Type d’étude
Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective monocentrique au CHU de Rouen Normandie constituée entre 1996 et 2017.
Critères d’inclusion et d’exclusion
Nous avons inclus l’ensemble des hommes pubères pris en charge pour préservation de la fertilité dans le cadre d’une Onco-TESE entre le 1 er Janvier 1996 et le 31 Décembre 2017 au sein du centre d’AMP du CHU de Rouen Normandie. Les critères d’exclusion étaient les suivants :
• Patient pré-pubère,
• Patient pubère en cours de traitement d’un cancer avant la biopsie testiculaire (indication exclusive de congélation de tissu testiculaire),
• Patient en rémission ou guéri d’un cancer et ayant bénéficié d’une TESE en vue d’un projet parental.
Technique chirurgicale
Tous les patients ont été adressés, par leur médecin référent, au Laboratoire de Biologie de la Reproduction-CECOS afin de réaliser 2 à 3 recueils de sperme en vue de conservation.
En cas d’échec au recueil (dysfonction érectile, douleurs, anéjaculation, recueil non fait) ou d’altération du spermogramme (azoospermie, nécrozoospermie, oligozoospermie sévère ou cryptozoospermie), une consultation avec un urologue était programmée afin d’envisager un prélèvement de tissu testiculaire pour extraction de spermatozoïdes testiculaires en urgence.
Les biopsies testiculaires ont toutes été réalisées par le même chirurgien, au bloc opératoire, sous anesthésie générale, via un abord scrotal unique au niveau du raphé médian.
L’albuginée était ouverte de façon transversale au centre du testicule sur 1,5 cm, entre deux vaisseaux et deux fragments tissulaires étaient prélevés (Figure n°1) puis envoyés respectivement au Laboratoire d’Anatomopathologie et de Biologie de la ReproductionCECOS.
Recueil des données
Lors de l’analyse anatomopathologique, les caractéristiques suivantes ont été étudiées : le poids du fragment, la présence de spermatozoïdes, de spermatogonies, de spermatocytes et de spermatides ou présence de cellules de Sertoli uniquement (SCO). Si la quantité de tissu testiculaire prélevée le permettait, une analyse par cytométrie de flux (CMF) était effectuée.
Celle-ci était alors comparée aux lectures des lames histologiques afin de conclure sur l’état de la spermatogenèse (complète ou incomplète, présence ou absence de cellules haploïdes) et au besoin de préciser le stade de la spermatogenèse le plus avancé.
Une fois le prélèvement acheminé au Laboratoire de Biologie de la ReproductionCECOS : le poids du fragment, la présence de spermatozoïdes, de spermatogonies, de spermatocytes et de spermatides, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles avant congélation et après décongélation et la réalisation ou non d’un test de mobilité ont été analysés. Les spermatozoïdes isolés de la biopsie étaient mélangés à un milieu cryoprotecteur, conditionnés dans des paillettes, congelés avant stockage dans l’azote liquide à -196°C.
L’ensemble des données oncologiques (date du diagnostic, type histologique du cancer, stade évolutif du cancer, traitement(s) envisagé(s) et leur(s) durée(s), date de rémission ou de décès), les antécédents génito-urinaires ainsi que les caractéristiques démographiques et familiales ont été recueillis à partir des dossiers médicaux disponibles au CHU de Rouen Normandie, au centre hospitalier intercommunal d’Elbeuf-Louviers-Val de Reuil et au centre de lutte contre le cancer Henri Becquerel de Rouen. Ceci nous a permis de réaliser, pour chaque patient, un carnet de recueil de données (Annexe n°1). Tous les patients vivants, ayant eu une Onco-TESE et indépendamment des résultats de celle-ci, ont été recontactés par téléphone et par courrier, puis invités à effectuer un spermogramme à l’arrêt du traitement (> 12 mois) et à répondre à un questionnaire de suivi (Annexes n°2 et 3). Ce suivi de patient fait partie intégrante de la préservation de la fertilité.
Analyse de données
L’ensemble des données a été intégré dans un tableur informatique (Microsoft Excel) permettant des réaliser les statistiques descriptives. Les données ont été exprimées en moyenne et déviation standard pour les variables quantitatives et en pourcentage pour les variables qualitatives. Des tests statistiques (Fisher et Khi-2) ont été effectués à l’aide du logiciel SPSS 20 (SPSS, Chicago, IL) afin de comparer le groupe Onco-TESE positive et le groupe OncoTESE négative. Une valeur de p < 0,05 a été considérée significative.
RESULTATS
Description de la population étudiée
Les caractéristiques de la population étudiée sont présentées dans le tableau n°1. Au total, 42 patients dont l’âge moyen était de 27,07 (±6,98) ans, ont bénéficié d’une Onco-TESE, dans notre centre entre le 1 er Janvier 1996 et le 31 Décembre 2017. Au moment de l’OncoTESE, 19 patients (45,2%) étaient en couple dont 6 avec un projet parental en cours. 4 patients (9,5%) avaient déjà au moins un enfant (3 patients avec la même conjointe et 1 patient avec un autre conjointe).
Biopsie testiculaire
Le délai moyen entre la proposition de biopsie testiculaire et sa réalisation était de 5,6 jours (±3,4) ; 16 patients (38,1%) ont eu une biopsie testiculaire bilatérale. Pour 31 patients (74%), la biopsie était associée à un ou plusieurs gestes chirurgicaux nécessaires pour le traitement du cancer : orchidectomie ipsi- ou controlatérale avec ou sans pose de prothèse testiculaire (74,2% ; n = 23), pose d’une chambre implantable (38,7% ; n = 12), biopsie ostéomédullaire (3,2% ; n = 1), cystectomie ou encore proctectomie (6,4% ; n = 2). La durée moyenne d’intervention était de 70 (±39,2) minutes avec 38,8 (±7,9) minutes lorsque l’OncoTESE était isolée et 81,4 (±39,9) minutes lorsque l’Onco-TESE était associée à un autre geste chirurgical proposé dans le cadre de la maladie. La durée moyenne de séjour était de 3,6 (±3,8) jours.
Résultat de l’ONCO-TESE
Les données concernant les résultats des biopsies testiculaires sont présentées dans le tableau n°5. Les biopsies testiculaires positives permettant la réalisation d’une conservation de spermatozoïdes était de 64,3% (27 patients). Le nombre moyen de paillettes conservées par patient était de 16,4 (±12,5).
Comparaison des données histologiques et des résultats de l’extraction de spermatozoïdes
Un patient ayant eu une biopsie testiculaire négative (absence de conservation de spermatozoïdes), présentait une spermatogenèse complète sur l’analyse histologique. La spermatogenèse, à la lecture de la lame était complète tandis que la cytométrie flux ne retrouvait qu’un seul pic haploïde en faveur d’un arrêt de la spermatogenèse au stade de spermatide.
Trois patients avec une biopsie testiculaire positive (présence d’une conservation de spermatozoïdes), présentaient une spermatogenèse incomplète sur l’analyse histologique.
En revanche, la lecture des lames et la cytométrie en flux étaient concordantes entre elles avec un stade de développement s’arrêtant aux spermatocytes.
La cytométrie en flux a permis de rectifier une analyse histologique pour un seul patient qui révélait une spermatogenèse incomplète à la lecture de la lame avec une cytométrie de flux qui retrouvait bien deux pics haploïdes (spermatides et spermatozoïdes). Pour ce patient, la biopsie testiculaire était positive bilatéralement avec la création de 9 paillettes.
Complications
Aucune complication per-opératoire n’a été constatée. Un patient, opéré d’une orchidectomie gauche et d’une biopsie testiculaire droite a présenté une complication classée Clavien III à type de fonte purulent sur le testicule droit ayant conduit à réaliser une orchidectomie droite en urgence avec mise en route secondaire d’une androgénothérapie. Un patient a présenté une complication classée Clavien I à type de rétention aiguë d’urine postopératoire.
Suivi des patients
A ce jour, sur les 42 patients référencés, 9 (21,4%) sont décédés des suites de leur maladie. Les 7 patients présentant une tumeur bénigne du testicule ou de l’épididyme sont toujours vivants. Sur les 26 patients vivants suivis pour un cancer, 92,30% sont en rémission.
Le statut du suivi oncologique n’est pas disponible pour l’un des patients (perdu de vue). Tous les patients ayant une biopsie testiculaire positive ont été recontactés annuellement par le CECOS pour valider le maintien de la conservation, la destruction ou le don de leurs paillettes pour la recherche (Tableau n°8). Toutes les paillettes des patients décédés ont été détruites conformément à la loi en vigueur.
DISCUSSION
Nos résultats mettent en évidence l’acceptabilité et la faisabilité de l’Onco-TESE pour préserver la fertilité des hommes jeunes atteints de cancer en cas d’échec à la conservation de spermatozoïdes éjaculés. A notre connaissance, notre série est la plus importante rapportée sur ce sujet dans la littérature (~1 à 31 patients) (10,12–20). De plus, aucune publication ne rapporte l’Onco-TESE en présence d’échec au recueil de sperme dans le cadre de la préservation de la fertilité. Cependant, notre étude comporte certaines limites. Il s’agit d’une étude monocentrique et rétrospective et l’utilisation d’une seule technique de prélèvement (TESE conventionnelle).
Le cancer du testicule est une tumeur rare, avec 2.353 nouveaux cas en France en 2017.
Le pic d’incidence se situe entre 15 et 49 ans (21). Il représente 1 à 1,5 % des cancers de l’homme. On estime à 19.400 le nombre de nouveaux cas d’hémopathies malignes, chez l’homme en France par an, soit environ 9% des cancers masculins. Plus de la moitié des cas surviennent après 60 ans (22,23). Dans notre série 50% des patients étaient suivis pour un cancer du testicule avec un âge médian de 27 ans et 19,1% étaient suivis pour une hémopathie maligne (lymphomes non Hodgkiniens, lymphomes de Hodgkin et leucémie aiguë myéloïde) dont l’âge médian était de 21 ans. Le tableau n°9 compare les autres types de cancer de notrepopulation à la population d’hommes atteintes de cancer en France (24–27).
Environ 60% de nos patients ont bénéficié d’une Onco-TESE du fait d’altérations du spermogramme ne permettant pas de conserver de spermatozoïdes. Les données de la littérature mettent en évidence des altérations de la spermatogenèse au moment du diagnostic du cancer (12). Le cancer peut être responsable d’altérations de la spermatogenèse dont les mécanismes semblent multiples : modification du métabolisme de base, dénutrition, sécrétion anormale des hormones de stress, diminution des taux de gonadotrophines hypophysaires, effet délétère de la tumeur elle-même si localisation testiculaire (28). L’atteinte de la spermatogenèse varie selon le type de cancer, et paraît être plus importante en cas de cancer du testicule (3,29,30). Les données sur la préservation de la fertilité permettent de dire que moins de 50% des patients atteints de cancer du testicule ont un spermogramme normal (3), et entre 10 à 35% présentent une infertilité préexistante (31). Cependant, d’autres études n’ont pas noté de différence sur les paramètres spermatiques avant traitement chez les patients atteints d’un cancer par rapport à la population générale (32–34). La prévalence d’une azoospermie chez les patients atteints d’un cancer et consultant pour préservation de fertilité est évalué à 11,6% (29) et 24% en cas de cancer du testicule (35). Dans notre étude, la prévalence de l’azoospermie au moment du diagnostic de cancer était de 30,9% avec 61,5 % des patients atteints d’un cancer du testicule, 23,1% d’un cancer hématologique et 15,4% d’un autre cancer. La prévalence de l’azoospermie était nettement plus élevée dans notre population par comparaison aux données de la littérature (36–38) car notre population n’était pas représentative de l’ensemble des hommes consultants pour préservation de fertilité dans le cadre d’un cancer. En effet, nous avons étudié uniquement les patients ayant une indication d’Onco-TESE, proposée dans notre centre spécifiquement en présence d’altérations de la spermatogenèse dont l’azoospermie et d’échec au recueil de sperme.
Notre population était composée essentiellement de cancers urologiques (26/42 patients) ou hématologiques (8/42 patients). Nos patients peuvent être répartis en trois groupes (tableau n°4) : le groupe azoospermie (15 patients), le groupe OAT/Cryptozoospermie (10 patients) et le groupe échec de recueil de sperme (17 patients).
Des spermatozoïdes ont été retrouvés dans 26,7% des TESE en cas d’azoospermie, 90% en cas d’OAT/Cryptozoospermie et 82,35% en cas d’échec de recueil de sperme. Le faible taux de positivité du groupe azoospermie est à attribuer au nombre important de patients atteints d’un cancer du testicule et présentant une azoospermie (8/15 patients). Dix articles originaux sont référencés sur PubMed en utilisant « Onco-TESE » comme mot clé (10,12–20). Il s’agit, pour la plupart, des études de cas, concernant majoritairement des patients suivis pour cancer du testicule (Tableau n°10). L’azoospermie reste l’indication presque exclusive de l’Onco-TESE pour la majorité de ces publications (1 cas d’OAT et 1 cas de cryptozoospermie). En cas d’azoospermie non obstructive, le taux de biopsies testiculaires positives en TESE conventionnelle, chez un patient atteint ou non de cancer, est d’environ 50% (39)(40). Schrader et al. (2003) ont comparé pour la première fois les Onco-TESE de 31 patients atteints d’azoospermie : 14 cas de cancer du testicule et 17 cas de lymphome avec un taux de biopsies positives respectivement de 63% et 47%. Sur l’ensemble des dix articles publiés (Tableau n°10), 47 patients ont eu une Onco-TESE entre 2003 et 2018 avec 57,4% d’Onco-TESE positives contre 64,3% dans notre série.
CONCLUSION
A notre connaissance, cette série de patients ayant bénéficié d’une Onco-TESE est la plus importante rapportée sur ce sujet. Nos résultats semblent confirmer que l’Onco-TESE couplée à la conservation des spermatozoïdes testiculaires est une procédure qui doit être mise à disposition pour préserver la fertilité des hommes jeunes atteints de cancer en cas d’échec au recueil de sperme ou d’altérations sévères du spermogramme. C’est une technique dont lafaisabilité en urgence est envisageable sans retarder la prise en charge thérapeutique du canceret avec une bonne acceptabilité par les patients.
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Table des matières
ABREVIATIONS
RESUME
1°) INTRODUCTION
2°) MATERIEL ET METHODE
2.1 Type d’étude
2.2 Critères d’inclusion et d’exclusion
2.3 Technique chirurgicale
2.4 Recueil des données
2.5 Analyse des données
3°) RESULTATS
3.1 Description de la population étudiée
3.2 Diagnostic carcinologique et traitement gonadotoxique envisagé
3.3 Indication de l’Onco-TESE
3.4 Biopsie testiculaire
3.5 Résultats de l’Onco-TESE
3.6 Comparaison des données histologiques et des résultats de l’extraction de spermatozoïdes
3.7 Complications
3.8 Suivi des patients
3.9 Vécu de l’Onco-TESE
4°) DISCUSSION
5°) CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
n°1 : Carnet de recueil de données
n°2 : Questionnaire sur votre fertilité
n°3 : Votre avis sur la préservation de la fertilité