L’expérience schizophrénique
Depuis plus d’un siècle, différents auteurs ont entreprit la tâche de décrire la schizophrénie. Emile Kraeplin introduit en 1893, le terme de « démence précoce » afin de représenter un état d’ « d’abêtissement » intellectuel qui frappe les jeunes sujets. C’est en 1908, qu’Eugène Bleuler, un psychiatre Suisse, proposa pour la première fois le mot « schizophrénie » pour exprimer les caractéristiques psychologiques principales vécues par le malade : la dissociation des fonctions psychiques (Daléry, d’Amato & Saoud, 2012, p.10). Contrairement à Kraeplin, il essaya d’expliquer le caractère « psychodynamique » des symptômes et non seulement de les décrire (Bottéro, 2011, p.201). Ci-dessous, le « point de vue » phénoménologique, qui est une démarche de compréhension du vécu du malade et de son rapport au monde dans sa globalité, sera exposé à travers différents auteurs significatifs qui parlent de cette expérience du schizophrène, du trouble générateur de cette maladie. Eugène Minkowski, l’un des fondateurs de l’approche phénoménologique en psychiatrie, a cherché à montrer ce qu’il y avait de « commun au mode d’existence » des personnes souffrant de schizophrénie (Bovet, 2007, p.59). Il considère la schizophrénie comme une affection bouleversant la personne humaine toute entière (Petitjean F. & Marie-Cardine M., 2003, p.84). Pour Minkowski, Le fond même du processus schizophrénique est une « perte de ce contact vital avec la réalité ». Cela se manifestant par un défaut de la capacité du malade à «résonner en accord avec le monde », d’être en relation avec soi et avec les autres (Bovet, 2007, p.59). « Ce que le schizophrène perd, n’est pas la possibilité d’un simple contact sensoriel avec l’ambiance mais la dynamique de ces contacts, c’est-à-dire tout ce qui fait le caractère vivant, dynamique de la relation du sujet à autrui » (Minkowski, 1927, p.8).
L’ambiance semble ne plus les atteindre. Cette ambiance « est ce flot mouvant qui nous enveloppe de toutes parts et qui constitue le milieu sans lequel nous ne saurions vivre » (Minkowski, 1927, p.48). Par la suite, Racamier souligne que les schizophrènes ont des difficultés à se sentir exister, ils se sentent comme extérieurs à eux-mêmes. Cette difficulté est due au fait « qu’ils rejettent leur ambivalence » (Racamier, 1980, p.62). Cette ambivalence, comme l’entend Racamier, est celle décrite par Bleuler [traduction libre] (1950, cité dans Docherty, Sponheim & Kerns, 2014, p.1), comme la tendance à dénoter un même objet à la fois avec une émotion négative et une émotion positive.
Au sens phénoménologique, les expériences psychotiques sont décrites comme « un vécu de l’évanouissement du Je , une syncope du sentiment du moi, se traduisant par une impression, non dépourvue d’angoisse, d’étrangeté indicible, de vacillation, de chute ou d’éclipse, et de confusion ou tout au contraire de contact extrême et cru : une ultra-dépersonnalisation momentanée qui est induite par une modification massive et soudaine du régime général des investissements » (Racamier, 1980, pp. 71-72).
Le traitement médicamenteux « antipsychotique »
La prise en charge de la schizophrénie est multidimensionnelle et a comme objectif le rétablissement de la personne. Cela implique un traitement médicamenteux spécifique et un traitement nonmédicamenteux, tel que la psychothérapie et des interventions psychosociales. Le traitement médicamenteux de la schizophrénie s’appuie essentiellement sur les antipsychotiques qui se nomme aussi « neuroleptiques ». « Les antipsychotiques sont des médicaments symptomatiques, c’est-à-dire qu’ils traitent les symptômes (signes) psychotiques, mais ils ne sont pas curatifs: ils n’agissent donc pas sur la cause de la pathologie mais sur ses conséquences » (De Nayer, & al. 2013, p.10).
Ces médicaments sont « efficaces et permettent une atténuation voire une disparition des symptômes, une amélioration du fonctionnement psychosocial, et une diminution de la fréquence des rechutes » (Schmitt, Lefebvre, Chéreau & Llorca, 2005, p.154). « Les antipsychotiques restent à l’heure actuelle, la pierre angulaire des stratégies thérapeutiques de la schizophrénie » (Lotstra, Lestienne, De Nayer, 2010, p.230). Il faut souligner, que malgré leur efficacité cliniquement prouvée, certains patients schizophrènes montrent une absence d’amélioration significative des symptômes, du fait d’une résistance à ces médicaments.
Le médicament antipsychotique n’a pas seulement comme fonction l’amélioration significative de la symptomatologie du patient, il fait partie du projet thérapeutique. Il joue ce rôle de médiateur de la relation entre le soignant et le patient. Il va « venir soulager la souffrance, limiter les troubles du comportement, et ainsi rendre à nouveau possible le dialogue et l’instauration d’une relation de confiance » (De Luca, Jeanne, Chenivesse, 2005, p.716). Le neuroleptique permet par un renforcement narcissique, une reconstruction du patient comme, accessible à une certaine conscience de la réalité, de ses troubles, et capable de s’engager dans un projet de vie (De Luca, Jeanne, Chenivesse, 2005, p.716).
Malgré leurs effets bénéfiques cliniques prouvés, les antipsychotiques posent un problème majeur, car ceux-ci impliquent un taux élevé de non adhérence chez les schizophrènes. Dans la littérature, la prévalence mondiale de la non adhérence aux antipsychotiques est en moyenne de 50% pour les patients atteints de schizophrénie. Le défaut d’adhérence médicamenteuse est « responsable d’une augmentation du nombre d’hospitalisations, d’un accroissement de la morbidité et de la mortalité. Les conséquences sont une diminution de la qualité de vie pour les patients et une augmentation du coût pour la société » (Misdrahi, Llorca, Lançon & Bayle, 2002, p.266). Maintenir une adhérence aux médicaments est un vrai défi pour la personne souffrant de schizophrénie.
Pour comprendre les raisons qui engendrent une non adhérence aux antipsychotiques, il faut se pencher sur les différentes dimensions qui influencent celui-ci qui sont les dimensions liées auxmédicaments, au patient et à la relation. Selon Fleischhacker, Meise, Günther & Kurz, c’est un ensemble de différents facteurs, tels que le type et la durée du traitement et les effets secondaires des antipsychotiques, qui exercent une influence sur l’adhérence médicamenteuse. Les effets secondaires des antipsychotiques tels que le « syndrome extrapyramidal », « l’akathisie », la sédation, un gain de poids et des dysfonctions sexuelles sontconnus pour avoir une influence sur l’adhérence médicamenteuse [traduction libre] (1994, p.11).
Du point de vue des patients, ils se plaignent du manque d’information sur les buts thérapeutiques recherchés, les risques d’interaction des principes actifs entre eux ou avec d’autres substances et la perception des bénéfices de ce traitement (Palazzolo, Weibel, Midol, Dunezat, 2007, p.320-321). Une autre dimension liée à la maladie, souvent évoquée dans la littérature, est le défaut « d’insight » (terme anglo-saxon) ou absence de conscience morbide qui peut entraîner un refus du traitement. Car l’absence de prise de conscience de la maladie, interfère avec la perception d’un bénéfice thérapeutique (Floris et al., 2005, p.11). Plusieurs études soulignent que l’un des facteurs prédictifs de l’adhérence médicamenteuse est la qualité de la relation soignant-soigné. L’alliance thérapeutique est importante dans le traitement de la schizophrénie afin de favoriser l’adhérence médicamenteuse (Johansen, Iversen, Melle & Hestad, 2013 p.2).
Les interventions infirmières
Avant de mettre en place des interventions, le soignant va aller à la rencontre du schizophrène. Ce premier contact est très délicat pour le patient, car celui-ci est « fragilisé » par ces troubles et éprouve des difficultés à entrer en relation avec autrui. La définition de M. Sechehaye permet de comprendre cette relation qui s’instaure peu à peu entre le schizophrène et son thérapeute : « L’individu souffrant de schizophrénie a besoin de temps, de temps pour apprendre à croire à la vie, pour retrouver confiance dans les autres, pour, lentement dégager une silhouette, celle du thérapeute, qui peut se détacher du chaos et prendre forme dans son univers opaque, instable et désorganisé » (Enjalbert, 2006, p.139).Ainsi la relation qui va s’instaurer progressivement entre le soignant et le patient va permettre d’établir une « alliance thérapeutique ».
Celle-ci se définit, Selon Bordin (1979), comme la collaboration entre le client et son thérapeute (soignant), basé sur le développement d’un lien d’attachement ainsi qu’un engagement partagé sur les objectifs de la thérapie et les tâches permettant de réaliser ces objectifs (Lustig, Strauser,Rice, Rucker, 2002, p.24) cela sous-entend une participation active des 2 partenaires du soin. Elle est la première étape du processus psychothérapique et doit être maintenue tout au long de celui-ci (Cungi, 2011, p.82). « Etablir une bonne « alliance thérapeutique » c’est passer de l’étape « relationnelle » à l’étape « collaborative » » (Cungi, 2001, p.82). L’une des composantes centrale pour permettre l’élaboration de cette alliance est l’empathie. Comme l’explicite Rogers, un soignant doit être empathique et doit savoir développer son aptitude à « bien percevoir la réalité que vit le patient », cela inclut son contexte, son vécu émotionnel, affectif et cognitif (Cungi, 2001, p.82).
Cette attitude va permettre au soignant de comprendre le vécu intérieur du patient schizophrène. Cette première étape est primordiale afin de pouvoir travailler en partenariat avec le patient schizophrène, afin qu’il soit au centre du soin et qu’une prise de décision partagée soit établie.
L’infirmière, de par son attitude empathique, pourra guider le patient à identifier les facteurs qui influencent son adhérence au traitement médicamenteux. Ainsi, « il est impératif de chercher à acquérir une compréhension de la signification des médicaments du point de vue du patient » (Marland & Sharkey, 1999, p.1260) afin de pouvoir adapter son accompagnement en fonction des difficultés du patient dans sa prise en charge médicamenteuse. Pour cela, les infirmières utilisent des interventions issues de l’entretien motivationnel. Celui-ci se définit comme une manière particulière d’aider les clients à reconnaître et à faire quelque chose de leurs problèmes actuels ou potentiels (Rubak, Sandbæk, Lauritzen, Christensen, 2005, p.305). L’entretien motivationnel respecte l’autonomie des individus et leur liberté de décision, il permet de travailler en collaboration. (Lecomte, 2010, p.3). Selon Tay (2007, p.31), les interventions motivationnelles principales pour aider le patient à avoir le choix et prendre ses responsabilités quant au traitement se basent principalement sur la création d’une atmosphère de non jugement, sur les préoccupations du patient, sur l’expression d’empathie et le soutien de l’auto-efficacité, terme désignant les croyances des individus quant à leurs capacités à réaliser des performances particulières (Bandura. 2003, p 475-476). Pour cela, Tay (2007, p.31) propose d’utiliser comme techniques l’écoute réflexive, la reformulation régulière, et des questions inductives. Ces techniques d’entretien permettent d’installer un rapport de partenariat entre le soignant et le soigné.Elles vont aussi appliquer des interventions de type psychoéducatives. Selon Goldmann [traduction libre] (1988, cité dans Atri, Sharma, 2007, p.33), la « psychoéducation » est définie commel’éducation ou la formation d’une personne avec un trouble psychiatrique dans des domaines qui servent les objectifs de traitement et de réadaptation, comme par exemple, l’amélioration de l’acceptation de la maladie, la promotion de la coopération active avec le traitement et la réadaptation, et le renforcement des habiletés d’adaptation qui composent des déficiences causées par les troubles.
Le rôle « d’éducatrice » du soignant consiste à donner des informations au patient ainsi qu’à sa famille sur sa pathologie. Cela peut permettre de réduire les préjugés et la stigmatisation envers ces médicaments (Waddel, Taylor, 2009, p. 49). Elle a aussi pour objectif de responsabiliser le patient sur la prise du traitement [traduction libre] (Marland & Sharkey, 1999, p.1255). L’éducation est un processus progressif par lequel une personne acquiert des connaissances et la compréhension à travers l’apprentissage. Le but du processus éducatif d’un patient est de permettre à celui-ci de se livrer à un changement de comportement [traduction libre] (Xia, Merinder, Belgamwar, 2011, p.3). Les infirmières en milieu psychiatrique ont donc un rôle important dans le soutien de l’adhésion au traitement chez les patients (Tay, 2007, p.36). L’objectif est d’accompagner le patient schizophrène afin qu’il soit l’acteur de sa maladie et cela passe par la décision propre de suivre son traitement antipsychotiques.
Conclusion
Cette recension narrative a permis ressortir cinq différentes interventions fournies par des infirmières qui permettraient d’améliorer significativement l’adhérence aux antipsychotiques chez les personnes souffrant de schizophrénie telles que l’intervention « orientée sur le système », une thérapie basée sur des appels téléphoniques, la « thérapie d’adhérence » et la « thérapie de compliance ». Néanmoins les recommandations misent en avant concernent la mise en place de plusieurs interventions au lieu d’une seule, d’accorder de la part du soignant du temps et de la disponibilité afin d’instaurer une relation avec le patient, d’avoir un échantillon plus large et une plus longue durée d’études et également de pouvoir effectuer des études supplémentaire sur les premiers essais randomisés.
Ce travail nous a permis d’apprendre à effectuer une démarche scientifique afin de répondre à un questionnement clinique et ainsi de développer un jugement critique. De plus, cette recherche nous a aidées à approfondir nos connaissances sur cette problématique et également de prendre conscience de la complexité et de la difficulté à intervenir auprès de personnes schizophrènes dans le but d’un changement de comportement envers leur médication antipsychotique. Le travail a été réalisé avec et selon les ressources de chacune. Un questionnement constant a permis de nourrir cette recherche et ainsi de développer une réflexion critique sur celui-ci.
Durant ce travail, des imprévus ont été rencontré auxquels nous avons dû nous adaptés. L’un des principaux ayant été le changement de directeur du travail durant l’année. Cela a été pour nous, un bouleversement et un facteur de stress. Néanmoins, ce changement a été bénéfique car il nous a permis d’élargir notre vision de la schizophrénie et de prendre conscience de l’importance de la relation soignant- soigné dans le cadre de cette psychopathologie si complexe.
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Table des matières
1 Introduction
2 Problématique
2.1 L’expérience schizophrénique
2.2 Diagnostic de la schizophrénie
2.3 Epidémiologie et qualité de vie
2.4 L’adhérence au médicament
2.5 Le traitement médicamenteux « antipsychotique »
2.6 Les interventions infirmières
2.7 Question de recherche
3 Cadre de référence
4 Méthodologie
4.1 Base de données
4.2 Mots clés et descripteur
4.3 Critères d’inclusion et d’exclusion
4.4 Stratégie de recherche documentaire
4.5 Autres sources
4.6 Articles retenus
5 Résultats
5.1 Présentation des résultats
5.2 Tableaux récapitulatifs
5.3 Synthèse des résultats
5.4 La « singularité du patient »
5.4.1 Les caractéristiques pouvant augmenter l’adhérence médicamenteuse
5.4.2 Les caractéristiques augmentant moins ou pas l’adhérence médicamenteuse
5.5 « L’interaction client professionnel »
5.5.1 Le « soutien affectif »
5.5.2 Les « informations sur la santé »
5.5.3 Le « contrôle décisionnel »
5.5.4 « Les techniques ou compétences professionnelles »
5.6 Les « résultats de santé »
5.6.1 Augmentation significative de l’amélioration de l’adhérence aux antipsychotiques
5.6.2 Peu ou pas d’amélioration significative de l’adhérence aux antipsychotiques
5.7 Tableau de synthèse des résultats
6 Discussion
6.1 Réponse à la question de recherche
6.2 Mise en perspective avec la problématique
6.3 Mise en perspective des résultats avec le cadre théorique
6.4 Limites générales du travail
6.5 Transférabilité des résultats
6.6 Recommandations pour la pratique et la recherche
7 Conclusion
Liste de références
Annexes
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