Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur fréquent et souvent sévère qui se définit par la survenue d’épisodes thymiques caractérisés (épisodes maniaques ou dépressifs) entrecoupé de périodes de rémission. Il est lié à un nombre important de comorbidités psychiatriques et non-psychiatriques. Le trouble bipolaire nécessite un traitement régulateur de l’humeur (ou thymorégulateur) pour la prise en charge des épisodes thymiques mais également pour la prévention des rechutes. Parmi ces traitements, le lithium est actuellement le traitement de première intention recommandé dans le trouble bipolaire, aussi bien pour les épisodes maniaques et dépressifs que pour la prévention des rechutes. Comme tout traitement, celui-ci est responsable d’effets secondaires qu’il est important de prendre en charge correctement afin de favoriser la bonne observance du traitement. Le tremblement est un effet secondaire fréquent du lithium, ce qui peut être handicapant, entrainer une gêne sociale pour le patient et être responsable d’un arrêt prématuré des traitements. Bien qu’il existe des stratégies pour réduire les tremblements dus au lithium, celles-ci peuvent se révéler inefficaces ou contre-indiquées. La vitamine B6 (ou pyridoxine) est un cofacteur enzymatique requis pour plus de 140 réactions biochimiques. Elle présenterait également des propriétés anti-oxydantes intéressantes. Des recherches sont actuellement en cours quant à son intérêt dans diverses pathologies psychiatriques et non psychiatriques, notamment le risque cardio-vasculaire. Dans ce contexte, plusieurs études cliniques ont suggéré une efficacité de la vitamine B6 en tant que traitement pouvant réduire les tremblements induits par le lithium .
LE TROUBLE BIPOLAIRE
Le trouble bipolaire est un ensemble de troubles psychiatriques chroniques et fréquents. Il se caractérise par l’alternance de deux pôles opposés de l’humeur : la manie (augmentation pathologique de l’humeur) et la dépression (diminution pathologique de l’humeur). [1] Ces variations thymiques peuvent être de durée et d’intensité variables selon les patients et sont constatées depuis l’Antiquité. Emil Kraepelin (1856-1926), dans sa sixième édition de son traité de la psychiatrie, a été le premier psychiatre à créer une catégorie diagnostique unique rassemblant manie, dépression et états mixtes en 1899 qu’il nomme la « maladie ou folie maniaco dépressive » englobant tous les troubles thymiques récurrents et qui se distingue des « démences précoces » (aujourd’hui appelées « schizophrénies »). [2] A la suite des travaux de Kraepelin, de nombreux psychiatres ont dédié leurs travaux à la maladie maniaco-dépressive. En 1966, Jules Angst (Zurich, Suisse) [3] et Carlo Perris (Umeå, Suède) [4] présentent de façon indépendante mais simultanée des travaux faisant la distinction entre troubles bipolaires et troubles unipolaires. Cette distinction sera plus tard reprise et officialisée dans le Diagnostic and Statistical Manual of mental disorder (DSM-III) en 1980 puis par la CIM-10 (1981). Les classifications les plus récentes (CIM10 et DSM5) maintiennent et même accentuent la distinction unipolaire/bipolaire. Il s’agit donc d’une catégorie nosographique récente qui fait l’objet de nombreuses études afin de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques en jeu et pouvoir ainsi proposer la meilleure prise en charge aux patients concernés.
DIAGNOSTIC DE TROUBLE BIPOLAIRE
La bipolarité représente un ensemble de troubles de l’humeur qui se traduit par l’alternance d’épisodes maniaques (ou hypomaniaques ou mixtes) avec des épisodes dépressifs. Cette alternance est fréquente mais n’est pas obligatoire, la succession des épisodes dans le temps variant d’un sujet à l’autre.
Selon le DSM-V, nous distinguons :
– le trouble bipolaire de type I qui se caractérise par la présence d’au moins un épisode maniaque.
– le trouble bipolaire de type II qui se définit par la présence d’un ou plusieurs épisodes hypomaniaques et d’un ou plusieurs épisodes dépressifs caractérisés.
– les troubles cyclothymiques caractérisés par la présence d’épisodes hypomaniaques ou dépressifs sub-syndromiques (c’est-à-dire qui ne remplit pas les critères d’un épisode hypomaniaque ou dépressif selon le DSM-V) pendant au moins deux ans.
– les troubles bipolaires non spécifiés définis par la présence de symptômes dépressifs et d’hypomanies ne remplissant pas les critères diagnostic d’un épisode caractérisé en termes de durée ou de nombre de critères rencontré à chaque épisode.
Les différents épisodes thymiques (manie, hypomanie, épisode dépressif) tels que définis par le DSM-5 sont présentés dans les annexes 1, 2 et 3. Néanmoins, la clinique nous montre que la symptomatologie au cours des épisodes est polymorphe:
– Épisode maniaque : Il existe différentes expressions symptomatiques : aigues (agitation marquée, comportements violents, réactions clastiques), confuses (activité onirique, troubles cognitifs marqués, désorientation dans le temps), hallucinatoires (le plus souvent des hallucinations auditives et visuelles), délirantes (thèmes de mégalomanie, persécution, mystique, politique, érotique …), le plus souvent congruentes à l’humeur, c’est-à-dire en rapport avec les idées de grandeur et l’exaltation de l’humeur .
– Épisode hypomaniaque : il présente les mêmes caractéristiques que l’état maniaque, mais les symptômes sont moins nombreux, moins intenses et moins invalidants. L’état hypomaniaque passe très souvent inaperçu lors de l’interrogatoire du patient sur son histoire et ses antécédents.
– Épisode mixte : Il se caractérise par l’intrication de symptômes maniaques et dépressifs. Il est difficile à distinguer de l’état maniaque où l’on retrouve une labilité de l’humeur. La justification de son individualisation repose sur le risque suicidaire élevé et le recours à des mesures thérapeutiques spécifiques. Ils sont observés dans 20% des troubles bipolaires de type I.
– Épisodes dépressifs bipolaires : Ils peuvent présenter certaines caractéristiques spécifiques qui les différencient des dépressions unipolaires : l’âge de début précoce, le risque suicidaire plus élevé, les symptômes psychotiques, l’hyperphagie, l’hypersomnie, le ralentissement psychomoteur plus intense, l’émoussement des affects. D’autres éléments différencient aussi ces deux catégories de dépression : le risque de virage maniaque sous antidépresseur, l’abus de substance, l’histoire familiale, la saisonnalité, les troubles en post-partum, la labilité de l’humeur sont plus souvent observés dans les dépressions bipolaires qu’unipolaires.
EPIDEMIOLOGIE
Les prévalences les plus communément admises sont :
– Pour le trouble bipolaire de type I, la prévalence se situe autour de 0,6 %.
– Pour le trouble bipolaire de type II, elle est de l’ordre de 0,4 %.
– Pour les troubles bipolaires non spécifiés, la prévalence est d’environ 1.4% chez l’adulte [6].
Cependant, il existe d’importantes variations du taux de prévalence des troubles du spectre bipolaire en fonction des études épidémiologiques [7]. L’âge de début des troubles se situe classiquement entre 15 et 25 ans, même si il existe des formes plus précoce et d’autres plus tardive. L’âge de début moyen est de 18 ans pour le trouble bipolaire I, 20 ans pour le trouble bipolaire II et 22 ans pour les formes sub syndromiques [6].
Le sex-ratio est autour de 1 pour le trouble bipolaire de type 1. Il existerait une légère prédominance féminine pour le trouble bipolaire de type 2. [8] Les femmes sont plus sujettes à une polarité dépressive prédominante. Elles ont également plus de risque de présenter des dépressions avec caractéristiques psychotiques, des épisodes mixtes, une saisonnalité marquée, des cycles rapides, des antécédents personnels et familiaux de suicide et de tentatives de suicide. Les comorbidités somatiques (thyroïdiennes notamment) sont également plus fréquentes. Sur le plan psychiatrique, les femmes présentent plus de troubles anxieux, de troubles du comportement alimentaire et de troubles de la personnalité [9]. La grossesse et le post-partum sont deux périodes à haut risque de rechute [10]. Les hommes ont plutôt une polarité prédominante maniaque et d’avantage de troubles addictifs [9]. A ce jour, il existe un retard diagnostic d’environ 10 ans et environ 40% des patients atteints d’un trouble bipolaire mal diagnostiqué ont été initialement diagnostiqués à tort comme un trouble dépressif récurrent [11]. Ces retards de prise en charge constituent un véritable problème de santé publique car ils sont associés à une morbi-mortalité et un coût plus important. Selon l’OMS, le trouble bipolaire fait partie des dix maladies les plus invalidantes et coûteuses au plan mondial.
COMORBIDITES
Trouble bipolaire et risque suicidaire
Avec un taux de suicide abouti 15 à 30 fois supérieur à la population générale [12], le trouble bipolaire est l’une des maladies les plus à risque de suicide abouti. En effet, 6 à 15% des patients souffrant de troubles bipolaires décèdent de suicide, et 20 à 56% feront une tentative de suicide dans leur vie [13].
Comorbidités psychiatriques
De par leur fréquence et leur impact, ces comorbidités doivent être systématiquement recherchées, 75% des troubles bipolaires ayant au moins une comorbidité psychiatrique :
– Troubles addictifs (40 à 60% de la vie entière) [14-17] : en particulier le tabac et l’alcool (30 à 40%), le cannabis (10 à 25%), puis moins fréquemment la cocaïne, les psychostimulants, les sédatifs.
– Troubles anxieux (environ 40% vie entière) [18] : en particulier le trouble panique (15- 25%), les phobies sociales, les phobies simples.
– Troubles de la personnalité [19] : surtout la personnalité état-limite ou « borderline».
– Troubles des conduites alimentaires (15 à 30% vie entière) [20].
– Troubles obsessionnels compulsifs (10 à 30% vie entière) [21].
– Troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Ces comorbidités aggravent l’évolution et le pronostic de la maladie notamment en masquant la reconnaissance précoce du trouble bipolaire, sa symptomatologie et la réponse aux traitements.
Comorbidités non psychiatriques
Pendant très longtemps, on a surtout imputé le taux de mort prématurée chez les patients bipolaires à des causes non naturelles telles que le suicide et les accidents. Il apparait pourtant aujourd’hui très clairement que la majorité des décès prématurés sont secondaires à des comorbidités somatiques [22]. Les comorbidités les plus fréquentes et les plus impliquées dans la surmortalité des patients sont :
– Syndrome métabolique [23], obésité [24-25], diabète [26].
– Pathologies cardiaques (trouble cardiovasculaire, hypertension artérielle, accident cérébro-vasculaire) [22].
– Syndrome d’apnée obstructive du sommeil [27].
– Pathologies endocriniennes notamment thyroïdiennes [28].
– Autres : Maladies inflammatoires chroniques, pathologies tumorales, maladie neurodégénérative …
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. LE TROUBLE BIPOLAIRE
1. DIAGNOSTIC DE TROUBLE BIPOLAIRE
2. EPIDEMIOLOGIE
3. COMORBIDITES
A. TROUBLE BIPOLAIRE ET RISQUE SUICIDAIRE
B. COMORBIDITES PSYCHIATRIQUES
C. COMORBIDITES NON PSYCHIATRIQUES
4. EVOLUTION ET PRONOSTIC DU TROUBLE BIPOLAIRE
5. PRISE EN CHARGE PHARMACOLOGIQUE
A. PRISE EN CHARGE DES EPISODES MANIAQUES
B. PRISE EN CHARGE DES EPISODES DEPRESSIFS
C. PRISE EN CHARGE DE LA PREVENTION DES RECHUTES
III. LE LITHIUM
1. PHARMACOLOGIE
A. LITHIUM ET CASCADE DE SIGNALISATION
B. LITHIUM ET IMMUNITE
C. LITHIUM ET GENETIQUE
D. LITHIUM ET MODIFICATION CEREBRALE
2. INDICATIONS ET MODALITES D’UTILISATION
A. LES DIFFERENTS REPONDEURS
B. CONTRE-INDICATIONS
C. BILAN PRE-THERAPEUTIQUE
D. INITIATION DU TRAITEMENT
E. SURVEILLANCE
F. ARRET DU TRAITEMENT
3. EFFETS INDESIRABLES
IV. LES TREMBLEMENTS
1. DEFINITION ET CAUSES DES TREMBLEMENTS
A. TREMBLEMENTS DE REPOS (OU TREMBLEMENTS PARKINSONIENS)
B. TREMBLEMENTS D’ACTION
2. LES TREMBLEMENTS INDUITS PAR LE LITHIUM
A. PREVALENCE DES TREMBLEMENTS INDUITS PAR LE LITHIUM
B. LES TYPES DE TREMBLEMENTS INDUITS PAR LE LITHIUM
C. LES MECANISMES DES TREMBLEMENTS INDUITS PAR LE LITHIUM
D. L’EVALUATION DES TREMBLEMENTS INDUITS PAR LE LITHIUM
E. LES TRAITEMENTS DES TREMBLEMENTS INDUITS PAR LE LITHIUM
V. LA VITAMINE B6
1. GENERALITES
2. MECANISME D’ACTION
A. VITAMINE B6 ET FONCTIONNEMENT CEREBRAL
B. VITAMINE B6 ET PROPRIETES ANTIOXYDANTES
3. CARENCES ET SURDOSAGE
A. CARENCES EN VITAMINE B6
B. SURDOSAGE EN VITAMINE B6
4. EFFICACITE DE LA VITAMINE B6 DANS LES ESSAIS CLINIQUES
A. DANS LES NAUSEES DE LA FEMME ENCEINTE
B. DANS LE SYNDROME PREMENSTRUEL
C. DANS LE DECLIN COGNITIF
D. DANS LE SYNDROME CANAL CARPIEN
E. DANS LA PREVENTION DES MALADIES CARDIOVASCULAIRES
F. DANS L’ANXIETE ET LA DEPRESSION
G. DANS LES MOUVEMENTS ANORMAUX
H. DANS LES TREMBLEMENTS INDUITS PAR LE LITHIUM
5. SECURITE DE LA VITAMINE B6 DANS LES ESSAIS CLINIQUES
VI. ETUDE CLINIQUE
1. OBJECTIFS
2. MATERIEL ET METHODE
3. RESULTATS
A. PARTICIPANTS
B. ANALYSE DES FACTEURS D’INFLUENCE POTENTIELS SUR LES TREMBLEMENTS
C. ANALYSE DE L’HYPOTHESE PRINCIPALE
D. ANALYSE MULTIVARIEE DES FACTEURS D’INFLUENCE POTENTIELS
4. DISCUSSION
VII.CONCLUSION
VIII. ANNEXES
IX. BIBLIOGRAPHIE