Le secteur du bâtiment est l’un des plus consommateurs d’énergie dans le monde (45 % de l’énergie finale consommée en France [145]), en raison d’une population humaine résidant essentiellement dans des aires urbaines. Au niveau mondial l’exode rural devrait amener d’ici 2050 à 68 % des humains à être des citadins contre 55 % aujourd’hui selon une étude de l’ONU, soit une augmentation de près de 2.5 milliards de personnes dans les zones urbaines. Cette concentration de population impose l’agrandissement des villes et l’empiètement des infrastructures sur les terres naturelles et agricoles. Cette urbanisation menace la biodiversité et augmente les effets d’îlot de chaleur et de surchauffes dans les centres-villes. En parallèle, l’évolution démographique accroît les consommations d’énergie, et donc les émissions de carbone, de par la part importante des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial.
Modélisation énergétique à l’échelle urbaine
Le secteur du bâtiment et de la ville est un des gisements prometteurs pour réduire les consommations mondiales d’énergie. Pour cela, la modélisation énergétique de bâtiments et de quartiers est essentielle, avec toutes les thématiques qui y sont reliées, comme l’organisation de l’espace urbain, la performance thermique des bâtiments et de leurs systèmes de production/consommation d’énergie, la gestion intelligente de l’occupation, ou bien la prise en compte des effets de microclimat urbain.
Ce nouvel attrait pour la modélisation urbaine se retrouve dans la publication de nombreux articles de recherche sur cette thématique. Afin de mieux comprendre cet attrait, ce chapitre introduit les différentes problématiques et les actuels outils de simulation. On verra que les modèles font appel à un nombre important de sous-modèles (enveloppe, système, occupation, ensoleillement, aéraulique…) déjà développés pour la simulation d’un seul bâtiment, et dont il faut assurer une cohérence de niveau de précision. Le choix des sous modèles doit aussi s’envisager en fonction des hypothèses simplificatrices faites, du temps nécessaire pour obtenir les paramètres d’entrée et du temps calcul induit.
Outils de simulation urbaine et modèles
Modèles énergétiques quartiers
Du bâtiment au quartier
Dès les années 70-80 l’intérêt de la modélisation bâtiment apparaît afin de visualiser l’impact des mesures de réduction de consommation des bâtiments. Les crises pétrolières des années 70 ont fait prendre conscience qu’il est important de maîtriser la consommation d’énergie, celle-ci dépendant fortement des énergies fossiles. Les nouveaux standards imposés par les réglementations thermiques qui se succèdent dès lors ont permis d’améliorer tout d’abord les bâtiments neufs en leur imposant des mesures d’isolation et des systèmes énergétiques performants, puis les bâtiments anciens en cours de rénovation.
Des labélisations telles que le label Bâtiment Basse Consommation (BBC) ou le nouvel E+C- ont pour objectif d’aller encore plus loin que la réglementation actuelle tout en prenant en compte d’autres aspects tels que le confort des usagers ou l’impact environnemental sur l’ensemble de la vie du bâtiment. Le parc de bâtiments résidentiels en France date majoritairement d’avant les années 1970 avec des consommations importantes. Afin de vérifier la bonne adéquation des propositions de construction aux exigences thermiques, l’utilisation de moteurs de calcul pour la simulation énergétique des bâtiments est obligatoire. Cette modélisation a atteint une maturité permettant de se reposer sur ses résultats pour des exigences réglementaires et plus largement pour répondre à des problématiques de conception. Des progrès sont encore envisageables à l’échelle du bâtiment, en atteste le développement de nouvelles réglementations thermiques toujours plus ambitieuses comme la RE2020.
Cependant, cette échelle de modélisation ne permet pas d’analyser des mesures de mutualisation des ressources ou de régulation de la demande à plus grande échelle. La simulation à une échelle plus large telle le quartier ou la ville, offre alors de nouvelles perspectives et élargit le groupe d’utilisateurs et d’acteurs possible.
Objectifs de la modélisation urbaine
Le passage à une échelle spatiale supérieure vise à gérer efficacement le parc de bâtiments et à mettre en place des politiques publiques cohérentes. De nouveaux acteurs peuvent alors s’impliquer pour mettre en place des actions pour la transition énergétique, par exemple les élus locaux (à des échelles variables comme la commune ou le territoire), les urbanistes ou les énergéticiens. Ces acteurs ont des intérêts, des motifs et des moyens très variés nécessitant soit différents outils de simulation urbaine, soit des outils modulables pour s’adapter aux divers objectifs .
Ces outils interviennent comme aide à la décision, que cela soit pour des projets d’aménagement ou de rénovation, pour le choix d’une solution technique et son pilotage (ex : mise en place d’un réseau de chaleur et de froid ou utilisation de solutions individuelles), pour des études de potentiels d’énergies renouvelables (EnR) ou bien de flexibilité énergétique. Ces études se font à des échelles temporelles différentes : il s’agit soit de les étudier à un instant t soit de réaliser des scenarii prospectifs de consommation tenant compte du changement climatique ou des impacts des politiques publiques.
La modélisation quartier
Cette transition de simulation énergétique entre l’échelle bâtiment et celle quartier, implique la prise en compte d’interactions entre les bâtiments et avec l’environnement. En effet, la somme de bâtiments performants ne donne pas obligatoirement un quartier optimal. Il est alors nécessaire de représenter les différents phénomènes mis en jeu dans ces interactions :
— Le rayonnement solaire : Il est impacté par la densité des bâtiments, leur morphologie et leur positionnement les uns par rapport aux autres. Les ombres portées peuvent réduire fortement les gains solaires apportés à chacun. Ce rayonnement reçu est de plus influencé par les réflexions sur les façades des bâtiments.
— Le microclimat : Le phénomène d’îlot de chaleur urbain 3 est l’impact du microclimat le plus étudié et le plus connu. La présence de nombreux bâtiments et l’urbanisation liée augmente localement la température extérieure, influençant les demandes de rafraîchissement des bâtiments. Avec des canicules toujours plus fréquentes, les solutions permettant de réduire l’augmentation des températures au sein de la ville sont valorisées et des îlots de fraîcheur pour les riverains sont créés.
— Les conditions de circulation d’air : La morphologie des quartiers et des villes influe sur les flux d’air les traversant. Liés aussi au microclimat, ces flux d’air réduisent les températures à l’extérieur ou en surface des bâtiments et influencent les ventilations mécaniques, naturelles et les infiltrations.
— Les échanges entre bâtiments : Les échanges thermiques ne se font plus uniquement entre des zones thermiques mais existent entre des bâtiments adjacents ou proches. Les échanges radiatifs de grande longueur d’onde deviennent significatifs pour des bâtiments proches.
— Les systèmes urbains : De nouveaux systèmes énergétiques urbains peuvent être utilisés et étudiés à une échelle du quartier. L’étude des flux et du contrôle des températures peut permettre d’améliorer l’efficacité d’une mutualisation de ces systèmes.
— Les transports : La prise en compte du transport urbain, et notamment de l’utilisation de la voiture permet d’étudier les problèmes acoustiques, d’accessibilité aux infrastructures ou de pollution de l’air, et donc d’analyser le confort des usagers au sein d’un bâtiment ou d’un quartier.
Ainsi, le quartier est un système multi-échelles, multi-usages, multi-énergies avec des interactions complexes. Plusieurs approches existent pour le modéliser. Dans l’approche top-down ou approche descendante, les informations descendent du niveau le plus agrégé au niveau le plus désagrégé. Ces modèles sont basés sur des données mesurées (consommations, prix de l’énergie, densité de population…) à partir desquelles des prévisions de tendance ou de simples évaluations comparatives sont réalisées. Ce sont donc des modèles empiriques qui sont limités à leur domaine d’étude mais qui permettent de calibrer efficacement les simulations à l’échelle de villes ou de territoires. Les dynamiques thermiques des bâtiments sont mises de côté au profit de simulations statiques à plus grande échelle, permettant de réaliser des estimations de consommations pour les politiques publiques où des résultats agrégés au mois ou à l’année sont suffisants.
L’approche bottom-up est une approche ascendante, où le quartier est modélisé brique par brique :
— Bottom-up statistique : Comme pour l’approche top-down, ces modèles élaborent des relations statistiques entre des données d’entrée et de sortie ou des paramétrages types. Ils relient ainsi les consommations des bâtiments à des paramètres liés à celui-ci, sans modèle physique. Ils sont particulièrement adaptés à la planification énergétique urbaine ou à la prévision de la demande annuelle d’énergie. Ils permettent ainsi de récupérer des tendances ou des estimations de cette demande.
— Bottom-up physique : Cette approche est basée sur la modélisation physique de chacun des éléments du quartier (système, bâtiment, occupant) à partir des propriétés de chacun d’eux. La simulation énergétique en résultant permet de calculer les flux d’énergie et de masse transitant dans le quartier. Il est par exemple possible de modéliser les évolutions technologiques ou bien l’impact des rénovations énergétiques à l’échelle de chacun des bâtiments et ainsi optimiser les consommations à différentes échelles. Cependant, ces modèles peuvent être limités par les coûts de paramétrage et de calcul lors de la simulation de larges territoires ou de pays.
L’approche bottom-up physique, composée de nombreux modèles à différents niveaux de détail et permettant la comparaison de différents scenarii de simulation (que cela soit de la rénovation ou de la configuration de réseaux), est celle étudiée dans cette thèse. Plusieurs niveaux distincts de modélisation bottom-up permettent de réaliser des optimisations de production, distribution et consommation d’énergie:
— Les modèles bâtiment (thermique et géométrique)
— Les sollicitations extérieures (météo, masques solaires, albédo, végétation…)
— Les systèmes énergétiques (ventilation, chauffage, climatisation, distribution…)
— Les occupants et équipements (température de consigne, gains internes, masques mobiles…) .
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Table des matières
Introduction
1 Modélisation énergétique à l’échelle urbaine
1.1 Outils de simulation urbaine et modèles
1.2 Modélisation, adaptation et incertitudes
1.3 Problématique retenue dans cette thèse
2 Méthodologie d’analyse de la parcimonie
2.1 Comment évaluer le niveau de parcimonie d’un modèle destiné à la simulation?
2.2 Méthode de choix des quartiers à retenir pour la comparaison des modèles
2.3 Comment aborder la combinatoire des modèles élémentaires constitutifs du modèle global d’un quartier ?
2.4 Application à la simulation énergétique urbaine
2.5 Outil retenu pour le travail de thèse : DIMOSIM
2.6 Conclusion concernant les choix méthodologiques
3 Parcimonie et modèles de masques solaires
3.1 Modélisation du rayonnement solaire
3.2 Mise en place et application de la méthodologie d’analyse de la parcimonie
3.3 Résultats
3.4 Conclusion
4 Parcimonie et division en zones thermiques
4.1 Modèle de bâtiment de DIMOSIM
4.2 Modèles de zonage thermique
4.3 Mise en place et application de la méthodologie d’analyse de la parcimonie
4.4 Résultats
4.5 Chaînage avec les modèles de masques solaires
4.6 Conclusion
5 Parcimonie dans la modélisation des réseaux de chaleur
5.1 Contexte des réseaux de chaleur en France
5.2 Modélisation d’un réseau de chaleur
5.3 Mise en place et application de la méthodologie d’analyse de la parcimonie
5.4 Résultats
5.5 Conclusion
6 Parcimonie de simulation énergétique des quartiers : mise en application
6.1 Quels modèles choisir pour le quartier ?
6.2 Simulations
6.3 Conclusion
Conclusion
Bibliographie