère montagnard et rural. Antoine Choplin, directeur artistique du festival, insiste sur cette dimension : « ça croisait aussi une autre passion que j’avais,la passion de la montagne, etje me disais que c’était un très beau terrain que celui-là, celui de lamontagne, du monde rural, du monde ruralomontagnard, et avec cette dimension pour moi trèspoétique. Tout ça reste très dans la façon dont aujourd’hui je construis le projet, c’est pour ça que j’insiste un peu là-dessus. » Au-delà d’une passion, il relie le territoire au projet, en l’associant à une sorte de philosophie autour de la pente et de la prise de distance qu’elle provoque : « La montagne, c’est aussi la pente et la pente c’est pour moi une poésie de la pensée, du regard, une façon un peu alternative de regarder le monde d’en bas, sansjugement de valeur mais c’est juste une question de prise de distance par rapport à un flux majoritaire de circulation, une vallée, on regarde un sommet, on a tous fait cette expérience ». Cette vision de la pente reliée à l’expérience artistique se retrouve souvent dans le projetde Scènes Obliques. Le « sous-titre » du festival de l’Arpenteur est en effet « Théâtre pentu et parole avalancheuse ». Sur les affiches, on peut apercevoir une montagne. Un des évènements phares du festival est aussi le « banquet pentu », un repas en montagne accompagné d’un spectacle. Cependant, ces acteurs reconnaissent l’existence de difficultés de communication entre les villages. Antoine Choplin remarque: « Vallée d’ailleurs que l’on traverse par le biais des transports en commun que depuis peu de temps,parce qu’il y avait une vision complètement longitudinale de la vallée, on allait très facilement de Crolles à Grenoble, de Crolles à Chambéry, en revanche si on voulait faire Crolles – Villard Bonnot c’était absolument impossible. ». Martin Koenig, directeur de l’association Scènes Obliques, et anciennement maire de la commune de La Chapelle-du-Barden Belledonne, assimilecette problématique aux caractéristiques géographiques de Belledonne : « C’est Belledonne quoi, avec ses problématiques de territoire montagnard, de territoire où la circulation n’est pas transversale du tout mais est verticale : on descend dans la vallée et on y monte, et à chaque fois que vous voulez aller ailleurs, vous descendez, vous remontez, sauf à prendre les petites routes…»
Les acteurs publics insistent eux aussi sur cette dimension. Christiane Audemard, dirigeant le service « Culture et lien social» au Conseil général de l’Isère, définit Belledonne comme « un territoire extrêmement grand et diversifié avec des communes isolées les unes des autres pour la plupart » et dont « les habitants, économiquement, ont l’habitude d’aller de leur village à la ville, à la vallée, en bas ».

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Table des matières

PARTIE I: Les festivals Quartiers Libres et l’Arpenteur : territoires, acteurs et représentations 
I. Deux festivals aux caractéristiques territoriales fortes et aux partenariats variés
1.1. Sasfé et Scènes Obliques : des associations existant de longue date et multipliant les partenariats
1.2. Les Adrets et la Villeneuve : mutations de l’espace rural et problématiques des quartiers prioritaires
II. « Diagnostics de territoires » et représentations de la culture
2. 1. Représentations des Adrets et de la Villeneuve : une problématique montagnarde et des difficultés de communication ; un quartier souffrant de stigmatisation et de violence
2.2. Les inégalités d’accès à la culture et leurs réponses : la démocratisation
culturelle et le développement d’une culture à « utilité sociale »
PARTIE II: Deux territoires, deux projets: quels objectifs, quels modes d’action ? 
I. Des objectifs définis par le « diagnostic territorial » des acteurs
1.2. Le projet Scènes Obliques: créer du lien social en travaillant sur l’identité locale
1.2. Quartiers Libres : valorisation de la Villeneuve et mixité sociale
II. Agir sur le territoire : ancrage local des projets et mouvements provoqués
2.1. Des « projets culturels de territoire », fortement implantés localement
2.2. « Provoquer le mouvement », une manière d’agir sur le territoire
PARTIE III: Sasfé, Scènes Obliques et leurs partenaires publics : influences et indépendance dans une relation de proximité
I. Instabilité associative et financements publics : quelle indépendance face au politique ?
1.1. Des structures associatives fragiles et instables
1.2. Des partenariats multiples et solides : une solution à la fragilité de ces structures ?
1.3. La dépendance aux partenaires publics, un facteur d’ « instrumentalisation de
la culture » ?
II. Participation, transversalité et évaluation : l’intégration de notions de politiques publiques aux méthodes de travail associatives
2.1. Développement de l’évaluation et application au secteur culturel
2.2. Transversalité des politiques publiques et action culturelle
2.3. Quartiers Libres et l’Arpenteur: des « projets participatifs »
CONCLUSION

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