Développement du cadre théorique et état de l’art technologique de l’émission électronique par effet de champ

Des premières observations de l’émission de champ à l’établissement d’un cadre théorique

Il est utopique d’espérer pouvoir donner une date précise unique pour la découverte d’un nouveau phénomène ou d’un nouvel objet scientifique. D’ailleurs, il est tout aussi délicat d’attribuer ces découvertes à seulement quelques grands personnages quand on connait la véritable aventure humaine qu’est la Recherche scientifique. Pour des contraintes évidentes de temps et d’espace cependant ± cette thèse n’ayant pas vocation à être soutenue en histoire des sciences ± il est souvent d’usage de faire référence à quelques événements clés résumés en quelques dates et protagonistes majeurs. Il faut alors seulement être conscient que la vision de l’avancement scientifique qui résulte de cette réduction (au sens du réductionnisme) est grandement biaisée. L’avertissement ayant été donnée, tentons tout de même de résumer à travers les jalons les plus marquant le développement historique du phénomène qui nous intéresse : l’émission électronique, et plus particulièrement l’émission électronique induite par effet de champ (que l’on appellera souvent émission de champ par abus de langage). Si l’on se réfère aux recherches de Christian Kleint [1], les premiers travaux en lien avec l’émission électronique remontent au siècle des Lumières, avec les expériences de Johann Heinrich Winkler à Leipzig [2]. En particulier, une de ces expériences consistait en une pointe métallique insérée dans une enceinte de verre, fermée par un socle métallique (Fig. 1.1a), le tout mis sous tension à l’aide de l’électricité statique générée par les frottements du métal sur une sphère creuse de souffre solide. L’air de l’enceinte était ensuite raréfié par le moyen des pompes à vide de l’époque (Fig. 1.1b). Notons que l’invention de la pompe à vide – du moins de la pompe à air – remonte à la moitié du 17e siècle [3]. Kleint parle alors de premières décharges électriques induites par émission de champ en atmosphère raréfiée. Toutefois, comme le note Richard Forbes [4] (in ref. Sec. II-A), il est difficile d’être rétrospectivement sûr qu’un courant d’électrons émis par effet tunnel soit effectivement à l’origine des décharges observées par Winkler. De même, il est plausible, mais reste incertain que des phénomènes d’émission électronique aient eu lieu dans nombre des expériences qui suivirent sur les décharges électriques sous vide au cours de la deuxième moitié du 19e siècle. En fait, les premiers tubes à vide basaient leur production d’électrons sur le phénomène de décharges électriques en atmosphère raréfiée. Trois régimes de décharge sont alors à distinguer, caractérisés par des relations courant/tension bien distinctes. En dessous de la tension de claquage du gaz (tension au-delà de laquelle le gaz devient conducteur), les décharges sont produites par avalanche de Townsend (démultiplication des électrons par collision ionisante successive), comme c’est par exemple le cas dans les tubes de Crookes. Au-delà de la tension de claquage, on passe en régime de décharge luminescente, utilisé par exemple par les tubes de Geissler. Si l’on augmente davantage le courant au-delà de la tension de claquage, on provoque la formation d’un arc électrique. On mentionne généralement les travaux de R.W. Wood en 1897 [5] comme les premiers à avoir rapporté une description de ce phénomène. Rendus possibles par l’amélioration des techniques de verrerie et de pompage, Wood décrit la formation d’arcs électriques entre deux électrodes sous vide séparées d’une distance ajustable. Bien qu’une fois encore l’implication de l’émission de champ soit incertaine, cette référence reste pertinente du fait que la mise en cause de l’émission électronique depuis des rugosités de surface dans le déclenchement d’un arc électrique inter électrode (i.e. le claquage haute tension sous vide) est un mécanisme physique encore à l’étude aujourd’hui. Il est par ailleurs important de noter que jusqu’à cette époque, en 1897 justement, le concept d’électron n’existait pas encore. C’est l’étude de ces phénomènes de décharge électrique sous vide (plus particulièrement des rayons cathodiques) qui mena J. J. Thomson à mettre en évidence le concept d’électron (d’abord sous le nom de « corpuscule » [6]) comme particule de masse fixe et sous-constituante des atomes. Son discours du 30 avril 1897 devant la Royal Institution et la publication qui en découle [7] posent la première brique de l’explication théorique moderne de l’émission électronique.

Peu de temps plus tard, Albert Einstein publie son désormais très célèbre article de 1905 [11, 12], reliant l’émission photo-électrique ± initialement observé en 1887 par Heinrich Hertz [13] ± à l’extraction d’un électron par un photon (quanta d’énergie électromagnétique) d’énergie supérieure à son travail de sortie.

Pour ce qui est de l’émission électronique par effet de champ, il faut attendre 1910 pour que Franz Rother et Julius Edgar Lilienfeld mettent en évidence l’émission d’électrons sous l’effet d’un champ électrique intense à température ambiante [14], bien en deçà des températures requises pour l’émission thermoionique. Ils nommeront dans un premier temps cet effet l’émission autoélectronique. S’en suit une série d’expériences sur la mise au point de tubes à rayon X basées sur des décharges électriques induites par émission autoélectronique, avec des courants de plusieurs milliampères pour des tensions de plusieurs kilovolts [15]. En 1923, Schottky, qui avait observé l’augmentation des courants de saturation thermique par l’application de champs forts, suggère que l’émission autoélectronique pourrait être en substance une émission d’origine thermique avec un travail de sortie diminué par la présence du champ électrique.

En parallèle de l’amélioration des mesures expérimentales se poursuit le développement théorique de la mécanique quantique (initiée au début du 20e siècle avec l’hypothèse des quantas de Planck). Ainsi, l’utilisation de la « nouvelle mécanique » permet à Fowler et Nordheim en 1928 de dériver une relation théorique entre courant et tension : « [We] treat the theory in the simple straight-forward way which is now possible in the new mechanics, using the revived electron theory of metals which we owe to Sommerfeld. » [18] (in ref. §1) Leur première formule se base sur la résolution exacte de l’équation de Schrödinger (1925) pour une barrière de potentiel 1D de forme triangulaire (Fig. 1.2a). C’est l’effet tunnel à travers cette barrière de potentiel qui permet d’expliquer l’émission d’un courant à température ambiante (les auteurs parlent cette fois d’émission de champ fort, strong field emission en anglais, par opposition à l’émission thermoionique, thermionic emission).

Dans cet intervalle de temps, l’avancée de la compréhension théorique de l’émission de champ permet à J. E. Henderson et R. K. Dahlstrom d’établir en 1940 un protocole expérimental pour mesurer la distribution énergétique des électrons émis [19]. Les résultats expérimentaux ainsi obtenus permettent de confirmer que dans le cas de l’émission par effet de champ, une majorité des électrons sont bien émis avec une énergie autour du niveau de Fermi, sans avoir acquis une énergie égale au travail de sortie. Par ailleurs, augmenter la température de l’émetteur mène à des  distributions énergétiques légèrement plus élevées. Ce sont ces résultats expérimentaux qui poussent Henderson à s’intéresser plus directement à l’influence sur la thermique de l’émetteur du bilan d’énergie entre les électrons émis et ceux qui les remplacent, processus que l’on appellera plus tard l’effet Nottingham. Il publie ainsi l’année suivante une nouvelle étude expérimentale avec G. M. Fleming qui met en évidence une perte d’énergie thermique au cours de l’émission à haute température d’une pointe en tungstène [24]. Par l’intermédiaire d’un thermocouple, l’expérience indique une légère augmentation de la puissance requise pour maintenir la température de l’émetteur à mesure que le courant thermoionique augmente. En reliant cet écart de puissance avec le bilan d’énergie thermique par électron dans le cadre de la théorie de Sommerfeld (statistique de Fermi-Dirac des électrons de conduction), l’article parvient à une prédiction cohérente du travail de sortie du tungstène qui vient appuyer la solidité de la mesure expérimentale. C’est la première preuve expérimentale (bien qu’indirect) de ce processus qui avait été prédit plus tôt par la théorie, mais n’avait pas pu être mis en évidence jusqu’ici : « Like Lilienfeld, Cunradi had again tried to measure a cooling or warming effect of the emitter during emission (Nottingham effect). The results were not very conclusive, however, and were obviously in favour of a heating effect. » [1] (in ref. Sec. 5, §4) Le passage d’un bilan d’énergie positif (effet chauffant) à un bilan négatif (effet refroidissant), ainsi que la valeur précise de l’énergie des électrons de remplacement ont par la suite été sujets à controverse. Il semble d’ailleurs que c’est la contribution de W. B. Nottingham à cette controverse [25] qui donna son nom au phénomène physique, l’effet Nottingham. Cette controverse dura une vingtaine d’années avant que les travaux théoriques et expérimentaux plus poussés menés dans les années 1960 [26, 27, 28] n’apportent un accord relativement bon de l’effet Nottingham avec la théorie et traduisirent le concept de bilan d’énergie par électron en une densité de flux de chaleur à la surface de l’émission.

La mise en équation de l’effet Nottingham associé à l’équation de Murphy et Good pose la base du cadre théorique de l’émission électronique par effet de champ. Pour prédire précisément l’évolution de l’échauffement d’une pointe émettrice, il faut coupler ces équations avec celles de la chaleur et du courant sur une géométrie réaliste. Résoudre analytiquement ce système d’équations autocohérent est délicat et nécessite un grand nombre d’hypothèses. Les travaux à ce sujet sont restreints à des géométries 1D et à une étude stationnaire. Ils se limitent généralement aux formules approximatives de Murphy et Good pour le régime d’émission intermédiaire. Une évaluation numérique de toute cette physique permet d’aller plus loin, comme nous le verrons dans les prochains chapitres de cette thèse.

Développements technologiques autour de l’émission électronique 

Sources d’électrons dans les tubes électroniques

Depuis la fin du 19e siècle et jusqu’à la moitié du 20e siècle, le développement du tube électronique et de ses applications en médecine [29], en communication [30, 31] et en informatique [32] a fortement contribué à asseoir la science physique comme moteur de changements sociétaux. Les tubes électroniques sont des dispositifs relativement simples en essence. Ils consistent en un tube en verre généralement scellé sous vide (ou connecté à une pompe à vide) contenant au moins deux électrodes et un moyen de production d’électrons (une source d’électrons). La forme la plus simple de tube à vide, la diode, consiste en une cathode émettrice d’électrons et une anode réceptrice. En laissant passer le courant uniquement dans un sens (de la cathode vers l’anode, lorsque la bonne polarisation est respectée), la diode a permis la mise au point des premiers redresseurs (capable de convertir un courant alternatif en un courant continu) et marque la naissance de l’électronique sous vide. L’ajout d’une troisième électrode sous la forme d’une grille à potentiel modulable entre la cathode et l’anode (grille de contrôle) permet le contrôle du courant transmis. Une charge en série connectée à l’anode convertit ensuite la variation de courant en variation de tension et de puissance. La triode ainsi nommée offre alors la possibilité d’amplifier la puissance ou la tension du signal d’entrée en modulant la portion de courant émis par la cathode parvenant à l’anode. Pensée par Lee de Forest en 1906, cette innovation « incrémentale » aux airs anodins a en fait permis l’essor de la radio et des communications longues distances [33]. Manquant au télégraphe, la triode amplificatrice permettra notamment aux premiers réseaux téléphoniques de s’affranchir des relais intermédiaires qui servaient à répéter le signal pour compenser l’énergie dissipée sur les grandes distances. La tétrode avec une quatrième électrode (la grille-écran) puis la pentode avec une cinquième électrode (la grille d’arrêt) poursuivront l’amélioration des amplificateurs, respectivement en supprimant la capacité résiduelle entre la grille de contrôle et l’anode (effet Miller) et en permettant de conserver les électrons secondaires émis par l’anode.

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Table des matières

Introduction générale
1 Développement du cadre théorique et état de l’art technologique de l’émission électronique par effet de champ
1.1 Établissement d’un cadre théorique
1.2 Développements technologiques autour de l’émission électronique
1.2.1 Sources d’électrons dans les tubes électroniques
1.2.2 Microscope à émission de champ
1.2.3 Succès et limites des émetteurs de type Müller
1.2.4 Développement des réseaux d’émetteurs à effet de champ
1.3 Émission électronique par effet de champ et claquage électrique sous vide
2 Modèle d’émission électronique par effet de champ thermo-assistée et algorithme de résolution numérique
2.1 Essence du problème multiphysique
2.2 Modèle d’émission électronique utilisé
2.2.1 Théorie de Sommerfeld
2.2.2 Énergie normale, contribution au courant et fonction d’apport (supply function)
2.2.3 Interface cathode-vide et coefficient de transmission
2.2.4 Calcul numérique de la densité de courant
2.2.5 Distribution énergétique des électrons émis
2.2.6 Bilan d’énergie des électrons et effet Nottingham
2.2.7 Température d’inversion Nottingham
2.3 Résolution sous COMSOL et géométrie des aspérités
2.3.1 Domaine de simulation et géométrie
2.3.2 Équations physiques et conditions aux limites
2.3.3 Maillage et puissance de calcul
2.4 Perspectives d’amélioration du modèle
2.4.1 Au-delà de la théorie de Sommerfeld
2.4.2 Meilleure modélisation de l’interface métal/vide
2.4.3 Au-delà de l’approximation BKW
2.4.4 Variation du travail de sortie et forme des émetteurs/aspérités
2.5 Conclusion
3 Émetteur unique : Autoéchauffement, emballement résistif et bistabilité d’inversion Nottingham
3.1 Autoéchauffement et émission de champ thermoassistée
3.1.1 Évolution vers l’équilibre
3.1.2 Destruction thermique
3.1.3 Transition vers l’émission thermoassistée en régime permanent
3.1.4 Caractéristiques de l’émission au champ de préclaquage
3.2 Emballement résistif et bistabilité d’inversion Nottingham
3.2.1 Transition discontinue entre deux états stationnaires
3.2.2 Emballement transitoire au cours de l’autoéchauffement
3.2.3 Influence des paramètres de l’émetteur
3.2.4 Discussion sur les conditions de la bistabilité
3.3 Conclusion
4 Assemblées d’émetteurs proches : Ecrantage électrostatique, espacement optimal et couplage thermique
4.1 Interaction électrostatique entre émetteurs à proximité
4.1.1 Loi d’écrantage électrostatique avec la distance
4.1.2 Recherche de l’espacement optimal dans les réseaux
4.1.3 Implications de l’auto échauffement dans la recherche d’un espacement optimal
4.2 Autoéchauffement en 3D et couplage thermique
4.2.1 Phénoménologie du couplage thermique
4.2.2 Analyse paramétrique du couplage thermique
4.2.3 Amplitude du couplage thermique en conditions expérimentales
4.3 Conclusion
5 Simplification 3D vers N × 2D pour la modélisation d’une assemblée d’émetteurs proches
5.1 Ecrantage et dissymétrie
5.1.1 Faible dissymétrie et moyenne orthoradiale de la distribution en champ
5.1.2 Erreur en cas de forte dissymétrie
5.2 Méthode de réduction 3D vers N×2D
5.2.1 Détail mathématique
5.2.2 Application en forte dissymétrie
5.2.3 Intégration de la simplification 3D vers N×2D dans notre algorithme de simulation
5.3 Performance pour l’auto-échauffement d’un réseau d’émetteurs sphère-sur-cône
5.4 Conclusion
Conclusion

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