Discrétisation d’arête et modèles mécanistes
Origine des modèles mécanistes
La modélisation physique des procédés d’usinage est une tâche complexe, en raison du nombre de paramètres locaux qui sont encore mal quantifiés car difficilement mesurables. C’est pourquoi les approches dites mécanistes, plus simples à appréhender, ont été développées.
La forme des relations de coupe est choisie à partir de l’observation des réponses mécaniques aux changements des conditions de coupe ; il s’agit donc d’une approche phénoménologique. Puis, le modèle peut être identifié à partir d’une série d’expériences, qui est supposée limiter le domaine de validité du modèle [Rivière 07a].
Les modèles mécanistes nécessitent la connaissance des paramètres opératoires, ainsi que de la géométrie de l’outil et de celle de la pièce ; données, à partir desquelles d’autres paramètres sont calculés, comme le « chargement » lié à la coupe [Ehmann 97].
En général, ce chargement est considéré sous la forme de l’aire nominale de la section transversale de coupe AD [ISO 84] – dénommée plus simplement « section coupée » –, qui est liée à l’effort de coupe par un coefficient appelé effort spécifique de coupe 3 Kc. Par conséquent, lorsque des opérations de contournage sont considérées, plusieurs aires élémentaires sont calculées et une direction d’écoulement macroscopique du copeau est calculée afin d’estimer les composantes axiale et radiale de l’effort [Kapoor 98, Reddy 00].
Méthode de discrétisation d’arête
Au début des années 1960, Sabberwal [Sabberwal 61] montra que l’effort de coupe est proportionnel à la largeur coupée b en fraisage flanc.
Cette observation permet donc de considérer que les efforts de coupe appliqués sur l’outil sont la somme de contributions locales. L’arête en prise de l’outil est alors généralement discrétisée en segments et l’outil est considéré comme étant une somme d’outils élémentaires aux arêtes de coupe rectilignes.
Il faut noter que l’hypothèse d’indépendance des outils élémentaires est implicite ; en conséquence, les courbures de l’arête et de la face de coupe sont négligées [Armarego 72]. Originellement, la méthodologie de la discrétisation d’arête était uniquement destinée à modéliser le décalage temporel entre les différents éléments de l’arête en fraisage flanc [Sabberwal 61, Tlusty 75] et a été reprise de nombreuses fois dans ce même but.
En tournage, cette méthode permet de prendre en compte l’épaisseur coupée locale lorsque des outils « à bec » sont utilisés [Colwell 54].
Shaw et al. [Shaw 52] furent précurseurs dans l’analyse de la variation de la géométrie de coupe le long de l’arête, et sur les possibles effets de cette variation sur les efforts de coupe. Plus tard, une des premières applications de la discrétisation d’arête dans le but de prendre en compte la géométrie locale a été proposée par Armarego et Cheng [Armarego 72] pour les opérations de perçage.
Généralisation des modèles d’efforts de coupe
En 1985, Armarego et Whitfield [Armarego 85] ont posé les fondements d’un modèle multi-techniques, basé sur la méthodologie de la discrétisation d’arête, et reposant sur des essais de coupe oblique .
Leur proposition est construite autour de banques de données de coefficients et le cœur du modèle se situe au niveau de l’interface de transformation entre l’opération complexe considérée et la coupe oblique.
Principe du Couple Arête-Matière (CAM) :Le concept du CAM, développé par François Lapujoulade et Stéphanie Bissey [Lapujoulade 03, Bissey 05], consiste à considérer qu’un modèle de coupe local – et ses coefficients – est défini pour un unique couple matériau usiné-type d’arête.
L’arête de coupe est définie par sa préparation , le type de brise-copeaux, le matériau d’outil et le revêtement. Ces spécificités sont considérées comme étant des propriétés internes à l’arête et doivent être fixées au même titre que les caractéristiques du matériau usiné.
Le CAM (au sens du modèle) est alors défini par le triplet {matière, propriétés d’arête, modèle de coupe local}, qui représente à la fois l’expression du modèle et son domaine de validité.
Etant donné le fort impact de ces propriétés internes sur les efforts de coupe, le domaine de validité est ainsi mieux délimité que dans la proposition d’Armarego. L’intérêt principal est de pouvoir utiliser un modèle de coupe local et ses coefficients pour des outils de formes globales différentes – mais ayant les mêmes propriétés internes d’arête –, ainsi regroupés au sein d’une même famille d’outils.
Modélisation de la géométrie de coupe
L’objectif principal est de pouvoir projeter les efforts locaux dans la base vectorielle liée au dynamomètre, afin de pouvoir comparer les efforts calculés et mesurés.
D’autre part, si les bases locales considérées sont liées aux faces de coupe et de dépouille de l’outil, il est possible de calculer la géométrie de coupe en travail à partir de la base correspondant aux mouvements de coupe et d’avance (liée à la machine). Classiquement, des matrices de rotation sont utilisées afin de passer des bases vectorielles locales liées à l’outil à la base globale de mesure [Yücesan 96, Kapoor 98, Carlsson 01, Engin 01b, Altintas 13], même dans des cas simples comme la coupe orthogonale [Spaans 70].
Engin et Altintas prennent en compte la mise en position de la plaquette sur le corps de fraise [Engin 01b], mais ne considèrent pas la géométrie locale de la plaquette. Or, la géométrie en travail résulte d’une combinaison de la mise en position de la plaquette sur le corps d’outil et de la géométrie locale de la plaquette (obtenue par frittage ou rectification) [Han-Min 82].
Calcul de l’intersection outil-pièce
L’intersection outil-pièce est l’objet d’études portant sur le calcul des sections coupées, mais également sur la reconstruction des surfaces usinées.
La direction de mesure de l’épaisseur coupée non déformée est définie orthogonalement au plan formé par la vitesse de coupe locale et le segment considéré de l’arête [Lapujoulade 03] ; ce qui correspond à la définition normalisée de h : « dimension de coupe mesurée suivant l’intersection de Pne et Pre » [ISO 84] . Cependant, certains auteurs projettent le profil de la pièce dans le plan de l’arête de coupe pour le calcul de h [Carlsson 01, Cohen Assouline 05]. Il convient donc de vérifier scrupuleusement la direction de mesure de h employée lors de l’identification d’un modèle de coupe, avant de le ré-utiliser. La dimension correspondant à h doit donc être mesurée dans la direction normalisée entre l’arête de coupe et la surface générée au tour précédent (ou par la dent précédente).
Michaël Fontaine [Fontaine 04] précise que les trajectoires proposées dans la littérature sont souvent très simples (rectilignes dans la majorité des cas), afin de pouvoir calculer les épaisseurs coupées analytiquement. Le calcul est très souvent approché en réalisant des hypothèses simplificatrices – modèle cercle-cercle en fraisage, par exemple –, ou encore en utilisant la formule h = f sin κr qui n’est valable que pour les arêtes rectilignes. Dans le cas d’opérations de finition (usinage dans le bec), ces approximations sont trop éloignées du calcul exact, et ce d’autant plus que l’avance est grande [Fromentin 13].
Reddy et al. [Reddy 00] délimitent quatre zones de travail de l’outil afin de pouvoir calculer analytiquement les sections coupées en fonction de la direction d’avance.
Toutefois, cette méthode ne permet pas de prendre en compte tous les cas a priori, notamment lorsque le profil du brut est complexe.
Il est possible de résoudre littéralement le calcul pour chaque cas particulier en utilisant des logiciels de calcul formel comme Mathematica ; mais cette méthode peut se révéler complexe, à cause de l’expression mathématique de la surface générée au tour précédent et de la sélection nécessaire parmi les multiples solutions mathématiques.
Mesure des actions mécaniques liées à la coupe
Mesure des efforts de coupe 3
La mesure des efforts de coupe peut être réalisée via les déformations de corps d’épreuve – le corps d’outil, le plus souvent – néanmoins la technologie des capteurs piézo-électriques demeure la plus utilisée dans la littérature. Les platines dynamométriques de la marque Kistler sont notamment la référence pour la mesure des efforts de coupe. Les capteurs piézo-électriques présentent deux intérêts majeurs : un grand module d’élasticité et une sensibilité indépendante de la dimension du capteur. Alors que la rigidité des corps d’épreuve est l’objet d’un compromis entre sensibilité et bande-passante, les capteurs piézo-électriques peuvent être très sensibles tout en étant de grandes dimensions – donc rigides –. La bande passante est ainsi, en général, supérieure à 1 kHz, ce qui est largement suffisant pour des mesures en tournage.
Mesure des moments et prise en compte lors de l’identification
Chaque composante d’effort donnée par les platines Kistler est en fait calculée par sommation de quatre efforts mesurés par quatre capteurs piézo-électriques élémentaires.
Les moments au centre de la platine peuvent donc également être calculés, moyennant l’utilisation d’un câble et d’un amplificateur à huit voies.
A l’échelle de la plaquette, les moments mesurés lors d’essais de coupe tridimensionnelle pourraient apporter des informations supplémentaires sur la répartition des efforts locaux le long de l’arête. La considération des valeurs de moments peut donc participer à l’amélioration de l’identification inverse d’un modèle de coupe mécaniste.
Ces moments sont de l’ordre de quelques dizaines de N.mm à quelques N.m au niveau de la plaquette d’après Cahuc et al. [Cahuc 01].
Par contre, l’utilisation de ces informations dans le but d’analyser au niveau local (moment « autour de l’arête ») dans le cas d’essais de coupe orthogonale reste plutôt délicate, en raison de l’incertitude sur la localisation de l’arête, qui est du même ordre de grandeur que les dimensions caractérisant la zone de coupe (rβ, longueurs de contact. . .).
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Table des matières
Introduction générale
I Etat de l’art
1 Modélisation des efforts de coupe
1.1 Echelles d’étude
1.2 Discrétisation d’arête et modèles mécanistes
1.3 Variables des modèles de coupe locaux
1.4 Généralisation des modèles d’efforts de coupe
1.5 Conclusion
2 Modélisation géométrique des opérations d’usinage
2.1 Modélisation de la géométrie de coupe
2.2 Définition de l’arête de coupe
2.3 Calcul de l’intersection outil-pièce
2.4 Conclusion
3 Techniques de mesure et conditions expérimentales en usinage
3.1 Conditions expérimentales pour l’usinage du cuivre
3.2 Mesures géométriques relatives aux essais d’usinage
3.3 Mesure des actions mécaniques liées à la coupe
3.4 Conclusion
4 Méthodes d’identification et de validation des modèles
4.1 Identification directe et identification inverse
4.2 Critères de minimisation ou fonctions de coût
4.3 Méthodes d’optimisation pour l’identification inverse des coefficients
4.4 Analyse et validation d’un modèle identifié – Sensibilités
4.5 Conclusion
5 Préparation et caractérisation du matériau usiné
5.1 Méthodes de caractérisation dynamique des matériaux
5.2 Traitements thermiques du cuivre Cu-OFE
5.3 Traitements mécaniques du cuivre Cu-OFE
5.4 Effets du procédé ECAE sur le Cu-OFE
5.5 Conclusions
II Modèle d’efforts multi-opérations en tournage
6 Modélisation géométrique des opérations de tournage
6.1 Principe général
6.2 Modélisation géométrique par transformations homogènes
6.3 Paramétrage des opérations de tournage
6.4 Représentation de la géométrie de coupe
6.5 Calcul par sommation des efforts et moments
6.6 Conclusion
7 Calcul et analyse des paramètres de coupe locaux
7.1 Vitesse effective de coupe
7.2 Epaisseur coupée
7.3 Angles de coupe en travail
7.4 Conclusion et perspectives
8 Identification de modèles d’efforts locaux
8.1 Moyens techniques
8.2 Identification à partir d’essais de coupe orthogonale
8.3 Remarques préliminaires concernant l’identification inverse
8.4 Identification inverse à partir d’essais de chariotage
8.5 Analyse du modèle retenu
8.6 Conclusion et perspectives
9 Simulation des efforts de coupe dans le cas d’un contournage
9.1 Définition de la trajectoire
9.2 Simulation à partir de la trajectoire théorique
9.3 Mesure des positions des axes de la machine
9.4 Simulation prenant en compte les positions mesurées
9.5 Conclusion
10 Etude expérimentale de l’effet des géométries globales de la pièce et de l’outil sur les efforts de coupe
10.1 Effet du diamètre de la pièce
10.2 Essais élémentaires de coupe orientée – Influence de κr
10.3 Influence de la courbure de l’arête
10.4 Essais d’indentation
10.5 Conclusions et perspectives
11 Proposition d’un modèle d’efforts de coupe multi-opérations
11.1 Modèle de coupe local proposé
11.2 Prise en compte de l’effet d’échelle sur les efforts globaux
11.3 Méthodologie d’identification
11.4 Identification du modèle
11.5 Conclusion
III Vers une modélisation multi-matériaux des efforts
12 Extrusion coudée à aires égales (ECAE)
12.1 Simulation du procédé sous le logiciel Forge – Pré-dimensionnement
12.2 Détails de conception et de dimensionnement des outillages
12.3 Particularités de réalisation des outillages
12.4 Mise en œuvre des essais d’extrusion
12.5 Traitement thermique
12.6 Conclusion
13 Caractérisation des matériaux
13.1 Découpe et préparation des échantillons
13.2 Vérification de l’homogénéité du matériau obtenu par ECAE
13.3 Micrographies et mesures de dureté
13.4 Essais de traction quasi-statique
13.5 Essais de compression à différentes vitesses et températures
13.6 Essais de cisaillement quasi-statique
13.7 Conclusion
14 Corrélation entre les efforts de coupe et les caractéristiques mécaniques du matériau usiné
14.1 Résultats des essais de coupe
14.2 Analyse des efforts de coupe au niveau local
14.3 Lien entre les coefficients de coupe et la contrainte de cisaillement
14.4 Corrélation entre les efforts de coupe et les caractéristiques mécaniques
14.5 Conclusions et perspectives
Conclusion générale et perspectives
Références bibliographiques
Annexes
A Désignations et caractéristiques des matériaux usinés
B Analyse d’outils standards
C Calcul des épaisseurs coupées
D Résultats des essais d’identification
E Résultats des essais de chariotage à différents diamètres
F Résultats des essais de coupe orientée
G Résultats des essais avec différents rayons de bec
H Dessins de définition des outillages d’ECAE
I Plan d’essais d’ECAE
J Micrographies des trois matériaux
K Dessin de définition des éprouvettes de traction
L Dessin de définition des éprouvettes de cisaillement
M Résultats des essais de chariotage pour les trois matériaux
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