Les dernières décennies en Europe du Sud ont connu de forts déplacements de population des cœurs de villes historiques vers leur périphérie. Les centres anciens ont souvent perdu de leur attractivité, du fait de la précarité énergétique des habitants, du manque de confort des logements, ainsi que de la concurrence de la production neuve (Sites & Cités remarquables de France, 2019).
Pour répondre à la fois à la problématique du déclin de son centre historique et aux enjeux environnementaux du XXIe siècle, liés à la consommation énergétique des bâtiments, un projet de rénovation d’immeubles a été mis en place par la communauté d’agglomération du Grand Cahors depuis 2014. Le projet nommé ENERPAT (Energie et Patrimoine) a pour objectif la reconquête de son centre ancien en passant par l’écorénovation de ses bâtiments.
La procédure d’écorénovation s’attache aux pratiques visant à modérer ou à réduire l’impact environnemental des rénovations. Elle prend en compte, au-delà de la performance énergétique, l’empreinte carbone de l’ensemble du processus, comme la fabrication des matériaux, des équipements, leur réutilisation en fin de vie, etc. Cette définition, plus exigeante, intègre notamment l’utilisation des matériaux biosourcés (issus de la matière organique renouvelable d’origine végétale ou animale). Dans le cadre du projet ENERPAT s’insère la thèse de (Claude, 2018). L’auteur a étudié la rénovation de la façade de deux bâtiments mitoyens situés dans le centre historique de Cahors dans le but de proposer des préconisations pour la rénovation énergétique des bâtiments d’habitation des centres anciens (médiévaux). Cependant, le temps de séchage du revêtement choisi était très élevé en raison de la technique de mise en œuvre utilisée. Cela a entrainé l’impossibilité de l’exploitation des résultats relatifs au comportement du matériau in-situ.
Développement durable et rénovation
L’urgence écologique fait incontestablement partie des défis majeurs de ce début du XXIe siècle. Le secteur du bâtiment a été identifié comme un secteur clé pour l’atténuation du changement climatique (Masson-Delmotte et al., 2018). Dans l’Union européenne (UE), les bâtiments consomment 40% de l’énergie finale et sont à l’origine de 36% des émissions de carbone issus d’énergie fossile (European Commission, 2021b). Depuis 2010 l’Europe a mis en place plusieurs directives avec une série d’exigences sur la consommation énergétique des bâtiments neufs et existants pour viser les engagements climatiques de l’accord de Paris. En décembre 2021, une révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (European Commission, 2021a) a été proposée. Le cadre réglementaire existant est mis à jour pour refléter des ambitions plus élevées et des besoins plus pressants en matière d’action climatique et sociale. Le document explique également comment l’Europe peut parvenir à un parc immobilier à zéro émission et entièrement décarboné d’ici 2050. La réduction de la consommation d’énergie et des émissions de dioxyde de carbone (CO2) liés au chauffage et à la climatisation des locaux constitue un potentiel évident pour atteindre cet objectif puisque les impacts découlant de la consommation d’énergie opérationnelle d’un bâtiment jouent généralement le rôle le plus important (Heeren et al., 2015). Grâce à la rénovation, les performances thermiques de l’enveloppe du bâtiment peuvent être améliorées et donc l’énergie de fonctionnement réduite. Cependant, des études ont également montré que les émissions résultant de la production et de l’installation d’éléments dans le système de construction, qui sont généralement appelées impacts intrinsèques, peuvent représenter de 10% à 80% des émissions totales au cours du cycle de vie du bâtiment (Röck et al., 2020). Cela montre l’importance de trouver des matériaux et des solutions techniques viables à faible impact carbone pour la rénovation.
En France, cette prise de conscience des problèmes environnementaux se traduit dans le domaine de la construction par des règlementations, comme les réglementations thermiques. Alors que l’ancienne réglementation thermique (RT 2012) porte sur le seul critère de performance énergétique, la nouvelle Réglementation Environnementale 2020 (RE 2020) conjugue un objectif de performance énergétique très élevé visant le Bâtiment à Énergie POSitive (BEPOS) et un objectif limitant la quantité de carbone rejeté sur tout le cycle de vie du bâtiment. Il s’agit d’une avancée majeure dans la prise en compte globale des impacts environnementaux d’un bâtiment en accord avec l’objectif européen d’obtenir un parc immobilier entièrement décarboné. Cependant, les bâtiments anciens ne sont pas concernés pour l’instant. Ils suivent les recommandations de l’ancienne réglementation thermique au format « élément par élément » et plusieurs exceptions sont appliquées en cherchant, de manière générale, à ne pas imposer de travaux qui pourraient nuire à sa pérennité (Claude 2018). Au niveau de l’isolation des parois opaques (murs de façades constitués de matériaux anciens), l’application de la réglementation thermique n’est pas exigée (article 2, arrêté du 3 mai 2007), en raison des risques d’incompatibilité de l’isolation rapportée avec le mur d’origine. Cette incompatibilité est liée au fait que les murs anciens sont perméables à la vapeur d’eau et l’utilisation de matériaux conventionnels du marché, comme les mousses issues de la chimie du pétrole (mousse de polyuréthanne, polystyrène expansé ou extrudé par exemple) qui sont imperméables, entraine une rupture de l’équilibre hygrothermique de la paroi et du comportement plus général du bâti ancien (ventilation, perméabilité, etc.). La procédure d’écorénovation utilisant des isolants biosourcés constitue donc une solution prometteuse pour l’isolation des façades anciennes. Elle permet d’une part de prévoir les évolutions du cadre législatif, non seulement au niveau de la consommation énergétique, mais aussi au niveau de l’empreinte carbone globale de la rénovation, et d’autre part, d’éviter les problèmes et dysfonctionnements liés à la perméabilité de l’enveloppe. Le choix des constituants d’un isolant biosourcé dans le domaine de la construction civile se traduit par le choix d’une matrice liante et d’un granulat d’origine végétale et plusieurs solutions peuvent être envisagées. Dans le cadre de cette thèse, le choix de la matrice liante sera discuté au chapitre deux. Le granulat choisi correspond à la chènevotte issue du processus de défibrage de la tige du chanvre.
Ce choix se justifie par la grande disponibilité du produit sur le marché et aussi par le fait que la France est leader européen des surfaces cultivées de chanvre (Association InterChanvre, 2018). De plus, la culture du chanvre s’inscrit dans une démarche respectueuse de l’environnement par son itinéraire technique sans produit phytosanitaire, sans irrigation et sans organisme génétiquement modifié (OGM). Enfin, la construction en chanvre fait l’objet de règles professionnelles permettant son assurabilité. Le produit résultant du mélange entre la matrice liante et la chènevotte est appelé béton de chanvre. Il se présente comme un matériau prometteur pour l’usage en écorénovation des bâtiments anciens grâce à ses propriétés hygrothermiques et écologiques comme on peut constater sur plusieurs travaux développés dans les 20 dernières années (Magniont, 2010 ; Nozahic, 2012 ; Seng, 2013 ; The Manh, 2014 ; Claude, 2018 ). Dans la suite, nous présentons un aperçu global des différents travaux de recherche menés sur le béton de chanvre ainsi que les propriétés qui doivent être mises en avant pour la procédure de rénovation.
Béton de chanvre
Généralités
Un béton au sens conventionnel du terme consiste en un mélange entre un liant minéral, des granulats, également minéraux, et de dimension graduée, et de l’eau. Par analogie, ce que nous définissons comme agro-béton est « un mélange entre des granulats issus de végétaux lignocellulosiques provenant directement ou indirectement de l’agriculture ou de la foresterie, majoritaires en volume, et un liant minéral » (Amziane et Arnaud, 2013 ; Amziane et Sonebi, 2016). Dans le cas du béton de chanvre, la chènevotte ne joue pas le rôle de squelette solide indéformable comme c’est le cas des granulats minéraux dans un béton classique. C’est donc le liant qui produit le squelette rigide et la cohésion entre les granulats déformables. L’emploi d’un liant de résistance mécanique importante peut donc augmenter la résistance mécanique de l’agro-béton, à condition que sa prise ne soit pas compromise ni par l’absorption d’eau de la chènevotte (Nguyen, 2010) ni par ses extraits solubles (Walker et Pavía, 2014).
La présence du granulat végétal confère au béton de chanvre un comportement élastoplastique non fragile avec une grande déformabilité sous contrainte, une absence de fracturation et une ductilité marquée. Par contre, du fait de l’absorption d’eau élevée des granulats végétaux (environ 350% de leur poids) et des interactions entre les extraits solubles de ces granulats et le liant, ces agro-bétons présentent généralement une faible résistance mécanique et un temps de séchage élevé. Selon (Nguyen et al., 2009), le béton de chanvre présente deux spécificités que l’on doit prendre en compte pour le formuler et qui expliquent ses caractéristiques : il comprend l’association entre un liant rigide dont le comportement mécanique est fragile, avec un granulat souple (la chènevotte) dont le comportement mécanique est ductile ce qui peut conduire à des concentrations de contraintes aux interfaces matrice/granulat quand le matériau est soumis à des sollicitations, ce qui réduit sa performance mécanique. Il faut aussi intégrer les interactions physiques et chimiques entre la pâte de liant et la chènevotte. La variation des proportions entre la chènevotte et le liant permet d’obtenir des matériaux ayant différentes caractéristiques mécaniques, thermiques et acoustiques, couvrant ainsi plusieurs domaines d’applications dans la construction : chapes d’égalisation sur plancher, dalles de béton léger, remplissage ou doublage d’ossature bois, murs banchés, blocs préfabriqués (Nguyen, 2010).
Constituants
Chènevotte de chanvre
Le chanvre dont le nom scientifique est cannabis sativa, est une plante annuelle dioïque de la famille des Cannabacées qui présente multiples voies de valorisation pour tous ses constituants, et qui s’intègre parfaitement dans une dynamique de développement durable (Figure 3), bien au-delà d’être un simple puits de CO2.
Elle comprend trois espèces : Cannabis sativa-chanvre, Cannabis indica-chanvre et Cannabis ruderalis-chanvre. Parmi celles-ci, seule la première est destinée à la culture du chanvre industriel et se distingue par une faible teneur en substance psychoactive tétrahydrocannabinol (THC) de moins de 2 % (Nguyen, 2010).
Les agrégats de chènevotte sont généralement très poreux avec une densité apparente faible et une architecture complexe caractérisée par une porosité à plusieurs échelles comprenant principalement les macropores, les mésopores et les micropores (Collet et al., 2008). Ils se présentent sous la forme de particules parallélépipédiques, de dimensions moyennes 2×0,5×0,2 cm3 (Cérézo, 2005) ou 0,5×1×0,1 cm3 (Nguyen, 2014), et de porosité élevée, de l’ordre de 78% (Cérézo, 2005). Ces caractéristiques géométriques se traduisent par une grande capacité de transfert hygrothermique. De plus, la grande flexibilité des granulats conduit à un comportement élastoplastique non fragile et à une grande déformabilité sous contrainte, à l’absence de fracturation et à une ductilité marquée avec absorption des déformations, même après avoir atteint la résistance mécanique maximale (Arnaud et Gourlay, 2012). Comme dans tous les végétaux, la tige du chanvre possède des capillaires de différentes tailles qui jouent un rôle de transmission de la sève le long de la tige. A l’état sec, ces capillaires sont vides et constituent la plus grande partie de la porosité des particules végétales (Nguyen, 2010).
|
Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 CONTEXTE ET ETAT DE L’ART
1.1 DEVELOPPEMENT DURABLE ET RENOVATION
1.2 BETON DE CHANVRE
1.2.1 Généralités
1.2.2 Constituants
1.2.3 Fabrication et mise en œuvre
1.2.4 Propriétés
1.3 TRANSFERTS EN MILIEUX POREUX
1.3.1 Stockage et transport de l’humidité
1.3.2 Effets de la température sur les transferts d’humidité
1.3.3 Effets de l’humidité sur les transferts de chaleur
1.4 MODIFICATION DE L’ENVIRONNEMENT INTERIEUR
CHAPITRE 2 OPTIMISATION DE LIANTS BAS CARBONE POUR BLOC PREFABRIQUE EN BETON DE CHANVRE
2.1 OPTIMISATION DE LA PHASE LIANTE
2.1.1 Choix des constituants
2.1.2 Choix de l’adjuvant sur mortier de sable
2.1.3 Essais sur mortiers de chènevotte
2.1.4 Mélanges retenus
2.2 CARACTERISATION DES BETONS DE CHANVRE
2.2.1 Fabrication des corps d’épreuve
2.2.2 Caractérisation mécanique
2.2.3 Caractérisation hygrothermique
2.3 ANALYSE MICROSTRUCTURALE
2.3.1 Matériaux et méthodes
2.3.2 Résultats
2.3.3 Observation au microscope électronique à balayage
2.4 CONCLUSIONS
CHAPITRE 3 INSTRUMENTATION IN-SITU
3.1 PRESENTATION DU CAS D’ETUDE
3.2 DESCRIPTION DETAILLEE DES PAROIS ET DE LEUR INSTRUMENTATION
3.2.1 Mesures de température et d’humidité
3.2.2 Mesures de flux thermiques
3.2.3 Positionement detaillé des capteurs
3.3 MONITORING A LONG TERME DES DIFFERENTES PAROIS
3.3.1 Comportement thermique des parois
3.3.2 Comportement hydrique des parois
3.4 CONCLUSIONS
CHAPITRE 4 MODELISATIONS NUMERIQUES ET SIMULATIONS
4.1 OUTIL NUMERIQUE : DELPHIN 6.1
4.1.1 Equations de bilan
4.1.2 Données matériaux
4.1.3 Fonctions des matériaux
4.1.4 Données climatiques
4.1.5 Conditions aux limites
4.1.6 Conditions initiales et maillage
4.2 RESULTATS DES SIMULATIONS
4.2.1 Méthode de validation des résultats
4.2.2 Etage R+1 – Pièce 1 – Paroi ossature en pan de bois et revêtement en béton de chanvre banché
4.2.3 Etage R+1 – Pièce 3 – Mur ossature brique massive et revêtement en béton de chanvre banché
4.2.4 Etage R+2 – Mur ossature pan de bois et revêtement en béton de chanvre préfabriqué
4.3 RECENSEMENT DES SOURCES D’ERREURS
4.4 CONCLUSIONS
CONCLUSIONS GENERALES
PERSPECTIVES DE RECHERCHE
REFERENCES
ANNEXE