L’amélioration des conditions de vie, qui a permis d’accroitre la longévité des êtres humains, a mis en exergue l’apparition de pathologies liées au vieillissement encore jusque-là mal connues. La détermination et la compréhension des mécanismes intervenants dans ces nouvelles maladies constituent de fait un enjeu majeur tant d’un point de vue sociétal que scientifique. Cette thèse participe à l’étude des mécanismes intervenant dans les maladies conformationnelles et plus particulièrement la maladie d’Alzheimer. Ces pathologies résultent d’anomalies structurelles impliquant des protéines. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, c’est principalement la polymérisation des protéines tau et des peptides bêta Amyloïde (Aβ42) qui influent sur l’évolution de la maladie. La compréhension de ces mécanismes pour un diagnostic de ce type de pathologie est étroitement liée à la mise en œuvre de dispositifs de contrôle performants assurant un suivi in situ, ex vivo et in vivo de l’auto-assemblage des protéines concernées.
Bien qu’une multitude de techniques expérimentales existent pour la détection d’éléments biologiques à des fins de diagnostic, elles ne permettent pas une caractérisation complète des grandeurs mises en jeu en raison de la complexité de leurs mécanismes d’évolution. Dans bien des cas, seules des informations sur la présence (ou non) des molécules cibles sont investiguées. Pourtant, en vue d’une détection précoce de la maladie voire d’un suivi de son évolution, ces systèmes biocompatibles doivent être sensibles aux interactions de ces analytes avec leur environnement à l’échelle macromoléculaire. Compte tenu des grandeurs physiques prédominantes à cette échelle, le développement d’un outil de détection permettant la détermination des propriétés mécaniques et électriques peut être pertinent. L’intérêt d’une telle technologie multimodale aurait l’avantage de diagnostiquer de façon précoce l’apparition des premiers signes distinctifs de la pathologie.
Pour y parvenir, un savoir-faire pluridisciplinaire propre à l’instrumentation est nécessaire. La mise au point d’un tel instrument s’appuie donc sur l’antériorité du laboratoire dans la mise au point de systèmes micro-rhéologiques à ondes ultrasonores pour l’investigation des matériaux complexes. Ce travail est donc consacré à l’étude d’un système instrumental permettant la détection de la protéine tau et du peptide Aβ intervenant dans la maladie d’Alzheimer. Le biocapteur mis au point à cet effet repose sur le suivi microrhéologique par ondes ultrasonores hautes fréquences (autour de quelque MHz) de fluides complexes dans lesquels sont présents les éléments pathogènes tels que le sang ou encore le liquide céphalo rachidien. Ce capteur est un résonateur piézoélectrique à ondes de volume de cisaillement dont les propriétés de résonance intrinsèques vont varier en fonction des propriétés mécaniques et électriques du fluide en contact. Une mesure par impédancemétrie du couple capteur/matériau investigué, associée à un modèle original de résolution du problème inverse des interactions ondes/fluide, permettent d’extraire les propriétés mécaniques dynamiques du fluide à l’échelle mésoscopique (de quelques dizaines de nanomètres à quelques micromètre). Le suivi du module de cisaillement complexe représentatif de l’élasticité dynamique G’ et de la viscosité dynamique apparente du fluide, G’’ vise ainsi à suivre les modifications structurelles dues au processus de polymérisation des protéines tau et Aβ.
La maladie d’Alzheimer : vers une détection précoce
Décrites pour la première fois en 1907 par le Docteur Alois Alzheimer [1], les pertes de mémoires, les démences, ainsi que la perte d’autonomie sont dès lors considérées comme la conséquence d’une pathologie de dégénérescence neurofibrillaire et non plus comme une fatalité du vieillissement normal de l’organisme humain. Le Docteur Alzheimer base ses observations après l’analyse de coupes histologiques mettant en avant la présence de plaques séniles à la surface des neurones et d’amas de plaques dans les neurones. Cette neuropathologie se caractérise alors par des modifications structurelles du cerveau observables à l’œil nu ou au microscope après l’analyse de coupes histologiques postmortem.
Bien que l’origine de la maladie reste difficilement établie, certains critères ont été identifiés comme étant des facteurs à risque au déclenchement de la maladie d’Alzheimer. Le principal facteur à risque est l’âge. Les personnes de 65 ans ont de nos jours 1 chance sur 20 de développer la maladie, au-delà de 85 ans la probabilité de développer la pathologie passe à 1 sur 4 [2]. L’état cardiovasculaire du patient est également un point important [3]. Ainsi, l’hypertension artérielle [4], l’hypercholestérolémie et l’obésité sont des facteurs aggravant. Le diabète de type 2 est aussi un facteur de risque majeur de la maladie d’Alzheimer [5]. Un patient atteint de la maladie d’Alzheimer a en effet des difficultés d’assimilation du glucose, et présente souvent les symptômes d’une personne diabétique. Enfin, les antécédents familiaux, les gènes spécifiques des éléments biologiques pathogènes de la maladie d’Alzheimer [6] et l’état socio-professionnel (niveau d’étude et niveau social) sont des facteurs de risque.
Compte tenu du manque de traitement efficace et de l’allongement de la durée de vie des personnes, cette maladie attire aujourd’hui toutes les attentions. Outre l’enjeu économique, l’impact sociétal lié à la compréhension scientifique et médicale et de diagnostic précoce de cette maladie est majeur. Si l’on se réfère à une étude menée en 2011, le nombre de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer en France s’élevait à 900 000, avec 225 000 nouveaux malades diagnostiqués par an, soit environ un nouveau cas toutes les trois minutes. En France, la maladie d’Alzheimer représente moins de 2 % des personnes de moins de 65 ans, entre 2 et 4 % des personnes de plus de 65 ans, et le pourcentage de personnes touchées passe à 15% à partir de 80 ans. Une légère disparité est cependant observée entre les hommes et les femmes, avec respectivement 40 et 60 % de malades déclarés, les femmes ayant une espérance de vie supérieure de 10 ans par rapport à celle des hommes [7]. Avec un taux de survie moyen de 8,5 ans à partir de l’annonce du diagnostic cette maladie est devenue la quatrième cause de mortalité en France derrière les tumeurs, les maladies cardiovasculaires et les accidents [8], et près de 25 millions de personnes touchées dans le monde. De plus ces chiffres devraient quadrupler d’ici à 2020, du fait de l’amélioration des conditions de vie et des techniques de soin, permettant à la population de vivre plus longtemps.
Cependant, grâce aux progrès des outils de diagnostic, il est possible de détecter de façon plus précise et de manière plus précoce la pathologie. Les récentes avancées dans le domaine du diagnostic ont permis par exemple de mettre en évidence et de caractériser les lésions à l’origine de la maladie d’Alzheimer à différentes échelles d’observations.
Mécanisme initial des maladies conformationnelles
La conformation spatiale des protéines dépend des sites de liaison disponibles et de leur positionnement spatial. Ceux-ci peuvent changer sans que leur composition biochimique varie. On sait aujourd’hui que ce phénomène de modification des protéines en particulier par des lipides est une voie importante du contrôle de l’activité cellulaire. Ce changement s’opère alors par un phénomène de transconformation post-traductionnelle (modification des rapports de voisinage des acides aminés d’une protéine, par fixation ou départ d’un ion ou d’un substrat). L’activité biologique de ces protéines modifiées dépend alors des espèces réactives et métaux fixés et des sites de fixation. Bien que l’ensemble des mécanismes ne soient pas totalement connus, il apparaît de manière schématique qu’une grande concentration de ces protéines conduit, dans un premiers temps, à la formation d’oligomères par agrégation de ces peptides. L’agrégation en chaine de ces oligomères peut être à l’origine de la propagation de la nouvelle conformation d’une molécule modifiée à sa voisine impliquant des plaques caractéristiques présentes dans le cerveau de patients malades [13].
Par exemple les peptides Aß ont tendance à s’agréger sous forme de fibrilles pour ensuite former les plaques amyloïdes avec l’aide d’autres éléments environnants (métaux, autres protéines, …) [14], [15]. Les propriétés d’hydrophobie dues à leur taille réduite précipitent le phénomène de polymérisation qui dépend également de la température, du pH et de la présence d’ions, ainsi que de la concentration en peptides. L’organisation structurelle des oligomères créés est d’ailleurs assez ordonnée et dépend de la proportion en structure secondaire de feuillets ß. Ces structures en feuillet interagissent par la suite pour s’associer en fibrilles torsadées ou elliptiques suivant les intermédiaires en jeu [16]. Ce type de structuration a été d’ailleurs visualisé en 3D par micro-imagerie cryo-électronique et reconstitué numériquement à partir de mesures RMN [17].
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : LA MALADIE D’ALZHEIMER : VERS UNE DETECTION PRECOCE
I.1 INTRODUCTION
I.2 MECANISME INITIAL DES MALADIES CONFORMATIONNELLES
I.3 MATIERE MOLLE ET TECHNIQUES DE CARACTERISATION ASSOCIEES
I.4 SYSTEMES INSTRUMENTAUX ASSOCIES A LA DETECTION DE LA MALADIE D’ALZHEIMER ET AU SUIVI DE POLYMERISATION DE PROTEINES
I.4.1 Détection de la maladie d’Alzheimer
I.4.2 Suivi de polymérisation
I.5 RHEOLOGIE ET GRANDEURS PHYSIQUES
I.6 ECHELLE D’INVESTIGATION ET MICRO-RHEOLOGIE
I.7 CONCLUSION
I.8 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE II : CONCEPTION ET FABRICATION DE TRANSDUCTEURS TSM
II.1 CONCEPTION DU CAPTEUR TSM A UNE ELECTRODE
II.1.1 Caractérisation de la composition chimique
II.1.2 Caractérisation électrochimique
II.1.3 Caractérisation morphologique
II.1.4 Caractérisation physico-chimique : énergies d’activation
II.1.5 Caractérisation de la propagation de l’onde acoustique
II.2 OPTIMISATION DU DESIGN POUR UN CAPTEUR A UNE ELECTRODE
II.2.1 Intérêt et paramètres optimisés
II.2.2 Résultats de l’optimisation
II.2.3 Caractérisation du capteur optimisé
II.3 DEVELOPPEMENT D’UN CAPTEUR MULTI-ELECTRODES
II.3.1 Etat de l’art et design d’un capteur TSM multi-électrodes
II.3.2 Développement d’un capteur multi-électrodes
II.4 CONCLUSION
II.5 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE III : SUIVI DE POLYMERISATION DE PROTEINES AVEC UN CAPTEUR UNE ELECTRODE
III.1 SUIVI DE LA POLYMERISATION DE LA PROTEINE TAU
III.1.1 Le peptide VQIVYK
III.1.2 Suivi des paramètres viscoélastiques du peptide VQIVYK à 22°C
III.1.3 Effet de la température sur la cinétique de polymérisation
III.1.4 Effet de la salinité du tampon sur la polymérisation
III.2 SUIVI DE POLYMERISATION DU PEPTIDE Aß
III.2.1 Mécanismes d’agrégation du peptide Aβ
III.2.2 Suivi rhéologique de la polymérisation du peptide Aβ
III.3 DETECTION EN MILIEU COMPLEXE
III.3.1 Milieux physiologiques pour les biomarqueurs
III.3.2 Sensibilité du capteur aux caractéristiques du milieu
III.4 DETECTION AVEC LE TRANSDUCTEUR A TROIS ELECTRODES
III.5 CONCLUSION
III.6 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CONCLUSION GENERALE
ANNEXE