Développement d’un protocole expérimental pour la génération de ruptures conformes dans l’essai de traction sur l’UD
La résistance en traction longitudinale, XL , d’un UD à fibres continues de carbone est généralement 20, 30 fois plus élevée que celle transverse, XT . Pour ce type de matériau à forte anisotropie, les endommagements sont guidés par les constituants et non par le chargement : on a de la fissuration parallèle aux fibres quelle que soit la sollicitation. En fait, l’anisotropie de cet empilement provoque une rupture par « splitting » . Le splitting est un mode de rupture matricielle, caractérisé par des fissures qui se propagent dans la matrice parallèlement à l’axe de chargement (et, pour l’UD, à la direction des fibres). Vu dans le repère local du matériau, il s’agit géométriquement du même endommagement que la fissuration transverse dans les plis à 90° d’un stratifié croisé (c.à.d. un stratifié MD avec des plis à 0° et à 90°).
Le splitting peut être créée par un état local triaxial de contraintes (dans des directions autres que celles des fibres) générées par une singularité (trou, entaille) ou par le serrage des mors. Plus en détail, non seulement le serrage impose une compression du matériau dans le sens de l’épaisseur, mais il génère des surcontraintes parasites en bloquant l’effet Poisson intrinsèque d’un matériau sous charge. Ainsi, le splitting s’amorce dans l’éprouvette à la fin de la zone de serrage, et amène à une rupture fragile en dehors de la zone utile , comme détaillée dans la littérature pour la majorité des essais sur UD à fibres continues de carbone (Hojo et al., 1994; Kawai and Yano, 2016; Malolan et al., 2016).
Dans ces travaux, nous appliquerons des chargements uniaxiaux à des éprouvettes parallepipediques, qui induisent principalement une contrainte σx dans le repère global de l’éprouvette (suffisamment loin des mors d’après le principe de Saint Venant). Dans le cas de l’UD, la contrainte σx coïncide avec la contrainte σ11 exprimée dans le repère local du matériau. Ainsi, par commodité, nous parlerons dans la suite de la contrainte longitudinale appliquée (à l’éprouvette) σL .
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE DES METHODOLOGIES EXPERIMENTALES EXISTANTES
Les normes ASTM D3039/D3039M (ASTM, 2014) et DIN EN 527-1 (Deutsche Norm, 1995) définissent un protocole d’essais pour obtenir les propriétés sous sollicitation de traction quasi-statique de stratifiés composites à fibres continues et matrice polymère. Ces normes suggèrent d’utiliser des talons, collés sur la zone de serrage de l’éprouvette, pour avoir une interface plus souple et adoucir le transfert de l’effort provenant des mors de la machine de traction. Le matériau utilisé pour les talons peut être de l’aluminium ou un composite à fibre de verre et matrice polymère (GFRP), avec un empilement de type [+45 -45]ns. L’utilisation d’une géométrie biseautée pour le talon, avec un angle entre 7° et 10°, est suggérée mais pas obligatoire. Notons qu’aucune information n’est donnée concernant la valeur de pression de serrage à appliquer. Enfin, l’éprouvette doit être rectangulaire pour les essais sur UD. L’utilisation d’une éprouvette de forme haltère engendrerait des sites d’amorçage préférentiels du splitting dès le début de l’essai puisque les fibres sont coupées pendant la création du gradient dans la section et qu’il n’y a pas des plis hors-axe pour augmenter la résistance transverse et empêcher/retarder la propagation du splitting. La norme ASTM D3749/D3749M (ASTM, 2002) définit le protocole pour les essais de fatigue traction-traction sur la même classe de matériaux que la norme ASTM D3039/D3039M ; les mêmes recommandations sont adoptées pour la bonne réalisation de l’essai.
En général, les normes se limitent à donner des indications, et aucune solution définitive n’est proposée pour éviter la rupture prématurée de l’UD par splitting. Pour cela, des études sur le sujet existent dans la littérature (Bailey and Lafferty, 2015; Belingardi et al., 2011; De Baere et al., 2009; Lévesque, 2000).
(Lévesque, 2000) a étudié l’influence de nombreux paramètres d’essai (géométrie et matériau utilisés pour les talons) sur la génération des contraintes parasites à l’aide d’un développement semi-théorique et une analyse par Eléments Finis. Des talons en composite tissé verre/époxy, avec une géométrie issue de ces analyses, ont été choisis. De plus, les éprouvettes et les talons ont été moulés ensemble pour former une seule pièce, afin d’éviter un décollement des talons pendant l’essai qui engendrerait une rupture prématurée de l’éprouvette. Cette procédure, qui a présenté des difficultés en termes de réalisations, a permis toutefois de constater une augmentation de la contrainte à rupture de l’UD à fibre continues de carbone utilisé dans l’étude. Cependant, la seule photo des éprouvettes post mortem présentée ne montre pas de ruptures en mode fibre et en zone utile.
(De Baere et al., 2009) ont comparé différentes configurations de serrage de l’éprouvette dans les mors, et de matériaux utilisés pour les talons, avec un modèle aux Eléments Finis. Les concentrations de contraintes dans l’éprouvette, causées par le serrage, ont été étudiées aux travers de ces simulations. Elles sont situées entre la fin de la zone du mors et le début de la longueur utile de l’éprouvette. A l’issue de cette étude, les auteurs concluent que des talons rectangulaires, en composite fibre de verre ou de carbone, avec un empilement de type [45 -45]ns engendrent les concentrations de contraintes les plus faibles. De plus, les talons doivent être positionnés de telle sorte qu’elle ne dépasse pas les mors au niveau des extrémités. Cependant, cette étude ne fait état d’aucun résultat expérimental ayant généré des ruptures en zone utile et en mode fibre avec le protocole d’essais proposé.
(Bailey and Lafferty, 2015) ont mis en évidence l’augmentation de température plus élevée dans la zone de serrage, au cours d’un essai de fatigue, par thermographie passive sur le chant de l’éprouvette. Dans cette étude expérimentale, ils ont comparé différents matériaux pour les talons et ont conclu que l’aluminium semble être le meilleur choix, car il réduit le plus le pic de chaleur localisé entre la fin de la zone de serrage et le début de la longueur utile de l’éprouvette. De plus, l’aluminium induit une transition plus douce en termes de surcontraintes dans l’éprouvette entre la zone des talons et la longueur utile, par rapport à un composite en fibre de verre. Enfin, il a été démontré qu’un chargement cyclique rend le problème de rupture dans les mors plus probable par rapport au cas d’un chargement quasi-statique. Cependant, cette étude se limite à mettre en évidence des criticités et à donner des recommandations, mais elle ne propose pas de solutions à tel égard.
Au vu des travaux trouvés dans la littérature, il n’y a pas de réel consensus sur le protocole expérimental à appliquer pour réaliser des essais de traction uniaxiale sur les UD à fibres continues de carbone dont la rupture a lieu dans la zone utile. En fait, les normes présentent certaines lacunes et les recommandations trouvées dans la littérature sont diverses et parfois contradictoires. Les analyses numériques, bien que détaillées, ne conduisent pas à des résultats expérimentaux satisfaisants vis-à-vis du type de rupture recherché.
MATERIAU ET EQUIPEMENT
Eprouvettes et talons
Les stratifiés d’unidirectionnels utilisés dans ces travaux de thèse sont fabriqués à partir d’un prepreg, de fabrication Toray, constitué par les fibres T700GC, fibres continues de carbone à haute résistance et haute déformation à rupture, et la matrice M21, matrice époxy thermodurcissante (Torayca, 2014). Le taux volumique des fibres Vf, déclaré par le fournisseur est 57%. Les séquences d’empilements choisies pour notre étude sont [0°]16, [0°]8 et [0°]4 . Les valeurs de résistance à rupture en traction monotone trouvées en littérature pour ce matériau, varient entre 1900 MPa et 2300 MPa (Maire and Leroy, 2003 ; Huchette, 2005 ; Laurin, 2005). Afin de réaliser des simulations EF préliminaires, nous avons choisi d’utiliser une valeur à rupture conservative XT = 2000 MPa. Les autres valeurs des constantes d’ingénieur utilisées dans le modèle EF proviennent de travaux de caractérisation réalisés dans (Huchette, 2005 ; Laurin, 2005) . Les talons ont étés découpés dans une plaque d’aluminium de 3 mm d’épaisseur, ou dans un composite stratifié GFRP avec fibres de verre type E et matrice RTM6. Dans un premier temps, les talons sont sablés afin d’augmenter l’efficacité du collage. Ensuite, ils sont collés aux éprouvettes avec de la colle Araldite 2011.
Montage expérimental et instrumentation
Les essais de traction monotone quasi-statiques ont été réalisés sous conditions atmosphériques standards, avec deux machines hydrauliques de différentes capacités : 100 kN et 500 kN. Les deux machines sont équipées de mors hydrauliques. Les essais ont été effectués à déplacement imposé, avec une vitesse de 2mm/min.
En complément de la cellule de force, la stéréo-corrélation d’images a été utilisée pour obtenir la courbe contrainte-déformation et les modules élastiques, et pour vérifier que l’alignement de l’éprouvette le long de l’axe de traction est correct. Les deux caméras SENSICAM utilisées ont une résolution de 2048 x 2048 pixels. Deux capteurs d’émissions acoustiques sont collés aux extrémités de la longueur utile de l’échantillon, afin d’enregistrer et d’isoler les événements engendrés par l’endommagement de l’éprouvette et de s’affranchir du bruit et de l’endommagement provenant de la zone des mors. Au moyen d’une caméra thermique qui permet d’enregistrer à haute fréquence (250 Hz), la technique de thermographie passive a été utilisée pour détecter des défauts dans l’échantillon pendant l’essai.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I Développement d’un protocole expérimental pour la génération de ruptures conformes dans l’essai de traction sur l’UD
I. 1. Synthèse bibliographique des méthodologies expérimentales existantes
I. 2. Matériau et équipement
I. 2. 1. Eprouvettes et talons
I. 2. 2. Montage expérimental et instrumentation
I. 3. Simulations aux Eléments Finis de l’essai de traction quasi-statique
I. 3. 1. Modélisation de l’essai de traction
I. 4. Vérification expérimentale des paramètres optimisés par simulation numérique
I. 4. 1. Angle de désalignement
I. 4. 2. Pression de serrage
I. 4. 3. Ruptures prématurées des éprouvettes
I. 5. Etude de la capacité d’une nouvelle configuration d’essai optimisée à générer des ruptures en mode fibre et en zone utile
I. 5. 1. Développement de la nouvelle configuration d’essai
I. 5. 2. Analyse statistique des valeurs à rupture
I. 6. Application de la méthodologie développée aux essais de fatigue
I. 7. Conclusion du chapitre
Chapitre II Caractérisation de l’endommagement, durées de vie et performances résiduelles de l’UD en fatigue
II. 1. Synthèse bibliographique des principales études existantes
II. 2. Objectifs de la campagne expérimentale
II. 3. Montage expérimental et instrumentation
II. 4. Limites et difficultés des EA sur l’UD en fibres de carbone
II. 5. Choix des niveaux de contrainte cyclique maximale
II. 6. Matrices d’essais
II. 7. Suivi des endommagements de fatigue par l’émission acoustique
II. 7. 1. Classification par l’algorithme des K-means à centres mobiles
II. 7. 2. Identification de la signature acoustique du bruit
II. 7. 3. Classification par l’algorithme des K-means à 1 centre imposé
II. 7. 4. Classification par modèle de mélange gaussien
II. 7. 5. Influence du rapport de charge R
II. 7. 6. Comparaison de l’énergie acoustique entre les essais de type A et B
II. 8. Sur la différence des durées des vies entre les essais de type A et B
II. 9. Suivi de l’évolution en fatigue de la rigidité longitudinale
II. 10. Evaluation statistique des propriétés résiduelles
II. 11. Endommagements observés à l’échelle microscopique
II. 11. 1. Microstructure du matériau
II. 11. 2. Fibres rompues sans et avec décohésions
II. 11. 3. Endommagement de la matrice
II. 11. 4. Analyse des faciès de rupture
II. 12. Conclusion du chapitre
Chapitre III Modélisation des mécanismes d’endommagement et rupture de l’UD soumis à des chargements de traction quasi-statique et de fatigue
III. 1. Synthèse bibliographique des mécanismes d’endommagement et leur modélisation
III. 2. Objectifs de la modélisation
III. 2. 1. Scenario d’endommagement et rupture
III. 2. 2. Motivations de la modélisation
III. 3. Choix et justification des hypothèses de la modélisation
III. 3. 1. Description du Volume Elémentaire représentatif (VER)
III. 3. 2. Lois de comportement utilisées pour les constituants
III. 4. Estimation de la surcontrainte au bord de la fibre voisine
III. 5. Evolution des surcontraintes autour des clusters
III. 5. 1. Etude du profil des surcontraintes dans le plan de rupture, à iso-Vf
III. 5. 2. L’influence du Vf
III. 6. Surcontraintes générées par la décohésion
III. 7. Sur la complémentarité entre deux mécanismes de ruptures de fibres
III. 8. Modes de chargement de l’interface fibre/matrice sous sollicitation quasi-statique et de fatigue
III. 8. 1. Sollicitation quasi-statique
III. 8. 2. Fatigue
III. 8. 3. Sur l’origine du changement de modes
III. 9. Evolution de la contrainte axiale en fatigue
III. 10. Probabilité de rupture d’une fibre sous contrainte hétérogène
III. 11. Conclusion du chapitre
Chapitre IV Comportement des plis à 0° dans des stratifiés multidirectionnels sous sollicitations de fatigue
IV. 1. Choix des empilements par analyse numérique
IV. 2. Endommagement et rupture du stratifié [02 30 -30 0]s
IV. 2. 1. Sollicitation quasi-statique
IV. 2. 2. Fatigue
IV. 3. Endommagement et rupture du stratifié [03 905]s
IV. 3. 1. Sollicitation quasi-statique
IV. 3. 2. Fatigue
IV. 4. Comparaison des durées de vie
IV. 5. Identification de la signature acoustique de la fissuration matricielle
IV. 6. Conclusion du chapitre
Conclusion générale