DÉVELOPPEMENT DU SYSTÈME RACINAIRE ADVENTIF DE L’ÉPINETTE NOIRE EN LIEN AVEC L’ENFOUISSEMENT DE LA TIGE
Les forêts aménagées du Québec comptent une grande proportion d’essences résineuses à usage commercial. Parmi celles-ci, l’épinette noire (Picea mariana (Mill.) BSP) est l’espèce la plus utilisée commercialement au Canada (Burns et Honkala 1990). Cette espèce étant reconnue pour la qualité de sa fibre de bois, elle est fortement recherchée par les compagnies forestières et est donc largement utilisée dans les efforts de reboisement (Lamhamedi et Bernier 1994; Parent 2012).
L’épinette noire possède un système racinaire majoritairement du type adventif caulinaire (DesRochers et Gagnon 1997; Krause et Morin 2005; LeBarron 1945). Ce type de racines se développe à partir de la tige, au-dessus du collet de la plante. Bien que plusieurs espèces d’arbres puissent développer des racines adventives, le système racinaire adventif de l’épinette noire est de grande importance puisque le système racinaire des arbres matures est presqu’exclusivement adventif (Krause et Morin 2005). Considérant cette dominance des racines adventives, il est primordial de bien comprendre le développement du système racinaire adventif de l’épinette noire. Il est également d’une grande importance de quantifier les effets d’un système racinaire adventif plus développé sur la croissance et la condition de la partie aérienne de l’arbre, puisque la taille et la rectitude des tiges, deux caractéristiques majeures dans le succès d’une plantation, sont largement influencées par le système racinaire (Raven 2000).
Matériel et Méthodes
Les épinettes noires étudiées ont été cultivées dans les serres du pavillon de recherche forestière de l’Université du Québec à Chicoutimi. Les graines ont été plantées dans des contenants 67-50 (67 cavités de 50 cm3 ) et les plants cultivés pendant 16 semaines. Tous les plants ont été repiqués dans des contenants 45-110 (45 cavités de 110 cm3 ) après 16 semaines. À ce moment, l’enfouissement des tiges a été effectué chez les plants identifiés pré-enfouis de façon à ce que le collet se trouve cinq centimètres sous la surface du substrat. Dans le cas des deux autres traitements, ils ont seulement été transplantés au moment du repiquage puisque les plants standards n’ont pas eu d’enfouissement et les plants enfouis l’ont été seulement au moment de la mise en plantation. Après quatre semaines supplémentaires de culture en serre dans ces contenants, les plants ont par la suite été transportés aux sites de plantation durant l’été 1996. Aucune période de dormance n’a été induite durant la période de culture en serre et les plants étaient encore en phase de croissance en hauteur lors de la mise en place de la plantation. Ils ont été plantés en juillet sur une aire forestière coupée près de Chapais (49°18’N, 75°12’O) (Figure 1). Le secteur est situé dans le domaine bioclimatique de la pessière à mousse où la végétation est dominée par l’épinette noire, l’épinette blanche (Picea glauca (Moench) Voss.) et le sapin baumier (Abies balsamea (L.) Mill.) (Garralla et Gajewski 1992). Les températures annuelles sont de ~ 0,0 °C, avec des températures moyennes de -18,8 °C en janvier et de 16,3 °C en juillet (Environnement Canada 2013).
Les plants ont été plantés selon un dispositif en tiroir constitué de cinq répétitions, 2 types de substrat (minéral ou organique) et trois méthodes de plantation. Celui-ci est également composé de sept parcelles représentant chacune une année d’échantillonnage, soit 1996, 1997, 1998, 1999, 2001, 2006 et 2011 (Figure 2). Les cinq premières parcelles ont été utilisées dans des études antérieures à la nôtre (Gagnon 2002) alors que les deux dernières parcelles, correspondant aux années d’échantillonnage 2006 et 2011, sont celles qui ont été utilisées dans notre étude. Les années d’échantillonnage ainsi que les traitements type de substrat (subs) et méthode de mise en terre (meth) sont imbriqués hiérarchiquement l’un dans l’autre. Chaque parcelle contenait 72 plants et les combinaisons des traitements méthode et substrat ont été répartis de façon aléatoire entre ces derniers.
Mesures aériennes
Les mesures effectuées sur les parties aériennes avaient pour but d’évaluer la hauteur et le diamètre des plants pour les années 2006 et 2011. La hauteur totale de la tige et celle des cinq derniers verticilles ont été mesurées pour les épinettes récoltées en 2006 et en 2011 à l’aide d’un ruban gradué au millimètre. Puisque la taille des cinq derniers verticilles a été mesurée lors des deux années d’échantillonnages, cela a permis d’obtenir une chronoséquence de 10 ans pour la croissance annuelle en hauteur des plants, soit à partir de l’âge de 5 ans jusqu’à 15 ans. Les mesures de diamètre au collet (DHC) ont été prises à l’aide d’un vernier électronique (précision au centième de millimètre).
Mesure des racines
Concernant la partie racinaire, les mesures visaient à évaluer l’établissement et la croissance des racines adventives par rapport au développement des racines initiales. D’abord, toutes les racines latérales de plus de 2 mm de diamètre ont été dénombrées et identifiées par un numéro correspondant à l’ordre de profondeur par rapport au niveau du sol. Le diamètre le plus large et à 90° de la base de chaque racine identifiée a ensuite été mesuré au vernier électronique (Figure 4), permettant de calculer la surface transversale de chaque racine à l’aide de la formule de l’ellipse : π x (rayon le plus large)x(rayon à 90°) Leur profondeur par rapport au niveau du sol a été mesurée en utilisant le point le plus haut de la base de la racine comme référence. Elles ont ensuite été retirées à l’aide d’un scalpel de façon à effectuer une coupe nette le plus près possible de la souche. Des coupes transversales de la souche ont ensuite été effectuées dans le but de valider avec précision le niveau réel du collet (interface racine/tige). Déterminer le niveau du collet fut nécessaire pour discriminer les racines adventives caulinaires (au-dessus du collet) des racines initiales (sous le collet) (DesRochers et Gagnon 1997). La profondeur des racines par rapport au niveau du sol a donc été convertie en profondeur par rapport au niveau du collet, une valeur positive signifiant que la racine est une racine adventive et une valeur négative, une racine initiale (Figure 4). Le nombre de racines adventives a été dénombré par rapport au nombre de racines total afin d’obtenir un ratio exprimé en pourcentage (%). La conversion du nombre de racines adventives en ratio fut nécessaire afin de permettre des comparaisons entre les plants ayant un nombre variable de racines dans leur système racinaire.
Finalement, l’âge au niveau de la base de chaque racine adventive ou initiale a été calculé à l’aide d’un décompte des cernes de croissance, permettant de connaître le moment où chaque racine a été formée au cours de la vie du plant. Pour les plants récoltés en 2011, une même analyse de l’âge des racines a également été effectuée à 30 cm de la base de la tige afin d’estimer la vitesse de croissance des racines. Toutefois, cette mesure n’est pas disponible pour tous les plants puisqu’un grand nombre ne possédaient pas un système racinaire suffisamment étendu.
Mesures physiologiques
En ce qui concerne les mesures physiologiques visant à comparer le stress hydrique et le taux de photosynthèse entre les traitements, des mesures d’échanges gazeux, de potentiel hydrique et de ratio de carbone isotopique (13C/12C) ont été effectuées en 2011. Les mesures d’échanges gazeux ont été réalisées le 19 juillet, entre 9h00 et 15h00 et la météo était parfaitement ensoleillée durant cette période; les plants profitaient donc d’une luminosité saturante continue. Les mesures ont été effectuées dans 4 répétitions avec une sélection de 3 plants (pseudo-réplication) par combinaison de traitements pour chaque répétition, aléatoirement choisis parmi les plants déjà sélectionnés pour l’étude. Un appareil de modèle LI-COR-6400 a été utilisé pour ces mesures avec une chambre foliaire transparente pour conifère (LI-COR Biosciences, Lincoln, Nebraska E-U). Le flux était de 400 |nmol/sec, la référence de CO2 programmée à 400 ppm et la température maintenue à 25°C (Sullivan et Sveinbjôrnsson 2011). Pour chaque mesure, un rameau d’environ 10 cm de longueur a été prélevé, provenant des plus hautes branches des plants sous l’apex, puis placé immédiatement dans un sac hermétique (Ziploc) préalablement identifié avec le numéro d’arbre correspondant pour son transport jusqu’à la chambre foliaire. Il y avait une attente de 2 à 3 minutes maximum en attendant la completion de la mesure du rameau précédent. Immédiatement après mesure de l’échange gazeux dans la chambre foliaire, chaque rameau a été replacé dans son sac hermétique correspondant, puis rangé au frais dans une glacière pendant la mesure du rameau suivant. Ces échantillons ont été ainsi conservés à l’obscurité et au frais durant le reste de l’ensemble des mesures et jusqu’au laboratoire de l’UQAC où ils ont par la suite été séchés à Pétuve jusqu’à masse constante. Seulement les aiguilles ont été conservées dans les échantillons séchés, qui ont par la suite été pesés. Afin de calculer la surface foliaire, des souséchantillons de 15 aiguilles ont été sélectionnées sur chaque rameau, leur masse totale pesée, et leur surface totale calculée à l’aide du logiciel Wincell (version 2004a Pro, Regent instruments Inc., Nepean, Canada). Avec le rapport surface/masse obtenu pour ces sous-échantillons, il a été possible d’estimer la surface totale de chaque échantillon utilisé dans la chambre foliaire du LICOR et ainsi calculer la photosynthèse nette des échantillons.
Afin d’évaluer le statut hydrique des plants, le potentiel hydrique a été mesuré le matin du 19 juillet 2011, de 7hl5 à 9hl5. Le matin est la meilleure période de la journée pour effectuer cette mesure puisque les plants viennent de rétablir leur apport en eau et n’ont pas encore été exposés à la chaleur de la journée (Grossnickle 2000). Un appareil de type chambre à pression (Modèle 610, PMS Instruments, Albany, Oregon E-U) a été utilisé pour effectuer les mesures de potentiel hydrique (Ritchie et Hinckley 1975). Les rameaux sélectionnés étaient situés près du sommet des plants échantillonnés, sous les nouvelles pousses de l’année. Ceux-ci ont ensuite été insérés dans la chambre à pression de façon à ce que l’extrémité coupée dépasse par l’orifice. Cette extrémité a été préalablement dégarnie de son écorce sur un à deux centimètres afin de favoriser une fermeture complètement hermétique entre le rameau et la paroi de l’orifice. La pression de l’appareil a par la suite été augmentée de façon constante jusqu’à l’apparition d’eau à l’extrémité du rameau dépassant de l’appareil. À ce moment, la pression indiquée par l’appareil est notée et celle-ci correspond au potentiel hydrique du rameau et du plant correspondant (Ritchie et Hinckley 1975). Cette mesure a été réalisée sur les mêmes plants que pour la photosynthèse, mais seulement pour les deux répétitions du site xérique. La conservation et le transport dans des sacs hermétiques pré-identifiés en attendant la mesure s’est déroulée de façon similaire à la procédure utilisée lors des mesures de la photosynthèse nette.
Conclusion
Nous concluons donc que l’enfouissement de la tige lors de la culture en serre ou au moment de la mise en place de la plantation n’a pas d’impact significatif sur la croissance des épinettes noires plantées. Par contre, certains auteurs suggèrent que l’enfouissement permet une amélioration du taux de survie des plants, notamment par une meilleure résistance durant les périodes de sécheresses (Stroempl 1990) et une réduction du risque de déchaussement causé par les cycles de gel et dégel (Paquette et al. 2011). Comme ces paramètres n’ont pas été étudiés ici, notre conclusion est limitée à aucun effet négatif de l’enfouissement chez les plants d’épinettes noires.
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Table des matières
Introduction
Problématique
Objectifs
Matériel et Méthodes
Mesures aériennes
Mesure des racines
Analyses statistiques
Résultats
Partie aérienne
Système racinaire
Paramètres physiologiques
Discussion
Limites de l’étude
Conclusion
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