Diagenèse et reconstruction de variables environnementales à partir de la géochimie du corail Porites sp

La composition géochimique, soit les isotopes (δ 18O…) et métaux traces (Sr, Mg, U, Ba…), de l’aragonite biogénique primaire corallienne reflète les facteurs environnementaux tels que la température de surface de l’océan (SST pour Sea Surface Temperature) ou encore la salinité en vigueur au moment de la formation du corail (Gagan et al., 1998 ; Hughen et al., 1999 ; Corrège et al., 2000 ; Kilbourne & Quinn, 2004 ; Montaggioni et al., 2006 ; Corrège, 2006). La composition du corail est ainsi une archive climatique mise à profit par la communauté internationale pour accéder aux évolutions du climat et discuter de l’amplitude des paléo variations climatiques par rapport aux tendances actuelles.

Cependant, un nombre croissant de proxies du climat, comme le ratio suscité, sont maintenant mesurés sur des coraux datant de l’Holocène ou de la dernière période interglaciaire. Ces coraux, souvent prélevés en position subaérienne sur des terrasses récifales maintenant émergées ont ainsi pu connaître à un moment de leur histoire des conditions phréatiques (zone saturée en eau) et/ou vadose (zone non saturée à l’interface pédosphère / nappe phréatique) très différentes des conditions caractérisant l’environnement marin où le corail se développe. Ces coraux peuvent donc avoir été modifiés par la diagenèse minérale (ensemble des processus bio physico-chimiques transformant un sédiment en roche ou un organisme en fossile) sous l’effet, par exemple, de l’eau douce percolante dans les récifs surrectés (Bar Matthews et al., 1993; Corrège et al., 2000; McGregor & Gagan, 2003; Lazar et al., 2004; Corrège, 2006; Rabier et al., 2008; McGregor et al., 2008). La diagenèse peut modifier la composition chimique originelle du corail. Elle représente donc une source d’erreur potentielle majeure dans les reconstitutions paléoclimatiques (McGregor & Abram, 2008). Considérons pour illustrer ceci un échantillon de corail fossile qui aurait été prélevé sur un ancien récif corallien surrecté (donc dans un environnement météorique / phréatique) et contenant une fraction x de calcite secondaire (diagénétique) lié à l’action de l’eau douce (Rabier et al., 2008).

Depuis peu, les paleoclimatologues ont ainsi pris conscience du biais que la diagenèse peut introduire dans les reconstructions environnementales. Le type de tendance illustré ci-dessus a ainsi été (récemment) rapporté au moins qualitativement par plusieurs auteurs. On commence donc à reconnaître que la présence de calcite secondaire, typique d’une diagenèse météorique (Dravis, 1996), conduit à des anomalies positives dans les températures reconstruites (McGregor & Gagan, 2003; Allison et al., 2007; Nothdurft et al., 2007; McGregor & Abram, 2008). On reconnaît également que la présence d’aragonite secondaire, caractéristique cette fois de la diagenèse marine peu profonde des coraux, peut générer des anomalies froides dans les températures reconstruites (Enmar et al., 2000; Muller et al., 2001, 2004; Lazar et al., 2004; Allison et al., 2005, 2007; McGregor & Abram, 2008). Enfin, on rapporte que les figures de dissolution, susceptibles d’être créées par l’eau douce percolante, génèrent elles aussi des artefacts froids dans les reconstitutions de la température de l’océan (Hendy et al., 2007; McGregor & Abram, 2008).

On peut donc considérer que les communautés scientifiques concernées ont pris conscience que la diagenèse, même quand elle reste discrète, peut introduire un biais important dans les reconstitutions de variables environnementales comme la température de surface de l’océan. On ajoutera ainsi aux références citées plus haut les travaux de Ribaud-Laurenti et al. (2001), Quinn & Taylor (2006), Scholz & Mangini (2007), Nothdurft & Webb (2008) ou encore de Webb et al. (2009).

Néanmoins peu (ou en tous cas encore assez) d’études sont dévouées à évaluer, qualitativement ou quantitativement, l’impact de la diagenèse sur les proxies climatiques, et donc sur la reconstitution des variables environnementales. On citera ici les travaux remarquables de Enmar et al. (2000), Ribaud- Laurenti et al. (2001), McGregor & Gagan (2003), Lazar et al. (2004), Muller et al. (2004), Quinn & Taylor (2006), Buster & Holmes (2006), Nothdurft et al. (2007) and Allison et al. (2007). Ce type de travaux est important à bien des égards : on a vu plus haut que les stratégies  modernes de « screening », combinant maintenant radiographies X, analyses DRX et/ou µDRX, microscopie optique et/ou électronique, impliquent des mesures et observations coûteuses en temps et argent. Il serait donc souhaitable de les mettre à profit pour aller plus loin que la seule élimination des échantillons incluant une trace de diagenèse. On pourrait ainsi valoriser / utiliser ces analyses pour compléter les efforts des auteurs suscités à proposer des modèles / lois empiriques quantifiant l’impact de tel ou tel produit de la diagenèse sur tel ou tel proxy. Mentionnons en outre que sur certaines îles coralliennes, les coraux bien préservés deviennent très rares ou absents. Ainsi, il n’existe pas, par exemple, de données quantitatives sur le taux de soulèvement de Futuna (Pacifique Sud Ouest) lié à l’absence de coraux non altérés (Rabier et al., 2008). La disponibilité de lois quantitatives sur l’impact de la diagenèse sur les variables environnementales reconstruites permettrait ainsi de corriger des effets de la diagenèse les reconstitutions là où il n’existe pas de coraux dans un état originel.

Contexte géographique : La Nouvelle-Calédonie

Les échantillons proviennent de Nouvelle-Calédonie (territoires français d’Outre-mer) localisée dans la Province Indo-Pacifique (Fig. 1.1). L’archipel néo-calédonien se situe dans le Pacifique sud-ouest en zone intertropicale, entre 160° et 170° Est de longitude et 15° et 25° Sud de latitude. La Nouvelle-Calédonie est formée d’un ensemble d’îles dont la principale est la « Grande Terre ». La Grande Terre est allongée suivant une direction Nord-Ouest/Sud-est, prolongée au Sud par l’île des Pins, et bordée parallèlement à l’Est par les atolls soulevés des îles Loyauté dont l’altitude décroît du Sud vers le Nord avec Maré, Lifou, Ouvéa et Beautemps-Beaupré.

La Grande Terre est la partie émergée de la chaîne sous-marine de Norfolk (Dupont et al., 1975). On trouve à l’ouest, le bassin de Nouvelle-Calédonie et à l’est, le bassin des Loyauté, la ride des Loyauté et la fosse des Nouvelles-Hébrides (Vanuatu) où la plaque australienne plonge sous celle du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie présente le plus vaste ensemble récifal du monde, après celui de la Grande Barrière australienne. Des récifs barrières de 1500 km de long ceinturent la Grande Terre (Coudray, 1976; Debenay, 1985). Des récifs internes parsèment les lagons et des récifs frangeants bordent les côtes. Bien mieux développés à l’est qu’à l’ouest, ces derniers constituent une des caractéristiques de la dissymétrie des lagons (Coudray, 1976; Debenay, 1985; Cabioch, 1988).

Contexte Géologique

Grandes étapes de l’histoire récifale de la Nouvelle-Calédonie

On donne ci-dessous un très court résumé des étapes de l’histoire récifale en Nouvelle Calédonie (Cabioch, 1988).
– Eocène (55,8 à 33,9 Ma) : premières constructions récifales en bordure des reliefs (période de calme orogénique) (Chevalier, 1971)
– Miocène (23 à 5,3 Ma) : l’histoire récifale néo-calédonienne débute vraiment (Coudray, 1976)
– Pléistocène (2,6 Ma à 11000 ans) et Holocène (les 10000 dernières années) : développement des formations récifales que l’on connaît actuellement à la faveur des stades interglaciaires (hauts niveaux marins) (Avias, 1959; Avias & Coudray, 1965; Coudray, 1976) et des mouvements tectoniques (Launey & Récy, 1972; Dubois et al., 1974).

Géologie Quaternaire de la Nouvelle-Calédonie

Un nombre important de carottages a été effectué au cours de plusieurs campagnes de terrain de l’IRD (à l’époque l’ORSTOM). Une carotte de 222 mètres a notamment été faite sur l’îlot Ténia ainsi qu’une quarantaine de carottes sur une dizaine de récifs frangeants entre 1981 et 1987 (Cabioch et al., 1996). Ces carottes ont permis de préciser la géologie Quaternaire de la Grande Terre. On se concentre ici sur les derniers 125 ka (qui concernent la majorité de nos échantillons). Sur cette période, l’étude des carottages faits par l’IRD permet de différencier deux unités récifales superposées : une unité supérieure d’âge Holocène et une unité inférieure d’âge Pléistocène Supérieur. Ces unités sont fréquemment séparées par une discontinuité matérialisée par des niveaux de croûtéfaction calcaire d’origine émersive (Glaciation de Wûrm) (Coudray, 1976; Lecolle & Cabioch, 1988; Cabioch et al., 1996; Lafoy et al., 2000).

Depuis le Quaternaire, les marges néo-calédoniennes sont globalement affectées par un processus de subsidence. On note localement quelques mouvements positifs (surrection) de la Grande Terre durant le Quaternaire, au niveau de la côte sud-est. Nos sites d’études, sur la côte sud-ouest (Fig. 1.1) sont donc sujets à une subsidence depuis le Quaternaire. Pour les récifs proches de Nouméa comme le récif de Ricaudy, la subsidence est faible, en moyenne 0,07 mm/an. Sur l’îlot Ténia, la subsidence depuis 125 ka est plus importante, de l’ordre de 0,11 mm/an. On a ainsi un gradient de subsidence notoire de la côte vers le large, engendrant l’éloignement progressif du récif barrière et donc l’agrandissement du lagon (Dugas & Debenay, 1978).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
CHAPITRE 1 : Sites d’études et échantillonnage
1.1 Contexte géographique : La Nouvelle-Calédonie
1.2 Contexte Géologique
1.2.1 Grandes étapes de l’histoire récifale de la Nouvelle-Calédonie
1.2.2 Géologie Quaternaire de la Nouvelle-Calédonie
1.3 Localisation et Échantillonnage
1.3.1 Échantillons modernes – Côte SO de la Nouvelle-Calédonie – Canal de Uitoe
1.3.2 Échantillons fossiles (2 sites de prélèvements)
1.3.2.1 Nouméa
1.3.2.2 Îlot Ténia
1.3.3 Datation au 14C
1.4 Quelques remarques de synthèse
CHAPITRE 2 : Matériel et méthodes
2.1 Remarques introductives
2.2 Le carbonate de calcium et ses spécificités
2.2.1 Focus sur les trois éléments principaux
2.3 Protocole expérimental général pour l’analyse de nos échantillons de corail
2.4 Méthodes mises en œuvre pour une évaluation qualitative de l’état diagénétique des échantillons
2.4.1 Analyse cristalline par diffractométrie aux rayons X (DRX)
2.4.2 Analyse pétrographique
2.4.2.1 Microscopie photonique
2.4.2.2 Microscopie électronique
2.5 Les analyses effectuées en (paléo) climatologie tropicale
2.5.1 Les radiographies X ou SCOPIX
2.5.2 Diffusion anisotrope et radiographies X : un programme de séparation de bandes automatique
2.5.2.1 Principe
2.5.2.2 Mise en œuvre
2.5.2.3 Exemple d’application : l’échantillon 3A1
2.6 Analyse géochimique : La spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif (ICP MS)
2.6.1 Échantillonnage
2.6.2 Principe de l’ICP-MS
2.6.3 Protocole utilisé
2.7 Méthodes mises en œuvre pour une évaluation semi quantitative de l’état diagénétique des échantillons
2.7.1 Spectrométrie Raman
2.7.1.1 Premières acquisitions sur un spectromètre Raman à l’ISM de Bordeaux
2.7.1.2 Acquisitions sur le spectromètre Raman du département TREFLE de l’I2M
2.7.2 La microanalyse X ou microsonde électronique
2.8 Quelques remarques de synthèse
CHAPITRE 3 : Diagenèse corallienne – Analyse pétrographique
3.1 Les coraux Porites spp. dans leur état initial
3.1.1 Minéralogie
3.1.2 Structure aux différentes échelles
3.1.2.1 Échelle microscopique
3.1.2.2 La méso-échelle
3.1.2.3 Échelle macroscopique
3.2 Les différentes diagenèses du Porites spp
3.2.1 La diagenèse marine précoce
3.2.1.1 Action des micro-organismes
3.2.1.2 Les ciments précoces
3.2.2 La diagenèse marine
3.2.3 La diagenèse en eau douce
3.2.3.1 Rappels karstologiques
3.2.3.2 Les produits de la diagenèse en eau douce
3.2.4 La diagenèse dans la zone de mélange
3.2.5 Un faciès non identifié
3.2.6 Synthèse
3.2.6.1 Etat de l’art
3.2.6.2 Bilan des observations
3.2.6.3 Tableau récapitulatifs des figures diagénétiques
CHAPITRE 4 : Échantillons modernes et Holocènes : Reconstitution de la température de surface de l’océan
4.1 Échantillon moderne (NC94)
4.1.1 Profils géochimiques
4.1.2 Reconstitution de la température de surface de l’océan
4.2 Échantillon d’âge Holocène 3A1 – Analyse ICP-MS et SSTs reconstruites
4.3 Analyse par ICP-MS versus Microanalyse X
4.4 Synthèse / Discussion
CHAPITRE 5 : Impact de la diagenèse sur les proxies du climat : Tendances qualitatives pour la calcite
5.1 Profils géochimiques ICP-MS sur quelques échantillons de corail Porites sp. Altérés
5.2 Analyse par ICP-MS versus Microanalyse X
5.3 Analyse ICP-MS vs. spectrométrie Raman : quelques résultats qualitatifs sur l’impact de la calcite sur les ratios et
CONCLUSION

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *