Développement et conception du système de culture
Les systèmes de culture perfusés : état des lieux et fonctions clés
Limites des systèmes commerciaux et des prototypes actuels
Le rôle premier d’un bioréacteur est de maintenir un environnement rigoureusement contrôlé dans le but de recréer les conditions permettant le déroulement naturel des mécanismes biologiques que l’on souhaite étudier (Rauh et al. 2011). En ingénierie tissulaire osseuse, l’absence de standard et la variété des dispositifs, supports de culture et protocoles employés rendent pratiquement impossible la reproduction de l’environnement mécanique et chimique d’une étude à l’autre, compromettant ainsi la généralisation des résultats biologiques observés. Quelques industriels seulement (e.g., BOSE, Instron) commercialisent des systèmes complets de cultures perfusées (Figure 5). Ces systèmes sont néanmoins souvent conçus de façon déconnectée des contraintes spécifiques à la discipline et à la plupart des laboratoires. Notamment, les volumes élevés de milieu de culture nécessaires rendent ces dispositifs extrêmement coûteux à l’utilisation. Ces bioréacteurs peuvent également se révéler particulièrement difficiles à manipuler en conditions stériles (e.g., grands nombres de pièces à associer, outillage spécifique nécessaire à l ’assemblage, connections des tubes mal placées, encombrement).
L’offre limitée des bioréacteurs perfusés industriels et leurs limites ont poussé de nombreuses équipes à développer leur propre dispositif (Figure 6). Le design de ces dispositifs est généralement pensé pour 47 une famille d’expériences restreintes, et limités par le budget et le domaine d’expertise de l’équipe de recherche, exacerbant les problématiques de généralisation des résultats. Par exemple, le système de perfusion monté par Qian et collaborateurs (Figure 6A) est composé de colonnes de pastilles poreuses (nanohydroxyapatite/polyamide-66) empilées dans des tubes à essai maintenus à la verticale (Qian et al. 2013). La simplicité de ce système permet de profiter des avantages d’un système de culture perfusé avec un budget et un équipement limité. Cependant, l’impossibilité de piloter précisément l’environnement mécanique rend ce montage inadéquat pour des études systématiques du comportement de cellules en fonction des paramètres de cultures ou encore l’élaboration standardisée de modèles précis de tissus osseux. Le bioréacteur perfusé Synthecon (Figure 2B) destiné à la perfusion de supports de culture tubulaires est constitué de nombreuses pièces et d’un protocole de montage fastidieux, source de variabilité inter-opérateur et d’un risque accru de contamination des cultures.
Le contrôle de l’environnement fluidique
Comme développé précédemment (cf. Chapitre I, section 2 de la revue), l’environnement fluidique à l’intérieur du réseau macroporeux du support de culture va définir à la fois les contraintes de cisaillement fluide appliquées aux cellules ainsi que les vitesses locales de circulation du milieu de culture, deux paramètres indépendants et cruciaux pour le devenir cellulaire (Li et al. 2008). Les contraintes de cisaillement modulent entre autres l’activité ostéogénique des cellules(Grayson et al. 2011). Les vitesses de circulations locales définissent quant à elles l’apport en oxygène, nutriments et métabolites, l’évacuation des déchets, mais également la communication paracrine.
Atteindre un niveau de contrôle de l’environnement fluidique suffisant pour permettre la reproductibilité des études, ou la standardisation des cultures d’un essai ou d’un laboratoire à l’autre, nécessite la prise en compte de tous les composants et paramètres du circuit dans la démarche de conception d’un système de culture perfusée(Salehi-Nik et al. 2013). Ces composants incluent :
la configuration et l’étanchéité du système de fixation du support de culture dans la chambre de culture (cf. Chapitre I, section 5.1.1 de la revue, et explications ci-après Figure 8), la géométrie du volume interne de cette chambre en amont et en aval du support de culture (cf. explications ci-après Figure 9), la consigne de perfusion (McCoy et al. 2012) et la capacité de la pompe sélectionnée à respecter cette consigne (cf. Chapitre I, section 4.4.3 de la revue, et explications ci-après Figure 10), l’architecture du support de culture .
L’écoulement préférentiel des fluides étant défini par le chemin de moindre résistance, laisser le milieu s’écouler autour du support de culture empêche de contrôler précisément le flux qui le traverse. Il est donc impératif d’assurer une parfaite étanchéité entre le support et la chambre de culture. De plus, le choix et la configuration des joints d’étanchéité (Figure 8) modifient significativement les contraintes mécaniques qui sont appliquées aux cellules (Kleinhans et al. 2015) dans et à la surface du support de culture, affectant en conséquence leur distribution et leur viabilité (Du et al. 2015). Néanmoins, de nombreux systèmes récents négligent encore ce paramètre (Qian et al. 2013).
Au-delà des considérations d’étanchéité, la géométrie de la chambre de culture en amont et en aval du support de culture fait rarement l’objet d’études approfondies. Pourtant, il a été montré que la géométrie des chambres de culture pouvait induire des phénomènes parasites tels que la formation de tourbillons, conduisant à des (motifs d’) écoulement irréguliers (Figure 9). Freitas et collaborateurs ont démontré que la configuration de la chambre de culture, et le positionnement du support, ont une influence notable sur la turbulence du flux et la vitesse de circulation du milieu autour du support (Figure 9A) (Freitas et al. 2014). Les diamètres d’entrée et de sortie du milieu sont également des paramètres influents sur la formation de tourbillons dans la chambre de culture (Figure 9B) (Vetsch et al. 2015). Assurer une perfusion homogène du support de culture nécessite donc une maîtrise du champ des vitesses dans l’intégralité du volume de la chambre pour les plages de débit considérées.
Les pompes péristaltiques communément utilisées en laboratoire, notamment pour leur capacité à paralléliser les cultures (comme illustré sur les Figure 5C et 1D) introduisent néanmoins un profil d’alimentation dynamique, comme présenté sur la Figure 10A, qui peut modifier le comportement cellulaire (cf. Chapitre I section 4.4.3 de la revue). La Figure 10B présente une réponse en débit stable à privilégier, ici celle de la pompe OB1 Mk3+ d’Elveflow (Paris, France).
L’accès à l’information
Un autre facteur limitant majeur dans les études utilisant les systèmes de culture perfusés, par définition en 3D, est d’obtenir suffisamment de points de données pour permettre l’étude simultanée de plusieurs valeurs du paramètre d’intérêt avec un nombre d’échantillons suffisant pour atteindre une significativité statistique. En effet, les méthodes d’accès à l’information dans ces systèmes sont exclusivement destructives, telles que les méthodes d’immunohistochimie (cf. Chapitre I, section 5.2.1 de la revue), nécessitant un nombre d’échantillons considérable ; sans compter la main d’œuvre, le temps et l’expertise nécessaire à leur préparation (e.g., fixation, déshydratation, inclusion, coupe, marquage).
Des techniques d’accès à l’information non destructives, et en continu, réduiraient le temps de traitement associé aux méthodes traditionnelles, supprimeraient les limitations relatives au nombre de points de données et réduiraient considérablement le nombre de supports de culture nécessaires pour obtenir des résultats statistiquement significatifs pour une multitude de temps de culture. Les capteurs en ligne, notamment basés sur les technologies OECT ( cf. Chapitre I section 5.2.1 de la revue, et (Kilic et al. 2018; Temiz and Delamarche 2018) pour revue), constituent des candidats prometteurs, mais ne sont pas associés à des contraintes de conception particulières et ne seront donc pas développés ici. Les progrès en ingénierie tissulaire in vitro sont également accompagnés d’un besoin croissant de technologies d’imagerie permettant une analyse détaillée de l’intérieur des supports de culture, permettant une observation en haute définition et en temps réel tout au long de la période de culture (Paie et al. 2018). La tomographie par cohérence optique (OCT ou TCO) permet de recréer une image en mesurant le temps de parcours de la lumière infrarouge rétrodiffusée par l’échantillon, sur un principe similaire àcelui de l’échographie avec les ondes sonores. Cette technique non ionisante et non invasive permet de générer des images 3D d’échantillons biologiques avec une résolution de quelques micromètres. Appliquée à l’os, l’OCT a permis d’observer la structure lamellaire de trabécules et les cellules présentes dans la moelle sans marquage préalable, avec une limite de pénétration d’environ 1mm (Kasseck et al. 2010; Liang et al. 2009; Yang et al. 2006).
La microtomographie à rayons X (micro-CT) fournit une image 3D de l’intérieur d’un échantillon, quelle que soit sa taille, avec une résolution de 100 à 1 µm. Cette technique non destructive est souvent utilisée pour caractériser à la fois les supports de culture et la croissance osseuse in vivo (Cartmell et al. 2004). La combinaison de la micro-CT et des techniques plus récentes de microdiffraction facilite la caractérisation qualitative et quantitative des supports de culture denses et l’évaluation du taux de croissance osseuse dans les tissus artificiels (Cancedda et al. 2007; Cartmell et al. 2004). La tomographie par rayonnement synchrotron (SRT) permet l’acquisition de résultats encore meilleurs en termes de résolution spatiale (inférieure à 1 µm) et de rapport signal/bruit. Cependant, les équipements permettant d’exécuter cette technique ne sont disponibles que dans quelques centres de recherche dans le monde, et les niveaux de rayonnements ionisants élevés ne permettent pas de travailler sur des tissus vivants. La microscopie de fluorescence est une technique utilisant un microscope optique (dont certains concepts caractéristiques sont présentés Figure 11), équipé d’une source lumineuse d’une longueur d’onde précise correspondant à la fréquence d’excitation d’un fluorophore cible (Figure 12A). Les fluorophores, qui émettent des photons de fluorescence après excitation (Figure 12B), peuvent alors être associés à des anticorps pour identifier des particules et structures biologiques sur le principe de l’immunomarquage (Ramos-Vara 2005). Cette immunofluorescence peut être utilisée pour analyser la distribution de protéines, de glycanes, de molécules biologiques et non biologiques, ainsi que les structures qui interagissent avec ces molécules (Franke et al. 1978). En microscopie de fluorescence à champ large, l’ensemble de l’échantillon est éclairé par la source lumineuse. Lorsque l’échantillon à imager est épais, la fluorescence émise en dehors du plan focal empêche l’acquisition d’une image nette. En microscopie confocale, un sténopé (en anglais pinhole) placé devant le détecteur permet d’éliminer les photons ne provenant pas du plan focal et ainsi l’acquisition de coupes optiques nettes d’échantillons épais par balayages successifs. La microscopie de fluorescence à deux photons utilise des photons d’énergie inférieure à l’énergie d’excitation, l’excitation des fluorophores repose donc sur l’absorption simultanée de deux photons, qui n’est possible que dans le plan focal (Figure 13). Cette technique permet, par rapport à la microscopie confocale, la restriction de l’excitation à des volumes extrêmement fins, de l’ordre du femtolitre (Figure 13B, 9C, Figure 14). L’utilisation de lasers de fréquences plus faibles permet également une meilleure pénétration dans les tissus, de l’ordre du millimètre. Cette technique, associée à des micro-sondes, a notamment été utilisée pour mesurer in vivo et en direct la concentration en oxygène locale dans la moelle osseuse (Spencer et al. 2014a).
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Table des matières
Introduction
Enjeux
Plan de la thèse
I. Revue de littérature
I.1 Résumé de la revue
I.2 Revue : “Strategy for achieving standardized tissue models”
II Développement et conception du système de culture
II.1 Les systèmes de culture perfusés : état des lieux et fonctions clés
II.1.1 Limites des systèmes commerciaux et des prototypes actuels
II.1.2 Le contrôle de l’environnement fluidique
II.1.3 L’accès à l’information
II.2 Conception du dispositif de culture et d’ensemencement cellulaire
II.2.1 Choix techniques généraux de suivi des cultures et contraintes associées
II.2.2 Ergonomie de la chambre de culture et contraintes de design associées
II.3 Contrôle de l’environnement fluidique
II.3.1 Choix du design général du support de culture
II.3.2. Design et validation numérique du réseau fluidique en amont et en aval du support de culture
II.4 Automatisation
II.5 Prototype et perspectives d’évolution
II.5.1 Chambre de culture
II.5.2 Architecture du support de culture
II.5.3 Évolutions du système
III. Validation et valorisation scientifique et industrielle
III.1 Projet ESA-BONUS
III.1.2 Validation biologique du système
III.1.3 Application à l’évaluation biologique des effets de l’irisine
III.1.4 Partenariats et perspectives industrielles
III.2 Projet Pulsalys STREAM
III.2.1 Présentation du projet
III.2.2 Propriété intellectuelle
III.2.3 Les étapes du projet
Conclusion générale
Références
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