L’un des principaux challenges du XXIe siècle pour les industries est de développer des stratégies pour répondre efficacement à la prise de conscience environnementale souhaitée par les institutions publiques. Dans cette optique, les secteurs de l’industrie aéronautique et aérospatiale visent à réduire considérablement leur consommation de kérosène et leurs émissions de CO2. Le groupe Safran, partenaire de cette étude et leader français dans les secteurs de l’aéronautique et de l’aérospatial, souhaite répondre à cette volonté grâce à des projets innovants. Un exemple de projet innovant est le « green taxiing », qui vise à déplacer les avions depuis la piste d’atterrissage jusqu’au parking (phase de «taxiing») à l’aide de moteurs électriques en remplacement des turboréacteurs. Toutefois, le groupe Safran souhaite également répondre à ces nouvelles exigences par le biais d’une remise en question de la conception des pièces aéronautiques au sens large (optimisation de la géométrie, des matériaux, etc.).
En effet, les pièces aéronautiques présentent désormais des géométries de plus en plus complexes à fabriquer, qui sont le fruit d’une conception visant à réduire les masses embarquées. Dans le but de conserver des caractéristiques mécaniques suffisantes, des matériaux tels que les alliages à base de titane ou les superalliages à base de nickel sont utilisés. Ces matériaux possèdent une grande résistance mécanique, une faible densité et une conservation de leurs propriétés mécaniques même à haute température [Combres 10]. Toutefois, ces matériaux sont réputés « difficiles à usiner » notamment en raison de leur faible conductivité thermique qui réduit les transferts thermiques vers la pièce usinée et maintient l’arête de coupe à une température élevée comme détaillé par [Ezugwu et al. 97, Vigneau 99] pour les cas des alliages à base de titane et par [Vigneau 99, Ezugwu et al. 03] pour le cas des alliages à base de nickel. Ces propriétés peuvent conduire à des difficultés significatives lors de l’industrialisation (e.g. usure prématurée des outils, mauvais état de surface, déformations de la pièce, etc.) et affecter le respect des spécifications géométriques et dimensionnelles associées aux pièces finies. À titre indicatif en FIGURE 0.1, plusieurs cas de pièces produites par le groupe Safran viennent illustrer la situation générée par l’association de matériaux « difficilement usinables » et de géométries complexes. Les pièces présentées sont toutes issues d’un brut forgé ayant subi un traitement thermique :
– les tambours de turboréacteurs en alliage de titane, réalisés en tournage dans les sociétés SafranAE et SafranAB . Ces pièces présentent de grandes dimensions, de faibles épaisseurs et une variation de rayon usiné importante le long de leurs contours. Cela peut engendrer des problèmes de déformations et de vibrations ;
– les pièces aubagées de turboréacteurs en alliage de titane ou de nickel, réalisées en fraisage 5 axes dans les sociétés SafranAB, SafranAE et SafranHE . Les aubes, et parfois les viroles, présentent de faibles épaisseurs qui peuvent conduire à des problèmes de déformations et vibrations ;
– les balanciers de train d’atterrissage en alliage de titane, réalisés en fraisage 5 axes dans la société SafranLS . Ces pièces massives subissent de longues opérations d’usinage (e.g. 19 heures d’usinage effectives en semi-finition et 14 heures en finition pour un train d’atterrissage de Boeing 737-9) générant une usure de l’outil significative.
Au vu des nombreuses opérations d’usinage que ces pièces subissent, réaliser une fabrication conforme aux exigences associées à ces pièces finies représente une forte valeur ajoutée et un enjeu économique important pour l’industriel. De ce fait, l’intérêt de l’industriel est de franchir un cap dans la maîtrise scientifique et technique de l’industrialisation des pièces produites afin d’éviter, autant que possible, les rebuts. C’est pourquoi, dans l’optique d’anticiper les problèmes d’industrialisation, l’industriel souhaite pouvoir simuler ces opérations d’usinage afin d’essayer d’usiner « bon du premier coup ». Cette maîtrise des opérations d’usinage sous-entend principalement :
– d’optimiser l’utilisation des ressources : que ce soit en termes de consommation d’outils coupants ou d’adaptation des gammes de fabrications aux machines de production présentes sur sites ;
– d’optimiser les temps de cycle en production pour augmenter la productivité ;
– de garantir une conformité vis-à-vis des spécifications dimensionnelles et géométriques associées aux pièces finies, afin de limiter le nombre de pièces rebutées.
Classification des modèles d’efforts de coupe
La modélisation de la coupe propose pléthore de contributions depuis le début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui [van Luttervelt et al. 98, Arrazola et al. 13]. Derrière ces nombreuses contributions se cache un vocabulaire riche couvrant plusieurs notions mais sans être réellement normalisé. L’objectif de ce paragraphe est de clarifier l’ensemble des termes utilisés dans ce document en s’appuyant sur les classifications des différentes modélisations de la coupe proposées à ce jour. Puis dans un second temps, à partir de ces observations, une ligne directrice sera retenue en vue de réaliser la modélisation des efforts de coupe dans ces travaux de recherche.
Beaucoup d’échanges scientifiques autour de la modélisation de la coupe possèdent des appellations diverses et variées : les auteurs parlent de « modélisation mécaniste » [Reddy et al. 00], de « modélisation analytique » [Junz Wang et al. 02, Germain et al. 13], de « modélisation thermomécanique » [Molinari et al. 05], … Ces différentes dénominations regroupent en vérité plusieurs types d’informations qui participent à la définition d’une modélisation de la coupe, et en particulier d’une modélisation des efforts de coupe.
En effet, une modélisation des efforts de coupe ne peut se définir au moyen d’un seul critère, mais plutôt à partir d’un ensemble de critères. La proposition formulée par Chérif [Cherif 03] oriente la classification des modélisations d’efforts de coupe selon l’échelle de modélisation choisie. Bien que les frontières entre les différentes types de modélisations de la coupe puissent être fines et mobiles, Chérif [Cherif 03] propose l’idée que l’approche de modélisation, le domaine temporel de modélisation et la nature des sorties découlent de l’échelle de modélisation. Cette idée est également soutenue et enrichie par Bissey [Bissey 05], qui dissocia les domaines temporels de modélisation de l’approche retenue. Enfin, Campocasso [Campocasso 13] complétera ces éléments en disjoignant l’approche de modélisation retenue des méthodes de résolution.
En définitive, une modélisation des efforts de coupe peut être définie selon cinq critères regroupant :
– l’échelle de modélisation ;
– l’approche ou la méthode de formulation des efforts de coupe ;
– le domaine temporel de modélisation ;
– la méthode de résolution ou de détermination des efforts de coupe ;
– la nature des sorties de la modélisation.
Toutefois, bien que les frontières soient parfois floues, chaque critère ne peut être associé indépendamment aux autres : il existe des implications. Premièrement, ce sont les sorties souhaitées de la modélisation qui vont piloter le choix de l’échelle et le domaine temporel de modélisation. Deuxièmement, ces deux aspects vont chacun conduire à une approche de modélisation, respectivement mécanique et temporelle. Enfin, troisièmement, ces deux approches dicteront les entrées nécessaires au modèle, ainsi que les méthodes de résolution à employer.
Dans le cas de la modélisation des efforts de coupe, il existe trois échelles de modélisation classiquement utilisées : l’échelle macroscopique, l’échelle mésoscopique et l’échelle microscopique. L’échelle macroscopique présente le point de vue le plus global puisqu’elle se situe à l’échelle de la machine-outil. L’objectif d’une modélisation à cette échelle est de proposer directement une modélisation des efforts de coupe globaux moyens (i.e. la résultante de l’effort de coupe, projetée dans le repère de la machine-outil). Cette modélisation prend souvent forme à l’aide de paramètres d’entrée très facilement identifiables tels que les paramètres opératoires, ou des grandeurs macroscopiques (e.g. une surface de réponse [Moreau 10]). L’échelle microscopique est à l’inverse de l’échelle macroscopique, puisqu’elle propose un point de vue très local qui se situe à l’échelle d’un grain du matériau usiné ou de l’outil coupant. Ce type de modélisation est donc dépendant des caractéristiques thermo-métallo-mécaniques du matériau usiné et du matériau usinant. Cette échelle est couramment utilisée lorsque l’intérêt est d’évaluer des phénomènes locaux étroitement liés à l’évolution d’un champ thermomécanique tels que les changements de phase, le mouvement des dislocations ou encore le comportement mécanique en surface généré par le passage de l’outil au sein d’un matériau usiné (e.g. les déformations plastiques [Outeiro et al. 15]). Enfin, l’échelle mésoscopique se situe à l’intermédiaire entre les échelles macroscopique et microscopique, c’est-à-dire au niveau de l’arête de l’outil coupant. Les données d’entrée dans ce type de modélisation peuvent être de plusieurs natures. En règle générale, ce sont soit des paramètres locaux descriptifs de la géométrie et/ou de la cinématique de l’opération d’usinage, soit une loi de comportement identifiée pour le matériau usiné et/ou usinant. Les sorties courantes d’une modélisation à l’échelle mésoscopique peuvent être des efforts de coupe locaux (i.e. la résultante d’effort appliquée sur une portion de l’arête de coupe, projetée dans le repère associé à l’arête de coupe [Armarego et al. 70]), mais aussi des champs de contraintes déformations, ou des champs de températures appliqués sur l’arête de coupe – ou une portion de celle-ci [Germain 11, Wagner 11].
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Table des matières
Remerciements
Notations et Glossaire
Introduction générale
Contexte de l’étude
Intérêts et objectifs de l’étude
Délimitation du domaine d’étude
Démarche de l’étude et plan du mémoire
Chapitre 1 État de l’art : la modélisation des efforts de coupe
1.1 Classification des modèles d’efforts de coupe
1.2 Modélisation des efforts de coupe à l’échelle mésoscopique
1.2.1 Mécanismes de la coupe
1.2.2 Modélisation de « l’effet cut »
1.2.3 Modélisation de « l’effet edge »
1.3 Usure de l’outil dans la modélisation des efforts de coupe
1.3.1 Interaction entre l’usure de l’outil et les efforts de coupe
1.3.2 Modèles d’usure de l’outil ou de durée de vie en fonction des efforts de coupe
1.3.3 Modèles d’efforts de coupe tenant compte de l’usure de l’outil
1.4 Méthodologies employées pour modéliser des efforts de coupe
1.4.1 Concepts de discrétisation d’arête et du couple arête-matière
1.4.2 Principes d’identifications directe et inverse
1.4.3 Couple outil-matière
1.5 Conclusion
Chapitre 2 Modélisation des efforts de coupe en tournage à iso-usure
2.1 Analyse de l’influence du rayon d’acuité d’arête sur les efforts de coupe
2.1.1 Étude à l’échelle locale en coupe orthogonale sur tube
2.1.2 Analyse à l’échelle globale en chariotage
2.2 Étude de l’effet du rayon de contact en dépouille sur les efforts de coupe
2.2.1 Rayon de contact en dépouille en tournage
2.2.2 Analyse à l’échelle locale de l’effet de l’angle de direction d’arête
2.2.3 Étude à l’échelle locale de l’effet du rayon de contact en dépouille en coupe
orthogonale
2.2.4 Analyse à l’échelle globale de l’effet du rayon de contact en dépouille en alésage, chariotage et dressage
2.2.5 Modélisation des efforts de coupe en tenant compte de l’influence du rayon de contact en dépouille
2.3 Modélisation des efforts de coupe avec prise en compte des effets du rayon de contact en dépouille et de la contrainte induite par l’écoulement du copeau
2.3.1 Modélisation des efforts de coupe avec trois composantes locales d’effort de coupe
2.3.2 Modélisation phénoménologique de la direction globale d’écoulement du copeau
2.3.3 Modélisation des efforts de coupe en tenant compte de l’influence de la contrainte induite par l’écoulement du copeau
2.4 Étude expérimentale de la direction globale d’écoulement copeau
2.4.1 Dispositif expérimental d’observation in-situ et paramétrage géométrique
2.4.2 Plan d’essais et résultats
2.4.3 Observations et analyses
2.4.4 Formulation et identification du nouveau modèle définissant la direction d’écoulement du copeau
2.4.5 Modélisation des efforts de coupe incluant l’effet de la contrainte induite par
l’écoulement du copeau seul
2.5 Conclusion
Chapitre 3 Modélisation des efforts de coupe en tournage à différents niveaux d’usure de l’outil
3.1 Analyse de l’effet du rayon de la pièce sur l’usure de l’outil en coupe orthogonale
3.1.1 Détails expérimentaux
3.1.2 Détermination des points d’observation de l’usure de l’outil
3.1.3 Effet du rayon de contact en dépouille sur l’usure de l’outil
3.1.4 Effet de l’épaisseur coupée sur l’usure en dépouille
3.2 Étude de l’effet du rayon de pièce sur l’usure en dépouille d’une plaquette ronde
3.2.1 Configurations expérimentales
3.2.2 Plan d’essais et résultats
3.2.3 Observations et analyses
3.3 Développement d’un modèle de l’usure en dépouille
3.3.1 Développement d’un modèle prédictif
3.3.2 Identification des paramètres de la loi et résultats
3.3.3 Interpolation et extrapolation du modèle prédictif
3.4 Modélisation des efforts de coupe à différents niveaux d’usure en dépouille
3.4.1 Modélisation des efforts de coupe en coupe orthogonale avec mesure directe de l’usure
3.4.2 Modélisation des efforts de coupe en chariotage et en dressage avec estimation du niveau d’usure
3.5 Conclusions
Conclusion générale
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