PROBLÉMATIQUE INDUSTRIELLE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
Historiquement, un des premiers outils à être utilisé qui permet de faire un lien efficace entre ingénierie et méthodes sont les chartes de limites standards de procédé. Depuis l’apparition de la norme ANSI B4.1, publiée pour la première fois en 1955 (ANSI B4.1, 1955), les concepteurs sont en mesure de sélectionner une tolérance dimensionnelle optimale en fonction du procédé de fabrication disponible (méthodes) et de l’ajustement voulu entre un arbre et son alésage (ingénierie). Le principe de ces chartes, c’est-à-dire modéliser l’effet du changement de dimension d’un élément de taille sur la capabilité d’un procédé, a depuis été repris par plusieurs auteurs et pour différents types de composants ou de procédé de fabrication. La Figure 1-1 illustre des exemples de chartes tirés de Swift et Booker (1996). Aujourd’hui, avec le GD&T, les concepteurs sont en mesure de contrôler les variations géométriques en plus des variations dimensionnelles d’un composant.
Or, il n’existe pas à notre connaissance de formulation claire qui permet d’estimer l’effet d’un changement de géométrie sur la capabilité d’un procédé. Pour contrer ce manque et parvenir à allouer des tolérances manufacturables à moindre coût (tolérances dites «faisables» «ou atteignables» sans effort particulier), une étude préliminaire et empirique est nécessaire. En effet, avec la norme ISO 22514 (2007), un industriel est aujourd’hui en mesure d’évaluer le comportement réel d’un procédé et d’exprimer un intervalle de confiance sur sa capabilité selon un risque prédéterminé (ex. 0.27% d’erreur qui correspond à l’intervalle de 99.73% de probabilité). Dans un contexte de CE, ce type d’étude s’effectue de façon simultanée avec la conception du produit et s’intègre à un processus robuste d’assurance qualité, connue dans le domaine automobile sous l’appellation d’Advanced Product Quality Planning (APQP, AIAG). Suite à la réalisation de cette étude empirique, la capabilité d’un procédé à fabriquer un certain type de composant ou de géométrie peut être conservée en base de données et utilisée lors du développement de nouveaux produits. Ainsi, lorsqu’un nouveau composant est de la même géométrie ou d’une géométrie relativement similaire, l’intervalle probabiliste à l’intérieur duquel le procédé est capable de respecter une spécification peut être transposé en tolérance optimale dès le stade de conception (Delaney et Phelan, 2009; Whitney, 2004). La Figure 1-2 illustre ce principe bien connu.
Le problème survient quand les nouveaux composants ont des géométries significativement différentes et qu’ils sont fabriqués par le même procédé. En effet, pour un composant à géométrie plus complexe (Figure 1-3), l’intervalle 99.73% obtenu pour un composant à géométrie simple ne peut être utilisé puisque dans ce cas la géométrie du nouveau composant affecte la capabilité du procédé de fabrication (Barari, ElMaraghy et ElMaraghy, 2009; Korosec, Balic et Kopac, 2005). Par exemple, un centre d’usinage peut être très capable de respecter une tolérance de l’ordre de 0.2 mm pour un composant à géométrie simple, mais incapable dans le cas d’un composant à géométrie complexe. Dans cette optique, de nombreuses recherches sont actuellement consacrées au développement de système (réseaux de neurones et logique floue (Korosec, Balic et Kopac, 2005), algorithme génétique (Ji et al., 2000), CAD-based systems (Kerbrat, Mognol et Hascoet, 2010), etc.) qui permettrait aux concepteurs d’intégrer l’effet du changement de géométrie sur une capabilité de procédé déjà historiquement connue. Malheureusement, une infime proportion d’industriels peuvent se permettre d’utiliser ce type de système vu les investissements importants en ressources spécialisées. Pour la grande majorité, estimer la capabilité d’un procédé (où la fabricabilité d’un composant, selon le point de vue) demeure un processus itératif basé sur la connaissance du procédé de fabrication.
Généralement, pour chaque nouvelle pièce, une nouvelle étude préliminaire et empirique est de mise. Récemment, Tahan et Levesque (2009) ont proposé un modèle pour estimer la capabilité d’un procédé à rencontrer un requis géométrique de position (j) appliqué sur un patron de trous. Le modèle a également été repris et amélioré par Tahan et Cauvier (2012) en y intégrant la condition de matière des éléments3. L’originalité de ce modèle réside dans sa capacité à intégrer les caractéristiques statistiques du procédé (c.-à-d. une capabilité déjà historiquement connue) et le nombre n d’éléments faisant partie du patron des trous. Par exemple, pour un procédé de perçage, la capabilité de ce dernier à positionner un trou (n=1) n’est pas la même que pour le positionnement d’un patron à deux (n=2), trois (n=3) ou n trous (Figure 1-4). Avec ce modèle, l’expression de la capabilité du procédé devient une fonction de plusieurs variables, soit les caractéristiques statistiques du procédé (moyenne, variance) et la complexité géométrique de l’élément à produire (dans ce cas spécifique, c’est le nombre de trous n). Cette nouvelle définition de la capabilité d’un procédé permet d’estimer de façon simple, dès le stade de conception et sans nouvelle étude préliminaire, une tolérance géométrique optimale à appliquer sur une nouvelle géométrie.
Les indices de capabilité multivariables En utilisant les caractéristiques statistiques d’un procédé (position, dispersion), les indices de capabilité présentés à la section 2.1.1 permettent d’évaluer l’aptitude du procédé à respecter une spécification d’ingénierie. Dans un cas plus général, plusieurs spécifications peuvent être appliquées simultanément sur un même élément, et ce, de manière indépendante (ex. : hauteur et largeur d’un bloc) ou dépendante (ex. : diamètre et position avec condition de matière d’un élément cylindrique). L’aptitude du procédé à respecter plusieurs spécifications s’exprime alors par un indice de capabilité multivariables (Pearn, Wang et Yen, 2007). La difficulté du contexte multivariables est qu’il n’y a pas à ce jour de consensus6 sur la manière exacte à adopter pour estimer un indice de capabilité, et ce, même en généralisant le principe de base de l’analyse à une seule variable (Wang, 2000; Wu, Pearn et Kotz, 2009). En généralisant vers le contexte multivariables (MCp), le fondement qui est de comparer spécification et variation du procédé demeure le même, à la différence que l’on compare des domaines dans un hyperespace (domaine de tolérance et domaine de variation) (Figure 2-3) au lieu d’intervalles (intervalle de tolérance et intervalle de variation).
Plusieurs méthodes ont été proposées par les chercheurs pour évaluer le volume des domaines de tolérance et de variation. À titre illustratif, prenons comme exemple le cas d’un élément doté de deux requis fonctionnels indépendants qui suivent une distribution multivariée normale. Selon Shahriari et Abdollahzadeh (2009), l’indice MCp s’obtient par le ratio entre l’aire de la zone rectangulaire définit par les limites de tolérances LTI1 , LTS1 , LTI2 , LTS2 et l’aire de la zone rectangulaire de même orientation et qui regroupe 99.73% des données. Inversement, Taam, Subbaiah et Liddy (1993) proposent de calculer l’indice MCp par le ratio entre l’aire de la plus grande ellipse inscrite à l’intérieur des limites de tolérances et l’aire de l’ellipse qui regroupe 99.73% des données. La Figure 2-4 illustre ces méthodes en plus de la méthode proposée par Niavarani, Noorossana et Abbasi (2012).
Également, dans le cas multidimensionnel, évaluer la capabilité du procédé à atteindre une valeur cible est beaucoup plus complexe que dans l’analyse à une seule variable. Pour illustrer le concept simplement, il s’agit de mesurer la distance entre le centroïde du domaine de tolérance et le centroïde du domaine de variation. Pour un exemple de ce type d’indice de capabilité, le lecteur est référé à Taam, Subbaiah et Liddy (1993). Ces auteurs proposent une généralisation de l’indice de capabilité Cpm vers le domaine multivariable. Plus récemment, des travaux de recherche ont permis d’étendre l’analyse de capabilité multivariables avec domaine de conformité préétablie et fixe, vers des cas où le domaine de conformité est variable. Suite à l’introduction du concept de domaine défaillance7 par Skinner et al. (2002) , Mannar et Ceglarek (2009) ont proposé de calculer des indices de capabilité (FCp et FCpk) en soustrayant ce nouveau domaine du domaine de conformité original (Figure 2-5). Dans le même registre, Tahan et Cauvier (2012) ont développé un modèle original capable de tenir compte de la dépendance entre 2 requis basé sur l’utilisation de l’indice de Hasofer-Lind. Cette situation survient généralement lorsqu’un requis de positionnement (ou d’orientation) est accompagné d’une condition de matière (MMC ou LMC) (Figure 2-6). En appliquant le modèle au positionnement de patron de trous, les auteurs ont intégré une troisième variable qui influence la capabilité du procédé étudié, soit le nombre de trous qui compose le patron. Cette facette du modèle ayant été originalement développée par Tahan et Levesque (2009), le nombre de trous s’interprète dans ce cas spécifique comme un indice de complexité de l’élément à produire et sera plus détaillé à la section suivante.
La complexité géométrique Comme il a été mentionné au CHAPITRE 1, plusieurs efforts de recherches sont actuellement déployés pour établir une métrique permettant de quantifier la complexité. La particularité (et la difficulté) est que, selon le domaine étudié (conception, fabrication, analyse économique, outillage nécessaire, etc.), différentes définitions peuvent être adoptées. Ce manque d’uniformité est principalement dû au fait que le concept de complexité est une question de perspective (ElMaraghy et al., 2012; Manson, 2001) et il en résulte que le nombre de mesures proposées dans la littérature est impressionnant, sans compter les différentes utilisations associées à chacune d’elles. À titre illustratif, Colwell (2005) a recensé près de trente définitions de la complexité. Par exemple, dans le domaine de la fabrication de profilés extrudés, il est reconnu que la pression d’extrusion dépend de la complexité géométrique de la section à extruder. La définition adoptée dans ce domaine est que la complexité géométrique d’un profil correspond au ratio de la pression nécessaire pour extruder ce dernier et de la pression d’un profilé de référence, c’est-à-dire une section circulaire d’aire équivalente8. Or, selon Qamar, Arif et Sheikh (2004), la complexité devrait s’évaluer en fonction de la géométrie uniquement. Ainsi, dans le but d’estimer rapidement la pression nécessaire pour extruder des profils de différentes géométries, les auteurs proposent d’estimer la complexité C par une fonction du ratio des périmètres du profilé complexe S P et du profilé de référence 0 P :
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE INDUSTRIELLE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
1.1 Objectifs de la recherche
CHAPITRE 2 REVUE LITTÉRAIRE ET MÉTHODOLOGIE EXPÉRIMENTALE
2.1 La capabilité des procédés
2.1.1 Les indices de capabilité
2.1.2 Les indices de capabilité multivariables
2.2 La complexité géométrique
2.3 Le contrôle géométrique des surfaces de styles
2.4 Méthodologie expérimentale
CHAPITRE 3 ESTIMATION DE LA CAPABILITÉ EN CONTEXTE D’INGÉNIERIE CONCOURANTE
3.1 Estimation de la capabilité lors du développement de produit
chez Nova Bus
3.2 Exemple typique d’analyse de capabilité
3.3 Estimation de la capabilité par la complexité géométrique
3.4 Conclusion
CHAPITRE 4 DÉVELOPPEMENT D’UN INDICE DE COMPLEXITÉ GÉOMÉTRIQUE
4.1 La complexité d’un point de vue géométrique
4.2 La complexité d’un point de vue du procédé de fabrication
4.3 Étude de cas (1): La complexité d’un système d’attaches
4.4 Étude de cas (2): La complexité d’une structure mécano soudée
d’un mur latéral d’autobus urbain
4.5 Étude de cas (3): La complexité des surfaces de styles
4.6 Conclusion
CHAPITRE 5 PROPOSITION D’UN MODÈLE POUR INTÉGRER LA COMPLEXITÉ DANS L’ESTIMATION DE LA CAPABILITÉ DES TOLÉRANCES GÉOMÉTRIQUES DE PROFIL
5.1 Rôle de l’indice de complexité dans l’estimation de la capabilité
5.2 La tolérance de profil sans aucun DDL (type 1)
5.3 La tolérance de profil avec un blocage de 3 DDL (type 2)
5.4 La tolérance de profil avec 6 DDL (type 3)
5.5 Incertitude associée au modèle
5.6 Exemple d’application
5.7 Conclusion
CHAPITRE 6 ESTIMATION DE LA CAPABILITÉ DANS LE CAS D’UN PROCÉDÉ D’ASSEMBLAGES MÉCANO-SOUDÉ
6.1 La capabilité d’un système d’attaches
6.1.1 Analyse descriptive du procédé
6.1.2 Analyse des capabilités du procédé d’assemblage
mécanosoudé
6.1.3 Extrapolation de la capabilité
6.1.4 Interpolation de la capabilité
6.2 La capabilité d’une structure de mur d’autocar
6.2.1 Extrapolation de la capabilité
6.2.2 Interpolation de la capabilité
6.3 Discussion
6.4 Conclusion
CHAPITRE 7 ESTIMATION DE LA CAPABILITÉ DANS LE CAS D’UN PROCÉDÉ D’USINAGE
7.1 Déroulement de l’expérimentation
7.2 Extrapolation de la capabilité
7.3 Interpolation de la capabilité
7.4 Conclusion
CONCLUSION
RECOMMANDATIONS
ANNEXE I DÉVELOPPEMENT DE LA FONCTION DE DENSITÉ
(PDF) POUR UNE TOLÉRANCE DE PROFIL SANS
DDL
ANNEXE II DÉVELOPPEMENT DE LA FONCTION DE DENSITÉ
(PDF) POUR UNE TOLÉRANCE DE PROFIL AVEC
TROIS DDL
ANNEXE III ALGORITHME PERMETTANT L’ASSOCIATION
D’UNE SURFACE SELON LE CRITÈRE DE
CHEBYSHEV
ANNEXE IV ANALYSES DES CAPABILITÉS DU PROCÉDÉ
D’ASSEMBLAGE MÉCANO-SOUDÉ POUR UN
SYSTÈME D’ATTACHES
ANNEXE V USINAGE DES ÉCHANTILLONS
BIBLIOGRAPHIE
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