Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse. Et ne vous piquez point d’une folle vitesse : […] Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. BOILEAU Nicolas, L’Art Poétique, chant I, 1674.
Daniel Pennac fait état dans Chagrin d’école des difficultés auxquelles il était confronté dès qu’il était assis sur les bancs de la classe. Celui qui obtint le prix Renaudot pour ce même ouvrage y explique qu’il était considéré comme un cancre et que l’écriture était l’une de ses principales sources d’angoisse, que malgré sa bonne volonté, il était incapable d’appliquer les consignes qu’on lui donnait. Plusieurs années après, il revient sur cette période : « c’est sans doute à cette envie de fuir que je dois l’étrange écriture qui précéda mon écriture. Au lieu de former les lettres de l’alphabet, je dessinais des petits bonshommes qui s’enfuyaient en marge pour s’y constituer en bande. Je m’appliquais pourtant, au début, j’ourlais mes lettres tant bien que mal, mais peu à peu les lettres se métamorphosaient d’elles-mêmes […]. » (Pennac, 2007, p. 28-29). Les prémices de l’activité scripturale, à commencer par la graphie, lui apparaissaient donc comme un obstacle insurmontable en cela qu’elle était étroitement associée à l’école.
LA PLACE DE L’ÉCRITURE ET DE LA RÉÉCRITURE DANS LES INSTRUCTIONS OFFICIELLES
L’écriture occupe une place essentielle dans les programmes, étant l’un des quatre grands domaines travaillés dans l’enseignement du français à savoir : la lecture, l’écriture, l’oral et l’enseignement de la langue. Le rôle de la réécriture, qui nous intéressera tout au long de notre étude, est donc présent dans les différents textes officiels notamment des cycles 3 et 4. Celle-ci a en effet pris place dans les programmes après l’essor de la réflexion autour de l’écriture dans les années 1980 (Bessonnat, 2000, p. 5). Consulter et travailler à nouveau son propre texte permettrait à l’élève de construire une posture autoréflexive, les programmes nous invitent en effet à apprendre aux élèves à retravailler leurs écrits, et ce, dès leur plus jeune âge.
Dans le programme du cycle 2 déjà, la compétence « réviser et améliorer l’écrit qu’on a produit » est mise à l’honneur. Au cycle 3, qui, rappelons-le, se termine avec la première année de collège : la sixième, apprendre à retravailler son texte (que ce soit avec de nouvelles consignes ou en comparant son texte avec les attendus et en essayant de l’améliorer sans que les consignes aient été changées) devient une compétence majeure :
Au cycle 3, les élèves s’engagent davantage dans la pratique d’écriture, portent davantage attention aux caractéristiques et aux visées du texte attendu. Les situations de réécriture et de révision menées en classe prennent toute leur place dans les activités proposées. La réécriture peut se concevoir comme un retour sur son propre texte, avec des indications du professeur ou avec l’aide des pairs, mais peut aussi prendre la forme de nouvelles consignes, en lien avec l’apport des textes lus. (ministère de l’Éducation nationale, 2018b, p. 15).
Pour ce faire, on valorise donc le « processus engagé par l’élève » en les invitant à mettre en place des « brouillons , écrits de travail, versions successives ou variations d’un même écrit » pour que l’élève puisse acquérir « une plus grande autonomie » et devenir « de plus en plus conscient de ses textes » (ministère de l’Éducation nationale, 2018b, p. 15-16). Le but est donc que l’élève puisse travailler à plusieurs reprises sur un même texte pour réellement s’impliquer dans l’écriture de celui-ci et qu’il lui tienne à coeur de faire un texte soigné. Cette finalité est explicitée dans le programme du cycle 4 :
La pratique de l’écrit devient ainsi plus réflexive et les élèves acquièrent de l’autonomie dans l’amélioration de leurs écrits. Ils savent utiliser l’écrit pour travailler et apprendre. Ils comprennent qu’un écrit n’est jamais spontanément parfait et qu’il doit être repris pour rechercher la formulation qui convient le mieux, préciser ses intentions et sa pensée, justifier un point de vue. (ministère de l’Éducation nationale, 2018c, p. 17-18) .
Ainsi, l’enseignement de l’écriture et de la réécriture devrait offrir une plus grande autonomie aux élèves vis-à-vis de leur pratique scripturale. Celle-ci développerait « le plaisir de l’écriture et aiguise[rait] la curiosité pour la langue et son fonctionnement » (ministère de l’Éducation nationale, 2018c, p. 18), associée à une possible émulation intellectuelle puisqu’en écrivant en plusieurs étapes, on s’offre la possibilité d’échanger et d’avoir des retours sur nos textes.
Au cycle 3 et au cycle 4, contrairement aux programmes du lycée qui ne mettent pas l’accent sur cette pratique, la réécriture est mise en avant afin de développer différentes compétences : « concevoir l’écriture comme un processus inscrit dans la durée », « mettre à distance son texte pour l’évaluer », « enrichir par la recherche des formulations plus adéquates » pour le cycle 3 et « vérifier et améliorer la qualité de son texte (être capable de mettre à distance son texte pour l’évaluer et le faire évoluer), en cours d’écriture, lors de la relecture et a posteriori», « être conscient de ses fragilités et apprendre à identifier des zones d’erreurs possibles de manière autonome afin de faciliter la révision » et « prendre en compte les normes de l’écrit pour réviser son texte : cohérence, cohésion (syntaxe, énonciation, éléments sémantiques qui assurent l’unité du texte) et normes linguistiques » au cycle 4. Nous le voyons donc, ces compétences s’organisent autour de deux pôles : apprendre que le fait de retravailler un texte permet d’affiner ses idées dans un premier temps et s’obliger à questionner la norme pour adapter son texte.
Les façons de développer ces compétences sont très largement exposées dans les programmes du cycle 3 et une fiche Eduscol « Réécrire : principes et tactiques» vient elle aussi servir de support aux professeurs pour accompagner les élèves dans l’écriture en plusieurs étapes. Le programme propose d’ailleurs d’exploiter la polysémie du terme de réécriture en organisant des phases de réécriture individuelles et collectives, à partir d’un retour de l’enseignant ou de nouvelles consignes (ministère de l’Éducation nationale, 2018b, p. 17). En cela, le programme s’inspire des recherches de Dominique Bucheton et de Jean-Charles Chabanne qui ont proposé dans Écrire en ZEP. Un autre regard sur les écrits des élèves différentes « tactiques » pour guider les élèves dans ce travail de reprise d’un premier texte.
L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCRITURE À JET À L’ÉCOLE, UN ÉTAT DE L’ART
Aussi, si le programme met depuis plusieurs années l’accent sur l’écriture, c’est parce que la recherche a, elle aussi, peu à peu montré l’importance de l’activité scripturale sur un temps long. Roland Barthes soulignait déjà en 1975, lors d’un entretien pour la revue scientifique Pratiques cité ensuite par Jean-François Halté: « il faudrait donner aux élèves la possibilité de créer des objets complets, dans une temporalité longue. Il faudrait presque imaginer que chaque élève va faire un livre et qu’il se pose toutes les tâches nécessaires à sa réalisation. » (Halté, 1989, p. 3). Il explique ainsi qu’impliquer l’élève dans l’activité scripturale est nécessaire, invitant même à étendre ce temps long à la conception intégrale d’un ouvrage, ce qui n’est pas sans faire penser à la célèbre « imprimerie » de Célestin Freinet qui militait pour révolutionner la pratique de l’écriture en permettant aux élèves de s’affranchir de normes arbitraires pour apprendre à penser, pour devenir un sujet écrivant qui penserait la production écrite dans l’intégralité de son processus. Yves Reuter, professeur émérite et didacticien, retrace dans de nombreux articles l’évolution de l’enseignement de l’écriture depuis les années 1970 et montre qu’il a fallu un certain temps pour changer la pratique de la rédaction à l’école. Dans « l’enseignement de l’écriture. Histoire et problématique » publié dans le périodique Pratiques en 1989, il explique que la tradition des « rédactions » ou « expressions écrites » a été très présente durant de nombreuses années et que malgré les critiques, multiples, qui ont pu être soulevées, ce modèle a été prédominant, même après la proposition de nouvelles alternatives. Ce modèle n’était pourtant pas sans laisser apparaître plusieurs failles, à commencer par une « situation de communication artificielle » (Reuter, 1989, p. 69), la situation de communication étant essentielle —nous le savons aujourd’hui— pour donner du sens à l’activité scripturale qui est avant tout une activité de communication. À cette critique s’ajoute le fait que « le statut du texte reste ambigu » (idem) ce qui pose encore une fois la question de la finalité de l’écrit et qui ne permettait pas aux élèves de s’interroger sur la « fonctionnalité » de cet écrit. Ce « modèle traditionnel » se serait donc avéré « inefficace et cl[ôt] » puisqu’il s’agit de faire écrire pour évaluer, pour noter et non pas pour accompagner l’apprenant. Yves Reuter met donc en évidence qu’il s’oppose en cela « aux processus d’une évaluation formative » (idem). Finalement, il explique que les stratégies d’apprentissage se réduisaient bien trop souvent à l’imitation et les stratégies d’amélioration à des « renvois psychologisants » (idem). Toutefois, c’est le modèle que nous avons connu le plus longtemps et qui, selon Yves Reuter, était encore dominant à la fin du XXe siècle. Il met donc en garde contre un écueil souvent lié aux exercices sollicitant l’écrit : celui de noter l’élève en partie sur des prérequis qu’il n’aurait pas forcément, puisque ce qui jadis était nommé rédaction, est un exercice ambigu, multipliant les attentes du correcteur qui par ailleurs ne sont pas toujours précises. Il s’appuie en cela sur les travaux de Jean-François Halté qui soulignait qu’on ne faisait pas assez de l’écriture un objet d’enseignement (Reuter, 1996). L’arrivée de la narratologie a fourni quelques outils, notamment concernant l’analyse des actions, des actants et de la narration mais aurait plus éclairé les écrits que « les mécanismes de l’écriture » (Reuter, 1989, p. 70). Les jeux d’écriture (ibid, p. 71) puis l’arrivée des ateliers d’écriture (ibid, p. 73) ont permis de changer l’approche de l’exercice et du sujet écrivant de plus en plus vu comme un créateur qui doit modeler son texte, parfois sur un temps long.
Ces trente dernières années, nous l’avons donc vu, la façon de considérer le sujetscripteur, les finalités du travail d’écriture et de l’enseignement ont été requestionnées. Les articles de Marielle Besnard et Marie-Laure Elalouf ainsi que ceux de Caroline RauletMarcel permettent de poursuivre la réflexion quant à ces questions, nous invitant à requestionner les gestes professionnels associés à l’activité scripturale des élèves. Dans « réapprendre à lire les textes des jeunes scripteurs », les deux autrices (Besnard et Elalouf, 2018, p. 75) expliquent que cette activité doit être construite sur le respect et la confiance, elles invitent donc le professeur à prendre place dans un panel de lecteurs parmi d’autres pour que l’élève puisse réellement éprouver sa posture auteur. Cette dimension de confiance est également chère à Caroline Raulet-Marcel qui explique qu’il faudrait créer un espace « hors-menace », basé sur « l’écoute et l’entraide » (RauletMarcel, 2018, p. 55). L’autrice privilégie la pratique de la réécriture comme façon de permettre aux élèves de réfléchir a posteriori à leurs productions. Elle explique en effet :
Outre son rôle créatif, la réécriture est envisagée comme un moyen d’aider l’élève à mettre à distance sa production pour en apprécier les réussites, les échecs éventuels, surtout pour en mesurer l’évolution. La construction d’une « posture d’auteur » va de pair, en effet, avec la capacité à envisager son travail d’écriture de façon distanciée. (Raulet-Marcel, 2018, p. 54).
Caroline Raulet-Marcel explique donc que la réécriture permet de développer une autoréflexivité chez le sujet-scripteur. Elle permet de déjouer l’écueil de la rédaction « inefficace » (Reuter, 1989, p. 69) parce que ponctuelle et close, puisqu’une temporalité plus longue permettra d’impliquer davantage l’élève qui construira ainsi une « posture d’auteur ». Caroline Raulet-Marcel s’inscrit ainsi dans la lignée de Dominique Bucheton qui a beaucoup apporté à la transformation de l’activité scripturale et aux écrits en jets qu’elle développe dans deux ouvrages: Écriture, réécritures : récits d’adolescents et Refonder l’enseignement de l’écriture. Elle distingue notamment trois points essentiels à une activité d’écriture féconde pour les élèves que nous tâcherons d’envisager tout au long de notre étude. Elle explique dans un premier temps qu’il est nécessaire de prendre en considération « le temps de maturation de la pensée et de l’écrire » (Bucheton, 1995, p. 279), rappelant la célèbre formule de Paul Ricoeur « le récit, c’est le temps ». C’est en recueillant les différents jets et en demandant aux élèves de porter un jugement sur l’évolution de leur texte que nous tenterons de savoir si cette temporalité aura permis d’enrichir leur maîtrise de l’écrit et en quoi elle leur aura été utile. En effet, la chercheuse explique dans Refonder l’enseignement de l’écriture que les écrits intermédiaires permettraient d’apprendre à penser sur un temps long et à se nourrir des lectures, des discussions que nous pouvons avoir avec autrui. D’ailleurs, Dominique Bucheton relève dans un second temps le rôle des interactions entre élèves, que nous pouvons élargir au professeur lui-même considéré comme lecteur et non pas comme correcteur en nous référant aux propositions de Marielle Besnard et Marie-Laure Elalouf. L’autrice explique dans un dernier temps l’importance de la subjectivité dans le processus d’écriture, raison pour laquelle nous avons choisi de faire cette étude uniquement sur des travaux d’invention qui nous semblent permettre un investissement psychoaffectif plus grand de la part de l’élève. Dominique Bucheton invite donc dans Refonder l’enseignement de l’écriture, à engager les élèves dans des écritures longues, qui bien évidemment impliquent diverses phases de révision et de réécriture puisqu’elles sont « un levier important de l’engagement de l’élève dans l’écriture comme de l’appropriation de savoirs travaillés par ailleurs. » (Bucheton, 2014, p. 249).
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Table des matières
INTRODUCTION
I. CADRE THÉORIQUE
A. La place de l’écriture dans les instructions officielles
B. L’enseignement de l’écriture à l’école, un état de l’art
C. La problématique
II. MÉTHODOLOGIE DU RECUEIL DE DONNÉE
A. Choix du devis méthodologique
B. Contexte de la recherche
C. Choix des critères d’observation et d’analyse
1. Les projets menés
2. Quelles données collecter ?
3. Quels seront les critères d’observation ?
D. Hypothèses sur le résultat attendu
III. ANALYSE DES DONNÉES
A. Intérêts de l’expérimentation menée
1. Des modifications linguistiques ?
2. Des modifications d’ordre stylistique et narratif ?
3. La dimension psycho-affective permettrait-elle donc d’impliquer davantage les élèves dans leur activité scripturale et d’adopter une attitude réflexive sur celle-ci ?
4. Le bilan est-il le même pour les deux projets menés ?
B. Limites de l’expérimentation menée
1. Un constat
2. Un obstacle épistémologique ?
C. Comment poursuivre ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
I . PROJETS MENÉS
II. FICHE D’AIDE ÉCRIT LONG EN CINQUIÈME
III. COPIES DES ÉCRITS LONGS INDIVIDUELS (LE CAS DES CINQUIÈMES)
IV. COPIES DES ÉCRITS LONGS COLLECTIFS (LE CAS DES QUATRIÈMES)
V. RETOURS SUR LES ÉCRITS LONGS INDIVIDUELS (LE CAS DES CINQUIÈMES)
VI. RETOURS SUR LES ÉCRITS LONGS COLLECTIFS (LE CAS DES QUATRIÈMES)