La localisation des radioéléments émetteurs gamma constitue aujourd’hui un enjeu majeur pour l’industrie nucléaire. Plusieurs domaines sont directement concernés par cette problématique. Les opérations de démantèlement se déroulent ainsi souvent dans des environnements mal connus, dont il est nécessaire d’établir précisément la cartographie radiologique afin de définir des scénarios d’intervention optimisés du point de vue de la radioprotection (respect du principe ALARA ). De telles cartographies sont également utilisées pour le balisage des zones contaminées suite à des accidents du type de celui survenu à Fukushima en 2011, et seraient nécessaires dans l’hypothèse de l’explosion de bombes sales. Les outils de localisation des radioéléments émetteurs gamma présentent par ailleurs un intérêt pour les services de Sécurité intérieure, qui réalisent des contrôles (véhicules, bagages, etc.) dans les zones de transit afin d’empêcher le transport illicite de matières radioactives. Dans le domaine de la gestion des déchets, les contrôles facilitent la prise en charge des fûts contenant des matières radioactives en permettant la mesure de la répartition de l’activité dans ces fûts et l’identification de ceux qui sont les plus irradiants. Enfin, la localisation des radioéléments émetteurs gamma est utilisée dans les centrales nucléaires pour des opérations de radioprotection courantes, telles que la pose de protections biologiques devant des points chauds situés par exemple au niveau des tuyauteries.
La revue rapide des applications qui vient d’être faite permet de mettre en évidence les différentes problématiques auxquelles sont confrontés les concepteurs d’outils de localisation de radioéléments émetteurs gamma. La première est la diversité énergétique de ces radioéléments : si l’américium 241, très souvent corrélé à la présence de plutonium, génère des photons de 60 keV, le cobalt 60, émettant des photons de 1,17 et 1,33 MeV, est un produit d’activation fréquemment rencontré. La deuxième concerne les formes variées prises par les sources radioactives à localiser, qui peuvent être ponctuelles (sources encapsulées) ou étendues (dépôt de matière radioactive disséminé le long d’un tuyau). Enfin, une large gamme de débit de dose se doit d’être couverte dans le cadre des applications décrites, allant de quelques nSv·h-1 jusqu’à plusieurs Sv·h-1.
A l’heure actuelle, les outils de mesure de rayonnement les plus répandus sont les radiamètres. Ils permettent d’obtenir le débit de dose en un point donné. La cartographie radiologique d’une zone exige par conséquent de déplacer l’instrument sur tout le périmètre concerné, ce qui se traduit par un temps de mesure important. Il existe par ailleurs un risque non négligeable de passer à côté d’un point chaud. Les manipulations sont en outre réalisées par des opérateurs, qui se trouvent de ce fait fortement exposés aux radiations.
Les caméras gamma apportent des solutions à un certain nombre des problèmes posés par l’utilisation des radiamètres et constituent pour cette raison une alternative intéressante.
Elles autorisent en premier lieu une mesure déportée limitant l’exposition des opérateurs aux rayonnements. Elles disposent d’un large champ de vue, ce qui réduit le temps de mesure et minimise les risques de ne pas voir un point chaud. Enfin, grâce à la superposition d’une image visible avec l’image gamma, elles fournissent des résultats facilement interprétables par des non-experts.
Des caméras gamma sont actuellement disponibles dans l’industrie, telles par exemple que le système CARTOGAM, distribué par la société AREVA CANBERRA, ou le système RADCAM, développée par la société RMD. Bien que parfaitement fonctionnels, ces outils de mesure présentent un certain nombre de limitations : une masse importante (une quinzaine de kilogrammes au minimum), un déploiement difficile, ou encore une sensibilité (capacité à localiser une source en un temps donné) limitée pour les émetteurs gamma de basse énergie. Il est important de souligner que d’autres caméras gamma ont été récemment développées par des industriels (Toshiba, Hitachi) afin de répondre aux besoins urgents des intervenants sur le site de Fukushima. Leurs performances sont limitées du fait de la brièveté de leur développement, mais ces systèmes constituent néanmoins de bons indicateurs de l’intérêt actuel pour l’imagerie gamma.
Caméras gamma Compton
Le principe de base de la localisation spatiale par une caméra gamma Compton est le suivant. Un photon incident d’énergie ???? subit une diffusion Compton dans un premier détecteur appelé diffuseur. Il cède alors une partie de son énergie ???? à un électron de recul et est dévié d’un angle ? . Le photon diffusé est arrêté par effet photoélectrique dans un second détecteur, dit absorbeur.
Le choix des matériaux des détecteurs est déterminé par les interactions recherchées avec les photons : diffusion Compton dans le diffuseur et absorption photoélectrique dans l’absorbeur. La diffusion Compton est dominante autour de 1 MeV dans une bande d’énergie dont la largeur est d’autant plus grande que le numéro atomique Z du matériau diffusant est faible (LEBRUN & al., 2012). C’est pourquoi ce dernier est généralement léger : aluminium (Z = 13), silicium (Z = 14), germanium (Z = 32), etc. Pour éviter des confusions entre les interactions, il doit d’autre part se produire une seule diffusion Compton par photon incident dans le diffuseur. Ceci rend délicat le choix de son épaisseur : un détecteur trop mince n’est pas assez efficace, tandis qu’il se produit toujours plusieurs interactions dans un détecteur trop épais. C’est pourquoi le diffuseur est parfois constitué d’un empilement de détecteurs suffisamment minces pour exclure intrinsèquement la possibilité d’une deuxième interaction dans le même détecteur . Le nombre de couches peut, dans certains cas, être suffisamment important pour assurer une absorption complète et il est alors inutile d’ajouter un absorbeur. Lorsqu’il est requis, l’absorbeur est souvent constitué d’un matériau lourd : iodure de césium dopé au thallium (Z = 54 (ALMAZ OPTICS)), tellurure de cadmium (Z* ~ 50 (CEVIK, 2008)). La capacité d’absorption augmente en effet avec le numéro atomique au détriment de la capacité de diffusion. Par ailleurs, les détecteurs doivent être sensibles à la position afin de fournir les coordonnées spatiales des interactions.
Des matériaux scintillants sont parfois utilisés pour les deux détecteurs : le diffuseur et l’absorbeur peuvent par exemple être constitués respectivement d’iodure de sodium dopé au thallium (NaI(Tl)) et de bromure de lanthane dopé au cérium (LaBr3(Ce)). Le système est alors rendu sensible à la position par le couplage des scintillateurs avec un assemblage de photomultiplicateurs. D’autres configurations mêlent différents types de détecteurs, comme dans le cas où le diffuseur est un cristal semi-conducteur de silicium (Si) et l’absorbeur un scintillateur inorganique d’iodure de césium dopé au thallium (CsI(Tl)). Pour être sensible à la position des interactions, le détecteur à semi-conducteur se présente sous la forme d’une matrice. Enfin, les semi-conducteurs sont parfois préférés aux scintillateurs pour constituer l’absorbeur du fait de leur plus grande précision de localisation de l’interaction du photon diffusé avec le matériau détecteur (TAKEDA & al., 2015). Des configurations n’utilisant que des semi-conducteurs sont alors possibles. Un diffuseur en silicium (Si) peut par exemple être associé à un absorbeur en tellurure de cadmium (CdTe) (TAKEDA & al., 2015). Cet assemblage est facile à justifier par le fait que la diffusion Compton devient l’interaction dominante dans le Si à partir de 50 keV, ce qui en fait un bon diffuseur sur une très large bande d’énergie autour de 1 MeV, tandis que c’est l’absorption photoélectrique qui domine dans le CdTe jusqu’à 300 keV.
Il existe une incertitude sur le lieu d’émission déterminé au moyen d’un détecteur Compton. En effet, pour chaque photon étudié, la résolution spatiale des détecteurs provoque une incertitude sur la direction de diffusion définissant l’axe du cône de localisation. Plusieurs facteurs conduisent par ailleurs à une incertitude sur l’angle de diffusion ? constituant l’ouverture du cône. En premier lieu, la résolution en énergie des détecteurs est responsable d’une incertitude sur la mesure des énergies ???? et ??é? . Celles-ci sont d’autre part souvent mesurées de manière incomplète du fait d’interactions multiples dans le diffuseur et d’un dépôt d’énergie partiel dans l’absorbeur. La géométrie du dispositif joue également un rôle puisque l’augmentation de l’épaisseur du diffuseur nuit à la résolution angulaire (SINGH, 1983). Enfin, il faut compter avec un élargissement Doppler dû au mouvement aléatoire des électrons liés avant diffusion (le silicium minimise cet élargissement Doppler et est donc particulièrement apprécié pour constituer le diffuseur) (LOJACONO, 2013). Il résulte de tous ces éléments une précision angulaire limite pour les caméras gamma Compton de l’ordre de 2,0° à 1 MeV et de 1,5° au-dessus de 4 MeV (HALLOIN, 2003).
Historique
Le premier à exploiter la diffusion Compton pour la localisation de photons est le munichois V. Schönfelder (Institut für Extraterrestrische Physik, Munich), qui conçoit un télescope sur ce principe en 1973 (SCHONFELDER & al., 1973). Ce télescope est opérationnel sur la gamme d’énergie comprise entre 1 MeV et 10 MeV. Il est construit autour de deux scintillateurs plastiques séparés d’1,20 m et offre un champ de vue de 30° et une résolution en énergie de l’ordre de 20 %. Les premières caméras gamma ont quant à elles été construites en 1977 par D. B. Everett (National Institution for Medical Research London, Londres) (EVERETT & al., 1977), suivies par celles de M. Singh (University of Southern California) en 1983 (SINGH, 1983). Dans les deux cas, elles sont dédiées à la médecine nucléaire.
Systèmes actuellement commercialisés
ASTROCAM 7000HS
La caméra gamma ASTROCAM 7000HS est inspirée d’une technologie développée au Japon (entre autres à l’Institute of Space and Astronautical Science) depuis une dizaine d’années pour l’astrophysique (TAKEDA & al., 2006). C’est la première caméra Compton au monde à avoir été commercialisée, en mars 2013, par la société Mitsubishi Heavy Industries, Ltd. (MHI) (MATSUURA & al., 2014). Elle est principalement dédiée à l’industrie nucléaire et a notamment été utilisée pour valider la décontamination de zones situées à proximité de la centrale nucléaire de Fukushima.
Le système est composé de trois éléments :
◈ Le corps de la caméra est un parallélépipède de 44,5 cm de profondeur, 34,0 cm de largeur et 23,5 cm de hauteur, que sa masse d’une dizaine de kilogrammes rend facilement transportable (MATSUURA & al., 2014). Il contient les détecteurs, une caméra optique disposée à l’avant de ceux-ci, ainsi qu’un dispositif de refroidissement des détecteurs à une température de -5°C (WATANABE & al., 2005).
◈ L’ordinateur (PC) d’acquisition permet le pilotage de la caméra et l’acquisition des données.
◈ Enfin, l’unité de contrôle assure le lien entre les deux éléments précédents et surveille la caméra (température, alimentation, etc.).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
1. Caméras gamma Compton
1.1. Principe
1.2. Historique
1.3. Systèmes actuellement commercialisés
1.3.1. ASTROCAM 7000HS
1.3.2. Polaris-H
1.3.3. Comparatif
1.4. Avantages et limitations
2. Caméras gamma à masques codés
2.1. Principe
2.2. Historique
2.3. Systèmes actuellement commercialisés
2.3.1. RadCam
2.3.2. CARTOGAM
2.3.3. Comparatif
2.4. Avantages, limitations et axes d’amélioration
3. La caméra gamma GAMPIX
3.1. Spécifications
3.2. Le substrat semi-conducteur
3.3. La puce de lecture
3.4. Le système d’acquisition
3.5. Le masque codé
3.6. Autres éléments techniques et intégration
3.7. Algorithme de reconstruction
3.8. Performances de la caméra gamma GAMPIX
3.8.1. Sensibilité
3.8.2. Résolution angulaire
3.8.3. Linéarité avec le débit de dose
3.8.4. Imagerie
3.9. Comparaison avec les systèmes existants
3.10. Industrialisation
3.11. Voie d’amélioration
CHAPITRE 2 : ETUDE ET DEVELOPPEMENT DES PERFORMANCES SPECTROMETRIQUES DU DETECTEUR TIMEPIX
1. Méthodes de spectrométrie
1.1. Etalement de charge
1.1.1. Fluorescence
1.1.2. Diffusion de charge
1.2. Spectrométrie par étude de la taille des clusters
1.3. Spectrométrie par étude du dépôt de charge
2. Réglage des paramètres du détecteur
2.1. Tension de polarisation
2.2. Préamplificateur de charge
2.3. Discriminateur
2.4. Récapitulatif
3. Calibration en énergie
3.1. Motivations
3.2. Etat de l’art et méthode retenue
3.3. SOLEX
3.4. Protocole expérimental
3.5. Analyse des données
3.6. Indicateurs de performance
3.7. Résultats
3.7.1. Calibration avec une tension de polarisation de -110 V
3.7.2. Calibration avec des tensions de polarisation de -110 V à -300 V
3.7.3. Conversion en énergie
3.7.4. Alignement des pics en fonction de la taille des clusters
3.7.5. Résolution en énergie
3.7.6. Facteurs de dégradation des résultats
4. Optimisation du pas de pixellisation
CHAPITRE 3 :INTEGRATION DE L’INFORMATION SPECTROMETRIQUE DANS LE TRAITEMENT DES DONNEES
1. Reconstruction spatiale sur bandes d’énergie
1.1. Méthode
1.1.1. Taille des clusters
1.1.2. Mode Time over Threshold
1.2. Critères d’évaluation
1.2.1. Capacité de discrimination
1.2.2. Sensibilité
1.3. Protocole expérimental
1.4. Performances en discrimination
1.4.1. Discrimination 241Am/137Cs
1.4.2. Discrimination 241Am/137Cs/60Co
1.4.3. Discrimination 241Am/133Ba/137Cs
1.5. Performances en sensibilité
1.6. Bilan sur les méthodes de fenêtrage
2. Algorithmes espérance-maximisation
2.1. Mise en équations du problème à résoudre
2.2. Algorithmes de reconstruction
2.2.1. Choix d’algorithmes pour la résolution de problèmes inverses
2.2.2. Présentation des algorithmes espérance-maximisation utilisés
2.2.3. Avantages de l’approche espérance-maximisation pour nos applications
2.2.4. Description des algorithmes espérance-maximisation utilisés
2.2.4.1. Algorithme MLEM
2.2.4.2. Algorithme MAPEM
2.3. Construction des projecteurs
2.3.1. Simulations numériques pour la construction du projecteur
2.3.2. Etapes de complexification du projecteur
2.3.2.1. Projecteurs mono-sources
2.3.2.2. Projecteurs multi-sources
2.4. Evaluation des algorithmes sur données simulées
2.4.1. Modalités et critères d’évaluation
2.4.2. Projecteurs mono-sources
2.4.2.1. Source d’241Am
2.4.2.2. Source de 137Cs
2.4.3. Projecteurs bi-sources
2.5. Evaluation des algorithmes sur données expérimentales
2.5.1. Projecteurs mono-sources
2.5.1.1. Source d’241Am
2.5.1.2. Source de 137Cs
2.5.2. Projecteurs bi-sources
2.5.2.1. Source d’241Am
2.5.2.2. Source de 137Cs
2.5.2.3. Source d’241Am et de 137Cs couplées
2.6. Bilan sur l’utilisation des algorithmes de type espérance-maximisation
CHAPITRE 4 : VERS DE NOUVELLES CAMERAS GAMMA DE TROISIEME GENERATION
1. Etude des performances du détecteur Medipix3
1.1. Présentation
1.2. Mode de sommation de charge
1.3. Constitution d’un spectre
1.4. Etude des performances
1.4.1. Résolution en énergie
1.4.2. Gamme d’énergie couverte
1.4.3. Comparaison des substrats de Si et de CdTe
1.5. Conclusion
2. Etude des performances du détecteur Caliste HD
2.1. Projet ORIGAMIX
2.2. Module Caliste HD
2.2.1. Bloc détecteur
2.2.2. Electronique frontale IDeF-X HD
2.3. Etude des performances spectrométriques de Caliste HD
2.3.1. Calibration en énergie
2.3.2. Traitement individuel des pixels
2.3.3. Traitement conjoint des pixels éclairés simultanément
2.4. Dispositif de spectro-imagerie
2.5. Etude des performances en spectro-imagerie
2.5.1. Construction des projecteurs
2.5.2. Résultats expérimentaux
2.5.2.1. Apport du fenêtrage en énergie pour la réduction du bruit de fond
2.5.2.2. Apport du fenêtrage en énergie pour la séparation de radioéléments
2.5.2.3. Apport de Caliste HD pour la séparation de radioéléments émettant à des énergies proches
2.6. Etudes complémentaires
2.6.1. Reconstruction de points chauds situés dans la zone partiellement codée
2.6.2. Réduction du bruit de décodage
2.6.2.1. Impact de la géométrie du masque codé
2.6.2.2. Impact de l’algorithme de décodage
2.7. Bilan des essais du détecteur Caliste HD
CONCLUSION GENERALE